RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 9
ARRÊT DU 05 Mars 2014
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/05592
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 08 Février 2012 par le conseil de prud'hommes de BOBIGNY - section encadrement - RG n° 10/00716
APPELANT
Monsieur [O] [V]
[Adresse 1]
[Localité 1]
comparant en personne, assisté de Me Marjana PRETNAR, avocate au barreau de PARIS, E0922
INTIMÉE
S.A. AIR FRANCE
[Adresse 2]
[Localité 2]
représentée par Me Aurélien BOULANGER, avocat au barreau de PARIS, T03
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 08 janvier 2014, en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Christine ROSTAND, présidente
Monsieur Benoît HOLLEAUX, conseiller
Monsieur Jacques BOUDY, conseiller
qui en ont délibéré
GREFFIÈRE : Madame Corinne de SAINTE MARÉVILLE, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Christine ROSTAND, présidente et par Madame Corinne de SAINTE MARÉVILLE, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Par contrat à durée indéterminée en date du 13 janvier 1978, M. [O] [V] a été embauché par la SA Air France en qualité d'officier pilote de ligne.
En dernier lieu, à la date de rupture de son contrat de travail, le 31 août 2009, il occupait des fonctions de pilote commandant de bord sur Boeing 747-400 et de chef PNT chargé de mission auprès de la direction des opérations aériennes d'Air France.
Il est né le [Date naissance 1] 1949 de sorte qu'il a atteint l'âge de 60 ans le [Date naissance 1] 2009.
Or, l'article L421-9 du code de l'aviation civile, dans sa rédaction issue d'une loi du 26 juillet 2004, dispose : « le personnel navigant de l'aéronautique civile de la section A du registre prévu à l'article L421-3 ne peut exercer aucune activité en qualité de pilote ou de copilote dans le transport aérien public au-delà de l'âge de soixante ans.(...) Toutefois, le contrat de travail du navigant n'est pas rompu du seul fait que cette limite d'âge est atteinte sauf impossibilité pour l'entreprise de proposer un reclassement dans un emploi au sol ou refus de l'intéressé d'accepter l'emploi qui lui est offert ».
Mais, avant que M. [O] [V] n'ait atteint l'âge de 60 ans, ce texte avait été modifié par l'article 91-I de la loi numéro 2008-1130 du 17 décembre 2008, de sorte qu'il était désormais rédigé de la façon suivante :
«I-Le personnel navigant de l'aéronautique civile de la section A du registre prévu à l'article L421-3 ne peut exercer aucune activité en qualité de pilote ou de copilote dans le transport aérien public au-delà de l'âge de soixante ans.
II-Le personnel navigant de la section A du registre qui remplit les conditions nécessaires à la poursuite de son activité de navigant est toutefois maintenu en activité au-delà de soixante ans pour une année supplémentaire sur demande formulée au plus tard trois mois avant son soixantième anniversaire, uniquement dans le cas des vols en équipage avec plus d'un pilote, à la condition qu'un seul des pilotes soit âgé de plus de soixante ans.
Cette demande peut être renouvelée dans les mêmes conditions les quatre années suivantes.
Lorsqu'il ne demande pas à poursuivre son activité de navigant ou atteint l'âge de soixante-cinq ans, le contrat n'est pas rompu de ce seul fait, sauf impossibilité pour l'entreprise de proposer un reclassement dans un emploi au sol ou refus de l'intéressé d'accepter l'emploi qui lui est proposé ».
Toutefois, la loi du 17 décembre 2008 avait prévu des dispositions transitoires aux termes desquelles le II de l'article L.421-9 du code de l'aviation civile ainsi modifié n'entrait en vigueur qu'à compter du 1er janvier 2010 et avec la précision que « jusqu'au 1er janvier 2010, le contrat de travail du personnel navigant de la section A n'est pas rompu du seul fait que la limite d'âge de 60 ans est atteinte, sauf impossibilité pour l'entreprise de proposer un reclassement dans un emploi au sol ou refus de l'intéressé d'accepter l'emploi qui lui est proposé ».
C'est dans ces conditions que le 10 décembre 2008, la SA Air France a écrit à M. [O] [V] pour lui indiquer que le 27 août suivant, celui-ci atteignant l'âge de 60 ans, il devrait cesser son activité en qualité de pilote dans le transport aérien public et que par conséquent, il était convoqué pour un entretien qui devrait se tenir le 12 février suivant en vue d'envisager un reclassement.
Le 3 avril 2009, M. [O] [V] a notifié à son employeur sa décision de bénéficier de son droit à un congé sabbatique pour la période du 26 août 2009 au 27 février 2010.
Après un nouvel entretien préalable , l'employeur lui a notifié la rupture de son contrat de travail par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception en date du 16 avril 2009.
Il lui était précisé que les recherches d'emplois au sol éventuellement disponibles et compatibles avec sa formation, ses compétences et son expérience professionnelle, effectuées dans l'entreprise mais également au sein du groupe Air France, étaient demeurées infructueuses et que par conséquent, en raison de l'impossibilité légale de le maintenir dans ses fonctions de pilote, l'employeur se trouvait contraint de lui notifier la rupture de son contrat de travail qui prendrait effet le 31 août suivant, après exécution d'un délai de préavis de trois mois.
Considérant à la fois que son licenciement révélait de la part de l'employeur, qui n'ignorait pas que dès le 1er janvier 2010, il serait à nouveau en mesure de piloter, une attitude empreinte de mauvaise foi et qu'il procédait d'une discrimination liée à l'âge, M. [O] [V] a saisi le conseil de prud'hommes de Bobigny en vue de se voir réintégrer dans son emploi et allouer diverses sommes et indemnités.
Par jugement en date du 8 février 2012, ce dernier l'a débouté de la totalité de ses demandes.
Il en a fait appel par déclaration enregistrée au greffe le 8 juin 2012.
Devant la cour, il conclut à l'infirmation du jugement et à la condamnation de la SA Air France à procéder à sa réintégration dans son emploi de pilote commandant de bord sur Boeing 747-400, avec l'indemnisation qui s'y rapporte, c'est-à-dire sur la base d'un salaire mensuel moyen brut de 24 196 €.
Il demande en conséquence la condamnation de la société Air France à lui payer la somme de 1 258 192 € correspondant aux salaires bruts et aux congés payés qui s'y rapportent pour la période du 1er septembre 2009 au 1er janvier 2014, avec intérêts au taux légal, capitalisables, à compter du 1er septembre 2009, cette somme devant être incrémentée au prorata temporis jusqu'à la date de sa réintégration effective des salaires complémentaires sur la base de son salaire mensuel moyen et des congés payés qui s'y rapportent, à charge pour l'employeur de lui remettre les feuilles de paie correspondantes pour toute la période courue depuis le 1er septembre 2009.
Il demande qu'il lui soit donné acte de ce qu'il s'engage à restituer alors à la société Air France, lors du complet paiement de ses salaires, l'indemnité de fin de carrière de navigant et l'indemnité de deux mois pour impossibilité de reclassement au sol qu'il a perçues, soit au total la somme de 214 708 € et de ce que, dans cette hypothèse, il restituera également directement à Pôle emploi ainsi qu'aux caisses de retraite CRPN et CNAV les sommes nettes qu'il aura perçues depuis le 1er septembre 2009.
A titre subsidiaire, il réclame le paiement des sommes suivantes :
- 222 803 € à titre d'indemnité de licenciement, avec intérêts au taux légal et anatoscisme, à compter du 26 février 2010
- 700 000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse
- 16 696 € à titre de dommages et intérêts pour défaut de respect de ses droits individuels à la formation
- 80 000 € pour rupture prématurée fautive de contrat de travail et perte de chance
- 4 186 € par application de l'article 700 du code de procédure civile
De son côté, la SA Air France conclut à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et à la condamnation de M. [O] [V] à lui payer la somme de 3000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.
A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la rupture du contrat de travail serait requalifiée en licenciement, elle conclut à la condamnation de l'appelant à lui payer la somme de 26 308 € correspondant à la différence entre l'indemnité de rupture exclusive qu'il a perçue et l'indemnité de licenciement.
Pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le licenciement
Pour s'opposer aux demandes formées à son encontre par M. [O] [V], la SA Air France fait valoir essentiellement que l'article L.421-9 du code de l'aviation civile, dans sa version antérieure à celle issue de la loi du 17 décembre 2008 et alors seule applicable, interdisait l'exercice des fonctions de navigant technique passé l'âge de 60 ans et que par conséquent, la rupture du contrat de travail qui en résultait n'était pas un licenciement mais un mode de rupture autonome, qui procédait de la loi seule.
Elle affirme que cette rupture s'imposait à l'employeur, à condition que celui-ci soit bien dans l'impossibilité de proposer un reclassement dans un emploi au sol ou bien que le navigant ait refusé le reclassement qui lui avait été proposé.
Elle soutient par ailleurs que l'application de l'article L.421-9 du code de l'aviation civile n'a pas à être écartée car il n'était nullement en contradiction avec la réglementation européenne et plus particulièrement, avec les dispositions de la directive numéro 2000/78 du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail et qui pose en principe général l'interdiction de toute discrimination liée à l'âge.
Qu'en effet, il résulte de l'article 6 de cette directive, relatif aux justifications des différences de traitement fondées sur l'âge, que ces dernières sont licites si elles poursuivent un motif légitime d'une part, et si elles sont appropriées et nécessaires au regard de l'objectif poursuivi, d'autre part.
Dans le cas présent, selon la SA Air France, en fixant à 60 ans la limite d'âge pour l'exercice des fonctions de pilote, la loi française a pris en considération non seulement un objectif légitime de sécurité mais également de politique de l'emploi, de marché du travail et de formation professionnelle.
Il apparaît cependant que les dispositions de l'article L.421-9 du code du travail, tant dans leur rédaction antérieure que postérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 17 décembre 2008, n'édictent aucune cause autonome de rupture du contrat de travail mais se bornent à des prescriptions, de nature technique, relatives à l'âge au-delà duquel le personnel navigant technique n'est plus autorisé à voler.
C'est d'ailleurs pour éviter toute ambiguïté à cet égard que le législateur a pris la précaution de renvoyer au droit commun du licenciement en prévoyant expressément que l'arrivée à cet âge ne peut autoriser un licenciement qu'à défaut de possibilité de reclassement dans un emploi au sol ou lorsque le salarié concerné a refusé le reclassement qui lui a été proposé.
Il est également certain que les nouvelles dispositions de l'article L.421-9 du code du travail permettant désormais aux pilotes de continuer leur activité de pilotage sous certaines conditions étaient parfaitement applicables à M. [O] [V], dès le 1er janvier 2010, pour peu que son contrat de travail soit encore en vigueur à cette date.
Or, tel était bien le cas en l'espèce puisqu'il est constant qu'à la suite de la lettre recommandée avec demande d'accusé de réception qu'il avait adressée à son employeur le 3 avril 2009, M. [O] [V] se trouvait en congé sabbatique depuis le 26 août 2009, jusqu'au 1er mars 2010, en application des articles L. 3142-91 et suivants du code du travail.
En effet, la société Air France ne pouvait lui refuser ce droit au motif que le contrat de travail prendrait fin dès le 31 août suivant.
Par conséquent, s'il est incontestable qu'à la date de rupture du contrat de travail, le 31 août 2009, l'employeur ne pouvait plus confier au salarié un emploi de navigant technique, jusqu'au 1er janvier 2010 suivant, il était d'autant moins tenu de procéder à son licenciement qu'il n'y avait pas lieu de chercher une solution de reclassement puisque ce salarié était en congé sabbatique et qu'à l'issue de celui-ci, rien ne s'opposait à ce qu'il reprenne une activité de pilotage.
Le licenciement était donc infondé.
De surcroît, il résulte tant de la directive numéro 2000/78/CE du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, que de l'article 1132-1 du code du travail portant transposition en droit interne de cette directive et de l'article 1132-4 du même code, que toute discrimination liée à l'âge qui n'est pas justifiée par des raisons objectives a pour conséquence la nullité de la mesure prise par l'employeur en violation de ces dispositions.
Or, en l'espèce, pour justifier sa décision, la SA Air France se borne à des considérations d'ordre général et de politique législative de nature à expliquer, selon elle, les raisons pour lesquelles l'application de l'article L.421-9 du code de l'aviation civile, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 17 décembre 2008, ne devrait pas être écartée.
Mais il suffit de constater l'existence d'une différence de traitement entre les pilotes âgés de plus de soixante ans mais nés avant le 1er janvier 1950 d'une part, qui, comme M. [O] [V], se sont vus licencier au cours de l'année 2009 et les pilotes nés après cette date d'autre part, qui, bien qu'ayant également dépassé cet âge de soixante ans de sorte qu'ils se trouvaient dans la même situation, à savoir celle prévue par l'article L.421-9 du code de l'aviation civile qui les autorisait à continuer de voler à compter du 1er janvier 2010 sous certaines conditions, ont vu leur contrat de travail se poursuivre.
La société Air France se trouvant dans l'incapacité de justifier cette différence de traitement hormis par l'affirmation erronée qu'elle se trouvait contrainte de procéder au licenciement des premiers par le seul effet de la loi, le licenciement de M. [O] [V] ne pouvait donc qu'être frappé de nullité.
Sur les demandes subséquentes
Contrairement à ce que prétend la société Air France, même si l'article 1132-4 du code du travail ne le prévoit pas expressément, l'un des effets de la nullité du licenciement est qu'il y a lieu de replacer les parties, autant que faire se peut, dans la situation dans laquelle elles se seraient trouvées si le licenciement n'avait pas eu lieu de sorte que, si le salarié le demande, sa réintégration doit être ordonnée.
Celle-ci n'aurait pu avoir lieu qu'à la date d'expiration du congé sabbatique, c'est-à-dire à compter du 1er mars 2010.
Il s'ensuit que l'appelant est fondé à réclamer le paiement des salaires qu'il aurait dû percevoir à compter de cette date jusqu'au 1er janvier 2014 soit, sur la base d'un salaire mensuel moyen brut non contesté de 24 196 €, la somme de 1 258 192 euros, outre les salaires échus depuis lors et jusqu'à la date de sa réintégration effective.
Les intérêts au taux légal courront sur cette somme à compter du 19 octobre 2010, seulement sur les salaires échus à cette date puis, à compter de chaque échéance successive.
Par application de l'article 1154 du code civil, ils pourront donner lieu à capitalisation et par année entière seulement.
Il convient de donner acte à M. [O] [V] de ce qu'il restituera à la société Air France l'indemnité de fin de carrière qu'il a perçue, représentant la somme totale de 214 708 €, dès lors qu'il aura obtenu le paiement de l'intégralité des sommes qui lui sont dues et de ce qu'il remboursera directement d'une part à Pôle emploi, d'autre part aux caisses de retraite CRPN et CNAV, dans les mêmes conditions, les sommes qu'il aura perçues depuis le 1er septembre 2009 jusqu'à sa réintégration effective.
Il n'apparaît enfin pas inéquitable d'accorder à M. [O] [V], qui s'est vu contraint d'agir en justice pour faire valoir ses droits, la somme de 3000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
INFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Bobigny en date du 11 janvier 2012 ;
Statuant à nouveau,
CONSTATE la nullité du licenciement dont M. [O] [V] a été l'objet
ORDONNE en conséquence sa réintégration dans ses fonctions de pilote commandant de bord sur Boeing 747-400 et de chef PNT dans les conditions de salaire qui étaient les siennes avant son licenciement ;
CONDAMNE la SA Air France à payer à M. [O] [V] la somme de 1 258 192 € correspondant aux salaires bruts et aux congés payés qui s'y rapportent, échus depuis la date du 1er mars 2010 jusqu'au 1er janvier 2014 ainsi que les salaires échus depuis lors, sur la base d'un salaire brut de 24 196 € et jusqu'à sa réintégration effective, avec intérêts au taux légal à compter du 26 février 2010, date de convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation, sur les salaires échus à cette date, à compter des échéances successives pour les salaires échus par la suite, capitalisables par année entière seulement ;
DONNE acte à M. [O] [V] de ce que dès complet paiement des salaires susvisés, il remboursera à la société Air France la somme de 214 708 € correspondant à l'indemnité de fin de carrière de navigant et à l'indemnité forfaitaire pour impossibilité de reclassement qu'il a perçues et de ce que, dans les mêmes conditions, il remboursera d'une part à Pôle emploi, d'autre part aux caisses de retraite CRPN et CNAV, les sommes nettes qu'il aura perçues depuis le 1er septembre 2009 jusqu'à sa réintégration effective ;
CONDAMNE la société Air France à payer à M. [O] [V] la somme de 3000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE