Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 3
ARRET DU 04 MARS 2014
(n° 139 , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 13/10609
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 17 Mai 2013 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 13/53333
APPELANT
Monsieur [V] [O]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représenté et assisté de Me Julien FRESNAULT, avocat au barreau de PARIS, toque : A0051
INTIMEE
L'ETAT FRANCAIS Pris en la personne de Monsieur l'Agent Judiciaire de l'Etat
Direction des Affaires Juridiques du Ministère de l'Economie
[Adresse 1]
[Localité 1]
Représenté et assisté de Me Laurent GARRABOS de la SELAS BERNET CASTAGNET WANTZ ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0490
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 27 Janvier 2014, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Nicole GIRERD, Présidente de chambre
Madame Agnès BODARD-HERMANT, Conseillère
Madame Odette-Luce BOUVIER, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Mlle Véronique COUVET
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Nicole GIRERD, président et par Mlle Véronique COUVET, greffier.
Par décret n° NOR ECOS9820020D du 25 janvier 1999 du Président de la République, M. [V] [O] a été révoqué des fonctions d'administrateur de première classe de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE ) qu'il occupait depuis 1984.
Sur requête de M. [V] [O], le Conseil d'Etat, a, par arrêt définitif du 23 mai 2001, dit qu'il n'était pas fondé à demander l'annulation du décret du 25 janvier 1999 prononçant sa révocation .
Le 17 septembre 2007, M. [O] a saisi la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE) d'une réclamation portant sur la mesure de révocation dont il avait fait l'objet.
Par lettre du 27 janvier 2009 adressée au ministre de l'Economie, des Finances et de l'Emploi, M. [L] [Q], alors président de la HALDE, après avoir relevé que les sanctions prises contre M. [O] avaient fait l'objet d'une décision du Conseil d'Etat devenue définitive, a indiqué que, selon lui, les décisions disciplinaires avaient été prises pour un motif discriminatoire, l'activité syndicale de l'intéressé et a demandé au ministre de bien vouloir décider 'en opportunité' de mesures à prendre en faveur de M. [O].
Par un contrat en date du 2 juin 2009, conclu pour trois ans, M. [O] a été engagé en qualité d'agent contractuel par l'Etat.
Le 2 juin 2012, ce contrat n'a pas été renouvelé.
Estimant que le trouble manifestement illicite résultant de sa révocation était réapparu de ce fait, M. [V] [O] a, le 5 avril 2013, saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris aux fins de voir prononcer la nullité du décret du Président de la République du 25 janvier 1999, reconstituer sa carrière sous astreinte de 100 € par jour à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir.
Par ordonnance du 17 mai 2013, le juge des référés, retenant que le décret prononçant la révocation de M. [O] à raison de l'exercice par lui d'une activité privée lucrative de président du conseil d'administration d'une société SEFI et de sa manière de servir a été pris par le Président de la République dans le strict cadre de l'exercice de ses attributions, que la preuve d'une voie de fait n'est nullement démontrée dès lors que rien ne permet d'affirmer que le décret de révocation reposerait sur la violation d'une liberté fondamentale - en l'espèce la liberté syndicale - commise à son égard par un tiers, M. [X], fonctionnaire, dans le cadre de l'exercice de ses fonctions, s'est déclaré incompétent, renvoyé les parties à mieux se pourvoir, dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et a condamné M. [O] aux dépens.
M. [O] a formé appel de cette décision.
Par ses dernières conclusions transmises le 15 novembre 2013, il demande à la cour, vu les articles 6 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, 66 de la Constitution et 809 du code de procédure civile, d'accueillir son appel limité, de le dire bien fondé, de confirmer en conséquence l'ordonnance en ce qu'elle n'a pas, vu l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales, fait droit à l'exception d'incompétence'ratione materiae ' soulevée par l'agent judiciaire de l'Etat, en ce qu'elle n'a pas fait droit aux demandes d'irrecevabilité soulevées par l'agent judiciaire de l'Etat tenant à l'autorité de la chose jugée par le Conseil d'Etat et à la qualité de l'agent judiciaire de l'Etat pour représenter l'Etat en l'espèce ;
Et, statuant à nouveau, il demande à la cour, sans toucher au fond du droit, de dire que l'instruction complète de la HALDE, autorité compétente, qui conclut à la discrimination - se fondant sur un rapport de l'IGF, corps d'inspection compétent -, constitue une preuve de ladite discrimination ;
- de dire et juger que l'employeur (l'Etat) qui, sur intervention de la HALDE, réembauche un travailleur (M. [O]) qu'il avait licencié, prouve que le licenciement était discriminatoire ;
- de constater que figurent au décret des griefs liés à l'activité syndicale de monsieur [O];
- de dire que la décision de révoquer M. [O], fonctionnaire de l'Etat, en raison de ses activités syndicales, parce qu'elle viole gravement une liberté fondamentale, est manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir de l'Etat, et constitue en conséquence une voie de fait ;
- de dire que la révocation de M. [O] en raison de ses activités syndicales constitue un trouble manifestement illicite ;
- de se déclarer compétente pour y mettre fin et par voie de conséquence, de déclarer l'Etat débiteur de M. [O], de déclarer inexistant le décret N° NOR ECOS 9820020 D du 25 janvier 1999 signé du Président de la République prononçant sa révocation, d'enjoindre à l'Etat représenté par l'agent judiciaire de l'Etat de le réintégrer sans délai et de reconstituer sa carrière sous astreinte de 1.000 € par jour, de condamner l'Etat à lui verser une provision de 900.000 € par anticipation sur le préjudice à réparer, de condamner l'agent judiciaire de l'Etat, es qualité de représentant de l'Etat français, à lui payer la somme de 2.500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens d'appel et de première instance .
Il soutient au principal qu'en lui offrant, à la suite de l'intervention de la HALDE dont il était libre de refuser les conclusions, un contrat d'embauche sciemment contraire à sa décision antérieure de le révoquer, l'Etat a posé un acte juridique fort et juste et a ainsi prouvé la discrimination dont il était victime, que le juge des référés ne peut pas estimer que les conclusions de la HALDE ou l'aveu de l'Etat ne prouvent ' rien '. A titre subsidiaire, il fait valoir que si, par extraordinaire l'acquiescement libre de la partie discriminante aux conclusions de la HALDE ne devait plus constituer une preuve de la discrimination, au moins constituent-elles des présomptions et il appartiendrait alors à l'agent judiciaire de l'Etat intimé de prouver que les quatre griefs figurant au décret sont entièrement justifiés par des « éléments objectifs étrangers à toute discrimination » (article 4 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008), ce dont il serait matériellement incapable puisque son activité syndicale a manifestement été « prise en compte » par le décret.
L'Etat français pris en la personne de l'agent judiciaire de l'Etat, intimé, par ses conclusions transmises le 20 janvier 2014, demande à la cour de confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions, et en conséquence de se déclarer incompétente s'agissant de la demande de M. [O] tendant à voir déclarer inexistant le décret du président de République du 25 janvier 1999 ayant prononcé sa révocation et à enjoindre l'Etat de le réintégrer dans ses fonctions et de reconstituer sa carrière sous astreinte par 1.000 € par jour de retard, de dire et juger irrecevable M. [O] en toutes ses demandes.
Subsidiairement, il demande à la cour de dire et juger qu'il n'existe aucun trouble manifestement illicite, que l'obligation de l'agent judiciaire de l'Etat de payer une provision à M. [O] est sérieusement contestable et qu'en conséquence, que M. [O] est mal fondé en toutes ses demandes, de l'en débouter.
En tout état de cause, il demande la condamnation de M. [O] à lui payer la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
L'intimé fait valoir à titre principal que le contrôle de la légalité d'un acte administratif n'appartient pas aux juridictions de l'ordre judiciaire mais relève de la compétence exclusive des juridictions de l'ordre administratif, que M. [O] soutient de façon erronée à l'appui de son appel que le juge des référés n'aurait pas fait droit à l'exception d'incompétence soulevée par l'agent judiciaire de l'Etat devant le premier juge, alors même que celui-ci s'est à juste titre déclaré incompétent, la preuve de l'existence d'une voie de fait ne pouvant être rapportée.
SUR CE LA COUR
Considérant qu'aux termes de l'article 809, alinéa 1er, du code de procédure civile, la juridiction des référés peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ;
Considérant que le dommage imminent s'entend du « dommage qui n'est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer » et le trouble manifestement illicite résulte de « toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit » ;
Considérant que, selon l'article R. 311-1, 1° et 3°, du code de justice administrative, le Conseil d'Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort des recours dirigés contre les ordonnances du Président de la République et les décrets et des litiges relatifs à la situation individuelle des fonctionnaires nommés par décret du Président de la République en vertu des dispositions de l'article 13 (3e alinéa) de la Constitution et des articles 1er et 2 de l'ordonnance n° 58-1136 du 28 novembre 1958 portant loi organique concernant les nominations aux emplois civils et militaires de l'Etat ;
Considérant qu'il n'y a voie de fait justifiant, par exception au principe de séparation des autorités administrative et judiciaire, la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire pour en ordonner la cessation ou la réparation que dans la mesure où l'administration, soit a procédé à l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d'une décision, même régulière, portant atteinte à une liberté individuelle ou aboutissant à l'extinction d'un droit de propriété, soit a pris une décision ayant les mêmes effets et qui est manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative ;
Considérant qu'en l'espèce, la demande de M. [O] aux fins de voir déclarer 'nul de plein droit' ou inexistant' le décret de révocation n° NOR ECOS9820020D du Président de la République du 25 janvier 1999 est fondée sur l'article 809, alinéa 1er, du code de procédure civile ;
Considérant que M. [O] conclut à la compétence du juge judiciaire pour apprécier la légalité du décret de révocation du 25 janvier 1999, acte administratif qui manifestement, selon lui, ne peut pas se rattacher à un pouvoir appartenant à l'Etat en ce qu'il porte une atteinte grave à la liberté syndicale ; que la discrimination syndicale dont il a été victime de la part de M. [X], fonctionnaire, est manifestement insusceptible, selon lui, de se rattacher à l'exécution d'un texte législatif ou réglementaire et, qu'en présence d'une voie de fait, le juge judiciaire doit juger l'acte administratif sinon nul du moins inexistant ;
Considérant qu'en l'espèce, il est constant que le Conseil d'Etat, par un arrêt définitif du 23 mai 2001, a rejeté la requête de M. [O] en annulation pour excès de pouvoir du décret du Président de la République en date du 25 janvier 1999 ;
Considérant que la HALDE a été saisie le 17 septembre 2007 par M. [O] et un autre administrateur de l'INSEE d'une réclamation relative aux mesures disciplinaires prises à leur encontre en 1999 ;
Considérant que M. [Q], alors président de la HALDE, a écrit le 27 janvier 2009 au ministre de l'Economie, des Finances et de l'Emploi, que :
'[...] La HALDE a procédé à une instruction complète de ces dossiers dont j'ai pris personnellement connaissance.
Les sanctions ont donné lieu, en 2001, à des décisions du Conseil d'Etat devenues définitives : aussi ai-je décidé, conformément à la pratique constante de la HALDE, de ne pas soumettre ces dossiers au Collège pour délibération.
Toutefois, l'examen de l'ensemble des dossiers et notamment de la note de Mme [K] [M], inspecteur général des finances, rédigée après les décisions du Conseil d'Etat, le 25 mai 2006, me donne à penser que les décisions disciplinaires ont aussi été prises pour un motif discriminatoire, l'activité syndicale de [...] M. [O].
Il me paraîtrait dès lors légitime que le ministre décide en opportunité des mesures en faveur de [...] M. [O], mesures dont il vous appartiendra bien sûr de fixer la nature. [...] ' ;
Considérant que la cour relève qu'il résulte du contenu de cette lettre et des termes employés 'me donne à penser' et 'il me paraîtrait dès lors légitime ' que M. [Q] y exprime des considérations et propositions à titre personnel et non en qualité de président de la HALDE ;
Que cette seule manifestation d'un avis personnel ne saurait, avec l'évidence requise en référé, établir l'existence d'une discrimination syndicale commise par l'administration et fondant la décision de révocation prise par le décret du 25 janvier 1999 ;
Considérant que le fait de la part du ministère de l'Economie, des Finances et de l'Emploi et de celui du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique d'avoir donné suite à cette intervention personnelle de M. [Q] en engageant M. [O] en qualité d'agent contractuel par contrat du 2 juin 2009, pour une durée de 3 ans, sans réintégration dans les fonctions d'administrateur de l'INSEEE dont il avait été radié, ne constitue en aucune façon la reconnaissance d'une violation de la liberté syndicale dont aurait été victime M. [O] ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces constatations et énonciations que n'est pas établie, avec l'évidence requise en référé, l'existence d'une décision de l'autorité administrative violant la liberté syndicale et manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir lui appartenant, constitutive en conséquence d'une voie de fait justifiant la compétence de la juridiction de l'ordre judiciaire pour la faire cesser ou en ordonner la réparation ;
Qu'il convient dès lors de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a déclaré incompétent le juge des référés de l'ordre judiciaire et renvoyé les parties à mieux se pourvoir ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu de faire droit aux demandes de 'constat', une constatation n'emportant pas de conséquences juridiques ;
Considérant que l'équité commande de ne pas faire droit à la demande des parties présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Considérant qu'eu égard aux circonstances de l'affaire, chacune des parties conservera la charge de ses dépens ;
PAR CES MOTIFS
Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,
Déboute les parties de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,
Laisse à chacune des parties la charge de ses dépens.
LE GREFFIER LE PRESIDENT