RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 11
ARRÊT DU 03 Juillet 2014
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/08020
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 30 Mai 2011 par le Conseil de Prud'hommes de PARIS - RG n° 10/08457
APPELANTS
Madame [P] [T]
[Adresse 2]
non comparante, représentée par M. [X] [I] (Délégué syndical ouvrier)
SYNDICAT UNION LOCAL CGT DE [Localité 2]
[Adresse 1]
représenté par M. [X] [I] (Délégué syndical ouvrier)
INTIMEE
SOCIETE BURBERRY FRANCE
[Adresse 3]
représentée par Me Diane REBOURSIER, avocat au barreau de PARIS, toque : P0438
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 15 Mai 2014, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Jean-Michel DEPOMMIER, Président
Madame Evelyne GIL, Conseillère
Madame Isabelle DOUILLET, Conseillère
Qui en ont délibéré
Greffier : Melle Flora CAIA, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Jean-Michel DEPOMMIER, Président et par Mademoiselle Flora CAIA, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Vu l'appel régulièrement interjeté par Madame [P] [T] à l'encontre d'un jugement prononcé le 30 mai 2011 par le conseil de prud'hommes de PARIS ayant statué dans le litige qui l'oppose à la S.A.S.U. BURBERRY FRANCE sur ses demandes relatives à l'exécution et à la rupture de son contrat de travail, en présence de l'UNION LOCALE CGT DE [Localité 2], intervenante volontaire.
Vu le jugement déféré qui a débouté Madame [P] [T] de toutes ses demandes.
Vu les conclusions visées par le greffier et développées oralement à l'audience aux termes desquelles :
Madame [P] [T], appelante, poursuit l'infirmation du jugement déféré et sollicite la condamnation de la S.A.S.U. BURBERRY FRANCE au paiement des sommes suivantes :
- 2 132 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- les congés payés afférents,
- 50 000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,
- 5 000 € à titre d'indemnité de requalification du contrat de travail temporaire,
- 5 000 € à titre d'indemnité de requalification du contrat à durée déterminée,
- 15 000 € à titre de dommages-intérêts pour rupture anticipée du contrat à durée déterminée à défaut de requalification,
- 5 000 € à titre de dommages-intérêts pour non respect de la procédure de licenciement,
- 50 000 € à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,
- 20 000 € à titre de dommages-intérêts pour non respect de l'obligation de sécurité,
- 10 000 € à titre de dommages-intérêts pour restriction à la liberté de travailler,
- 2 000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.
L'UNION LOCALE CGT DE [Localité 2], intervenante volontaire, demande la condamnation de la S.A.S.U. BURBERRY FRANCE à lui payer les sommes de 10 000 € à titre de dommages-intérêts pour préjudice subi par la collectivité des salariés et 1 500 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.
La S.A.S.U. BURBERRY FRANCE, intimée, requiert le débouté des demandes de Madame [P] [T] et de l'UNION LOCALE CGT DE [Localité 2] ainsi que leur condamnation à lui payer chacune la somme de 2 000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.
CELA ÉTANT EXPOSÉ
Dans le cadre d'un contrat de travail temporaire conclu avec la société PEOPLE SEARCH INTERIM, Madame [P] [T] a été mise à disposition de la S.A.S.U. BURBERRY FRANCE du 25 août au 24 octobre 2008 pour exercer des fonctions de comptable.
Par contrat écrit à durée déterminée de 9 mois en date du 27 octobre 2008 , Madame [P] [T] a été engagée par la S.A.S.U. BURBERRY FRANCE en qualité de comptable.
Sa rémunération mensuelle était fixée en dernier lieu à la somme de 2 166,67 €.
Le 6 mai 2009, Madame [P] [T] a adressé à son employeur une lettre de démission.
Le 29 mai 2009, la S.A.S.U. BURBERRY FRANCE a refusé cette mesure, insusceptible de provoquer la rupture anticipée d'un contrat à durée déterminée.
Le terme du contrat de travail est intervenu le 31 juillet 2009.
Madame [P] [T] a saisi le conseil de prud'hommes le 21 juin 2010.
SUR CE
Sur la requalification des contrats.
Le recours à l'intérim est justifié par la S.A.S.U. BURBERRY FRANCE par un surcroît temporaire d'activité à l'occasion de la clôture des comptes du 3ème trimestre 2008. Il apparaît peu vraisemblable qu'une clôture de compte trimestrielle, qui a vocation à se répéter 4 fois dans l'année, provoque un surcroît inhabituel de travail pendant deux mois, soit 8 mois dans l'année, ce qui en fait confère à cette tâche un caractère répétitif et quasiment constant. Pour justifier ses affirmations, la S.A.S.U. BURBERRY FRANCE produit une note relative au 'bilan annuel pour l'exercice du 1er avril 2008 au 31 mars 2009" faisant état d'une hausse de 6 % du chiffre d'affaires, liée notamment à l'ouverture de deux concessions en septembre 2008 et à un magasin au sein de l'aéroport de [Localité 1] en octobre 2007. Ces circonstances ne sont pas de nature à justifier le motif invoqué par la S.A.S.U. BURBERRY FRANCE, et cela d'autant moins qu'une autre comptable, Madame [S] [K], a été recrutée en octobre 2008 et qu'au cours du contrat à durée déterminée qui a suivi immédiatement le contrat de travail temporaire de Madame [P] [T], justifié cette fois par un accroissement temporaire de l'activité comptable de Burberry Allemagne, la salariée est restée au même poste et dans les mêmes fonctions, c'est du moins ce qu'elle affirme sans être aucunement contredite par la S.A.S.U. BURBERRY FRANCE au moyen d'éléments de preuve pertinents.
Il s'avère donc que les tâches confiées à Madame [P] [T] au titre de l'un et l'autre des deux contrats précaires relevaient manifestement de l'activité pérenne de l'entreprise et il y a lieu de requalifier la relation de travail en contrat à durée indéterminée à compter du jour de la première embauche.
Cette requalification donne droit à Madame [P] [T] à une - et une seule - indemnité, qu'il convient de fixer, au vu des circonstances de l'espèce, à la somme de 2 150 €.
Sur le harcèlement moral.
Madame [P] [T] déclare avoir été victime d'une entreprise de harcèlement moral menée notamment par sa supérieure hiérarchique directe, Madame [D] [M], et avoir été ainsi rabrouée sans motif valable et durement de façon répétée, isolée des autres salariés et en butte à des sanctions pécuniaires comme à des refus opposés à ses demandes les plus légitimes.
Outre à ses propres affirmations, contenues notamment dans un courriel du 6 février 2009 adressé à 3 autres salariés, dont Madame [D] [M], ou un courrier du 23 mars 2009 au secrétaire du CHSCT, affirmations reprises dans sa lettre de démission et qui, par leur caractère unilatéral, ne sauraient valoir élément de preuve, Madame [P] [T] se réfère aux déclarations de deux collègues de travail, Monsieur [H] [C] et Madame [A] [B], ainsi qu'à des documents médicaux la concernant.
Les deux salariés cités sont eux-mêmes en litige avec la S.A.S.U. BURBERRY FRANCE et il s'avère que les trois intéressés nourrissent mutuellement leurs récriminations par des témoignages croisés dont le degré de sincérité et d'objectivité est dès lors fort incertain.
Le lien de causalité entre la pathologie dont fait état Madame [P] [T] et son activité professionnelle n'est nullement établi, et cela d'autant moins que son médecin traitant, qui a rédigé plusieurs certificats médicaux mentionnant un harcèlement au travail, a reconnu, dans le cadre d'une enquête du conseil de l'ordre, avoir été manipulé par sa patiente.
Les allégations de sanction pécuniaire émises par Madame [P] [T] sont infondées, les faits auxquels elle se réfère à cet égard, le non paiement de journées prises pour soigner son fils malade, ayant donné lieu à une application scrupuleuse des dispositions de la convention collective.
La S.A.S.U. BURBERRY FRANCE, avisée des plaintes de Madame [P] [T] à l'encontre de sa supérieure, a diligenté une enquête, parfaitement analysée par le conseil de prud'hommes et établissant l'absence de harcèlement moral. Les interventions de la salariée auprès du CHSCT et de l'inspection du travail sont restées sans suite.
Il convient donc de confirmer sur ce point le jugement de première instance.
Sur l'obligation de sécurité de l'employeur.
Madame [P] [T] considère que la S.A.S.U. BURBERRY FRANCE a fait preuve de négligence au regard de son obligation de santé et de sécurité des salariés dans l'entreprise en fermant les yeux sur les actes de harcèlement moral dont elle a été victime.
Outre que la réalité d'un harcèlement moral n'est pas établie, il s'avère que la S.A.S.U. BURBERRY FRANCE a pris en considération et à leur juste mesure les propos de Madame [P] [T], lui adressant des courriers circonstanciés en réponse à ses doléances, organisant une enquête sur les faits dénoncés et recherchant loyalement avec elle une solution au mal-être qu'elle exprimait, un accord ayant d'ailleurs été défini en début d'année 2009 sur lequel l'intéressée est revenue de manière soudaine et inexpliquée.
Le débouté de la demande indemnitaire de Madame [P] [T] de ce chef sera donc confirmé.
Sur la clause d'exclusivité.
Il est prévu au contrat de travail que Madame [P] [T] 'devra consacrer tout son temps et toute son activité au service de la société et ne pourra, sans l'accord de celle-ci, avoir une autre occupation professionnelle de quelque nature que ce soit'.
Madame [P] [T] étant recrutée à temps plein, cette clause ne saurait être considérée de plein droit comme illicite. Par nature, elle ne fait pas l'objet d'une contrepartie financière, si ce n'est le salaire lui-même. Elle apparaît par ailleurs en l'espèce justifiée dans son principe par la nature des fonctions confiées à Madame [P] [T], touchant à des éléments essentiels et confidentiels de la vie de la société. Elle n'instaure pas une interdiction absolue, mais l'obligation d'informer l'employeur et de recueillir son accord, assortie implicitement mais nécessairement de la faculté de contester la décision que ce dernier pourrait prendre en pareille circonstance. Au demeurant Madame [P] [T] n'a jamais fait état d'une quelconque intention de cumuler son emploi au sein de la S.A.S.U. BURBERRY FRANCE avec une autre activité professionnelle. Ses allégations sur une entrave à sa liberté de travailler et à un préjudice subi de ce fait sont dès lors dénuées de fondement, le débouté prononcé en première instance étant confirmé.
Sur la rupture du contrat de travail.
Madame [P] [T] a démissionné le 6 mai 2009, mesure parfaitement recevable dans le cadre de la relation à durée indéterminée dans laquelle étaient engagées les parties, ainsi que cela a été fixé ci-dessus.
La lettre de démission énonce : 'cette démission est due aux faits de harcèlement moral qui ont provoqué une collaboration professionnelle devenue impossible avec Madame [M] [...] je ne peux par conséquent poursuivre l'exécution de mon contrat initialement prévu pour fin juillet 2009 dans de telles conditions de travail.'
En motivant sa décision par des manquements imputables à l'employeur, Madame [P] [T] manifeste qu'elle n'a pas pris une décision de démissionner libre et dépourvue de toute équivoque, la lettre du 6 mai 2009 devant dès lors s'analyser en une prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur.
La prise d'acte de rupture du contrat de travail par le salarié produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou d'une démission dans le cas contraire.
Le manquement principal allégué à l'encontre de la S.A.S.U. BURBERRY FRANCE est l'existence du harcèlement moral et l'absence de mesure prise pour y mettre un terme. Cet argument ne peut être retenu, en l'absence de harcèlement moral.
Madame [P] [T] invoque par ailleurs la circonstance d'avoir été maintenue sous un contrat précaire illicite et soumise à une clause d'exclusivité également illicite.
L'erreur dans la qualification du contrat de travail commise par la S.A.S.U. BURBERRY FRANCE, et à aucun moment dénoncée par Madame [P] [T] au temps de la relation de travail, ne constitue pas un manquement d'une gravité telle qu'il justifie une prise d'acte. Quant à la clause d'exclusivité, elle a été déclarée valide.
Il convient donc de juger que la prise d'acte de Madame [P] [T] emporte les effets d'une démission.
Sur l'intervention de l'UNION LOCALE CGT DE [Localité 2].
La dénonciation d'une qualification inexacte donnée aux contrats de travail relève de la défense légitime par les syndicats de leurs adhérents et l'erreur commise sur ce point par la S.A.S.U. BURBERRY FRANCE porte dès lors atteinte à l'intérêt collectif des salariés pris en charge par l'UNION LOCALE CGT DE [Localité 2].
Il convient donc d'allouer à cette dernière la somme de 500 € à titre de dommages-intérêts.
Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens.
Madame [P] [T] et la S.A.S.U. BURBERRY FRANCE succombant l'un et l'autre sur une partie de leurs prétentions, les dépens de première instance et d'appel seront partagés par moitié et chacun conservera la charge de ses frais non compris dans les dépens.
Il y a lieu, en équité, de laisser à l'UNION LOCALE CGT DE [Localité 2] la charge de ses frais non compris dans les dépens.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Requalifie le contrat de travail temporaire et le contrat à durée déterminée de Madame [P] [T] en contrat à durée indéterminée.
Dit que le contrat de travail a été rompu par la prise d'acte de Madame [P] [T] entraînant les effets d'une démission.
Condamne la S.A.S.U. BURBERRY FRANCE à payer à Madame [P] [T] la somme de 2 150 € à titre d'indemnité de requalification.
Condamne la S.A.S.U. BURBERRY FRANCE à payer à l'UNION LOCALE CGT DE [Localité 2] la somme de 500 € à titre de dommages-intérêts pour atteinte à l'intérêt collectif des salariés.
Dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la présente décision et que les intérêts échus sur le capital pour une année entière produiront eux-mêmes des intérêts.
Partage les dépens de première instance et d'appel par moitié et laisse à Madame [P] [T] et à la S.A.S.U. BURBERRY FRANCE la charge de leurs frais non compris dans les dépens.
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'UNION LOCALE CGT DE [Localité 2].
Confirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions.
Le Greffier,Le Président,