Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 9
ARRÊT DU 09 JANVIER 2014
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 12/02106
Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Janvier 2012 -Tribunal d'Instance de NOGENT SUR MARNE - RG n° 11-11-966
APPELANT
Monsieur [S] [F]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Frédéric BURET, avocat au barreau de PARIS, toque : D1998
Assisté de Me Smina BENNAI, avocat au barreau de PARIS, toque : W04
INTIMEE
Société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE PARI S ET D'ILE DE FRANCE, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée et assistée de Me Yan VANCAUWENBERGHE subsituant Me Bernard-Claude LEFEBVRE de l'Association LEFEBVRE HATEM-LEFEBVRE, avocat au barreau de PARIS, toque : R031
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 Novembre 2013, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Pierre GIMONET, Président et Mme Patricia LEFEVRE, Conseillère
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Pierre GIMONET, Président de chambre
Mme Patricia LEFEVRE, Conseillère
Madame Joëlle CLÉROY, Conseillère
Greffier, lors des débats : Madame Catherine MAGOT
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Jean-Pierre GIMONET, président et par Madame Catherine MAGOT,greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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Selon l'acte authentique du 9 avril 1991 portant acquisition d'un bien immobilier par M [S] [F] et par son épouse [R] [X], la Caisse de Crédit Agricole Mutuel de Paris et d'Ile de France, préteur de deniers est intervenu à l'acte, au titre de deux prêts : un prêt habitat de 158 546,98€ (1 040 000 francs) et un prêt relais de 32 014,29€ (210 000 francs).
Le bien immobilier ayant été vendu le 6 septembre 2001, la Caisse de Crédit Agricole Mutuel a reçu une somme de 1 430 000 francs sur une créance dont elle prétendait alors qu'elle s'élevait, au titre du prêt habitat; à la somme de 1 836 465,84 francs.
Le 14 juin 2010, la Caisse de Crédit Agricole Mutuel a déposé une requête en saisie des rémunérations de M [F] disant fonder sa réclamation sur l'acte authentique du 9 avril 1991. M [S] [F] n'ayant pas été touché par la convocation adressée par le greffe, elle l'a fait citer en conciliation, par acte extra-judiciaire du 6 octobre suivant. La saisie sollicitée a été autorisée le 16 décembre 2010 et elle a été contestée par M [S] [F], le 7 mars 2011.
Par jugement en date du 5 janvier 2012, le tribunal d'instance de Nogent-sur-Marne a constaté que le prêteur disposait d'un titre exécutoire et que les intérêts réclamés étaient partiellement prescrits et a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, autorisé la saisie des rémunérations de M [S] [F] pour la somme totale de 92 816,40€, mettant les dépens de l'instance à sa charge.
M [S] [F] a relevé appel de cette décision, le 3 février 2012. Dans ses dernières conclusions déposées le 22 octobre 2013, M [S] [F] demande à la cour, infirmant la décision déférée, d'ordonner la mainlevée de la saisie pratiquée sur ses rémunérations et de condamner l'intimée au paiement d'une somme de 5000 € à titre de dommages et intérêts et de celle de 4000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Il rappelle les faits de la cause et notamment la vente du bien immobilier financé par les prêts accordés par la Caisse de Crédit Agricole Mutuel et le règlement effectué par le notaire. Il affirme l'application, aux deux prêts souscrits en 1991, de la prescription quinquennale de l'article 2277 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008, disant que le juge en a, à tort, limité les effets aux intérêts alors que la forclusion des actions était également acquise pour le principal, au 17 juillet 2006, soit avant la date d'application des dispositions transitoires de la loi précitée. Il revendique aussi l'application de la prescription biennale de l'article L137-2 du code de la Consommation issue de la loi du 17 juin 2008. Il conteste la date retenue par le juge comme point de départ du délai de prescription, qu'il qualifie de forclusion précisant qu'il doit être fixé au 8 avril 1993 pour le prêt relais et au 16 juillet 2001, date de l'information adressée à la banque par le notaire sur la vente immobilière pour le second prêt et il affirme l'absence de tout acte interruptif, déniant cette qualité au dépôt de la requête en saisie des rémunérations.
Il soutient également que :
- un acte notarié de vente immobilière ne trouve sa force exécutoire qu'à travers l'inscription hypothécaire qui sert de garantie au prêt, affirmant la disparition du caractère exécutoire à l'expiration de l'inscription, ce qui exclut en l'espèce, les poursuites au titre du prêt relais, faute de renouvellement de l'hypothèque au 8 avril 1993 ;
- la mainlevée de l'inscription hypothécaire après la vente du bien immobilier équivaut à une renonciation pure et simple à toute revendication d'un solde impayé.
Enfin, il déplore l'absence de production de document permettant de constater l'existence d'un solde exigible au titre de l'un ou l'autre des prêts Il relève l'absence d'imputation d'un paiement de 72.218,79 francs (sur le solde du prêt relais) ainsi que de deux chèques (de 5500 francs et de 1000 francs) et, analysant les diverses réclamations de la banque, il affirme que le montant allégué dans le courrier adressé au notaire, le 01 août 2001 soit 1 836 465,84 francs apparaît nécessairement erroné.
Dans ses conclusions déposées le 1er novembre 2013, la Caisse de Crédit Agricole Mutuel de Paris et d'Ile de France soutient la confirmation du jugement entrepris et la condamnation de M [S] [F] au paiement d'une indemnité de procédure de 4000€ et aux entiers dépens.
Elle précise que sa réclamation ne porte que sur le prêt immobilier. Elle rappelle que sa créance constatée par un acte notarié était soumise avant la loi du 17 juin 2008 à la prescription décennale de l'article L.110- 4 du code de commerce qui a été ramenée par la loi précitée à cinq années. Elle fixe le premier acte interruptif de cette prescription au 6 septembre 2001, date du paiement réalisé par le débiteur ou son mandataire lors de la cession du bien immobilier, valant reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait, cet acte étant intervenu moins de dix ans avant le prononcé de la saisie des rémunérations, en décembre 2010. Elle retient que l'appelant fait une application rétroactive de la loi de 2008 et se prévaut de l'article L132-7 du code de la consommation issue de cette même loi, qui n'est qu'une exception aux dispositions de l'article 2224 du code civil et n'a de ce fait pas vocation à s'appliquer aux actions en exécution forcée et aux crédits immobiliers, exclusivement régis par les articles L312-1 et suivants du code de la consommation, affirmant en dernier lieu, que cette prescription a été interrompue par sa requête en saisie des rémunérations datée du 14 juin 2010.
Il s'insurge sur la prétention de M [S] [F] de subordonner le caractère exécutoire de son titre notarié au maintien de l'inscription hypothécaire et affirme suffisamment justifier du montant de sa créance, dont il rappelle qu'elle ne se rapporte qu'au prêt immobilier et non au prêt relais dont certains paiements sont évoqués par M [S] [F].
SUR CE, LA COUR
Considérant qu'en application de l'article R 3252-1 du code du travail, seul le créancier muni d'un titre exécutoire peut faire procéder à la saisie des sommes dues à titre de rémunération par un employeur à son débiteur, l'article L 111-3 4° du code des procédures civiles d'exécution (anciennement article 3 de la loi du 9 juillet 1991) précisant que cette qualité de titre exécutoire est attachée aux actes notariés revêtus de la formule exécutoire et ce, sans y ajouter la condition supplémentaire d'une publication ou d'une inscription hypothécaire ;
Considérant que la Caisse de Crédit Agricole Mutuel de Paris et d'Ile de France agit sur le fondement de l'acte notarié du 9 avril 1991 en ce qu'il constate ses droits au titre d'un prêt immobilier d'un montant de 158 546,98€ (1 040 000 francs), admettant qu'elle ne dispose plus d'aucune créance au titre du prêt relais, également repris au dit acte ;
Que le prêt litigieux devait être remboursé en 180 mensualités, la dernière étant due le 8 avril 2006 ; que le décompte du prêteur, joint à sa mise en demeure du 4 mai 2010, fait apparaître des impayés du 8 mars 1995 au 8 septembre 2001 pour 199 909,79€ et un capital dû de 77725,85€ au 8 septembre 2001, qui constitue la date de déchéance du terme, la Caisse de Crédit Agricole Mutuel de Paris et d'Ile de France invoquant à juste titre, comme causes d'interruptions de prescription (dont le délai sera évoqué ci-dessous) :
- la reconnaissance de son droit par les débiteurs résultant du paiement d'une partie de sa créance, le 6 septembre 2001 ;
- sa requête en saisie des rémunérations du 14 juin 2010, celle-ci étant interruptive de prescription, même sans que l'acte soit porté à la connaissance du débiteur, l'article 2244 du code civil relatif à l'effet interruptif des actes d'exécution forcée n'exigeant pas que l'acte interruptif soit porté à la connaissance du débiteur dans le délai de la prescription ;
Considérant que M [S] [F] soutient en premier lieu l'application de l'article 2277 du code civil (dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008) ;
Que cet article énonce que se prescrivent par cinq ans les actions en paiement (...) de tout ce qui est payable par année ou à des termes périodiques plus courts ; que la condition de périodicité des paiements doit s'entendre du renouvellement régulier de la dette à chaque échéance sans que celle-ci soit diminuée pour l'avenir ; que tel n'est pas le cas du remboursement du prêt litigieux qui constitue une dette en capital, amortie par échéances
mensuelles venant en diminuer le montant ;
Que dès lors, seule la prescription décennale de l'article L 110-4 du code de commerce avait vocation à s'appliquer avant la loi 2008-561 du 17 juin 2008 ; que cette prescription a commencé à courir le 8 mars 1995, date du premier impayé et a été interrompue une première fois, le 6 septembre 2001 ; qu'en conséquence, au 19 juin 2008, date d'application de la loi précitée, le nouveau délai de dix ans (dont le terme naturel était le 6 septembre 2011) n'était pas écoulé ;
Que l'article L. 137-2 du code de la consommation, issu de la loi du 17 juin 2008 dispose que 'l'action des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux
consommateurs, se prescrit par deux ans'; que ce texte a une portée générale puisqu'il figure au livre premier du code de la consommation : 'information du consommateur et formation des contrats', Titre III : 'Conditions générales des contrats', Chapitre VII : 'Prescription'et son champ d'application est étendu aux 'biens et services' et donc aux services financiers, au nombre desquels se trouvent les prêts immobiliers, en l'absence de dispositions particulières dérogatoires ;
Qu'eu égard aux dispositions transitoires de l'article 26 de la loi du 17 juin 2008 précisant que 'les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la présente loi, sans que la
durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure', la Caisse de Crédit Agricole Mutuel de Paris et d'Ile de France disposait de deux années à compter du 19 juin 2008 pour agir et sa requête en saisie des rémunérations datée du 14 juin 2010 adressée au greffe de la juridiction par lettre recommandée avec accusé de réception reçue le 16 juin suivant, a interrompu ce délai ;
Considérant que M [S] [F] prétend également que la mainlevée de l'inscription hypothécaire, suite à la vente du bien immobilier et au paiement du prix entre les mains du prêteur, équivaut à une renonciation pure et simple de toute revendication d'un solde impayé alors même que cette mainlevée n'emportait, en l'absence de tout autre élément et en raison de la revendication de la banque d'une somme supérieure au prix versé, que sa renonciation au droit de suite, condition pour que l'acquéreur s'engage ;
Considérant que M [S] [F] conteste également le montant réclamé, alléguant d'un règlement de 72.218,79 francs dont il dit qu'il était destiné à désintéresser le prêt relais (qui n'est pas en cause), de deux versements par chèques pour un total de 6500 francs datant de 1993 et relevant de manière plus générale, l'incohérence des réclamations de la banque au titre d'échéances jusqu'en janvier 1995 ;
Qu'il est indéniable que M [S] [F] était débiteur à la date de la vente du bien immobilier, en septembre 2001 du capital non échu à cette date, soit la somme totale de 77 725,85€ et de l'indemnité de remboursement anticipée pour la somme, d'ailleurs non contestée, de 2331,77€ ; que s'agissant des échéances impayées, elles sont portées au décompte remis en août 2001 au notaire chargé de la vente immobilière pour la somme de 138 600,84€ auquel il est ajouté une somme de 61 308,96€ au titre des intérêts de retard ;
Que la différence entre d'une part, l'ensemble de ces sommes (capital, indemnité, mensualités impayées et intérêts) auxquelles ont été ajoutés des intérêts de retard (pour 418,53€ et 209,40€) et d'autre part, les sommes de 218 002,09€ et 4878,37€ perçues après la vente de l'immeuble correspond à la somme de 57 714,88€ retenue par le premier juge au titre du principal de la dette, étant relevé que l'extinction de la dette au titre des intérêts par les deux versements précités interdit à M [S] [F] de prétendre à leur répétition en raison d'une éventuelle prescription dont il ne se serait pas prévalu avant le paiement ;
Que la précision apportée au décompte du 15 décembre 2010 (la pièce 4 de l'intimée) que le capital des échéances impayées s'établit à la somme de 58 856,76€ permet de constater à la lecture du tableau d'amortissement (sa pièce 2) que cette somme correspond au capital des échéances échues du 8 juin 1995 au 6 septembre 2001 ; que dès lors, les contestations de M [S] [F] ne portant que sur des règlements ou prétendus règlements datant de 1993 et 1994 ne sont pas pertinentes ;
Qu'enfin, l'affirmation péremptoire de M [S] [F], selon laquelle le décompte au mois d'août 2001 est nécessairement erroné, les emprunteurs ne pouvant devoir, au mois d'août 2001 une somme de 1 836 465,84 francs au titre d'un prêt de 1 040 000 francs (158 546,98€ ) remboursable en quinze années, ne résiste pas à l'examen ; qu'en effet, elle ne prend pas en compte ni le coût de ce prêt souscrit à un taux de 10,65% (159 528,73€) qui vient s'ajouter au remboursement du capital, ni les intérêts de retard (dont le taux est contractuellement majoré de trois points) ;
Considérant que la créance de la Caisse de Crédit Agricole Mutuel de Paris et d'Ile de France a justement été évaluée par le premier juge et aucune des parties ne remettant en cause le montant des intérêts de retard retenus uniquement pour la période du 6 août 2005 au 31 décembre 2009, la décision déférée sera intégralement confirmée ;
Considérant enfin, que le rejet des prétentions de M [S] [F] exclut qu'il puisse prétendre être victime d'un abus du droit d'ester en justice ;
Considérant que M [S] [F] partie perdante supportera la charge des dépens d'appel et en équité, devra rembourser les frais de toute nature exposés par la Caisse de Crédit Agricole Mutuel de Paris et d'Ile de France pour assurer sa défense, dans la limite de 1500€ ;
PAR CES MOTIFS
Confirme, dans toutes ses dispositions, le jugement rendu par le tribunal d'instance de Nogent sur Marne le 5 janvier 2012 ;
Condamne M [S] [F] à payer à la Caisse de Crédit Agricole Mutuel de Paris et d'Ile de France la somme de 1500€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT