Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5- Chambre 4
ARRÊT DU 22 JANVIER 2014
(no 26, 9 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 11/ 17920
Décision déférée à la Cour : Jugement rendu le 20 Septembre 2011 par le Tribunal de Commerce de PARIS- 15ème chambre-RG no 09/ 075761
APPELANTE
LA SOCIÉTÉ JESS exerçant sous le nom commercial " COMPTOIR D'ITALIE ", agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
13 avenue de Fontainebleau
94270 LE KREMLIN BICETRE
Représentée par Me Marion CHARBONNIER, avocat au barreau de PARIS, toque : D0156
Assistée de Me Marie Laure AFFIF, avocat au barreau de PARIS, toque 1295
INTIMÉE
LA SOCIÉTÉ ROLEX FRANCE, SA agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
3, avenue Ruysdaël
75008 PARIS
Représentée par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151
Assistée de Me Fabienne FAJGENBAUM, plaidant pour la SCP NATAF-FAJGENBAUM
et Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : P 305
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 Novembre 2013, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Irène LUC, Conseiller, chargée du rapport, et Madame Claudette NICOLETIS, Conseiller.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Madame Françoise COCCHIELLO, Président
Madame Irène LUC, Conseiller, rédacteur
Madame Claudette NICOLETIS, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Madame Denise FINSAC
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
-par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Françoise COCCHIELLO, Président et par Madame Denise FINSAC, Greffier auquel la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
******
Vu le jugement du 20 septembre 2011 par lequel le Tribunal de commerce de Paris a, sous le régime de l'exécution provisoire, débouté la société Jess, exerçant sous le nom « Comptoir d'Italie », de l'ensemble de ses demandes, l'a condamnée à restituer à la société RolexFrance le reliquat de documentation et de matériel, lui a fait injonction de modifier son site internet accessible à l'adresse www. comptoir-italie. com, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, et ce pendant 30 jours et, enfin, a condamné la société Jess à payer à la société RolexFrance la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu l'appel interjeté le 6 octobre 2011 par la société Jess, et ses conclusions du 4 novembre 2013, dans lesquelles il est demandé à la cour d'infirmer le jugement entrepris, constater que la rupture a été abusive, en conséquence, ordonner la poursuite du contrat sous astreinte de 15 000 euros par jour de retard, et condamner la société Rolex France à lui payer la somme de 3 855 000 euros en réparation de son préjudice ainsi que celle de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu les conclusions de la société Rolex France du 8 novembre 2013 par lesquelles elle demande à la cour de confirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a écarté l'existence d'une procédure abusive et d'actes de concurrence déloyale, condamner la société Jess à lui verser la somme de 100 000 euros pour procédure abusive, celle de 10 000 euros pour concurrence déloyale et celle de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
SUR CE,
Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :
La société Jess, exerçant sous le nom « Comptoir d'Italie », exploite un fonds de commerce d'horlogerie-bijouterie au 13, avenue de Fontainebleau, au Kremlin-Bicêtre. Lors de l'acquisition de ce fond, en 2002, elle n'a pu bénéficier de l'agrément Rolex dont son prédécesseur avait bénéficié intuitu personae pendant vingt ans. Elle a signé le 3 mai 2005 un contrat de distribution sélective avec la société Rolex France (ci-après Rolex), avec entrée en vigueur le 18 avril 2005.
En 2008, lors de son passage au Kremlin-Bicêtre, le directeur général de la société Rolex aurait constaté l'inadéquation du voisinage de la boutique « Comptoir d'Italie » à l'image de marque de Rolex, celui-ci étant constitué de commerces de proximité, tels un salon de coiffure, une pizzeria, une pharmacie et un bar PMU.
Au cours d'un entretien du 12 juin 2008, la société Rolex a annoncé à la société Jess sa décision de résilier le contrat de distribution sélective. A l'occasion de cet entretien, qui s'est déroulé au siège de la société Rolex, il était toutefois proposé à Monsieur X..., gérant de la société Jess, de définir ensemble les bases d'une nouvelle collaboration dans un environnement plus adapté à la marque.
La société Rolex a résilié ce contrat le 23 juin 2008, en respectant le préavis contractuel de 6 mois et en exposant dans ce courrier l'inadéquation du voisinage de la société Jess avec son image de marque.
Par courrier du 26 juin 2008, Monsieur X...a accusé réception de la lettre de résiliation, sans contester son manquement aux critères d'environnement de la boutique. Il soumettait pour avis, à la société Rolex, un projet d'ouverture d'un magasin avenue Victor Hugo à Saint-Mandé. Cet emplacement a été refusé le 7 juillet 2008 par la société Rolex, après une visite sur place d'un de ses représentants, le 1er juillet 2008.
Monsieur X...adressait le 7 août 2008 une nouvelle lettre à la société Rolex, dans laquelle il prétendait accuser réception de la lettre de résiliation du 23 juin 2008 et il faisait part de sa surprise que son point de vente ne remplisse plus les exigences qualitatives de Rolex. Il se prévalait aussi des investissements auxquels il avait consenti pour se conformer au contrat de distribution. Il demandait à la société Rolex de reconsidérer sa position. La société Rolex acceptait d'examiner la nouvelle proposition que lui faisait la société Jess, concernant une boutique située ... à Paris, 75004. Après avoir dépêché sur place l'un de ses salariés, la société Rolex constatait que ce point de vente remplissait les critères de sélection des distributeurs Rolex et donnait un accord verbal à Monsieur X....
La société Rolex lui confirmait par écrit le 19 novembre 2008 son accord pour : "- agréer ce nouveau point de vente dans les termes et conditions prévus par notre contrat de distribution sélective Rolex ;- maintenir notre agrément pour votre point de vente du KREMLIN-BICÊTRE jusqu'à ouverture définitive du magasin de la rue des Francs Bourgeois, dans le strict respect, bien entendu, des clauses et conditions du contrat en vigueur ". Cet accord était toutefois suspendu à la réalisation de trois conditions suspensives : la signature d'une promesse de vente avant le 31 décembre 2008, la réalisation de l'acquisition du point de vente avant le 31 mars 2009 et l'ouverture de la boutique au plus tard le 30 juin 2009.
Il était encore précisé dans le courrier : " Si ces trois conditions suspensives n'étaient pas remplies dans les délais impartis, la résiliation du contrat de distribution sélective pour LE KREMLIN-BICÊTRE deviendrait effective sans autre préavis, ni délai et nous serions déliés de nos engagements pour un nouveau point de vente. Si, comme nous le souhaitons, les trois conditions suspensives sont réalisées en temps voulu, la résiliation du KREMLIN-BICÊTRE deviendrait effective et il sera procédé à la signature du contrat de distribution sélective pour le ... ". Enfin, il était demandé à la société Jess de confirmer par écrit son accord sur les termes de cette lettre du 19 novembre 2008.
La société Jess n'a pas donné suite à ce courrier.
Après l'envoi d'une lettre du 24 avril 2009, dans laquelle le conseil de la société Jess dénonçait les conditions dans lesquelles avait eu lieu la dénonciation du contrat de distribution sélective, jugées " discriminatoires et fautives ", la société Jess a assigné la société Rolex, par acte du 17 novembre 2009, devant le tribunal de commerce, en alléguant une rupture brutale de leur relation commerciale et un abus de dépendance économique.
Celui-ci l'a déboutée de ses demandes, estimant régulière la résiliation intervenue.
Sur la demande de la société Rolex France tendant à écarter des débats les pièces adverses no 15 et 18
Considérant que la preuve est libre en droit commercial ; qu'il appartient donc au juge d'apprécier la valeur probatoire des pièces versées au dossier, sans qu'il y ait lieu d'écarter les pièces imprécises ou irrégulièrement obtenues des débats ; que la pièce 15 est constituée par deux planches de photographies dont ni le lieu ni la date ne sont attestés ; que sa valeur probante est donc nulle ; que la pièce 18 est une facture de montre Rolex de 3950 euros émanant de la société Jess, sans emport pour la solution du litige ;
Sur la résiliation
Considérant que la société Jess se prévaut d'un droit à la poursuite de son contrat de distribution sélective dès lors qu'elle continue à remplir les critères de sélection Rolex ; qu'elle soutient que la résiliation serait discriminatoire, d'autres distributeurs agréés ayant vu leur contrat maintenu, tout en offrant des voisinages d'exposition comparables à ceux de sa boutique au Kremlin Bicêtre ;
Considérant qu'il résulte de l'article 1134 alinéa 2 du Code civil, que, dans les contrats à exécution successive dans lesquels aucun terme n'a été prévu, la résiliation unilatérale est offerte aux deux parties, sauf abus sanctionné par l'alinéa 3 du même texte ;
Considérant que l'article X du contrat de distribution sélective conclu entre les sociétés Rolex et Jess stipulait : " X. Durée, fin et résiliation (¿) 2. Chaque partie peut résilier le présent contrat en tout temps par lettre recommandée avec accusé de réception adressée à l'autre partie en observant un délai de préavis de six mois. Pendant le délai de préavis, chaque partie est tenue de respecter les dispositions du présent contrat " ;
Considérant, en l'espèce, que la société Rolex a résilié le contrat de distribution par courrier du 23 juin 2008, avec un préavis de 6 mois, expirant au 31 décembre 2008, sur le fondement de l'article précité, au motif que : " Nous sommes arrivés à la conclusion que votre point de vente ne remplissait plus les exigences qualitatives de notre contrat de distribution telles que rappelées dans son article II » ; que la société Rolex a respecté le délai de préavis du contrat ;
Considérant, par ailleurs, que la faculté de résiliation était prévue par le contrat de distribution, sans que soit exigée la démonstration d'une faute du distributeur agréé ; que, cependant, le fournisseur a exposé ses motifs de résiliation, ceux-ci étant relatifs au voisinage dépréciant du magasin ; que la société Rolex a décidé en 2008 de réorganiser sa politique commerciale, cette réorganisation ayant été clairement exposée aux différents distributeurs sélectifs et tendant à privilégier les grands magasins, afin de toucher leur clientèle internationale ; que la société Jess n'a critiqué les motifs de résiliation énoncés le 23 juin, que tardivement, le 7 août ;
Considérant qu'il n'est pas allégué l'irrégularité des conditions de la distribution sélective, mais leur application discriminatoire par la société Rolex ;
Mais considérant que la discrimination alléguée par la société Jess n'est fondée ni en droit ni en fait ;
Considérant en effet que la loi du 4 août 2008 (no-776) a supprimé l'interdiction des pratiques discriminatoires (ancien texte de l'article L 442-6 I 1o du Code de commerce) à compter de son entrée en vigueur, soit le 5 août 2008 ; qu'à compter du 5 août 2008 donc, la discrimination, en droit commercial, n'est plus interdite en soi ; que, par ailleurs, les pratiques de discrimination bénéficient de l'exemption automatique du règlement d'exemption no330/ 2010 de la Commission du 20 avril 2010 concernant l'application de l'article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées, lorsque le fabricant a une part de marché inférieure à 30 % (ce qui est le cas de la société Rolex sur le marché des montres de luxe) ;
Considérant, au surplus, que la société Jess ne démontre pas avoir été victime de discrimination, tous les distributeurs étant soumis aux mêmes règles ; que les grands magasins sont soumis au même cahier des charges fixé par le contrat de distribution sélective Rolex ; que la société Jess ne démontre pas qu'un distributeur aurait bénéficié de conditions plus favorables qu'elle ; que la société Rolex s'est au contraire efforcée d'organiser, avec la société Jess, la poursuite de leur collaboration dans un nouveau point de vente, lui accordant ainsi un traitement favorable ;
Considérant que si la société Rolex, en prononçant la résiliation du contrat de distribution la liant à l'intimée, n'a fait que mettre en ¿ uvre les stipulations de ce contrat, une telle résiliation peut, néanmoins, revêtir un caractère abusif en raison des circonstances accompagnant la rupture ; qu'en effet, il s'infère des dispositions de l'alinéa 3 de l'article 1134 du Code civil, aux termes desquelles les conventions légalement formées « doivent être exécutées de bonne foi », que la faculté de résiliation d'un contrat de droit privé à durée indéterminée ne saurait être exercée dans des conditions exclusives d'une semblable bonne foi, telle, notamment, la création chez le co contractant d'une confiance légitime dans la pérennité des relations commerciales entretenues ou la soumission à des conditions potestatives ;
Considérant qu'en l'espèce, la société Rolex a clairement subordonné un nouvel agrément et la prolongation du préavis à la signature d'une promesse de vente avant le 31 décembre 2008, la réalisation de l'acquisition du nouveau point de vente avant le 31 mars 2009, et l'ouverture de la nouvelle boutique au plus tard le 30 juin 2009 ; que le distributeur ne peut donc prétendre avoir été trompé sur la pérennité des relations commerciales avec Rolex ;
Considérant que la société Jess ne rapporte pas davantage la preuve d'avoir été soumise à des conditions potestatives, pendant l'exécution du préavis, pour obtenir un nouvel agrément ; que l'intimée a examiné avec célérité les deux propositions de nouveau point de vente que l'appelante lui avait soumises ; que, sollicitée le 26 juin 2008 par la société Jess d'une opportunité portant sur un point de vente situé à Saint Mandé, la société Rolex a dépêché, dès le 1er juillet 2008, un de ses employés sur place pour analyser cette proposition et a communiqué sa réponse dès le 7 juillet suivant ; que la seconde proposition d'août 2008 a aussi été examinée dans de brefs délais, l'accord sous conditions suspensives ayant été donné le 19 novembre 2008 ; que la société appelante ne démontre pas que les délais imposés dans cette lettre pour proroger le préavis au 31 mars 2009 étaient manifestement déraisonnables ; qu'en définitive, la société Jess ne démontre pas la mauvaise foi de la société Rolex dans l'exercice de son droit de résiliation ; qu'econséquence, l'exercice, par la société Rolex, de son droit de résilier le contrat de distribution n'a pas été abusif, au sens de l'article 1134 alinéa 3 du Code civil ; que le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce point ;
Sur l'abus de dépendance économique
Considérant que la société Jess indique que la société Rolex a abusé de sa position dominante et de l'état de dépendance de la société Jess, au visa de l'article L. 442-6, I, 2o du Code de commerce, en discriminant cette dernière lors de la résiliation du contrat et de son exécution pendant la période de préavis ; qu'elle indique que les conditions imposées par la société Rolex pour l'agrément d'un nouveau point de vente et la prorogation du contrat initial jusqu'à l'ouverture du nouveau point de vente ont un caractère purement potestatif en ce qu'elles sont de réalisation impossible en raison de contraintes légales ;
Considérant que l'abus de dépendance économique ne peut être qualifié qu'au regard de l'article L. 420-2 alinéa 2 du code de commerce, l'article L. 442-6-1-2 du Code de commerce ayant été abrogé par la loi LME, le 4 août 2008 ;
Considérant qu'il convient, pour caractériser une situation de dépendance économique du distributeur, de tenir compte de la notoriété de la marque du fournisseur, de l'importance de sa part de marché en valeur absolue et dans le chiffre d'affaires du distributeur, et enfin, de la difficulté pour celui-ci d'obtenir d'autres partenaires des commandes équivalentes, c'est-à-dire, en l'espèce, techniquement et économiquement équivalentes à celles résultant de ses relations d'affaires avec la société Rolex, étant précisé que la seule circonstance de réaliser une part importante, voire exclusive, de son activité auprès d'un seul partenaire ne suffit pas à caractériser l'état de dépendance économique ;
Considérant que, s'il n'est pas contesté que la société Rolex détient une marque de prestige, la société Jess indique à la cour que 45 % de son chiffre d'affaires serait réalisé avec Rolex, ce que la cour ne peut, en l'état, vérifier ; qu'en toute hypothèse, aucune clause du contrat signé avec la société Rolex ne l'empêchait de distribuer des marques concurrentes ; qu'elle proposait d'ailleurs à la vente, dans son point de vente du Kremlin Bicêtre, pas moins de 15 marques horlogères renommées, selon les mentions de son site Internet ; qu'ainsi, la société Jess ne se trouvait pas en situation de dépendance économique, ayant eu la possibilité de diversifier son activité, et disposant de solutions alternatives à la distribution de la marque Rolex, sans qu'elle démontre que cette réorientation ne soit trop prohibitive en termes de coûts ; que l'appelante a obtenu l'agrément Chopard, peu après la résiliation de son contrat Rolex ;
Considérant, par ailleurs, que si l'appelante soutient que la société Rolex lui aurait notamment imposé l'implantation sur place d'un atelier d'horlogerie aux normes Rolex, la pose de blindages complémentaires et l'emploi d'un vigile, elle ne démontre pas cet état de fait et, au surplus, ne démontre pas que ces investissements auraient été exclusivement dédiés à la marque Rolex ; qu'ainsi, le maître horloger Rolex travaille sur d'autres marques, ainsi que le signale le site Internet de l'appelante ; que la Compagnie d'assurance de la société Jess exige la présence d'un vigile pour les autres marques proposées au point de vente Comptoir d'Italie ; que le blindage fait partie des obligations courantes des bijouteries ; que ces différentes dépenses contribuent ainsi à valoriser la stratégie marketing d'ensemble de la société Jess, toutes marques confondues ; qu'en définitive, elle ne démontre pas avoir réalisé, dans le cadre de ce contrat, des investissements dédiés et irrécupérables, ceux-ci pouvant être utilisés pour la distribution d'autres marques haut de gamme ; qu'ainsi, l'appelante ne démontre pas l'existence d'une situation de dépendance économique ;
Sur la rupture brutale des relations commerciales
Considérant que la société Jess soutient que la société Rolex a rompu brutalement leur relation commerciale pour défaut de délai raisonnable, compte tenu de l'ancienneté de leur relation, des investissements réalisés et du secteur d'activité concerné ;
Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article 442-6- I- 5o : « Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (...) » ;
Considérant que si les parties ne contestent pas l'existence de relations établies entre elles, elles s'opposent sur leur point de départ et la longueur du préavis raisonnable ;
Sur le point de départ des relations commerciales
Considérant que la société Jess soutient que le délai de préavis de 6 mois qui lui a été octroyé par la société Rolex, conformément au contrat de distribution sélective, n'aurait pas été raisonnable, compte tenu de l'ancienneté des relations commerciales, des investissements effectués par elle et de l'ineffectivité du préavis de six mois ;
Considérant que si la société Jess fait remonter les relations commerciales avec la société Rolex à vingt quatre ans, la société Jess n'a fait l'acquisition du fonds de commerce qu'en 2002 et n'a été agréée par Rolex qu'en 2005 ; qu'est par conséquent sans emport la circonstance que l'ancien propriétaire du fonds ait été agréé Rolex jusqu'en 2002, s'agissant d'une autre personne morale, dépourvue de tout lien avec la société Jess ; que de 2002 à 2005, la société Jess n'était pas autorisée à commercialiser des montres Rolex, car elle ne jouïssait pas de l'agrément Rolex ; que l'article X. 4 du contrat de distribution sélective Rolex stipule en effet que " le contrat prend fin automatiquement en cas de cessation d'activité du Distributeur Agréé dans le lieu de vente " et l'agrément est délivré intuitu personae à chaque distributeur ; qu'ainsi, le point de départ des relations contractuelles avec la société Rolex est fixé à la date de conclusion du contrat de distribution sélective, soit le 3 mai 2005 ; que seules trois années peuvent donc être comptabilisées au titre de l'ancienneté Rolex ;
Sur la durée du préavis
Considérant qu'il ressort de l'article L 442-6- I- 5o du Code de commerce que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou de l'insuffisance de la durée de ce préavis au regard des relations commerciales antérieures ; que la société Jess expose que, compte tenu de cette durée, de la distribution de produits sous marque de distributeur, de sa situation de dépendance économique par rapport à son partenaire, des investissements effectués par elle, et de l'ineffectivité du préavis de six mois consenti, l'allocation d'un préavis de six mois serait insuffisant, compte tenu du temps nécessairement plus long pour lui permettre de réorienter son activité et rechercher de nouveaux clients, dans une telle configuration ;
Mais considérant qu'un produit doit être considéré comme vendu sous marque de distributeur lorsque ses caractéristiques ont été définies par l'entreprise ou le groupe d'entreprises qui en assure la vente au détail et est propriétaire de la marque sous laquelle il est vendu ; qu'en l'espèce, les montres ne sont pas commercialisées sous la marque " Jess ", mais Rolex ; que cet argument est donc dépourvu de portée ;
Considérant que l'état de dépendance n'est pas caractérisé et que la réalisation d'investissements dédiés à la marque et irrécupérables n'est pas démontrée ;
Considérant que l'appelante prétend que la société Rolex lui aurait laissé croire que les relations commerciales seraient maintenues pour le point de vente du Kremlin Bicêtre, après la résiliation intervenue le 23 juin 2008 ; qu'ainsi, elle n'aurait pas pu effectuer utilement les démarches pour se reconvertir pendant la durée du préavis, qui n'aurait pas été effectif ;
Mais considérant qu'il résulte de la lettre du 19 novembre 2008 que si la société Rolex a effectivement accepté le principe d'une prolongation du préavis pour ce point de vente, le temps pour le distributeur de s'installer dans un magasin conforme aux critères Rolex, cet accord était expressément soumis à trois conditions, dont la signature d'une promesse de vente avant le 31 décembre 2008 ; que si une prolongation de la période de préavis a bien été envisagée jusqu'au 31 mars 2009, sous conditions, la société Jess s'est abstenue d'effectuer les démarches qui lui auraient permis d'en profiter aussi bien que d'en justifier ; qu'elle ne peut donc aujourd'hui se plaindre d'avoir, pendant la durée du préavis contractuel, en premier lieu bénéficié de l'accord sous condition de la société Rolex de l'agréer à nouveau pour un nouveau magasin, et en second lieu d'avoir elle-même renoncé au bénéfice d'une prorogation du préavis qui lui était offerte ; qu'elle ne démontre pas par ailleurs que les délais imposés par la société Rolex étaient irréalisables ;
Considérant que si la société appelante prétend que ses commandes n'auraient pas été honorées durant l'exécution du préavis, elle n'en apporte pas la preuve, la société Rolex France justifiant au contraire les avoir exécutées, bien qu'avec certains délais conformes aux usages du secteur
Considérant qu'au regard de tous ces éléments, les Premiers Juges ont justement évalué le préavis nécessaire à 6 mois et, après avoir constaté que ce préavis avait été respecté, ont estimé que la rupture intervenue n'était pas brutale ; qu'il convient donc de confirmer le jugement entrepris sur ce point ;
Sur les demandes reconventionnelles de la société Rolex France
Sur la demande pour procédure abusive
Considérant que l'accès au juge étant un droit fondamental et un principe général garantissant le respect du droit, ce n'est que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles que le fait d'intenter une action en justice est susceptible de constituer un abus ; que dégénère en abus l'exercice d'une action manifestement vouée à l'échec et intentée dans le dessein de nuire à un partenaire ou à un concurrent ;
Considérant en l'espèce, que la société Rolex France ne démontre ni que l'action était manifestement vouée à l'échec, ni qu'elle participait à une volonté de lui causer un dommage, qu'elle n'atteste par ailleurs pas avoir subi des dommages de ce fait ; que sa demande sera donc rejetée ;
Sur la demande de dommages-intérêts pour usage abusif des signes distinctifs Rolex
Considérant que la société Rolex prend acte de ce que la société Jess a modifié son site Internet accessible à l'adresse www. comptoir-italie. com, de manière à supprimer toute référence à Rolex et notamment toute image de l'horloge Rolex et sollicite l'allocation d'une somme de 10 000 euros pour usage indue par Jess des signes distinctifs de la marque ;
Mais considérant qu'elle ne verse aux débats aucun élément de nature, d'une part, à attester de cet usage indu et, d'autre part, à permettre à la cour d'évaluer la durée de cet usage ; qu'elle sera donc déboutée de cette demande ;
PAR CES MOTIFS :
Constate que les pièces 15 et 18 de la société Jess sont dépourvues de valeur probante,
Confirme le jugement entrepris,
Y ajoutant,
Déboute la société Rolex France du surplus de ses demande reconventionnelles,
Condamne la société Jess aux dépens de l'instance d'appel
La condamne à payer à la société Rolex France la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT