Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 2
ARRET DU 17 JANVIER 2014
(n° 008, 8 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 12/22114.
Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 Octobre 2012 - Tribunal de Grande Instance de PARIS 3ème Chambre 1ère Section - RG n° 11/03663.
APPELANTES :
- SAS LE FOURNIL
prise en la personne de ses représentants légaux,
ayant son siège social [Adresse 2],
- SARL DELICES FRANCILIENS
prise en la personne de ses représentants légaux,
ayant son siège social [Adresse 2],
représentées par Maître Christian HOLLIER-LAROUSSE de l'Association HOLLIER LAROUSSE & Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : P0362.
INTIMÉE :
SAS COUP DE PATES
prise en la personne de son représentant légal,
ayant son siège social [Adresse 1],
représentée par la SCP LISSARRAGUE DUPUIS BOCCON-GIBOD en la personne de Maître Matthieu BOCCON GIBOD, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477,
assistée de Maître Stéphane COLOMBET plaidant pour le Cabinet VIVIEN & Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : R210.
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 20 novembre 2013, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Marie-Christine AIMAR, présidente,
Madame Sylvie NEROT, conseillère,
Madame Véronique RENARD, conseillère,
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Monsieur Truc Lam NGUYEN.
ARRET :
Contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Madame Marie-Christine AIMAR, présidente, et par Monsieur Truc Lam NGUYEN, greffier présent lors du prononcé.
Vu les articles 455 et 954 du code de procédure civile,
Vu le jugement contradictoire du 11 octobre 2012 rendu par le tribunal de grande instance de Paris (3ème chambre 1ère section),
Vu l'appel interjeté le 6 décembre 2012 par la SAS Le Fournil et la S.A.R.L. Délices Franciliens,
Vu les dernières conclusions de la SAS Le Fournil et la S.A.R.L. Délices Franciliens appelantes en date du 11 octobre 2013,
Vu les dernières conclusions de la SAS Coup de Pâtes, intimée et incidemment appelante en date du 22 octobre 2013,
Vu l'ordonnance de clôture en date du 14 novembre 2013,
SUR CE, LA COUR,
Il est expressément renvoyé pour un plus ample exposé des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures des parties,
Il sera simplement rappelé que :
La société Le Fournil, anciennement dénommée SA Fournils Investissements est propriétaire de la marque française semi figurative n° 9978578 La Fuette déposée le 9 avril 1999 pour désigner notamment le pain et les services de la boulangerie.
La marque a été régulièrement renouvelée depuis.
La société Le Fournil indique exploiter cette marque pour désigner du pain de qualité supérieure qu'elle commercialise dans la boulangerie qu'elle exploite depuis 1992 à [Localité 1] (78) sous le nom commercial et l'enseigne la fuette.
La société Délices Franciliens fait valoir qu'elle exploite également la marque La fuette pour désigner le même pain de qualité supérieure qu'elle commercialise dans la boulangerie qu'elle exploite depuis 1992 également à [Localité 1] (78) sous le nom commercial et l'enseigne la fuette.
La société Coup de Pâtes immatriculée en 1995 fournit aux professionnels du secteur de la boulangerie pâtisserie une offre de produits surgelés finis et semi-finis.
La société Coup de Pâtes réalise le catalogue de vente de produits qu'elle fait fabriquer et vérifie le respect du cahier des charges par les industriels.
Les sociétés Le Fournil et la société Délices Franciliens exposent avoir constaté que la société Coup de Pâtes commercialise sous la dénomination fusette du pain précuit surgelé.
La société Le Fournil précise être intervenue amiablement à plusieurs reprises auprès de la société Coup de Pâtes pour qu'elle cesse d'utiliser cette dénomination Fusette mais a constaté qu'elle poursuivait l'usage de cette dénomination dans son catalogue n° 41 Automne/hiver octobre 2010-mars 2011 ;
Suivant autorisation du président du tribunal de grande instance de Paris en date du 4 février 2011 la société Le Fournil a fait procéder les 10 et 11 février 2011 à une mesure de saisie-contrefaçon dans les locaux de la société Coup de Pâtes.
C'est dans ces circonstances que selon acte d'huissier du 23 février 2011, les sociétés Le Fournil et Délices Franciliens ont fait assigner la société Coup de pâtes devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de la marque semi figurative la fuette et en concurrence déloyale et parasitaire ;
Suivant jugement dont appel, le tribunal a essentiellement :
- prononcé la déchéance des droits de la société Le Fournil sur la marque française semi figurative la fuette n° 99785578 pour désigner les produits et services suivants : pain et services de boulangerie à compter du 1er janvier 2005,
- déclaré la société Coup de Pâtes irrecevable à agir en déchéance de cette marque pour les autres produits et services visés à l'enregistrement,
- ordonné la transmission de sa décision au directeur de l'INPI pour transcription,
- débouté les sociétés Le Fournil et Délices Franciliens de leur demande de dommages et intérêts pour concurrence déloyale,
- débouté la société Coup de Pâtes de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive,
- condamné solidairement les deux sociétés demanderesses à payer à la défenderesse la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
En cause d'appel les sociétés Le Fournil et Délices Franciliens appelantes demandent essentiellement dans leurs dernières écritures du 11 octobre 2013 de :
- infirmer le jugement,
- débouter la société Coup de Pâtes de sa demande en déchéance de la marque la fuette dont est titulaire la société le fournil,
- dire qu'en exploitant les dénominations Fusette pour désigner du pain précuit surgelé la société Coup de Pâtes s'est rendue coupable de contrefaçon de la marque la fuette n°99 785 578 dont est titulaire la société Le Fournil et d'atteinte au nom commercial et à l'enseigne La Fuette des sociétés Le Fournil et Délices Franciliens,
- dire que la société Coup de Pâtes a commis des actes de concurrence déloyale,
- condamner la société Coup de Pâtes à payer à :
* la société Le Fournil :
- la somme de 216.000 euros au titre de la contrefaçon de marque,
- la somme de 20.000 euros pour l'atteinte portée à son nom commercial et sa dénomination sociale,
* la société Délices Franciliens :
- la somme de 20.000 euros au titre de l'atteinte portée à son nom commercial et son enseigne,
* aux deux sociétés ensembles la somme de 30.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonner des mesures d'interdiction sous astreinte et de publication.
La société Coup de Pâtes intimée s'oppose aux prétentions des appelantes, et pour l'essentiel incidemment demande dans ses dernières écritures du 22 octobre 2013 de :
- confirmer le jugement sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande reconventionnelle pour procédure abusive,
- statuant à nouveau,
- condamner solidairement les sociétés appelantes à lui payer la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et celle de 25.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
*****
Sur la demande en déchéance de la marque-semi figurative la fuette n°99785578 :
Aux termes de l'article 714-5 du code de la propriété intellectuelle encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n'en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l'enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans...est assimilé à un tel usage b) l'usage de la marque sous une forme modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif.
La société Coup de Pâtes soutient que la société le Fournil ne démontre aucun usage sérieux de la marque semi figurative la fuette n° 99785578 depuis son dépôt le 9 avril 1999.
La société Le Fournil soulève l'irrecevabilité de cette demande au motif que la société intimée aurait demandé la déchéance de la marque en première instance à compter du 31 décembre 2004 au lieu du 1er janvier 2005 et qu'il convient de tenir compte de ses conclusions du 26 avril 2013, seules recevables, selon lesquelles elle sollicite la déchéance de sa marque à compter du 1er janvier 2005.
Cependant l'intimée justifie qu'elle avait sollicité en première instance dans ses écritures du 13 décembre 2011 l'application de l'article L 714-5 du code de la propriété intellectuelle et notamment son dernier alinéa c'est-à-dire à compter de l'expiration du délai de cinq ans à compter de la publication de son enregistrement au BOPI intervenue le 31 décembre 1999 de sorte que la prétendue erreur matérielle commise en mentionnant la date du 31 décembre 2004, date d'expiration du délai à minuit, au lieu de 1er janvier 2005 date du point de départ de l'exploitation à justifier, n'est pas de nature en regard des dispositions de l'article 641 du code de procédure civile à rendre irrecevable sa demande présentée en appel et qui tend aux mêmes fins.
Par ailleurs la société Le Fournil ayant eu connaissance de la demande en déchéance au plus tard le 13 décembre 2011, date des conclusions formulant la demande de déchéance elle est tenue en application de l'article L 714-5 du code de la propriété intellectuelle pour échapper à la déchéance, de justifier qu'elle a entrepris avant les trois mois précédant cette demande un usage sérieux de cette marque, soit avant le 13 septembre 2011 ou pendant la période du 31 décembre 1999 au 1er janvier 2005, période qu'elle vise également dans ses écritures.
La marque semi figurative la fuette n° 99785578 est constituée de la dénomination la fuette en lettres minuscules apposée au dessus de l'élément figuratif constitué par la représentation d'un boulanger portant dans ses bras une très longue baguette à l'horizontal.
La société Le Fournil indique que chaque produit qu'elle commercialise est vendu dans une feuille de papier de soie comportant la représentation de la marque semi-figurative et/ou dans un sac en plastique, ou un sac à pain en tissu comportant la représentation de cette marque.
Elle ajoute que cette marque est également représentée en façade de la boulangerie, sur les documents promotionnels et publicitaires.
Elle communique aux débats, en vrac, des pièces à l'effet de justifier de l'exploitation sérieuse de la marque qu'elle invoque.
Cependant ces documents :
- ne sont pas datés ou ne comportant pas une date certaine : un visuel du projet de rénovation de la façade du magasin, le papier de soie sans facture, photographie de la devanture de l'établissement à l'enseigne la fuette, cartes de fidélité,
- reproduisent le terme fuette sans l'élément figuratif et ne désignant pas spécifiquement les pains mais le magasin : la couverture du bulletin d'information de votre fournil, la chartre de communication, la proposition des étapes de communication, le rapport journalier, comportent le terme la fuette associé à d'autres termes tels que croustillante de plaisir, gourmande, céréale, rustique, l'invitation du 14 février 1995, duplicatas des tickets de caisse émis par la société Délices Franciliens entre 2008 et 2011, cartes de fidélité qui ne mentionnent pas le terme La Fuette, facture du 16 juin 2011 de la société Mondia-Sac reproduisant le signe dans son ensemble avec l'expression croustillante de plaisir et sac à pain La Fuette, rapport de mission du bureau Véritas,
- ne révèlent pas une utilisation du terme pour distinguer et garantir l'origine du produit ou service et donc une utilisation à titre de marque : visuels du projet de rénovation de la façade, le disque, guide pratique 2010/2011 de [Localité 1], la photographie de la devanture de l'établissement qui utilise la dénomination la fuette comme nom commercial ou dénomination sociale, ou les extraits publicitaires du magazine Faculté d'Agir de novembre 2010 et février 2011, le rapport de contrôle de la direction nationale de la concurrence et de la consommation qui désigne par le terme la fuette le nom commercial ou l'enseigne, le certificat de la société Qualité France, duplicatas de tickets de caisse émis par la société délices franciliens entre 2008 et 2011, factures de la société Mondia Sac, et sac à pain La fuette, échanges de courriel du 11 octobre 2011,
- constituent des documents internes n'ayant fait l'objet d'aucune diffusion auprès de la clientèle : chartre de communication, propositions des étapes de communication, rapport journalier, du 26 février 2006, récapitulatifs des chiffres d'affaires réalisés par produits, dont certains ne reproduisent pas la marque, acte de cession du fonds de commerce exploité par la société Pain Plaisir du 17 mai 2004 ne reproduisant pas la marque et ne précisant pas son identification.
- sont postérieurs à la période de trois mois à compter de la demande en déchéance : un e-mail relatif à des maquettes du 11 octobre 2011, rapport de mission du bureau Véritas du 1er décembre 2011, procès verbal de constat établi le 4 décembre 2012.
Il s'en évince que les documents produits ne sont pas de nature à établir l'existence d'une exploitation sérieuse de la marque pendant une durée ininterrompue tant dans les cinq ans précédant la demande en déchéance que postérieurement aux cinq ans de la date d'enregistrement de cette marque.
En effet, le terme la fuette est essentiellement exploité dans les quelques documents datés sans son élément figuratif, ce qui altère son pouvoir distinctif en tant que marque, comme dénomination sociale ou nom commercial et non à usage de marque.
Il convient en conséquence de confirmer la déchéance de la marque prononcée par le tribunal à compter du 1er janvier 2005 comme sollicité.
Sur l'action en contrefaçon de la marque semi figurative n°99 785 578 :
A défaut de justifier de droits opposables à la société Coup de Pâtes en raison du prononcé de la déchéance de sa marque, la société le Fournil est irrecevable en sa demande formée à ce titre pour les actes reprochés, qui sont postérieurs à la date du 1er janvier 2005 dès lors que le premier catalogue comprenant cette dénomination litigieuse date du mois d'octobre 2005.
C'est également à bon droit que le tribunal a rejeté la demande de ce chef.
Sur l'action en concurrence déloyale :
Les appelantes soutiennent que l'utilisation du terme fusette par la société intimée porte atteinte à leurs droits antérieurs qu'elles détiennent sur le nom commercial et l'enseigne la fuette sous lequel elles exercent leur activité de boulangerie.
Les produits commercialisés par la société Coup de Pâtes sont des produits de boulangerie pré-cuits surgelés destinés aux seuls professionnels alors que les sociétés appelantes vendent au détail des produits de boulangerie frais auprès des particuliers et qu'elles n'ont donc pas la même clientèle.
De plus, les termes la fuette et fusette diffèrent visuellement, le premier comportant l'article la et un deuxième élément à la différence du second qui n'en comporte qu'un, se distinguent phonétiquement les termes ayant une sonorité différente alors que le premier en comporte deux et se distinguent conceptuellement car le terme fusette est très évocateur d'une forme connue créée par les boulangers de la maison Le nôtre pour désigner un petit pain à bouts pointus ressemblant à une fusette de fils, alors que fuette est purement arbitraire, de sorte qu'il n'existe aucun risque de confusion entre ces deux termes visant des activités distinctes et ce d'autant que les sociétés appelantes exercent celle-ci uniquement à [Localité 1] (78).
Il convient d'ailleurs de relever que les sociétés appelantes ne justifient pas de l'existence d'un risque de confusion dans l'esprit de leurs clientèle et d'avoir subi un préjudice alors que ces deux termes ont cohabité depuis 2005 sans difficulté.
C'est également à bon droit que le tribunal a rejeté les demandes des sociétés appelantes à ce titre.
Sur les autres demandes :
La présente procédure ne revêtant pas en regard des circonstances de l'espèce, de caractère manifestement abusif, les sociétés appelantes ayant pu légitimement se méprendre sur l'étendue de leurs droits, mais ne constituant que l'exercice normal de ceux-ci, la demande en paiement de dommages et intérêts, formée à ce titre, est non fondée et le jugement doit être confirmé sur ce point de dispositif.
En revanche l'équité commande d'allouer à la société intimée la somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et de rejeter la demande formée à ce titre par les sociétés appelantes.
Les dépens resteront à la charge des société appelantes qui seront recouvrés par les avocats de la cause dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
Confirme le jugement, sauf en ce qui concerne la demande des sociétés appelantes à l'encontre de l'intimée relative aux marques,
En conséquence,
Déclare les sociétés appelantes irrecevables en leurs demandes formées à l'encontre de la société Coup de Pâtes aux titres de la marque française n°99785578,
Rejette l'ensemble des demandes des appelantes,
Condamne in solidum les sociétés Le Fournil et Délices Franciliens à payer à la société Coup de Pâtes la somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette le surplus des demandes de l'intimée,
Condamne in solidum les sociétés Le Fournil et Délices Franciliens aux entiers dépens qui seront recouvrés par les avocats de la cause dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le greffier,Le Président,