Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 2
ARRÊT DU 17 JANVIER 2014
(n°2014- , 4 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 11/18214
Décision déférée à la Cour : Jugement du 7 Septembre 2011 -Tribunal de Grande Instance de Paris - RG n° 10/15674
APPELANTS
Madame [N] [X] épouse [F]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Monsieur [L] [F]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Monsieur [M] [F]
[Adresse 2]
[Localité 1]
représentés et assistés par Me Antoine CASUBOLO FERRO, avocat au barreau de Paris, toque A0415
INTIMÉE
Société RADIO MONTE CARLO MOYEN ORIENT - SOMERA RMC
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Localité 2])
représentée par Me Olivier BERNABE, avocat au barreau de Paris, toque B0753
assistée de Me Isabelle GONCALVES, avocat au barreau de Paris, toque G113, substituant Me Thibaut CAYLA, avocat au barreau de Paris, toque C2417
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été appelée le 29 novembre 2013, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Françoise MARTINI, Conseillère, chargé d'instruire l'affaire.
Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues à l'article 785 du Code de procédure civile.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Anne VIDAL, présidente de chambre
Françoise MARTINI, conseillère
Marie-Sophie RICHARD, conseillère
Greffier, lors des débats : Khadija MAGHZA
ARRÊT
- contradictoire
- rendu par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Anne VIDAL, présidente et par Claire VILACA, Greffier.
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Le 24 novembre 2006, Mme [N] [F] et ses deux fils, [L] et [M], ont assigné la société Radio Monte Carlo Moyen Orient (RMC MO), filiale de Radio France internationale, entendant faire prononcer sur le fondement de l'article 1382 du code civil sa condamnation à indemniser le préjudice matériel et moral consécutif au décès de leur époux et père, [G] [F], survenu le [Date décès 1] 2004. Ils exposaient que [G] [F], journaliste de la société RMC MO depuis 1977 et salarié protégé en qualité de représentant du personnel, avait été victime depuis 1997 d'une entreprise de harcèlement et de déstabilisation qui avait conduit à son décès.
Par jugement du 7 septembre 2011, le tribunal de grande instance de Paris a débouté les consorts [F] de toutes leurs demandes en retenant que la réalité d'un lien de causalité direct et certain entre le décès de [G] [F] et les faits allégués n'était pas établie.
Les consorts [F] ont relevé appel de ce jugement et, dans leurs dernières conclusions notifiées le 30 octobre 2013, ils demandent d'infirmer la décision, de condamner la société RMC MO à payer à Mme [N] [F] la somme de 360 115 euros en réparation de son préjudice matériel et celle de 50 000 euros au titre de son préjudice moral, à M. [L] [F] la somme de 58 000 euros en réparation de son préjudice matériel et celle de 25 000 euros au titre de son préjudice moral, et à M. [M] [F] la somme de 63 500 euros au titre de son préjudice matériel et celle de 25 000 euros au titre de son préjudice moral. Ils sollicitent en outre, ensemble, le versement de la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Ils font valoir que l'arrivée d'une nouvelle équipe dirigeante en 1997 avait marqué le début d'une politique systématique de harcèlement et de déstabilisation à l'encontre de [G] Abdul Khalek, manifestée par des mesures discriminatoires de refus de congés, des mesures vexatoires de rappel au règlement intérieur, ou visant à l'écarter de la présentation du journal de 20h ou lui refuser l'autorisation de se rendre au festival du cinéma du Caire malgré sa qualité reconnue d'expert du cinéma arabe, qu'au cours de l'année 1998 il s'était vu diagnostiquer une cardiomyopathie primitive, qu'en 2004 il avait vu arriver avec soulagement un nouveau directeur général adjoint en la personne de M. [R] l'encourageant dans ses efforts, mais que ses espoirs avaient été anéantis par le licenciement brutal du nouveau dirigeant le 21 octobre 2004 et que, durement bouleversé par ce départ et un inévitable retour aux exactions à son encontre, il était décédé moins de 72 heures après des suites d'une crise cardiaque.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 11 octobre 2013, la société RMC MO demande de confirmer le jugement, de débouter les consorts [F] de toutes leurs demandes, et de les condamner à lui verser la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile. Elle fait valoir que les documents produits ne font que refléter une relation contractuelle habituelle entre un salarié et son employeur, que si une évolution des attributions de [G] [F] et la remise en cause de quelques privilèges ont pu le déstabiliser elles ne peuvent en aucune façon caractériser un harcèlement moral, et que les appelants échouent à rapporter la preuve d'un lien de causalité entre les fautes qu'ils invoquent et la réparation du préjudice auquel ils aspirent et n'apportent aucun élément justificatif du préjudice matériel allégué.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Les consorts [F] qui recherchent sur le fondement de l'article 1382 du code civil la responsabilité de la société RMC MO à l'origine du décès de [G] [F] ont la charge de rapporter la preuve d'une faute imputable à celle-ci en lien de causalité direct et certain avec le dommage.
Le tribunal a exactement relevé à ce titre qu'ils ne justifiaient pas de la cause du décès et ne versaient aux débats aucun élément permettant de retenir que celui-ci avait été provoqué par les agissements de l'employeur. Les coupures de presse qui, se faisant l'écho en décembre 2004 d'un conflit social au sein de la chaîne, évoquent le décès brutal de [G] [F] en l'associant au climat délétère de l'entreprise, ne sont objectivement étayées par aucun élément médical. En appel, les consorts [F] produisent une lettre du professeur [W], chef de service à l'hôpital [2], adressée le 1er octobre 2003 au médecin du travail, rendant compte d'une cardiomyopathie pour laquelle [G] [F] était suivi depuis 1999 contre-indiquant une modification importante de son rythme de travail, ainsi qu'un certificat du 2 septembre 2013 du docteur [K], médecin généraliste, énonçant suivant des considérations d'ordre général qu'il trouvait «évident qu'une situation de stress, de surmenage ou de grave déception d'ordre professionnel pouvait causer une décompensation aigue voire fatale sur le plan cardio-vasculaire». Mais ces documents ne contribuent pas administrer la preuve des circonstances exactes du décès. Rien ne démontre que l'intéressé ait connu à l'automne 2004 une modification importante de son rythme du travail telle que contre-indiquée par le professeur [W] ou une situation relevant de celles citées par le docteur [K]. Les médecins ne rattachent pas non plus la pathologie cardiaque traitée depuis 1999 aux conditions de travail vécues par [G] [F] depuis 1997 comme les appelants le soutiennent. Les analyses également produites des professeurs [J] et [C], exerçant respectivement à l'université de médecine du [Localité 3] et à la [1], et du docteur [S], attaché à l'hôpital [2], procèdent des mêmes généralités quant au lien pouvant exister entre le stress et les attaques cardiaques, sans renseigner concrètement sur la situation propre à [G] [F].
Les appelants n'établissent pas davantage, au moyen des attestations et des correspondances échangées entre [G] [F] et son employeur qu'ils produisent, une dégradation des relations survenue en octobre 2004, du fait notamment de la cessation des fonctions de M. [R] en qualité de directeur adjoint de l'information et des antennes du groupe Radio France international comme ils le soutiennent. L'attestation que celui-ci a délivrée fait état d'une attitude méprisante et humiliante du directeur général et du directeur de l'antenne de RMC MO avec une grande partie du personnel et en particulier envers [G] [F], mais sans citer d'événement spécifique dont celui-ci aurait alors été victime. La situation retracée à travers ces documents concerne en réalité l'organisation du service et ses modalités d'exécution qui relèvent du pouvoir de décision de l'employeur. Elle est illustrée par plusieurs différends, relatifs à une demande de congés en décembre 1997 et mai 2004, un changement dans la grille des programmes en 1999, une prétendue absence injustifiée reprochée en avril 2002, la couverture du festival du cinéma du Caire en septembre 2003. Ces différends ponctuellement survenus sur une période de plus de six ans ont donné lieu à des échanges réciproques argumentés, sur un mode revendicatif de la part de [G] [F], interpellant tant le directeur de l'antenne que les directeurs généraux et directeurs généraux adjoints successifs, qui ne permettent pas de considérer que l'intéressé ait été victime d'un comportement persécutif de nature à le fragiliser et à entraîner directement une détérioration de son état de santé.
Dès lors, le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions.
Il est équitable de compenser à hauteur de 2 000 euros les frais non compris dans les dépens que l'intimée a été contrainte d'exposer.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré,
Y ajoutant,
Condamne les consorts [F] aux dépens, avec droit de recouvrement direct dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile, et à verser à la société Radio Monte Carlo Moyen Orient (RMC MO) la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du même code.
LE GREFFIER LE PRESIDENT