Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 2
ARRET DU 07 MARS 2014
(n°2014- , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 12/23288
Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 Novembre 2012 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 10/17721
APPELANT
Monsieur [H] [T]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018
INTIMES
Monsieur [O] [B]
[Adresse 2],
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représenté par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034
Assisté de Maître Denis LALOUX, plaidant pour la société RAFFIN et Associés, avocat au barreau de Paris, toque P133
SARL AUDIT EURO CONSEIL prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 2],
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034
Assistée de Maître Denis LALOUX, plaidant pour la société RAFFIN et Associés, avocat au barreau de Paris, toque P133
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 Janvier 2014, en audience publique, l'avocat ne s'y étant pas opposé, devant Madame Anne VIDAL, présidente de chambre, chargée d'instruire l'affaire.
Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions de l'article 785 du Code de procédure civile.
Ce magistrat a rendu compte de la plaidoirie dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Anne VIDAL, présidente de chambre
Madame Françoise MARTINI, conseillère
Madame Marie-Sophie RICHARD, conseillère
Greffier, lors des débats : Madame Claire VILACA
ARRÊT :
- contradictoire
- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Anne VIDAL, présidente de chambre et par Guillaume LE FORESTIER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :
M. [H] [T], dirigeant des sociétés OMNIUM FINANCE ET FINANCIERE CHAUSSON, qui avait reçu, en sa qualité d'actionnaire, les sommes de 648.313 € et 3.298.765,80 € à titre de distribution des bénéfices et de dividendes en février et juillet 2008 et qui avait opté, sur le plan fiscal, pour le prélèvement forfaitaire libératoire de 18%, a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Paris, suivant acte d'huissier en date du 1er septembre 2011, M. [B] et la SARL AUDIT EURO CONSEIL, experts comptables, aux fins de voir dire qu'ils sont responsables, en leur qualité d'auteurs de la déclaration d'impôt 2008, de la perte de chance pour lui de bénéficier des dispositions énoncées dans l'instruction ministérielle publiée le 1er août 2008 qui lui auraient permis de déclarer ces sommes dans ses revenus pour leur montant net (soit après abattement de 40% et déduction des frais) et de les condamner à lui payer une somme de 250.315 € correspondant au surcoût d'imposition en résultant, avec intérêts au taux légal à compter du 18 Mars 2010, date de sa mise en demeure.
Par jugement en date du 2 novembre 2012, le tribunal de grande instance de Paris a déclaré les demandes de M. [H] [T] recevables à l'égard de M. [B], comme à l'égard de la SARL AUDIT EURO CONSEIL, l'article 12 de l'ordonnance du 19 septembre 1945 prévoyant que la responsabilité des sociétés et associations de gestion et de comptabilité laissait subsister la responsabilité personnelle de chaque expert-comptable à raison des travaux exécutés pour leur compte, mais il l'a débouté de ses prétentions et l'a condamné à payer aux défendeurs une somme de 1.000 € à chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, en l'absence de lettre de mission donnée aux défendeurs en ce qui concerne les revenus personnels de M. [H] [T] et de tout élément permettant de retenir qu'il leur avait été demandé leur intervention lors de l'exercice de l'option fiscale.
M. [H] [T] a interjeté appel de cette décision par déclaration en date du 20 décembre 2012.
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M. [H] [T], aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 9 septembre 2013, demande à la cour de :
Confirmer le jugement en ce qu'il l'a dit recevable à agir simultanément à l'encontre de M. [B] et de la SARL AUDIT EURO CONSEIL,
Le réformer pour le surplus et condamner solidairement M. [B] et la SARL AUDIT EURO CONSEIL à lui payer la somme de 250.315 € en principal, assortie des intérêts au taux légal à compter du 18 mars 2010, avec capitalisation par année en application de l'article 1154 du code civil, ainsi que celle de 11.960 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
En tant que de besoin et sur le même fondement, condamner M. [B] et la SARL AUDIT EURO CONSEIL à lui rembourser les honoraires proportionnels dus à l'huissier en application de l'article 10 du décret du 12 décembre 1996 dans le cas où il serait amené à recourir à l'exécution forcée de la décision.
Il soutient, pour l'essentiel, l'argumentation suivante :
Sur la recevabilité : M. [B] dispose pleinement du droit de se défendre en justice, même s'il est intervenu « au travers » de la SARL AUDIT EURO CONSEIL et il est constant que l'action en responsabilité peut indifféremment être engagée par le client contre la SCP d'exercice professionnel libéral, contre l'associé ou contre les deux, l'associé signataire répondant personnellement des actes professionnels qu'il accomplit pour la société ;
Sur le fond : la déclaration de revenus personnels de M. [H] [T] 2008 a été établie par M. [B], en ce compris les déclarations 2042 C et 2044, ce qui fait que l'existence d'une mission à ce titre ne fait pas de doute et les options réalisées en février et juillet 2008 pour un prélèvement libératoire forfaitaire en sont l'accessoire ; il est produit aux débats la lettre de mission confiée à M. [B] et les mails de celui-ci lui conseillant le prélèvement libératoire forfaitaire ; ce faisant, M. [B] et la SARL AUDIT EURO CONSEIL lui ont fait perdre irrévocablement la chance de bénéficier d'une imposition inférieure de 250.315 € à celle qu'il a réglée.
M. [B] et la SARL AUDIT EURO CONSEIL, en l'état de leurs écritures signifiées le 17 mai 2013, concluent à la confirmation du jugement déféré et demandent à la cour de déclarer M. [H] [T] recevable mais mal fondé en ses demandes, subsidiairement de limiter la réparation à une fraction seulement de la restitution d'impôt à laquelle il aurait pu prétendre et de le condamner à leur verser une somme de 2.000 € à chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Ils font valoir que, compte tenu des dates auxquelles l'option pour le prélèvement libératoire forfaitaire a eu lieu et des instructions ministérielles successives intervenues tardivement, le 1er août 2008 et le 26 aout 2008, relativement à l'articulation du prélèvement libératoire forfaitaire avec le bouclier fiscal, et compte tenu de l'imprécision des textes et des rectifications intervenues encore l'année suivante, il n'était pas fautif pour l'expert-comptable de recommander l'option du prélèvement libératoire forfaitaire.
En tout état de cause, à supposer qu'une faute soit démontrée, il n'y aurait lieu qu'à réparation d'une fraction du préjudice au titre de la perte de chance et il n'y aurait pas lieu à intérêts moratoires, dès lors que la somme réclamée aurait un caractère indemnitaire.
La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 12 décembre 2013.
MOTIFS DE LA DECISION :
Considérant que la recevabilité des demandes formées par M. [H] [T] à l'encontre, tant de M. [B] que de la SARL AUDIT EURO CONSEIL, n'est plus discutée en appel ;
Considérant, sur le fond, que la question de la mission donnée par M. [H] [T] à la SARL AUDIT EURO CONSEIL n'est plus débattue en appel, les intimés reconnaissant que la déclaration de revenus 2008 de M. [H] [T] a bien été préparée par le cabinet d'expertise comptable et qu'il a été à cette occasion déclaré un montant total de 3.978.190 € au titre des revenus des actions soumis au prélèvement libératoire de 18% ;
Qu'il est constant que M. [H] [T] a reçu en février 2008, à la suite d'une distribution de dividendes de la société OMNIUM FINANCE à ses actionnaires, une somme de 684.313 € et que cette somme a fait l'objet, en mars 2008, du règlement de la somme de 198.450 € dans le cadre du prélèvement forfaitaire libératoire au taux de 18% ; que M. [H] [T] a également reçu en juillet 2008, à la suite d'une distribution exceptionnelle de dividendes de la société FINANCIERE CHAUSSON à ses actionnaires, une somme de 3.298.765,80 € qui a fait, elle aussi, l'objet d'une déclaration de prélèvement forfaitaire libératoire, le 7 juillet 2008, donnant lieu au règlement d'une somme de 956.642 € ; que, lors de l'établissement par la SARL AUDIT EURO CONSEIL de la déclaration d'impôt sur le revenu 2008, les sommes ainsi reçues par M. [H] [T] n'ont pas été déclarées dans les revenus mobiliers mais ont été mentionnées au titre des revenus soumis au prélèvement forfaitaire libératoire ;
Que M. [H] [T] fait valoir, sans être démenti sur ce point par les intimés, que l'option du prélèvement forfaitaire libératoire a entraîné un surcoût d'imposition de 250.315 € par rapport à la possibilité qui aurait été la sienne de déclarer ses dividendes au titre des revenus des capitaux mobiliers ; qu'il ajoute qu'il a vainement tenté de revenir sur son option, les services fiscaux lui opposant le caractère irrévocable de celle-ci ; qu'il soutient que la SARL AUDIT EURO CONSEIL et M. [B] ont engagé leur responsabilité en lui donnant des conseils qui se sont révélés gravement préjudiciables à ses intérêts ;
Considérant que la SARL AUDIT EURO CONSEIL et M. [B] font toutefois justement observer qu'aucune faute dans leur obligation de conseil ne peut leur être reprochée au regard de la suite chronologique des textes et instructions ministérielles relatifs au bouclier fiscal et à la création du dispositif du prélèvement forfaitaire libératoire ;
Qu'il apparaît en effet que la loi de finances du 24 décembre 2007 instaurant le prélèvement forfaitaire libératoire a donné lieu à une instruction ministérielle en date du 1er août 2008 précisant les modalités d'imposition des revenus distribués au prélèvement forfaitaire libératoire et indiquant que les revenus devaient être pris en compte sans aucune déduction d'abattement ni de frais et charges ; et que, par une instruction ministérielle du 26 août 2008 venue compléter et commenter les dispositions de la loi TEPA sur le bouclier fiscal, des précisions ont été données sur les modalités de détermination du droit à restitution (tant pour l'année 2007, première année de mise en place du dispositif, que pour l'année 2008) et il a ainsi été indiqué que le revenu réalisé à retenir était constitué des revenus nets catégoriels et qu'il s'agissait, par exemple, des dividendes et autres revenus distribués soumis au barème progressif de l'impôt sur le revenu (ou au prélèvement forfaitaire libératoire à compter des revenus 2008) pour leur montant net imposable dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers après imputation, le cas échéant, des abattements d'assiette applicables (abattement de 40% et abattement forfaitaire) et des frais et charges admis en déduction ;
Que force est de constater que l'option a été exercée en février et juillet 2008, avant la parution de ces deux instructions ministérielles qui ont éclairci les dispositions fiscales ressortant des lois du 24 décembre 2007 pour le prélèvement forfaitaire libératoire et du 21 août 2007 pour le bouclier fiscal et mis en lumière la différence de régime applicable dans le cas d'application du bouclier fiscal ; que ce n'est qu'au regard de ces deux textes qu'est apparu le caractère défavorable de l'option pour le prélèvement forfaitaire libératoire dans le contexte de l'application du bouclier fiscal puisque les dividendes y sont pris en compte pour leur montant intégral au lieu de n'être retenus, compte tenu de la doctrine administrative ressortant de l'instruction du 26 août 2008, que pour leur montant net après abattement et déduction des frais ;
Que dès lors, il ne peut être retenu que le conseil donné par M. [B] par mail du 22 janvier 2008 était fautif et que M. [H] [T] doit être débouté de ses demandes en indemnisation de son préjudice ;
Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Vu les dispositions de l'article 696 du code de procédure civile,
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement, contradictoirement,
Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Paris en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne M. [H] [T] à payer à M. [B] et la SARL AUDIT EURO CONSEIL ensemble une somme de 1.200 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Le condamne aux dépens d'appel lesquels seront recouvrés dans les formes et conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRESIDENT