Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 5
ARRET DU 06 MAI 2014
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 10/19513
Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Septembre 2010 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2008007570
APPELANTES
S.A. CMA-CGM agissant poursuites et diligences de son Directeur Général
[Adresse 3]
[Localité 1]
et
Société CMA CGM ANTILLES - GUYANE
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentées par Me Luca DE MARIA de la SELARL SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018
Assistées par Me Laurianne RIBES de la SELERL RENARD ET ASSOCIES, avocat au barreau de Marseille
INTIMEES
S.A. ALLIANZ GLOBAL CORPORATE & SPECIALITY FRANCE veannt aux droits de ALLIANZ MARINE ET AVIATION
[Adresse 8]
[Adresse 8]
[Localité 3]
S.A. AXA FRANCE VENANT AUX DROITS D'AXA GLOBAL RISKS ET DE LA CIE UAP/ REUNION EUROPEENNE
[Adresse 4]
[Localité 3]
SOCIETE COVEA FLEET VENANT AUX DROITS DES MUTUELLES DU MANS
[Adresse 2]
[Localité 2]
SOCIETE GENERALI IARD anciennement denommée GENERALI ASSURANCES IARD venant aux droits de GIE CONCORDE
[Adresse 7]
[Localité 3]
SOCIETE GROUPAMA TRANSPORTS VENANT AUX DROITS DU GAN INCENCENDIE ACCIDENTS
[Adresse 6]
[Localité 3]
SOCIETE LLOYD'S DE LONDRES
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 3]
et
SOCIETE STA ITALIANA ASSICURAZIONI E RIASSICURAZIONI P.A
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentées par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111
Assistées par Me Pierre Yves GUERIN de la SCP LAROQUE, avocat au barreau de PARIS, toque : P 276
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 Mars 2014, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Catherine LE FRANCOIS, Présidente de chambre, et Monsieur Michel CHALACHIN, Conseiller, entendu en son rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Catherine LE FRANCOIS, Présidente de chambre
Monsieur Michel CHALACHIN, Conseiller
Madame Marie-Sophie RICHARD, Conseillère
Greffier, lors des débats : Madame Stéphanie ARNAUD, Adjoint faisant fonction
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Catherine LE FRANCOIS, président et par Madame Hanifa DEFFAR, greffier présent lors du prononcé.
Le 1er janvier 1997, les sociétés CMA CGM SA et CMA CGM ANTILLES GUYANE ont souscrit une police d'assurance responsabilité civile professionnelle complémentaire de dernier rang, dite 'police filet', couvrant les conséquences pécuniaires de leur responsabilité encourue au cours ou à l'occasion de leurs activités et qui ne seraient pas garanties par ailleurs.
Cette police souscrite auprès de divers assureurs, dont la société ALLIANZ GLOBAL CORPORATE & SPECIALTY est l'apéritrice, couvrait la période du 1er janvier au 31 décembre 1997.
A la suite d'un transport de marchandises effectué au cours de cette période par la société TIRRENO SHIPPING AGENCY SRL, filiale du groupe CMA CGM, une livraison a été réalisée sans présentation du connaissement original.
Par acte délivré du 12 au 16 février 1998, la société TIRRENO a été assignée devant le tribunal italien de Vincenze, qui l'a condamnée par jugement du 21 juin 2001 au paiement de la somme de 112.897,47 euros, somme qui a été payée par la CMA CGM le 3 mai 2002.
La cour d'appel de Venise a confirmé le jugement par arrêt du 13 décembre 2004 selon les assureurs ou du 20 janvier 2006 selon les assurées.
Par acte du 16 janvier 2008, les sociétés du groupe CMA CGM ont assigné leurs assureurs devant le tribunal de commerce de Paris afin d'obtenir le remboursement de la somme versée en exécution du jugement.
Par jugement du 16 septembre 2010, cette juridiction a mis la société AXA FRANCE hors de cause, a déclaré l'action prescrite depuis le 17 février 2000, a débouté les sociétés CMA CGM de leurs demandes et les a condamnées au paiement de la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Les sociétés CMA CGM ont interjeté appel de ce jugement par déclaration du 4 octobre 2010.
Par dernières conclusions signifiées le 4 février 2011, elles demandent à la cour de rejeter l'exception de prescription et de condamner solidairement les assureurs au paiement des sommes de :
- 112.897,47 euros avec intérêts légaux et anatocisme à compter du 3 mai 2002,
- 9.608 euros correspondant au solde de l'indemnisation versée par CMA CGM le 27 mars 2009,
- 20.000 euros à titre de dommages-intérêts,
- 50.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions signifiées le 17 novembre 2011, les intimées demandent à la cour de mettre les sociétés AXA FRANCE et COVEA FLEET hors de cause, de confirmer le jugement sur la prescription, de débouter les appelantes de leur demande subsidiaire fondée sur une hypothétique gestion solidaire simulée, et de les condamner au paiement des sommes de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur l'identité de certaines sociétés d'assurance.
Considérant que la société AXA FRANCE affirme qu'elle ne vient pas aux droits d'AXA GLOBAL RISKS, et la société COVEA FLEET déclare qu'elle ne vient pas aux droits des MUTUELLES DU MANS ;
Considérant que les appelantes contestent ces affirmations et rappellent que la société apéritrice ALLIANZ doit fournir l'identité de tous les coassureurs ;
Mais considérant qu'il appartient aux appelantes de justifier de la qualité d'assureur des intimées qu'elles ont mis en cause ;
Que, dans la mesure où elles ne justifient pas du fait que les sociétés AXA FRANCE et COVEA FLEET fassent partie de leurs assureurs, ces deux intimées doivent être mises hors de cause ;
Sur la prescription.
Considérant que les appelantes soutiennent que le contrat en cause est un contrat d'assurance de responsabilité civile professionnelle, et non un contrat d'assurance maritime, et que le fait générateur du sinistre ne pouvait être la date de livraison des marchandises ; elles déclarent également que le point de départ de la prescription n'est pas la date de l'assignation délivrée à leur filiale, mais la date de l'arrêt de la cour d'appel de Venise, soit le 20 janvier 2006, date de sa transmission au greffe et de sa communication aux parties ; elles en concluent que l'assignation délivrée le 16 janvier 2008 est intervenue dans les deux ans suivant l'arrêt de la cour d'appel ;
Considérant que les intimées répondent que la prescription prévue aux articles L.172-31 et R.172-6 du code des assurances a couru à compter de l'assignation délivrée à la société TIRRENO, soit le 12 ou 16 février 1998, et que la date de l'arrêt de la cour d'appel importe peu ; elles en concluent que l'action était largement prescrite lorsqu'elles ont été assignées devant le tribunal de commerce ;
Considérant que les appelantes se contentent de contester le caractère maritime de leur contrat d'assurance, mais n'en tirent aucune conséquence juridique, puisqu'elles fondent leurs demandes sur les dispositions des articles L.172-31 et R.172-6 du code des assurances, qui s'appliquent précisément aux contrats d'assurance maritime ;
Qu'en outre, le caractère maritime du contrat en question ne fait aucun doute, puisqu'il couvrait toutes les activités de transport maritime des appelantes ;
Considérant qu'aux termes de l'article L.172-31 du code des assurances, les actions nées d'un contrat d'assurance maritime se prescrivent par deux ans ;
Que l'article R.172-6-4° du même code précise que, lorsque l'action de l'assuré a pour cause le recours d'un tiers, le délai de prescription part du jour de l'action en justice contre l'assuré ou du jour de paiement ;
Considérant qu'en l'espèce, l'action en justice dirigée contre la filiale du groupe CMA CGM a été engagée par assignation du 12 ou du 16 février 1998, et le paiement de la condamnation a été réalisé par les appelantes le 3 mai 2002 ;
Que le fait que le groupe CMA CGM ait réglé le montant de cette condamnation démontre qu'il assumait les fautes de sa filiale ;
Que le délai de prescription a donc expiré au plus tôt le 16 février 2000, et au plus tard le 3 mai 2004, si bien que l'action engagée devant le tribunal de commerce de Paris le 16 janvier 2008 était prescrite ;
Sur l'obligation de loyauté pesant sur les assureurs.
Considérant que les appelantes soutiennent que les assureurs auraient simulé une gestion solidaire avec leurs assurées jusqu'à la fin de la procédure d'appel, dans le but de leur opposer ensuite la prescription ; elles affirment en effet qu'en leur conseillant de régler la condamnation de première instance, les assureurs leur auraient laissé croire qu'ils allaient couvrir le sinistre ; elles en concluent que les intimées auraient ainsi commis une faute contractuelle dont elles demandent réparation ;
Considérant que les intimées répondent que la lettre du 2 mai 2002, qui rappelait aux assurées les règles de l'instruction d'un dossier et leur conseillait de régler la condamnation, ne contenait aucune prise de position sur la garantie ; elles ajoutent que, lorsque le courtier des appelantes a adressé à la société AGF MAT une copie du jugement le 26 avril 2002, l'action des assurées était déjà prescrite ; elles affirment enfin que les appelantes, professionnelles du transport, ne pouvaient ignorer les règles de la prescription;
Considérant que les assureurs n'ont jamais laissé croire aux appelantes qu'ils garantiraient le sinistre en cause ;
Que le fait d'avoir conseillé aux assurées de régler la condamnation ne constitue pas une promesse de garantie, mais un simple rappel de leur obligation d'exécuter le jugement ;
Que les appelantes ne démontrent donc pas l'existence d'un quelconque manquement de leurs assureurs à leur devoir de loyauté ;
Sur la demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour procédure abusive.
Considérant que les intimées soutiennent qu'elles ont été assignées de manière abusive, dans la mesure où les appelantes connaissent parfaitement les règles de la prescription et sont assistées de juristes professionnels de l'assurance ;
Considérant que le tribunal a à juste titre retenu que les appelantes avaient commis un abus de procédure en exerçant une action manifestement prescrite à l'encontre de leurs assureurs, alors qu'elles ne pouvaient ignorer les règles de la prescription en leur qualité de professionnels expérimentés du transport maritime ;
Considérant que le tribunal a eu tort d'écarter la demande indemnitaire des intimées au motif qu'elles ne démontreraient pas avoir subi un préjudice, alors que le fait d'avoir été attrait devant le tribunal de commerce, puis la cour d'appel, est forcément à l'origine d'un préjudice moral, qui doit être indemnisé à hauteur de la somme de 2.000 euros ;
Sur l'article 700 du code de procédure civile.
Considérant que l'équité commande d'allouer aux intimées la somme globale complémentaire de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de débouter les appelantes de leur demande fondée sur ce texte ;
PAR CES MOTIFS :
La cour statuant publiquement par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté les intimées de leur demande en paiement de dommages-intérêts ;
Et y ajoutant, met les sociétés AXA FRANCE et COVEA FLEET hors de cause;
Condamne les sociétés CMA CGM et CMA CGM ANTILLES GUYANE in solidum à payer à la société ALLIANZ GLOBAL CORPORATE & SPECIALTY et à ses coassureurs la somme de 2.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, outre la somme complémentaire de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les sociétés CMA CGM et CMA CGM ANTILLES GUYANE de leur demande fondée sur ce texte ;
Condamne les sociétés CMA CGM SA et CMA CGM ANTILLES GUYANE in solidum aux dépens de la procédure d'appel et dit qu'ils pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE