RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 7
ARRÊT DU 16 Janvier 2014
(n° , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/01714
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 04 Janvier 2012 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL Section Commerce RG n° 10/01069
APPELANT
Monsieur [S] [N]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représenté par Me Karim HAMOUDI, avocat au barreau de PARIS, toque : E0282
INTIMEE
SAS GEODIS CIBLEX
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Xavier DULIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0097
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Novembre 2013, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Patrice LABEY, Président
Monsieur Bruno BLANC, Conseiller
Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Conseiller
Greffier : Madame Laëtitia CAPARROS, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Patrice LABEY, Président, et par Melle Laëtitia CAPARROS, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
M. [S] [N] a été engagé par la société CIBLEX, devenue GEODIS CIBLEX le 5 décembre 1996 dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée en qualité de manutentionnaire et au terme de plusieurs promotions, occupait dans le dernier état des relations contractuelles, la fonction de responsable opération FSL et H/proximité, statut agent de maîtrise, pour un salaire brut moyen mensuel de 3034,20 € outre la mise à disposition d'un véhicule de service.
Les relations contractuelles sont régies par la convention nationale des transports routiers.
La société CIBLEX a engagé début 2009 , un projet de restructuration, présenté au Comité central d'entreprise le 28 mai 2009 ainsi qu'un plan de sauvegarde de l'emploi le 17 août 2009 dans le cadre duquel le poste de M. [N] a été supprimé.
Par courrier en date du 4 janvier 2010, le poste de Responsable adjoint Coliflash a été proposé à M. [N] au titre du reclassement.
Par courrier en date du 8 janvier 2010, M. [N] a dans un premier temps accepté cette proposition avant de se rétracter par courrier en date du 19 janvier 2010.
A la suite de ce refus, M. [N] s'est vu remettre par son employeur, une convention de reclassement personnalisée le 22 janvier 2010 et dispensé d'activité à compter du 23 janvier suivant, avant d'être licencié par lettre en date du 25 janvier 2010 pour motif économique.
M. [N] a adhéré à la CRP le 10 février 2010.
Le 13 avril 2010 , M. [N] saisissait le Conseil de prud'hommes de CRETEIL aux fins de faire juger que le licenciement intervenu le 25 janvier 2010, était dénué de cause réelle et sérieuse et faire condamner la société CIBLEX à lui payer :
à titre principal :
-36.401,40 € € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
à titre subsidiaire :
- 36.401,40 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la violation des critères d'ordre de licenciement ;
en tout état de cause :
- 6.068,40 € au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'exécution fautive du contrat de travail ;
Outre l'exécution provisoire, M. [N] demandait au Conseil de prud'hommes l'octroi d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
La Cour est saisie d'un appel formé par M. [N] contre le jugement du Conseil de prud'hommes de CRETEIL en date du 4 janvier 2012 qui l'a débouté de l'ensemble de ses demandes.
Vu les conclusions du 6 novembre 2013 au soutien des observations orales par lesquelles M [N] conclut à l'infirmation de la décision entreprise et demande à la Cour de condamner son employeur à lui payer :
à titre principal :
-36.401,40 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;
à titre subsidiaire
- 36.401,40 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la violation des critères d'ordre de licenciement ;
en tout état de cause :
- 6.068,40 € au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'exécution fautive du contrat de travail ;
-2500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu les conclusions du 6 novembre 2013 au soutien de ses observations orales au terme desquelles la société GEODIS CIBLEX, conclut à la confirmation de la décision déférée et à la condamnation de M. [N] à lui verser 2500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile , renvoie aux conclusions déposées et soutenues l'audience ;
MOTIFS DE LA DECISION
Sur le motif économique du licenciement
Pour infirmation, M. [N] fait valoir que l'appréciation du risque pour la compétitivité doit s'apprécier au niveau du secteur d'activité du groupe auquel il appartient, que son employeur ne justifie pas de l'existence d'une telle menace pourtant invoquée dans sa lettre de licenciement, qu'en effet, les seuls éléments communiqués aux représentants du personnel portent sur l'entreprise, rien ne se rapportant à la consistance et la situation économique du secteur d'activité ou du groupe, qu'ainsi son licenciement ne peut être justifié par la nécessité d'une réorganisation pour sauvegarder le secteur d'activité du groupe dont il relève.
Le salarié ajoute qu'outre l'absence de motif réel et sérieux de son licenciement, celui-ci licenciement ne peut revêtir un caractère économique dès lors son employeur ne rapporte pas la preuve de la suppression effective de son poste, lequel a été proposé à une autre salariée au titre du reclassement.
M. [N] précise qu'en réalité, l'employeur a souhaité réduire les effectifs de la société avant de la céder au groupe GEODIS dans de meilleures conditions.
Pour confirmation, la société CIBLEX soutient que ses résultats financiers s'étaient sérieusement dégradés depuis le 1er juillet 2008, dans un contexte économique défavorable avec la perspective d'une récession économique, que cette appréciation du risque sur la compétitivité a été confirmée par l'expert comptable mandaté par le CCE, évoquant des volumes en baisse de la part des clients et une concurrence accrue qui va impacter négativement les marges de rentabilité.
L'employeur fait en outre valoir que la charge des coûts opérationnels par rapport au chiffre d'affaires et le retrait de niveau de performance de l'entreprise par rapport à ses objectifs l'ont contraint, afin d'assurer sa pérennité et pour sauvegarder sa compétitivité, à se réorganiser en réduisant ses coûts d'exploitation, que les économies induites par les mesures présentées au CCE extraordinaire du 12 février 2009, ne permettaient pas d'assurer un retour à un résultat positif pour l'exercice 2009/2010.
La société CIBLEX réfute l'argument opposé par le salarié concernant la perspective de rachat par GEODIS, alors que pendant la période d'élaboration et d'adoption du plan de sauvegarde de l'emploi, seul un rachat par la SERNAM avait été envisagé.
En application de l'article L1233-3 du code du travail, est constitutif d'un licenciement pour motif économique, le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non-inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques ; lorsqu'une entreprise fait partie d'un groupe, les difficultés économiques de l'employeur doivent s'apprécier tant au sein de la société, qu'au regard de la situation économique du groupe de sociétés exerçant dans le même secteur d'activité, sans qu'il y ait lieu de réduire le groupe aux sociétés ou entreprises situées sur le territoire national ;
La réorganisation de l'entreprise ne constitue un motif de licenciement que si elle est effectuée pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise ou du secteur d'activité du groupe dont elle relève, en prévenant des difficultés économiques à venir et leurs conséquences sur l'emploi du salarié licencié.
La sauvegarde de compétitivité ne se confond pas avec la recherche de l'amélioration des résultats, et dans une économie fondée sur la concurrence, la seule existence de celle-ci ne représente pas une cause économique de licenciement ;
En l'espèce, la lettre de licenciement qui circonscrit les limites du litige et qui lie le juge, est rédigée de la manière suivante :
[...]La société CIBLEX France a subi d'importantes difficultés économiques l'obligeant à entamer un processus d'information et consultation dès le 28 mai 2009, une nécessaire restructuration s "imposant pour la sauvegarde de sa compétitivité sur un secteur du transport particulièrement concurrentiel. Pour mener à bien la finalisation de ce processus un accord de méthode a été conclu avec les délégués syndicaux centraux le 24 novembre 2009 ; cet accord a été approuvé par le Comité Central d'Entreprise,
La société CIBLEX est en effet, confrontée à une crise particulièrement sévère qui affecte le secteur des entreprises du transport.
Ainsi, le secteur et. plus particulièrement la société CIBLEX France, a dû faire face aux difficultés suivantes ;
Une baisse de la consommation des ménages entraînant naturellement une baisse des volumes et des poids transportés,
Une guerre des prix, avec un effondrement des tarifs de vente à des niveaux inconnus jusqu'à ce jour : propositions tarifaires qui se situent à un niveau inférieur aux prix de vente de l'ordre de 20 à 30%.
Des clients chargeurs ayant recours à des moyens de transport plus lents et moins coûteux.
C'est dans ce contexte que économique notamment que Ciblex a dû faire face à un effondrement de la vente des prestations à forte valeur ajoutée et de son prix de vente moyen.
Dans ce contexte particulièrement difficile, la société a su maintenir le nombre de colis transportés au même niveau que celui de l'exercice précédent mais les acquisitions ont été très insuffisantes pour couvrir les pertes subies sur la période allant de juillet 2008 à mars 2009.
Ainsi la forte agressivité du secteur des transports conjuguée à une baisse du prix de vente moyen a rendu les charges d'exploitation trop élevées pour maintenir la société concurrentielle.
Cette situation s'est traduite, dès avril 2009, par des résultats opérationnels très en retrait par rapport au budget 2008-2009, la société atteignant notamment un niveau de perte jamais égalé.
A la fin avril 2009, le chiffre d'affaires réalisé s'élevait à 115540 K€ alors qu'il était à fin avril 2008 à 122363 K€ ; avec un résultat opérationnel à 1957 K€ à fin avril 2008 et -4881 K€ à fin avril 2009.
Soit un résultat net à - 5908K€ à fin avril 2009
Cette dégradation a continué à perdurer sur le premier semestre de l'exercice 2009-2010.
Aussi à la fin décembre 2009, le résultat net est à -4854 K€ ce qui laisse présager une dégradation qui n'ira qu'en s'aggravant puisque à décembre 2008 le résultat net était de -4355 K€.
C'est dans ce contexte particulièrement dégradé et devant l'impossibilité de trouver des mesures pérennes pour faire face à ces difficultés que la société a envisagé de procéder à une restructuration visant notamment un repositionnement de l'offre de CIBLEX [...].
En l'espèce, si les pièces produites par l'employeur font état de difficultés économiques pour la société, en particulier sur la période d'avril 2008 à avril 2009, il apparaît qu'en ne produisant des résultats que sur deux exercices et en opérant des comparaisons de période à période et en faisant état de résultats déficitaires tantôt sur une période donnée puis en fin d'exercice, la société CIBLEX ne met pas la Cour en situation d'apprécier la réalité et l'importance des difficultés alléguées, étant relevé qu'une telle appréciation ne peut relever de celles précédemment formulées par d'autres juridictions sur la base d'éléments dont la Cour n'a pas connaissance.
Par ailleurs, si la lettre de licenciement évoque effectivement l'existence de difficultés économiques, il est patent qu'elles sont évoquées pour justifier, non pas directement le licenciement économique mais la restructuration destinée à préserver la compétitivité de la société.
En toute hypothèse, alors que M. [N] réfute l'argumentation développée par l'employeur, en rappelant que les difficultés économiques de l'employeur doivent s'apprécier tant au sein de la société, qu'au regard de la situation économique du groupe de sociétés exerçant dans le même secteur d'activité, y compris au delà du territoire national, Belgique et Pays-Bas notamment, la société CIBLEX se contente de produire des éléments concernant la situation de CIBLEX France, ne permettant pas à la Cour d'apprécier globalement au moment du licenciement, la réalité des difficultés économiques dans le secteur d'activité du groupe dont elle relève.
Par ailleurs, pour écarter le motif réel du licenciement invoqué par M. [N], tenant au projet de cession de l'entreprise au groupe GEODIS, l'employeur ne peut sérieusement se contenter d'affirmer qu'une telle cession intervenue en avril 2010, n'était pas envisagée au moment du licenciement du salarié et que de simples pourparlers avaient été engagés avec la société SERNAM, alors que cette entité, filiale de la SNCF, a été intégrée au groupe GEODIS, service de messagerie, filiale de la SNCF.
Si la société CIBLEX fait effectivement état d'une intensification de la concurrence (guerre des prix, baisse des tarifs) une baisse de la consommation des ménages et du report de certains clients chargeurs sur des modes de transports plus économiques, elle ne démontre pas en quoi ces facteurs affecteraient plus que pour ses concurrents du secteur, sa compétitivité et en quoi les mesures adoptées seraient de nature à la garantir.
Dans ces conditions et dès lors qu'il est établi que parallèlement à la restructuration de la société CIBLEX FRANCE, des pourparlers étaient engagés en vue de la cession de la société au groupe GEODIS, il apparaît que cette restructuration aboutissant à 76 suppressions de postes soit dix pour cent de ses emplois dans toutes les catégories, n'était pas justifiée par la sauvegarde la compétitivité de l'entreprise.
La décision entreprise sera par conséquent réformée de ce chef, le licenciement de M. [N] étant dénué de cause réelle et sérieuse.
Sur les conséquences
Compte tenu de l'effectif du personnel de l'entreprise, de l'ancienneté (13 ans ) et de l'âge du salarié (née en 1972) ainsi que des conséquences matérielles et morales du licenciement à son égard, telles qu'elles résultent des pièces produites et des débats, il lui sera alloué, en application de l'article L 1235-5 du Code du travail une somme de 36401,40 € à titre de dommages-intérêts ;
Sur l'exécution déloyale du contrat de travail
M. [N] soutient que son employeur l'a délibérément privé de travail à partir de mars 2009, afin d'obtenir son départ, au point d'entraîner chez lui des réactions d'anxiété.
La société CIBLEX indique que la réduction d'activité de M. [N] à compter de mars 2009 résulte de la baisse d'activité et du plan de sauvegarde de l'emploi, que son anxiété n'est pas contestée alors qu'il a bénéficié de la même attention que les autres salariés.
Dès lors qu'il ressort des observations des parties et des pièces produites, que la société CIBLEX envisageait dans le cadre de son plan de restructuration 76 suppressions d'emplois soit par le biais de départs volontaires soit dans le cadre de licenciements, la société intimée ne peut se limiter à indiquer que comme tout salarié, M. [N] avait vu ses activités réduites, sans justifier plus avant les raisons précises de ce retrait d'attributions non contesté.
De surcroît, alors que le salarié évoque l'envoi de plusieurs courriers restés sans réponse et la volonté exprimée de son supérieur d'avoir tout fait pour le faire partir, l'employeur ne peut se contenter d'arguer d'une exécution de bonne foi du contrat de travail, en produisant une réponse de la Direction des ressources humaines en date du 22 janvier 2010, le jour de la remise de la convention personnalisée de reclassement au salarié, soit trois jours avant la notification de son licenciement, pour soutenir que M. [N] avait bénéficié du traitement identique à celui des autres salariés, cette circonstance n'étant au demeurant pas en soi, de nature à caractériser la bonne foi de l'employeur.
Le jugement entrepris sera par conséquent infirmé de ce chef et la société CIBLEX condamnée à verser 2000 € à M. [N] de ce chef.
Sur le remboursement ASSEDIC
En vertu l'article L 1235-4 du Code du travail dont les conditions sont réunies en l'espèce, le remboursement des indemnités de chômage par la société CIBLEX, employeur fautif, est de droit ; que ce remboursement sera ordonné dans la limite des six mois d'indemnités ;
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure énoncée au dispositif ;
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,
DECLARE recevable l'appel formé par M. [N]
INFIRME le jugement entrepris,
et statuant à nouveau
DECLARE le licenciement de M. [S] [N] dépourvu de cause réelle et sérieuse,
CONDAMNE la SAS GEODIS CIBLEX à payer à M. [N]
- 36401,40 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 2000 € à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;
Dit que les indemnités allouées porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
CONDAMNE la SAS GEODIS CIBLEX à payer à M. [N] 2500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE la SAS GEODIS CIBLEX de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
DEBOUTE M. [N] de ses autres demandes,
ORDONNE, en application de l'article L 1235-4 du code du travail, le remboursement par la SAS GEODIS CIBLEX à l'organisme social concerné des indemnités de chômage payées à M. [N], dans la limite de six mois d'indemnités.
CONDAMNE la SAS GEODIS CIBLEX aux entiers dépens de première instance et d'appel,
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
L. CAPARROS P. LABEY