RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 4
ARRÊT DU 10 Juin 2014
(no , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/12472 - 11/12522
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 22 Septembre 2011 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - Section Encadrement, chambre 5 - RG no F 10/07888
APPELANT
Monsieur Jean-Pierre X...
Demeurant ...
comparant en personne
Assisté de Me Diane LEMOINE, avocat au barreau de PARIS, toque : D1145
INTIMÉE
SA AÉROPORTS DE PARIS
Prise en la personne de ses représentants légaux
Sise 291 boulevard Raspail - 75014 PARIS
Représentée par Me Alexandra LORBER LANCE, avocat au barreau de PARIS, toque : K0020 substitué par Me Stéphanie ROBIN-BENARDAIS, avocat au barreau de PARIS, toque : K0020
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 30 Avril 2014, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Jean-Louis CLEVA, Président, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Louis CLEVA, Président Madame Anne-Marie DEKINDER, Conseillère
Madame Marie-Aleth TRAPET, Conseillère
Greffier : Madame Mélanie RAMON, lors des débats
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
- rendu par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
- signé par Madame Charlotte DINTILHAC, Présidente et par Madame Mélanie RAMON, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire. La Cour est saisie des appels interjetés par Monsieur Jean-Pierre X... du jugement du conseil de prud'hommes de Paris, section encadrement, chambre 5, rendu le 22 septembre 2011 qui l'a débouté de l'ensemble de ses demandes.
Dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, il sera procédé à la jonction des deux appels.
FAITS ET DEMANDES DES PARTIES
Monsieur Jean-Pierre X... a été embauché par la SA AÉROPORTS DE PARIS (ADP) le 1er septembre 1973 sur un poste de haute maîtrise à la direction de l'exploitation commerciale.
À compter du 1er janvier 1987, il a été promu au sein de la catégorie professionnelle des cadres A ; Il est devenu cadre B (cadre supérieur) le 1er janvier 1997, période au cours de laquelle il occupait le poste de chef du service territorial d'Orly.
À compter du 1er avril 2003, il a été nommé responsable de l'équipe d'évaluation SUR au sein de la nouvelle direction de la sûreté dont le responsable était Monsieur Y....
À compter du 1er janvier 2006, il a été affecté au poste d'attaché défense au sein du pôle SPRD. Dans le cadre de ses fonctions, il était chargé de la mise en oeuvre du plan Vigipirate sur les aéroports d'Orly, Charles De Gaulle et le Bourget, ainsi que de la protection des sites sensibles. Sa rémunération annuelle était de 90 000 ¿.
Du 30 septembre 2006 au 31 décembre 2009, il a été en arrêt de travail puis a été déclaré inapte à la suite de deux visites auprès de la médecine du travail réalisées le 12 janvier et le 28 janvier 2010. L'avis d' inaptitude est ainsi libellé : « agent inapte à tout poste au sein de l'entreprise et souhaitant du fait de son état de santé, cesser définitivement toute activité professionnelle ».
Le 16 avril 2010, il a été convoqué à un entretien préalable qui s'est tenu le 6 mai 2010.
Le 14 mai 2010, il a été licencié en raison de l'impossibilité de procéder à son reclassement suite à son inaptitude de travail.
Monsieur Jean-Pierre X... demande à la Cour de constater qu'il a été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral ayant entraîné son inaptitude et que les reclassements qui lui ont été proposés n'ont pas été faits loyalement, de condamner la société ADP à lui verser les sommes suivantes : - 200 000 ¿ pour absence d'exécution de bonne foi du contrat de travail et agissements constitutifs de harcèlement moral ayant entraîné son placement en arrêt maladie durant trois ans pour syndrome anxio- dépressif,
- 200 000 ¿ pour licenciement nul,
à titre subsidiaire : - 200 000 ¿ pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 22 500 ¿ au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- 2 250 ¿ au titre des congés payés afférents, - 6 000 ¿ au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
d'assortir la décision à intervenir des intérêts au taux légal à compter de la saisine.
La société ADP demande à la Cour de confirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions et de condamner Monsieur Jean-Pierre X... à lui verser la somme de 2 000 ¿ au titre article 700 du Code de Procédure Civile.
SUR CE
Il est expressément fait référence aux explications et conclusions des parties visées à l'audience.
La lettre de licenciement du 14 mai 2010 qui fixe les limites du litige fonde le licenciement sur le motif suivant : « ... impossibilité de reclassement suite à l'inaptitude au travail constatée par la médecine du travail.
En effet, vous avez été reconnu inapte à votre poste de travail le 12 janvier 2010, avis qui conformément à l'article R 4624 - 31 du code du travail a fait l'objet d'une seconde visite médicale le 28 janvier 2010.
Nous sommes malheureusement, comme nous vous l'avons indiqué en présence de Monsieur Jean-Daniel Z... qui vous assistait lors de l'entretien, dans l'impossibilité de vous reclasser car il n'y a pas dans l'entreprise et dans le groupe, d'emploi disponible que vous soyez susceptibles d'occuper compte tenu de votre état de santé. En effet le département pilotage des cadres et hauts potentiels groupe a recherché parmi les postes vacants au sein de la société AEROPORTS DE PARIS et du groupe des postes adaptés à vos compétences professionnelles et aussi comparables que possible à votre emploi précédent. Dans un tel contexte, trois postes ont été identifiés et soumis à l'avis des délégués du personnel et du médecin du travail.
Ce dernier, après vous avoir reçu en date du 18 mars 2010 a considéré que votre état de santé n'était pas compatible avec la tenue de ces trois postes. Nous sommes par conséquent dans l'obligation de vous notifier par la présente lettre votre licenciement ... ».
Le 1er juin 2010, Jean-Pierre X... a écrit au président de la société pour contester son licenciement et rappeler les actes constitutifs de harcèlement moral dont il a été victime : « ... je vous rappelle s'il en était besoin, que cette situation est la conséquence directe des agissements constitutifs du harcèlement moral dont j'ai été la victime du chef de Monsieur Y... lequel n'en est pas à son coup d'essai en la matière. Il bénéficie à cet égard d'une inexplicable impunité dans l'entreprise bien que vous ayez diligenté en 2008 une mission d'inspection interne qui demeurait sans suite. Ces agissements ont conduit à mon placement prolongé en arrêt de maladie pour syndrome anxio dépressif réactionnel... ».
Sur le harcèlement moral :
Monsieur Jean-Pierre X... invoque les faits suivants survenus entre août 2005 et septembre 2006 après la suppression de son service et son affectation au poste d'attaché de défense toujours sous la direction de Monsieur Y... : - absence de tout document définissant les missions et les objectifs de son nouvel emploi,
- refus de formation pour permettre un redéploiement professionnel et un reclassement,
- suppression de moyens matériels ou financiers (secrétaire, ordinateur, véhicule de service), - mise à l'écart : ne reçoit plus de courrier, sa boîte mail est vide, les accès à certaines bases de données lui sont retirées, n'est plus convoqué aux réunions du comité de direction,
- rétrogradation : son poste est rattaché au service de Madame A... ; Il passe d'un poste de N-1 par rapport au directeur à un poste de N-3 alors qu'un an auparavant il pouvait prétendre à des fonctions de cadre dirigeant (catégorie IV) au vu de ses évaluations avec une notation 22 sur un maximum de 24.
Il produit plusieurs pièces médicales :
- un certificat du Docteur B... du 9 décembre 2005 faisant état du harcèlement moral dont se plaint Monsieur Jean-Pierre X..., d'un état dépressif, d'insomnies et de crises de larmes. - un certificat médical du Docteur C... du 14 octobre 2006 mentionnant des problèmes professionnels nécessitant un traitement médicamenteux et un arrêt de travail. - un certificat médical du Docteur C... du 8 octobre 2009 faisant état d'un syndrome anxio dépressif réactionnel à la suite de harcèlement professionnel depuis le mois d'octobre 2005, dont l'état s'était aggravé en octobre 2006 (troubles fonctionnels et troubles du sommeil) et restait en 2009 encore très fragilisé dans l'impossibilité de reprendre son travail.
- un certificat du Docteur C... du 4 août 2011 attestant qu'il a consulté un psychothérapeute à compter de l'année 2005 alors même qu'avant cette période il était en bonne santé, qui a été déclaré en longue maladie par la CPAM puis en incapacité de deuxième catégorie : « ... reste psychologiquement très fragile. Les troubles fonctionnels qui se sont déclarés à la suite de sa dépression nerveuse sont toujours présents et risquent de l'être de façon définitive. Il ne fait à mes yeux aucun doute que la situation professionnelle que Jean-Pierre X... a connue et que j'apparente en tant que praticien à une situation de harcèlement psychologique avérée, est la cause originelle directe de la dégradation de son état de santé tant psychique que physique ... ».
Monsieur Jean-Pierre X... établit ainsi l'existence matérielle de faits précis et concordants, qui pris dans leur ensemble permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre.
L'employeur fait valoir qu'il ne s'agit en aucun cas d'une situation de harcèlement moral mais en réalité de la situation d'un salarié qui n'a pas supporté de ne pas obtenir une évolution sur un poste de cadre dirigeant.
La société ADP n'est toutefois pas en mesure de produire la fiche de fonction et les missions du poste d'attaché défense, ni la consistance de l'activité professionnelle de son salarié, de présenter les convocations de Monsieur Jean-Pierre X... au comité de direction, de fournir les justificatifs de la remise effective de l'ordinateur portable, du retrait du véhicule de service et d'une assistante dédiée. L'employeur soutient que le niveau hiérarchique de Monsieur Jean-Pierre X... , en tant que cadre supérieur, n'est pas remis en cause par le rattachement de son service au pôle dirigé par Madame A... ; Il n'en demeure pas moins qu'à l'examen de l'organigramme de la société il apparaît que ce rattachement, en dehors de toute concertation avec le salarié concerné induit une rétrogradation que la direction de l'entreprise n'est pas en mesure de justifier.
L'employeur échoue ainsi à démontrer que les faits matériellement établis par Monsieur Jean-Pierre X... sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le harcèlement moral est au demeurant un problème récurrent au sein de la direction de la sûreté dirigée par Monsieur Y... qui a donné lieu à une mission d'inspection par la direction de l'audit interne et à une expertise réalisée par l'ISAST à la demande du CHSCT de la société.
En l'espèce, les agissements répétés de harcèlement moral à l'initiative de son directeur tendant à la mise à l'écart de Monsieur Jean-Pierre X... après une carrière de 37 ans au sein de l'entreprise ont eu pour effet d'altérer son état de santé et de compromettre son avenir professionnel par une situation d'inaptitude médicalement constatée.
Compte tenu des circonstances du harcèlement subi, de sa durée et des conséquences dommageables qu'il a eu pour Monsieur Jean-Pierre X... telles qu'elles ressortent des pièces et des explications fournies et notamment un arrêt maladie durant trois ans pour syndrome anxio dépressif, le préjudice en résultant pour Jean-Pierre X... doit être réparé par l'allocation de la somme de 50 000 ¿ à titre de dommages et intérêts.
Sur le licenciement :
En application de l'article L. 1152 - 3 du Code du Travail, le licenciement intervenu dans ce contexte est nul.
À la date du licenciement, Monsieur Jean-Pierre X... percevait une rémunération annuelle brute moyenne de 90 000 ¿, soit 7 500 ¿ par mois, avait 60 ans et bénéficiait au sein de l'entreprise d'une ancienneté de 37 ans. Il n'est pas contesté que Monsieur Jean-Pierre X... n'a pu retrouver d'emploi. Il convient d'évaluer à la somme de 150 000 ¿ le montant des dommages et intérêts alloués au titre du licenciement nul.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de Monsieur Jean-Pierre X... les frais et irrépétibles qu'il a exposés. La société ADP sera condamné à lui payer la somme de 3 000 ¿ au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
PAR CES MOTIFS
Ordonne la jonction du dossier no11/12522 avec le dossier no11/12472,
Infirme le jugement entrepris,
Et statuant à nouveau,
Constate que Monsieur Jean-Pierre X... a été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral ayant entraîné son inaptitude,
Condamne la société SA AÉROPORTS DE PARIS à verser à Monsieur Jean-Pierre X... la somme de 50 000 ¿ à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
Dit que le licenciement de Monsieur Jean-Pierre X... prononcé par la société SA AÉROPORTS DE PARIS le 14 mai 2010 est nul,
Condamne la société SA AÉROPORTS DE PARIS à verser à Monsieur Jean-Pierre X... la somme de 150 000 ¿ à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
Dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
Condamne la société SA AÉROPORTS DE PARIS à payer à Monsieur Jean-Pierre X... la somme de 3 000 ¿ au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
Condamne la société SA AÉROPORTS DE PARIS aux entiers dépens.
Le Greffier, Le Président,