Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 2
ARRET DU 10 JANVIER 2014
(n° 004, 11 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 12/16872.
Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Octobre 2007 - Tribunal de Grande Instance de PARIS 3ème Chambre 1ère Section - RG n° 05/13297.
Mode de saisine : Déclaration de saisine suite à l'arrêt de renvoi de la Cour de cassation n°926F-D en date du 4 octobre 2011 annulant et cassant un arrêt du 21 octobre 2009 de la Cour d'appel de PARIS - Pôle 5 Chambre 1 (R.G. n° 07/20491).
DEMANDERESSE À LA SAISINE :
APPELANTE :
Société COTY GERMANY GmbH venant aux droits de la société DR SCHELLER COSMETICS AG
prise en la personne de ses représentants légaux,
ayant son siège [Adresse 3] (ALLEMAGNE),
représentée par Maître Nathalie LESENECHAL, avocat au barreau de PARIS, toque : D2090,
assistée de Maître Caroline CASALONGA du Cabinet CASALONGA, avocat au barreau de PARIS, toque : K0177.
DEFENDERESSE À LA SAISINE :
INTIMÉE :
Société PHILIP MORRIS BENELUX BVBA anciennement dénommée PHILIP MORRIS BELGIUM
prise en la personne de ses représentants légaux,
ayant son siège social [Adresse 2] (BELGIQUE),
représentée par la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE en la personne de Maître Luca de MARIA, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018
assistée de Maître Grégoire TRIET de l'AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL, avocat au barreau de PARIS, toque : T03.
INTERVENANTE VOLONTAIRE COMME TELLE INTIMÉE :
SA de droit suisse PHILIP MORRIS PRODUCTS
prise en la personne de ses représentants légaux,
ayant son siège social [Adresse 1] (SUISSE),
représentée par la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE en la personne de Maître Luca de MARIA, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018
assistée de Maître Grégoire TRIET, avocat au barreau de PARIS, toque : T03.
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 13 novembre 2013, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Marie-Christine AIMAR, présidente,
Madame Sylvie NEROT, conseillère,
Madame Véronique RENARD, conseillère,
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Monsieur Truc Lam NGUYEN.
ARRET :
Contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Madame Marie-Christine AIMAR, présidente, et par Monsieur Truc Lam NGUYEN, greffier présent lors du prononcé.
La société PHILIP MORRIS BELGIUM, devenue PHILIP MORRIS BENELUX BVBA, est titulaire des marques suivantes':
- la marque internationale 'MANHATTAN'' désignant la France, déposée le 5 avril 1965 sous le n° 295 909 et régulièrement renouvelée depuis pour désigner en classe'34 les produits suivants':''Tabacs, cigares, cigarillos, cigarettes et tous articles pour fumeurs'',
- la marque française 'MANHATTAN' n° 1 511 311 déposée le 17 mai 1988 et régulièrement renouvelée depuis pour désigner en classe 34 les produits suivants': 'Tabacs, articles pour fumeurs, allumettes, cigares, cigarettes''.
La société PHILIP MORRIS BENELUX BVBA a cédé ces deux marques à la société PHILIP MORRIS PRODUCTS SA, qui est intervenue volontairement dans le cadre de la présente instance.
La société COTY GERMANY, société de droit allemand ayant absorbé la société DR SCHELLER COSMETICS AG à la suite d'une fusion en date du 1er juin 2011, indique être l'une des principales marques de cosmétiques en Allemagne, et être titulaire depuis la fusion absorption susmentionnée des marques suivantes':
- la marque internationale 'MANHATTAN'' désignant la France n° 177 874 déposée le 21 juin 1954 et régulièrement renouvelée pour désigner en classe 3 les 'produits suivants 'Articles de parfumerie alcoolique et non alcoolique et de cosmétique' ;
- la marque communautaire 'MANHATTAN' n° 213 116 déposée le 1er avril 1996 et régulièrement renouvelée pour désigner en classe 3 les produits suivants 'Savons, parfumerie, huiles essentielles, cosmétiques, lotions pour les cheveux'.
Exposant avoir découvert, dans le cadre d'un projet d'exploitation en France du signe MANHATTAN'pour désigner des produits du tabac, que la marque internationale n°177 874 n'avait jamais été exploitée en France, la société PHILIP MORRIS BELGIUM BVBA a, selon acte d'huissier en date du 17 août 2005, fait assigner la société DR. SCHELLER COSMETICS AG devant le Tribunal de Grande Instance de PARIS en déchéance des droits de cette dernière sur ladite marque pour défaut d'exploitation pendant une période ininterrompue de cinq ans.
La société DR. SCHELLER a soulevé en réponse, dans ses dernières conclusions du 21 mai 2007, l'irrecevabilité des demandes de la société PHILIP MORRIS BELGIUM et sollicité l'annulation de la partie française de la marque internationale n° 295 909 et de la marque française n° 1 511 311de la société PHILIP MORRIS BELGIUM, et subsidiairement, la déchéance pour défaut d'exploitation par cette dernière de ses deux marques conformément à l'article L.714-5 du Code de la propriété intellectuelle.
Par jugement du 17 octobre 2007 prononcé contradictoirement et non assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de Grande Instance de PARIS a, en substance, déclaré recevable la société PHILIP MORRIS BELGIUM en sa demande de déchéance, prononcé la déchéance des droits de la société DR SCHELLER sur la partie française de la marque internationale MANHATTAN n° 177 874 à compter du 17 août 2000, débouté la société DR SCHELLER de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles, compte tenu de la déchéance de sa marque et en l'absence d'autres droits à faire valoir sur la dénomination 'MANHATTAN, et a condamné la société DR SCHELLER à payer à la société PHILIP MORRIS BELGIUM la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
La société DR SCHELLER a interjeté appel de ce jugement par déclaration au greffe en date du 5 décembre 2007.
Par arrêt en date du 21 octobre 2009, la Cour d'appel de Paris a confirmé le jugement du 17 octobre 2007.
Par arrêt du 4 octobre 2011, la Cour de cassation a, au visa de l'article L.714-5 du Code de la propriété intellectuelle, cassé en toutes ses dispositions la décision rendue par la Cour d'Appel de PARIS le 21 octobre 2009, aux motifs d'une part que la société DR SCHELLER justifiait de son intérêt à agir en déchéance en se prévalant de ce que les marques de la société PHILIP MORRIS constituaient une entrave à l'exploitation en France de sa marque communautaire n° 213116 déposée le 1er avril 1996 pour désigner différents produits de la classe 3, et d'autre part que la société PHILIP MORRIS ayant invoqué une période de non exploitation de cinq ans courant à compter du 28 décembre 1996, l'existence d'un juste motif devait être appréciée au regard de cette période de cinq ans, et a en conséquence remis la cause et les parties en l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt, et pour être fait droit, a renvoyé les parties devant la Cour d'appel de PARIS autrement composée.
La Cour, autrement composée, a été saisie par la société COTY GERMANY GmbH venant aux droits de la société DR'SCHELLER par déclaration remise au secrétariat du greffe le 20 août 2012.
Par dernières conclusions signifiées par voie électronique le 30 octobre 2013, la société COTY GERMANY demande à la Cour, au visa des articles L.711-4, L.714-3 et L.714-5 du Code de la propriété intellectuelle, 3 de la loi de 1964, 3 et 4 de la loi de 1991, 3 et 4 de la loi du 9 juillet 1976, 2 et 3 de la loi du 10 janvier 1991, L. 3511-1, L. 3511-3 et L.3511-4 du Code de la santé publique, 31 du Code de procédure civile, du règlement (CE) n° 207/2009 sur la marque communautaire, ainsi que de l'article 1382 du Code civil, de la déclarer recevable en son appel, d'infirmer le jugement du Tribunal de grande instance de PARIS du 17 octobre 2007 en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de':
- la déclarer recevable et bien fondée en l'ensemble de ses demandes,
- dire que PHILIP MORRIS BENELUX BVBA et PHILIP MORRIS PRODUCTS SA n'ont pas d'intérêt légitime à agir en déchéance des droits de la société COTY GERMANY sur la marque internationale n°177 874,
- en conséquence, rejeter la demande en déchéance des droits de la société COTY GERMANY sur la marque internationale n°177 874,
subsidiairement,
- dire et juger que les marques MANHATTAN enregistrées au nom de PHILIP MORRIS pour désigner des produits du tabac, constituent une excuse légitime et un juste motif de non exploitation de la partie française de la marque internationale n°177 874,
- en conséquence, rejeter la demande en déchéance pour défaut d'usage formée par les sociétés PHILIP MORRIS à l'encontre de la marque internationale n°177 874,
- dire et juger que la société COTY GERMANY a un intérêt légitime à agir en déchéance à l'encontre de la partie française de la marque internationale n° 295 909 et de la marque française n° 1 511 311 de la société PHILIP MORRIS,
- en conséquence, la recevoir en sa demande en déchéance de la marque MANHATTAN internationale n°295 909 et de la marque MANHATTAN française n°1 511 311 de PHILIP MORRIS,
- constater que les sociétés PHILIP MORRIS n'ont exploité ni la partie française de la marque internationale MANHATTAN n°295909, ni la marque française MANHATTAN n° 1 511 311 pour désigner des produits du tabac,
- en conséquence, prononcer la déchéance des droits de la société PHILIP MORRIS PRODUCTS SA sur la partie française de la marque internationale MANHATTAN n° 295 909 et sur la marque française MANHATTAN n° 1 511 311 à compter du 28 décembre 1996,
- dire et juger qu'elle a un intérêt légitime à agir en nullité à l'encontre de la partie française de la marque internationale n° 295 909 et de la marque française n° 1 511 311 de PHILIP MORRIS,
- en conséquence, la recevoir en sa demande en nullité de ces marques,
- dire et juger que la validité des marques MANHATTAN de la société PHILIP MORRIS PRODUCTS SA devra s'apprécier au regard de la loi Veil du 1er octobre 1976,
- dire et juger que la partie française de la marque internationale MANHATTAN n° 295 909 et la marque française MANHATTAN n° 1 511 311 enregistrées au nom de PHILIP MORRIS en classe 34 ont été déposées et renouvelées en violation de ses droits sur sa marque internationale n° 177 874, constituent donc une faute et sont contraires à l'article L.711-4 du Code de la propriété intellectuelle,
- en conséquence, prononcer l'annulation de la partie française de la marque internationale n° 295 909 et de la marque française MANHATTAN n° 1 511 311,
- dire et juger que la nullité de la marque internationale n° 295 909 devra être prononcée à compter de la date d'entrée en vigueur de la loi Veil le 1er octobre 1976 ou, à tout le moins, à la date de son 1er renouvellement à compter de l'entrée en vigueur de cette loi, soit le 5 avril 1985,
- dire et juger que la nullité de la marque française MANHATTAN n° 1 511 311 devra être prononcée dès la date de son dépôt, soit le 17 mai 1988,
- prononcer, à l'encontre des sociétés PHILIP MORRIS BENELUX BVBA et de PHILIP MORRIS PRODUCTS SA, l'interdiction d'usage de la dénomination MANHATTAN pour désigner des produits du tabac, sous astreinte de 100 euros par infraction constatée à compter de la signification du jugement (sic) à intervenir,
- dire que la décision à intervenir sera transmise à l'Institut National de la Propriété Industrielle, aux fins d'inscription au Registre National des Marques par la partie la plus diligente,
- condamner in solidum les sociétés PHILIP MORRIS BENELUX BVBA et PHILIP MORRIS PRODUCTS SA à lui payer la somme de 450.000 euros à titre de dommages intérêts au titre de l'article 1382 du Code civil,
- condamner in solidum les sociétés PHILIP MORRIS BENELUX BVBA et PHILIP MORRIS PRODUCTS SA à lui payer la somme de 100.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner in solidum les sociétés PHILIP MORRIS BENELUX BVBA et PHILIP MORRIS PRODUCTS SA en tous les dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés en application de l'article 699 du Code de procédure civile.
Par dernières conclusions signifiées par voie électronique le 30 octobre 2013, les sociétés PHILIP MORRIS BENELUX BVBA et PHILIP MORRIS PRODUCTS SA demandent à la Cour, au visa des articles L.711-4, L.714-5 et suivants du Code de la propriété intellectuelle, L.3511-1 et suivants du Code de la santé publique, 1382 du Code civil, 122 et suivants du Code de procédure civile, et 11.1 de la Directive CE n°2008/95 sur les marques, de':
- donner acte à la société Philip MORRIS Products SA de son intervention volontaire à la présente procédure,
- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré la société PHILIP MORRIS BELGIUM BVBA recevable à agir en déchéance des droits de la société Dr. SCHELLER COSMETICS AG, devenue la société COTY GERMANY GMBH, sur la marque MANHATTAN n°177 874,
- confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la déchéance des droits de la société Dr. SCHELLER COSMETICS AG devenue COTY GERMANY GMBH, sur la partie française de la marque internationale MANHATTAN n°177 874,
- prononcer la déchéance des droits de la société COTY GERMANY GMBH sur la partie française de la marque internationale MANHATTAN n°177 874 à compter du 28 décembre 1996,
- dire la société COTY GERMANY GMBH irrecevable et mal fondée en l'ensemble de ses demandes reconventionnelles,
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Dr. SCHELLER COSMETICS AG, devenue COTY GERMANY GMBH, de l'ensemble de ses demandes,
y ajoutant :
- dire que la décision définitive à intervenir sera transmise par le greffe ou à la requête de la partie la plus diligente à l'Organisation Mondiale de la Propriété Industrielle aux fins d'inscription au registre international des marques,
- condamner la société COTY GERMANY GMBH à leur payer la somme de 197.793,72 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société COTY GERMANY GMBH aux entiers dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés par leur conseil conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 31 octobre 2013.
SUR CE,
Sur la demande en déchéance en France des droits de la société COTY GERMANY sur la marque internationale MANHATTAN n° 177874 :
Considérant qu'aux termes de l'article L.714-5 du Code de la Propriété Intellectuelle, 'encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n'en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l'enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans' ; 'la déchéance peut être demandée en justice par toute personne intéressée' ;
Sur l'intérêt à agir des sociétés PHILIP MORRIS' :
Considérant que la société COTY GERMANY poursuit l'infirmation du jugement du 17 octobre 2007 qui a dit que la société PHILIP MORRIS BELGIUM BVBA justifiait d'un intérêt à agir en déchéance de ses droits sur la marque MANHATTAN n° 177874 et conteste cet intérêt à agir des sociétés PHILIP MORRIS de ce chef en faisant valoir que ces dernières ne justifient pas d'un usage des marques MANHATTAN' conformément à l'article L.714-5 du Code de la propriété intellectuelle, ni même d'un projet d'exploitation sérieux des dites marques en France'; qu'elle indique que les éléments produits par les sociétés intimées sont insuffisants à démontrer une réelle intention d'exploiter et qu'à défaut d'une telle preuve, les sociétés PHILIP MORRIS, qui justifient de la recevabilité de leur action par l'entrave que pourrait constituer l'exploitation de sa propre marque, ce alors que les marques invoquées par les sociétés PHILIP MORRIS sont aujourd'hui soumises à obligation d'usage, n'ont en conséquence aucun intérêt à agir en l'espèce';
Que les sociétés PHILIP MORRIS concluent à la confirmation du jugement de première instance sur ce point selon lequel elles attestent de la réalité de leur projet de création d'une nouvelle marque de cigarettes à la date de l'assignation, et produisent une recherche d'antériorité de marques, le financement d'enquêtes d'usage sur les signes antérieurs 'Manhattan', le justificatif de rachat au mois d'août 2005 à la société Perry-Ellis - Supreme International Corportation, d'une marque antérieure 'Manhattan' déposée en classes 24 et 25, pour un montant de 8.500 euros, ainsi que la mise au point de maquettes de paquets de cigarettes 'MANHATTAN' destinés au marché français, comportant les mentions obligatoires en français et portant la date du 12 août 2004';
Considérant ceci exposé que la société PHILIP MORRIS BENELUX BVBA puis la société PHILIP MORRIS PRODUCTS SA à compter du 4 octobre 2011 et du 18 octobre 2012, sont titulaires de marques identiques à celle dont la société COTY GERMANY est titulaire et dont la déchéance est sollicitée ; que par ailleurs les sociétés PHILIP MORRIS produisent aux débats des pièces qui attestent de la réalité d'un projet d'exploitation de la marque 'MANHATTAN' pour désigner des produits de tabac, et justifient ainsi de leur intérêt à agir en déchéance pour l'ensemble des classes susvisées par la marque n° 177874 de la société COTY GERMANY dans la mesure où, si la marque subsistait, les dispositions du code de la santé publique pourraient leur être opposées ;
Sur la déchéance :
Considérant que la société COTY GERMANY ne conteste pas l'absence d'exploitation en France de la marque internationale MANHATTAN n°177 874 dont elle est titulaire, mais oppose néanmoins l'existence d'un juste motif à cette absence d'exploitation qui tiendrait selon elle à l'existence des marques 'MANHATTAN' précitées des sociétés PHILIP MORRIS ainsi que des dispositions de la loi Evin et du Code de la santé publique prohibant la propagande ou la publicité en faveur d'un produit autre que le tabac, lorsque par l'utilisation d'une marque ou de tout autre signe distinctif, elles rappellent le tabac ou un produit du tabac';
Que pour apprécier l'existence de ce juste motif, elle demande à la Cour, conformément à l'arrêt de la Cour de cassation du 4 octobre 2011, de considérer la période s'étendant du 28 décembre 1991 au 28 décembre 1996, période placée sous l'empire de la loi Evin' et de dire qu'en vertu du dispositif de lutte contre la publicité indirecte du tabac, le seul dépôt et le seul maintien en vigueur, par les sociétés PHILIP MORRIS, des marques MANHATTAN, constituent un risque d'une condamnation pénale, quand bien même les marques en question ne seraient pas exploitées pendant la période concernée,'et qu'en conséquence, elle a bien été paralysée dans l'exploitation de sa propre marque ; qu'elle ajoute en tout état de cause exploiter la marque MANHATTAN à l'étranger et avoir eu, à la date de l'assignation, un projet avéré d'étendre cette exploitation en France ;
Que les sociétés PHILIP MORRIS demandent également l'infirmation du jugement sur ce point, en ce qu'il a prononcé la déchéance de la marque en cause à compter du 17 août 2000'; que par des motifs adoptés du tribunal, elles répliquent que, avant l'introduction de l'instance, la société COTY GERMANY n'a émis aucune réclamation à l'encontre des marques dont elles sont titulaires comme pouvant constituer à son encontre une entrave à l'exploitation de sa propre marque, que l'absence d'exploitation de cette marque n'est pas liée à l'existence des marques de PHILIP MORRIS qui ne peuvent donc être considérées comme un juste motif de non exploitation par la société COTY GERMANY' de sa propre marque; qu'elles ajoutent que, conformément aux principes dégagés par le Conseil constitutionnel, les dispositions de la loi Evin n'affectent pas l'existence d'un droit de propriété sur une marque de tabac, mais restreint seulement son usage'et qu'en conséquence, les seuls dépôt et renouvellement des marques en cause ne constitue ni une faute de la part des entreprises du tabac, ni un risque de condamnation pour les sociétés tierces, ces marques n'étant pas exploitées; enfin que la défense actuelle de la société COTY GERMANY est en contradiction avec ses positions antérieures'et qu'en vertu du principe de l'estoppel, cette argumentation doit être écartée';
Considérant ceci exposé qu'il convient de relever en premier lieu que la tolérance alléguée dans les écritures des sociétés PHILIP MORRIS, par la société COTY GERMANY et la société Dr SCHELLER pendant respectivement 40 et 17 ans, des marques leur appartenant, est étrangère au présent débat et en tout état de cause ne constitue pas une contradiction de la société COTY GERMANY au détriment des sociétés PHILIP MORRIS, de sorte que le moyen tiré d'un juste motif de non exploitation de la marque dont elle est titulaire par la société COTY GERMANY est bien recevable ;
Considérant que la législation sur le tabac résultant de la loi Veil et de la loi Evin prohibe la publicité indirecte en faveur du tabac ; qu'en application des articles L 3511-3 et L 3511-4 du code de la santé publique est interdite toute propagande ou publicité, directe ou indirecte, en faveur du tabac ou des produits du tabac ainsi que toute distribution gratuite, lorsque par l'utilisation d'une marque ou de tout autre signe distinctif, elle rappelle le tabac ou un produit du tabac ;
Qu'il résulte de ces dispositions que pour rappeler le tabac ou un produit de tabac, il est nécessaire que la marque en cause soit effectivement exploitée ;
Or en l'espèce, étant observé que la marque internationale MANHATTAN n°177 874 déposée le 21 juin1954 n'a jamais été exploitée en France ni par la société Dr SCHELLER ni par la société COTY GERMANY, les sociétés PHILIP MORRIS n'ont pas, jusqu'à ce jour, exploité les marques MANHATTAN dont elles sont ou étaient titulaires ; que dès lors le simple dépôt de ces marques pour du tabac n'ayant pu, au sens des dispositions des lois anti-tabac, affecter l'exploitation de la marque dont la société COTY GERMANY est titulaire, cette dernière ne peut soutenir que ces dépôts constitueraient un juste motif à l'inexploitation de sa marque ;
Considérant par ailleurs que les pièces versées aux débats par la société COTY GERMANY ne démontrent pas l'existence d'un véritable projet d'exploitation en France de la marque ''MANHATTAN', s'agissant en l'espèce d'un compte rendu de visite chez un distributeur, document interne à la société, d'un contrat d'agent commercial et d'un planning de lancement qui ne font pas mention du signe MANHATTAN';
Que le jugement du 17 octobre 2007 doit donc être confirmé en ce qu'il a prononcé la déchéance des droits de la société COTY GERMANY sur la marque internationale MANHATTAN n° 177 874 en France, celle-ci devant néanmoins être prononcée à compter du 28 décembre 1996 ;
Sur la demande de la société COTY GERMANY en déchéance pour défaut d'exploitation des marques PHILIP MORRIS nos 295909 et 1511311 :
Considérant que se prévalant de la décision de la cour de cassation du 4 octobre 2011, la société COTY GERMANY indique avoir un intérêt légitime à agir en déchéance des marques MANHATTAN de la société PHILIP MORRIS, ces dernières constituant pour elle une entrave à l'exploitation paisible de la marque communautaire MANHATTAN' n° 213 116 dont elle est titulaire'; qu'elle estime que la période d'appréciation de l'exploitation de ces marques est' pour la marque internationale n° 295 909, la période allant du 28 décembre 1991 au 28 décembre 1996'et, pour la marque française n° 1 511 311, celle allant du 17 mai 1988 au 17 mai 1993, et que les sociétés PHILIP MORRIS ne démontrent pas exploiter les marques internationales 'MANHATTAN'', sauf au Canada, et uniquement à compter de l'année 2007 soit postérieurement à la période de référence ;
Que les sociétés PHILIP MORRIS soulèvent l'irrecevabilité des demandes de la société COTY GERMANY, les positions actuelles de cette dernière étant selon elles en contradiction avec sa tolérance pendant de nombreuses années à l'égard de ses propres marques ; qu'elles ajoutent que les dispositions de la loi Evin constituent pour elles un juste motif de non exploitation puisqu'une exploitation de leurs marques aurait ouvert à la société COTY GERMANY une action en nullité et en responsabilité à leur encontre';
Sur l'intérêt à agir :
Considérant qu'il n'est pas contesté que les marques de la société PHILIP MORRIS constituent une entrave à l'exploitation en France par la société COTY GERMANY de sa marque communautaire MANHATTAN n°213 116 déposée le 1er avril 1996 pour désigner différents produits en classe 3 ;
Que par ailleurs il a été dit que la tolérance alléguée dans les écritures des sociétés PHILIP MORRIS, par la société COTY GERMANY et la société Dr SCHELLER pendant plusieurs années, des marques leur appartenant, est étrangère au présent débat et en tout état de cause ne constitue pas une contradiction de la société COTY GERMANY au détriment des sociétés PHILIP MORRIS, de sorte que le moyen tendant à voir déclarer irrecevables les demandes en déchéance et en nullité de la société COTY GERMANY doit être rejeté ;
Sur la déchéance :
Considérant qu'il est pas contesté par les sociétés PHILIP MORRIS que les marques MANHATTAN n° 295 909 et n° 1 511 311 enregistrées respectivement le 5 avril 1965 et le 17 mai 1888 n'ont jamais été exploitées en France ;
Que les sociétés intimées soutiennent néanmoins que les articles L 3511-3 et suivants du Code de la santé public leur permettraient de bénéficier des justes motifs d'exploitation prévus par l'article L 714-5 précité du Code de la Propriété Intellectuelle ;
Considérant en effet qu'il a été dit qu'en application de ces dispositions, le propriétaire de la marque qui ne parvient pas à établir l'usage sérieux du signe peut échapper à la déchéance s'il invoque de justes motifs d'inexploitation résultant d'un empêchement de fait ou de droit, extérieur à lui, et le mettant dans l'impossibilité d'exploiter normalement sa marque au cours de la période de référence ;
Or en l'espèce, l'exploitation par les sociétés PHILIP MORRIS de leurs marques pour un produit de tabac aurait porté atteinte aux droits antérieurs de la société COTY GERMANY sur sa propre marque en application de la loi Evin et lui aurait ouvert une action en responsabilité à l'encontre de ces dernières, et ce alors même que la loi Evin n'était pas de nature à restreindre l'exploitation de la marque de la société COTY GERMANY ;
Qu'il en résulte que les sociétés PHILIP MORRIS justifient d'une menace de poursuite jusqu'au prononcé de la déchéance des droits de la société COTY GERMANY sur la partie française de la marque internationale n° 177 874 antérieure, et partant de justes motifs de non exploitation des marques internationale et française MANHATTAN n° 295 909 et n° 1 511 311, étant ajouté que la question de l'usage par PHILIP MORRIS de ses marques à l'étranger est indifférente à la solution du présent litige ;
Qu'en conséquence la demande de la société COTY GERMANY tendant à la déchéance des droits de la société PHILIP MORRIS PRODUCTS SA sur la partie française de la marque MANHATTAN n° 295 909 et sur la marque française MANHATTAN n° 1 511 311 doit être rejetée ;
Sur la nullité des marques 'MANHATTAN' de la société PHILIP MORRIS Products SA :
Considérant que la société COTY GERMANY fait valoir que les restrictions à la publicité indirecte en faveur du tabac la privent de la possibilité d'exploiter sa marque dans des conditions normales pour des produits ou services autres que des produits du tabac, du simple fait du dépôt du même signe pour des produits du tabac, et que le dépôt et le maintien en vigueur d'une marque de tabac identique à une marque antérieure enregistrée pour d'autres produits, constitue une faute lui causant un préjudice ; qu'outre l'annulation des marques postérieures des sociétés PHILIP MORRIS, elle sollicite ainsi une indemnité de 450.000 euros résultant de son manque à gagner du fait du retard pris dans la commercialisation de sa gamme de cosmétiques ;
Qu'après avoir également contesté l'intérêt à agir de la société COTY GERMANY pour le même motif que celui déjà invoqué au titre de la déchéance, les intimées font valoir que la demande en nullité ne peut être fondée sur une marque non exploitée, en toute hypothèse que la validité d'une marque doit s'apprécier au jour de son dépôt et que la marque n° 295 909 a été déposée avant la loi Veil ; s'agissant de la marque n° 1 511 311 postérieure à cette même loi, elles rappellent le principe constitutionnel de l'application rétroactive de la loi pénale plus douce'et invoquent les dispositions de la loi Evin ayant modifié le délit de publicité indirecte pour les produits du tabac en précisant que l'élément matériel consiste en l'exploitation préalable d'une marque pour des produits du tabac, et non en un dépôt d'une telle marque';
Considérant ceci étant exposé que pour des motifs déjà exposés ci-dessus, l'action en nullité de marques de la société COTY GERMANY est recevable dès lors qu'il n'est pas contesté que les marques de la société PHILIP MORRIS constituent une entrave à l'exploitation en France par la société COTY GERMANY de sa marque communautaire MANHATTAN n°213 116 déposée le 1er avril 1996 pour désigner différents produits en classe 3 et que la tolérance alléguée dans les écritures des sociétés PHILIP MORRIS, par la société COTY GERMANY et la société Dr SCHELLER des marques leur appartenant, est étrangère au présent débat et en tout état de cause ne constitue pas une contradiction de la société COTY GERMANY au détriment des sociétés PHILIP MORRIS ;
Considérant que les motifs de nullité invoqués par la société COTY GERMANY, fondés à la fois sur l'article 1382 du Code Civil et sur l'article L 711-4 du Code de la Propriété Intellectuelle, se rattachent exclusivement à ses droits sur la marque internationale désignant la France MANHATTAN n° 177 874 déposée le 21 juin 1954 ;
Or considérant qu'aux termes de l'article 11 alinéa 1 de la Directive CE n° 2008/95, la nullité d'une marque ne peut être prononcée en raison de l'atteinte à une marque antérieure non exploitée ;
Qu'en l'espèce il a été dit que la marque internationale n° 177 874 dont est titulaire la société COTY GERMANY n'a jamais été exploitée en France ni par la société Dr SCHELLER ni par la société COTY GERMANY ;
Que dès lors la partie française de cette marque, qui ne satisfait pas aux conditions d'usage, ne peut fonder la nullité des marques postérieures dont la société PHILIP MORRIS Products SA est titulaire ;
Que pour ce motif, et sans qu'il soit besoin d'examiner le surplus de l'argumentation de chacune des parties, la société COTY GERMANY sera donc déboutée de sa demande reconventionnelle en nullité des marques de la société PHILIP MORRIS ainsi que de sa demande d'interdiction dont le fondement n'est pas explicité dans le cadre du présent litige ;
Qu'elle sera également déboutée de sa demande de dommages-intérêts fondée sur l'atteinte portée à la partie française de la marque n° 177 874 et l'atteinte à l'usage paisible de ses droits sur la marque n° 213 116 dès lors, d'une part, qu'il a été dit que l'enregistrement par PHILIP MORRIS de ses marques MANHATTAN en France pour désigner des produits de tabac n'était pas de nature à restreindre l'exploitation de sa marque par la société COTY GERMANY et d'autre part, qu'il n'est pas expliqué en quoi la présente action porterait atteinte à l'usage paisible de la marque n° 213 116 qui est postérieure aux marques de PHILIP MORRIS pour avoir été déposée auprès de l'OHMI le 1er avril 1996 ;
Sur les autres demandes :
Considérant que la société COTY GERMANY, partie perdante, doit être condamnée aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile ;
Qu'en outre elle doit être condamnée à payer aux sociétés intimées, qui ont dû engager des frais pour faire valoir leurs droits, la somme de 75.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
PAR CES MOTIFS :
Donne acte à la société PHILIP MORRIS PRODUCTS SA de son intervention volontaire à procédure.
Confirme le jugement du Tribunal de Grande Instance de PARIS du 17 octobre 2007 en ce qu'il a déclaré la société PHILIP MORRIS BELGIUM BVBA recevable à agir en déchéance des droits de la société Dr. SCHELLER COSMETICS AG, devenue la société COTY GERMANY GMBH, sur la marque MANHATTAN n°177 874 et en ce qu'il a prononcé la déchéance des droits de la société Dr. SCHELLER COSMETICS AG devenue COTY GERMANY GMBH, sur la partie française de la marque internationale MANHATTAN n°177 874.
Y ajoutant,
Prononce la déchéance des droits de la société COTY GERMANY GMBH sur la partie française de la marque internationale MANHATTAN n°177 874 à compter du 28 décembre 1996.
Dit que la décision définitive sera transmise à la requête de la partie la plus diligente à l'Organisation Mondiale de la Propriété Industrielle aux fins d'inscription au registre international des marques.
Dit que les demandes reconventionnelles de la société COTY GERMANY GMBH sont recevables mais mal fondées.
En conséquence déboute la société Dr. SCHELLER COSMETICS AG, devenue COTY GERMANY GMBH de l'ensemble de ses demandes.
Condamne la société COTY GERMANY GMBH à payer aux sociétés PHILIP MORRIS BENELUX BVBA et PHILIP MORRIS PRODUCTS SA, ensemble, la somme de 75.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Condamne la société COTY GERMANY GMBH aux entiers dépens qui comprendront notamment ceux de l'arrêt cassé en date du 21 octobre 2009 et qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.
Le greffier,Le Président,