RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 11
ARRÊT DU 27 Février 2014 après prorogation
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/11886
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 08 Novembre 2011 par le Conseil de prud'hommes de PARIS - RG n° 08/09525
APPELANTE
Madame [X] [R]
[Adresse 1]
comparante en personne, assistée de Me Mounir BOURHABA, avocat au barreau de PARIS, toque : C2580 substitué par Me Ilan MUNTLAK, avocat au barreau de PARIS, toque : K0137
INTIMEE
Association A.F.T.A.M devenue Association COALLIA
[Adresse 2]
représentée par Me François AGUERA, avocat au barreau de ROUEN substitué par Me François BOULO, avocat au barreau de ROUEN
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Septembre 2013, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Evelyne GIL, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Michel DEPOMMIER, Président
Madame Evelyne GIL, Conseillère
Madame Isabelle DOUILLET, Conseillère
Qui en ont délibéré
Greffier : Melle Flora CAIA, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Jean-Michel DEPOMMIER, Président et par Mademoiselle Flora CAIA, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Vu l'appel formé par [X] [R] contre un jugement du conseil de prud'hommes de PARIS en date du 8 novembre 2011 ayant statué sur le litige qui l'oppose à son ancien employeur, l'association AFTAM ;
Vu le jugement déféré ayant :
- débouté [X] [R] de sa demande,
- dit n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la salariée aux dépens ;
Vu les conclusions visées par le greffier et développées oralement à l'audience aux termes desquelles :
[X] [R], appelante, poursuit :
- l'infirmation du jugement entrepris,
- la fixation de son salaire brut mensuel moyen sur les 3 derniers mois à 5'365 €,
- la constatation de l'erreur de qualification du licenciement en ce que les griefs énoncés dans la lettre de licenciement caractérisent une insuffisance professionnelle dépourvue de caractère fautif,
- la constatation de l'absence de faute justifiant son licenciement et le rendant sans cause réelle et sérieuse,
- subsidiairement, la constatation de l'absence de faute grave,
- son repositionnement au sein de la classification en tant que cadre de niveau 1 depuis le 25 mars 2002,
- la condamnation de l'AFTAM à lui payer les sommes de :
- 20'345 € à titre de rappel de salaire sur repositionnement cadre de niveau 1,
- 4 458 € à titre de rappel de salaire sur mise à pied,
- 446 € au titre des congés payés afférents,
- 32'190 € à titre d'indemnité de préavis,
- 3 220 € au titre des congés payés afférents,
- 50'967 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 80'475 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 3 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en sus des entiers dépens, en ce compris les éventuels frais d'exécution ;
L'association COALLIA anciennement dénommée AFTAM, intimée, conclut :
- à la confirmation du jugement déféré,
- au débouté de [X] [R] de l'intégralité de ses demandes,
- à sa condamnation à lui payer une somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en sus des entiers dépens.
FAITS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
L'association Accueil & Formation dite AFTAM exerçait une activité de gestion de bâtiments. Elle appliquait la convention collective nationale du 15 mars 1966 communément dénommée «convention 66» .
Suivant contrat de travail à durée indéterminée signé le 16 septembre 1998, elle a engagé [X] [R], à compter du 21 septembre 1998, en qualité de directrice de centre à l'indice ancienneté incluse de 918, moyennant une rémunération mensuelle brute de 20'361,24 F sur 12 mois à laquelle s'ajoutait une indemnité de responsabilité de 60 points, pour un horaire mensuel de 169 heures de travail.
Par avenant du 2 janvier 2001, la salariée a été promue directrice d'unité territoriale relevant de la catégorie cadre, sous l'autorité de la déléguée régionale, madame [T], sa supérieure hiérarchique. Son indice a été porté à 1148 et sa rémunération indiciaire brute à 25'588,92 F sur 12 mois pour un horaire de 151,67 heures de travail par mois.
En son dernier état, sa rémunération brute de base s'élevait à 4 091,36 €.
Le 28 mars 2008, l'association AFTAM a convoqué [X] [R] à se présenter le 10 avril 2008 à un entretien préalable à une sanction envisagée pouvant aller jusqu'au licenciement. Cette convocation comportait également la notification de sa mise à pied conservatoire pendant la durée de la procédure.
Le 16 avril 2008, elle lui a notifié son licenciement pour faute grave dans les termes suivants :
'En tant que Directrice de l'unité territoriale du Val de Marne Ouest, vous aviez la responsabilité de gérer les moyens alloués à l'unité territoriale (préparation négociation des budgets, contrôle leur réalisation, analyse des écarts, mise en oeuvre si nécessaires des mesures correctives) et d'en rendre compte à votre direction opérationnelle.
Nous déplorons de graves dysfonctionnements au sein de l'Unité Territoriale que vous dirigiez : des charges budgétaires sans rapport avec les besoins en approvisionnement pour les activités de maintenance et de gros entretiens, des commandes passées non selon les besoins, mais suivant les $gt; commerciales.... présentées par le fournisseur!
Vous n'avez mis en place aucune gestion des stocks ni a fortiori le moindre suivi des approvisionnements. L'état des stocks, toujours en cours d'évaluation, met d'ores et déjà en évidence quantités de produits qui sont sans commune mesure avec les besoins... et le compte fournitures présente sur 2007 un dépassement budgétaire enregistré en comptabilité de 292'614 € !!!.
Il a été engagé pour 108'352 € de commandes de produits d'entretien auprès d'un fournisseur alors que le budget prévoyait une enveloppe de 20'000 € dans le cadre d'une opération de gros entretien, et les bons à payer de factures relatifs à ces achats hors budget, ont été signés par vous, sans l'aval du Directeur Opérationnel.
Au cours de l'entretien, vous vous êtes contentée de rejeter sur autrui les responsabilités :
$gt; vous réfugiant derrière la délégation que vous avez donnée à votre responsable technique. Celle-ci ne vous dispensait pas de remplir votre rôle ni d'assumer vos responsabilités ! Bien que vous estimiez que cet agent avait des faiblesses au plan administratif, vous l'avez laissé agir sans aucun contrôle, lui donnant entière liberté sans même vous assurer au moins que les procédures d'achat mise en place au sein de l'AFTAM étaient respectées !
Il a fallu que le Siège de l'AFTAM, étonné de constater la multiplication de factures émanant d'un même fournisseur de matériels et produits, entreprenne un audit pour découvrir la situation !
Le rapport d'audit vous a été transmis pour que vous y répondiez de manière contradictoire. Un deuxième audit portant sur les achats de produits d'entretien et de petits matériels de service a été réalisé les 12 et 13 mars 2008, la direction ayant constaté un fort dépassement de ces budgets.
Ces audits mettent en évidence de nombreux manquements dans le suivi des procédures, une absence inadmissible de rigueur, et le grave préjudice qui en est résulté pour notre association.
Ce préjudice que nous subissons, vous en portez une grande part de responsabilité.'
[X] [R] a saisi le conseil de prud'hommes de PARIS, le 28 juillet 2008, de la contestation de son licenciement et de ses demandes en paiement de rappels de salaire et des indemnités de rupture.
Les parties ont développé à l'audience leurs moyens et présenté leurs demandes, tels que formulés dans leurs conclusions respectives.
SUR CE
- Sur l'exécution du contrat de travail
Sur les demandes de la salariée tendant à sa requalification au niveau 1 de la catégorie cadre et en paiement d'un rappel de salaire (20'345 €)
[X] [R] prétend qu'elle occupait la position de cadre de niveau 2 et revendique son repositionnement au niveau 1.
L'examen de ses bulletins de salaire de 2003 à 2008 montre cependant qu'elle a bénéficié au cours de cette période du statut cadre et d'une classification au niveau 1 échelon 1.
Elle sollicite un rappel de salaire de 20'345 € pour la période de janvier 2003 à avril 2008 et produit un décompte faisant apparaître le solde lui restant dû calculé sur la base du différentiel des coefficients appliqués respectivement au niveau 1 et au niveau 2 dont le plus faible, 1024 correspondant au coefficient le plus élevé du niveau 2, ne semble pas lui avoir été appliqué. Par ailleurs, à l'occasion de cette réclamation, elle mentionne le coefficient 1148 qui lui a été attribué contractuellement.
L'avenant au contrat de travail signé le 2 janvier 2001 lui a en effet attribué l'indice (CCN 1966) 1148. De fait, ses feuilles de paie mentionnent, de janvier à septembre 2003, son coefficient 1148 correspondant à un salaire mensuel brut de base de 4 006,52 € tandis qu'à partir d'octobre 2003, son coefficient n'est plus que 1124 correspondant à un salaire mensuel brut de base de 3 922,76 €.
La réclamation de la salariée paraissant peu claire, il convient de l'inviter à fournir toutes explications utiles, notamment à préciser le motif de sa demande de requalification professionnelle alors qu'il résulte de ses fiches de paye qu'elle relevait du niveau 1 du statut cadre, à justifier les minima conventionnels qui ont pu lui être appliqués en précisant s'ils se rapportaient aux coefficients indiqués sur les bulletins de salaires successifs (1148 puis 1124) et en expliquant la modification apportée à son coefficient en octobre 2003, et à produire, si elle l'estime utile, un nouveau décompte pour la période non couverte par la prescription, soit du 28 juillet 2003 au 16 avril 2008.
- Sur la qualification du licenciement et ses conséquences
Aux termes de sa lettre de licenciement pour faute grave du 16 avril 2008, l'association AFTAM reproche à [X] [R] de graves dysfonctionnements au sein de l'unité territoriale qu'elle dirigeait et qui ont révélé d'une part, des charges budgétaires sans rapport avec les besoins en approvisionnement, une absence de gestion des stocks, un fort dépassement des budgets, de nombreux manquements dans le suivi des procédures, une absence de rigueur, et d'autre part, une absence de contrôle sur son subordonné délégataire qui passait les commandes et sur les procédures d'achat mises en place.
Il résulte de la description du poste de directeur d'unité territoriale que celui-ci, afin d''assurer un fonctionnement et un développement cohérent et articulé des activités, dans le cadre de l'UT/AFTAM dans le respect des orientations et des délégations fixées par la direction opérationnelle ' doit notamment contrôler le respect des procédures et règlements de l'association, gérer les moyens alloués à l'unité territoriale en préparant et négociant les budgets, en contrôlant leur réalisation, en analysant les écarts, en définissant et mettant en oeuvre les mesures correctives, en rendant compte à la direction opérationnelle, et doit également exercer le pouvoir disciplinaire.
Un audit externe réalisé sur le site de [Localité 1] et ayant donné lieu à un rapport du 19 février 2008 a relevé notamment :
- un dépassement du budget de l'année 2006 de 55'936 € et un dépassements du budget de l'année 2007 ayant atteint 292'614 €,
- la non tenue par le responsable technique des documents de suivi budgétaire et des inventaires,
- l'absence de détention des doubles des bons de commande et d'une façon générale, des pièces administratives ou comptables,
- l'absence de mise en place de contrôles.
Le rapport a conclu que les négligences, les erreurs et les manquements reconnus par le responsable technique, dus en partie à son manque d'aptitude aux travaux administratifs et comptables résultaient aussi d'un manque d'autorité, de suivi et de contrôle de sa hiérarchie.
Un audit interne réalisé les 12 et 13 mars 2008 sur 6 sites relevant de la direction de [X] [R] a constaté :
- que des commandes de produits d'entretien et de petits matériels de service ont été passées par le responsable technique pour un total de 108'352 € alors qu'il aurait dû les limiter à 20'000 €,
- que 95 factures enregistrées en comptabilité concernent des commandes 'non budgétées' pour 89'072 €,
- que le responsable technique a signé des bons de commande de produits d'entretien pour la quasi-totalité des sites sans avoir reçu une délégation de la directrice de l'unité territoriale pour le faire,
- que certaines factures portent l'autorisation du bon à payer par la directrice de l'unité territoriale, ce qui démontre que lors de la signature, elle n'a pas vérifié l'existence des fiches d'engagements de dépenses, que les commandes étaient donc passées hors budget sans l'aval du directeur opérationnel,
- que la procédure de transmission des factures pour paiement n'était pas appliquée puisque des factures étaient transmises au service comptable avec les bons de commande et les bons de livraison mais sans ' bons à payer ', lesquels ne peuvent faire l'objet de délégation.
Il résulte de l'ensemble de ces constatations que [X] [R] a manifestement manqué aux obligations attachées à ses fonctions de directeur d'unité territoriale en s'abstenant de contrôler le respect des procédures et des règlements de l'association, de contrôler la réalisation des budgets, de définir et mettre en oeuvre les mesures correctives, de mobiliser une dynamique d'équipe sur cette mise en oeuvre et d'exercer son pouvoir disciplinaire en délivrant à ses subordonnés les observations et les rappels nécessaires.
S'agissant de manquements révélés par l'audit du 19 février 2010 à des obligations contractuelles attachées à l'exécution de la fonction, ils ne peuvent relever d'une simple insuffisance professionnelle.
Toutefois, il n'est pas contesté que, chargée de la direction de 3 foyers à sa prise de fonction, en janvier 2001, [X] [R] avait la responsabilité de 11 structures en 2007, et il est établi par l'attestation de [N] [P], directeur administratif et financier de 2005 à 2008, que l'AFTAM ne disposait pas des moyens comptables et des outils informatiques permettant un strict suivi du budget puisqu'il n'existait pas de comptabilité locale.
Au vu de ces éléments et en considération de l'ancienneté de la salariée et de son parcours au sein de l'association, satisfaisant au point de l'élever, le 1er janvier 2001, de directrice de centre à directrice d'unité territoriale, il apparaît que les manquements commis dans l'exécution de son contrat de travail rendant impossible, sans préjudice pour l'association, la poursuite de la relation travail et autorisant l'employeur à prononcer son licenciement, ne revêtaient toutefois pas une gravité imposant la rupture immédiate du contrat de travail, sans préavis ni indemnité de licenciement.
Il en résulte que la mesure de mise à pied à titre conservatoire ne se justifiait pas et que [X] [R] doit recevoir ses salaire et congés payés se rapportant à la période d'application de cette mesure (4 458 € + 445,80 €).
L'association COALLIA venant aux droits de l'AFTAM devra également lui régler les indemnités compensatrices de préavis et de congés payés sur préavis et l'indemnité conventionnelle de licenciement dont les montants n'ont pas été discutés (32'190 € +
3 219€ + 50'967 €).
En revanche, le licenciement étant justifié par une cause réelle et sérieuse, le rejet de la demande d'indemnité à ce titre par les premiers juges doit être confirmé.
Il sera sursis à statuer sur le surplus de l'appel et des demandes.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté [X] [R] de sa demande en paiement d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
L'infirme en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes en paiement de rappels de salaire et de congés payés au titre de la période de mise à pied conservatoire, d'indemnités compensatrices de préavis et de congés payés sur préavis, et d'indemnité conventionnelle de licenciement ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Constate l'absence de faute grave et dit que le licenciement notifié à [X] [R] le 16 avril 2010 est justifié par une cause réelle et sérieuse ;
Fixe à 5'365 € le salaire brut mensuel moyen des 3 derniers mois ayant précédé le licenciement;
Condamne l'association COALLIA anciennement dénommée AFTAM à payer à [X] [R] les sommes de :
- 4 458 € à titre de rappel de salaire correspondant à la période de mise à pied conservatoire,
- 445,80 € au titre des congés payés y afférents,
- 32'190 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 3 219 € à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,
- 50'967 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ;
Sursoit à statuer sur le surplus de l'appel et des demandes ;
Ordonne la réouverture des débats ;
Invite les parties à fournir, au vu des bulletins de paie de 2003 à 2008 versés au dossier, toutes explications sur les demandes de [X] [R] tendant à sa requalification professionnelle et au paiement d'un rappel de salaire ;
Renvoie les parties et l'affaire à l'audience du :
Mardi 13 Mai 2014 à 9 heures
(4ème étage- Escalier Z- salle 420 JOSSERAND)
Dit que la notification du présent arrêt par lettre recommandée avec avis de réception par les soins du greffe de la cour vaudra convocation à l'audience de renvoi ;
Réserve les dépens.
Le Greffier,Le Président,