Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 3
ARRÊT DU 11 SEPTEMBRE 2014
(n° , 10 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 12/11599
Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Mai 2012 -Tribunal d'Instance de Paris 20ème - RG n° 11-11-000623
APPELANTE
Madame [T] [U]
[Adresse 2]
[Localité 2]
Représentée et assistée de Me Sophie HUMBERT, avocat au barreau de PARIS, toque : D0950
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2012/044543 du 08/10/2012 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)
INTIME
Monsieur [D] [R]
[Adresse 1]
[Localité 1]
Représenté par Me Matthieu BOCCON GIBOD, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Assisté de Me Nicolas MOREAU, avocat plaidant au barreau de LAON, toque 02000
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 14 Mai 2014, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Jacques CHAUVELOT, Président de chambre
Madame Michèle TIMBERT, Conseillère
Madame Isabelle BROGLY, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Mme Amandine CHARRIER
Lors des débats : Mme Hélène PLACET
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Isabelle BROGLY, pour le président empêché et par Mme Hélène PLACET, greffier présent lors du prononcé.
*
* *
EXPOSE DU LITIGE
Par acte sous-seing privé en date du 5 juillet 2000 à effet du 15 juillet 2000, Monsieur [Q] a donné en location à [T] [U], des locaux à usage d'habitation sis à [Adresse 2].
Monsieur [Q] avait acquis ce bien de Madame [I] suivant acte authentique en date du 28 avril 2000 dressé en l'étude de Maître [N], Notaire à [Localité 3], moyennant le prix de 33 538,78 €.
Monsieur [D] [R] vient aux droits de Monsieur [Q] (décédé le [Date décès 1] 2010), avec lequel il avait conclu un pacte civil de solidarité le 30 juin 2009 et qui l'avait laissé légataire universel.
Alléguant que l'immeuble dans lequel sont situés les lieux loués était frappé d'un arrêté d'insalubrité remédiable depuis le 2 mars 2000, Madame [T] [U] a, par acte d'huissier de justice en date du 23 juillet 2011, fait délivrer assignation à Monsieur [D] [R] devant le Tribunal d'Instance du 20ème arrondissement de Paris qui, par jugement rendu le 9 mai 2012, a :
* débouté Madame [T] [U] de ses demandes.
* condamné Madame [T] [U] à verser à Monsieur [D] [R] la somme de 1 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
* condamné Madame [T] [U] aux dépens.
Madame [T] [U] a interjeté appel de la décision.
Dans ses dernières conclusions du 12 mai 2014, elle poursuit l'infirmation du jugement et demande en conséquence à la Cour, statuant à nouveau, de :
* écarter la demande d'irrecevabilité des pièces communiquées.
* constater que le premier juge a méconnu les dispositions de l'article 16 du Code de Procédure Civile.
* condamner Monsieur [D] [R] à lui verser la somme de 29 544,81 € au titre des loyers indûment versés, sur le fondement des dispositions de l'article 521-2 du Code de la Construction et de l'Habitation.
* constater que Monsieur [D] [R] n'a pas rempli son obligation de délivrance d'un logement décent et de garantie de jouissance paisible et d'entretien des locaux.
* condamner Monsieur [D] [R] à lui verser la somme de 20 000 € à titre de dommages-intérêts, toutes causes de préjudices confondus.
* débouter le bailleur de l'ensemble de ses demandes.
' subsidiairement :
* lui accorder un délai de 6 mois sur le fondement des dispositions des articles L 412-3 et L 412-4 du Code des procédures civiles d'exécution.
* condamner le bailleur à lui verser la somme de 3 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
* condamner le bailleur aux dépens.
Monsieur [D] [R], intimé, par dernières conclusions du 7 avril 2014, demande à la Cour de :
' avant-dire droit :
* constater la fin de non recevoir de l'action de Madame [U] pour cause de prescription.
* la déclarer en conséquence irrecevable en toutes ses demandes.
* dire l'ensemble des pièces de Madame [U] irrecevables pour défaut de communication.
' principalement :
* confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions.
* constater que l'arrêté d'insalubrité n'a jamais été notifié à Monsieur [R] et qu'il lui est donc inopposable.
* constater que Madame [U] a bénéficié d'un logement décent dès son entrée dans les lieux le 5 juillet 2000.
* la déclarer irrecevable en ses demandes.
' statuant à nouveau et y ajoutant :
* condamner Madame [U] à lui verser la somme de 30 863,98 € au titre de sa dette locative et ce, avec intérêts au taux légal à compter de la signification de la décision à intervenir.
* constater la résiliation du bail conclu le 15 juillet 2000 entre Monsieur [Q] et Madame [U].
* ordonner l'expulsion de Monsieur [U] ainsi que celle de tous occupants de son chef, des locaux loués dans le mois de la décision à intervenir et ce, sous astreinte de 200 € par jour de retard, avec le concours de la force publique en tant que de besoin et le transport des meubles laissés dans les lieux aux frais de l'expulsée dans tel garde meubles désigné par cette dernière ou à défaut par le bailleur.
* condamner Madame [U] à payer une indemnité d'occupation égale au montant du loyer et des charges jusqu'à la libération effective des lieux se matérialisant par la remise des clés.
subsidiairement
* si par impossible, la Cour infirmait le jugement déféré, constater que le montant des loyers indûment perçu s'élève à la somme de 13 476,58€ et ordonner la compensation de cette somme avec le montant de la dette locative de Madame [U].
' à titre subsidiaire :
* désigner tel expert qu'il plaira avec mission notamment de rechercher si les biens loués sont décents ou non et dans la négative, de décrire la nature des travaux rendus nécessaires.
' en tout état de cause :
* condamner Madame [U] à lui verser la somme de 10 000 € pour procédure abusive sur le fondement de l'article 32-1 du Code de Procédure Civile ainsi que la somme de 5 000€ sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile
* la condamner aux entiers dépens.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur les exceptions soulevées à titre liminaire par Monsieur [D] [R].
Sur l'exception d'irrecevabilité de l'action de Madame [U] tirée de la prescription.
Monsieur [D] [R] fait valoir que l'action diligentée par Madame [U] par assignation délivrée le 25 juillet 2011 est une action personnelle se prescrivant par 5 ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, que l'action est manifestement prescrite depuis le 2 mars 2005 puisque fondée sur un arrêté d'insalubrité remédiable en date du 2 mars 2000.
L'article 2224 du Code Civil dispose que 'les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer'.
En l'espèce, il est constant que Madame [U] n'a pas eu immédiatement connaissance de l'arrêté d'insalubrité par le bailleur qui, de son propre aveu, n'en a pas été informé lui-même lors de l'acquisition.
Madame [U] prétend n'en avoir eu connaissance qu'en décembre 2007 et Monsieur [R] ne saurait sérieusement soutenir qu'elle ne pouvait en ignorer l'existence, eu égard à l'état de la copropriété et aux travaux qui y ont été réalisés.
Dès lors, faute pour Monsieur [R] de démontrer la date à laquelle Madame [U] aurait eu connaissance de l'arrêté d'insalubrité, il y a lieu de rejeter l'exception d'irrecevabilité qu'il soulève.
Sur l'irrecevabilité des pièces non communiquées.
Madame [U] a communiqué l'ensemble des pièces, de sorte que le principe du contradictoire a été respecté, étant observé que les dispositions de l'article 906 du Code de Procédure Civile ne sont assorties d'aucune sanction.
Il ya donc lieu de débouter Monsieur [R] de sa demande tendant à voir écarter des débats; l'ensemble des pièces communiquées par Madame [U].
Sur les demandes de Madame [T] [U].
Sur la méconnaissance des dispositions de l'article 16 du Code de Procédure Civile par le premier juge.
Madame [T] [U] reproche au premier juge d'avoir méconnu les dispositions de l'article 16 du Code de Procédure Civile en évoquant d'office l'inopposabilité de l'arrêté d'insalubrité qui ne lui avait pas été notifié.
Cependant, du propre aveu de l'appelante, Monsieur [R] a indiqué dans ses conclusions de première instance qu'il n'avait pas été avisé de l'existence de cet arrêté, ce qui revient à dire que cet arrêté ne lui a jamais été notifié et que par suite et implicitement, il lui est inopposable.
Contrairement à ce que soutient Madame [T] [U], le premier juge n'a absolument pas méconnu le dispositions de l'article 16 du Code de Procédure Civile.
Sur les dispositions de l'article L 521-2 du Code de la Construction et de l'Habitation et sur le rappel des loyers prétendument indus.
Madame [T] [U] invoque les dispositions de l'article L 521-2 du Code de la Construction et de l'Habitation pour solliciter le remboursement des loyers qu'elle a versées, reprochant ainsi au premier juge qui l'a déboutée de cette demande, une appréciation erronée des éléments de fait et de droit de la cause.
L'article L 521-2 du Code de la Construction et de l'Habitation dispose que 'pour les locaux visés par une déclaration d'insalubrité prise en application des articles L 1331-25 et L 1331-28 du Code de la santé publique ou par une arrêté de péril..., le loyer en principal.....cesse d'être dû à compter du premier jour du mois qui suit l'envoi de la notification de l'arrêté ou son affichage à la mairie et sur la façade de l'immeuble, jusqu'au premier jour qui suit l'envoi de la notification ou l'affichage de l'arrêté de mainlevée de l'insalubrité...'.
En l'espèce, un arrêté d'insalubrité a été pris par le Préfet de la région d'Ile de France le 2 mars 2000 concernant l'immeuble sis à [Adresse 2].
Monsieur [C] [Q] a consenti le bail portant sur les locaux litigieux à Madame [T] [U] par Madame [I] le 5 juillet 2000 alors qu'il avait acquis le bien par acte authentique en date du 28 avril 2000, soit postérieurement à l'arrêté d'insalubrité remédiable.
La preuve n'est pas rapportée que cette décision administrative ait été notifiée à Monsieur [Q], ni même que ce dernier en ait eu simplement connaissance : l'acte authentique de vente faisant référence à l'absence d'interdiction d'habiter ou d'injonction de travaux, ne mentionne à nul endroit l'existence de cet arrêté qui n'a pas été à l'évidence signalé par les vendeurs. Son affichage à la mairie et sur la façade de l'immeuble n'est pas davantage démontré.
Le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a dit que cet arrêté d'insalubrité du 2 mars 2000 n'est pas opposable à Monsieur [Q] et en ce qu'en application des dispositions de l'article L 521-2 du Code de la Construction et de l'Habitation, il a jugé que le bailleur n'est pas tenu à remboursement. Madame [U] doit donc être déboutée de sa demande de remboursement des loyers d'ores et déjà payés.
Sur le caractère indécent du logement.
Madame [T] [U] invoque les dispositions de l'article 6 de la loi du 6 juillet 1989 pour prétendre que Monsieur [Q] ne lui aurait pas délivré un logement décent et pour solliciter en conséquence la somme de 20 000 € à titre de dommages-intérêts, toutes causes de préjudices confondues.
Aux termes de l'article 6 alinéa 1er de la loi du 6 juillet 1989, 'le bailleur est tenu de remettre au locataire un logement décent ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé et doté des éléments le rendant conforme à l'usage d'habitation'
L'article 2 du décret du 30 janvier 2002 énonce les conditions auxquelles le logement décent doit satisfaire.
Or, il résulte des pièces versées aux débats que les conditions visées aux dispositions des articles précités ne sont pas réunies en l'espèce.
D'une part, il est établi et non contesté que d'importants travaux ont été réalisés par Monsieur [C] [Q] avant la prise de possession des lieux le 5 juillet 2000 : c'est ainsi qu'est produite aux débats, une facture établie par la société JMD le 23 juin 2000 pour un montant total de 16 590 € (108 823,25 francs) portant sur la fourniture et la pose de quatre fenêtres PVC, la réfection totale de la cuisine (création d'un bar américain, la fourniture et la pose de faïence, la fourniture et la pose d'une ligne électrique), la réparation du parquet de l'entrée, la fourniture et la pose d'un nouveau compteur électrique, la réfection totale de la salle de bain, la mise en peinture de l'appartement , le ponçage et la vitrification du parquet.
L'état des lieux contradictoire en date du 11 juillet 2000 également versé aux débats mentionne que l'ensemble des éléments d'équipement est en bon état.
D'autre part, il n'est pas contesté que le propriétaire bailleur a fait réaliser des travaux dans l'appartement chaque fois que cela était nécessaire et dans des délais tout à fait raisonnables et notamment en septembre 2000 à la suite d'un problème d'infiltrations d'eau auquel il a été mis un terme après l'intervention du propriétaire et à l'occasion duquel Madame [U] a indiqué que le logement lui est très agréable.
En définitive, ce n'est qu'après avoir eu connaissance de l'arrêté d'insalubrité remédiable en 2007 que Madame [U] s'est plainte pour la première fois du caractère indécent du logement.
Pour autant, il est établi qu'elle a ultérieurement souffert nécessairement des travaux réalisés par la copropriété sur une longue période de près de dix ans, au cours de laquelle l'immeuble a été pratiquement inhabité. Ces travaux portant sur les parties communes de l'immeuble, ont généré divers préjudices dont notamment une augmentation de ses frais de chauffage liée à l'absence de chauffage des autres occupants de l'immeuble ainsi que diverses nuisances.
Contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, le propriétaire bailleur est tenu d'indemniser Madame [T] [U] de ces différents préjudices dont la Cour dispose des éléments suffisants pour le chiffrer à la somme mensuelle de 50 €, soit à la somme annuelle de 600 €. Monsieur [D] [R] doit donc être condamné à lui verser la somme de 6 000 € à titre de dommages-intérêts toutes causes de préjudice confondues pour la période de nuisances. Le jugement déféré sera donc infirmé sur ce point.
Sur les demandes reconventionnelles de Monsieur [D] [R].
Sur la demande en paiement de l'arriéré locatif.
Madame [T] [U] doit être condamnée à verser à Monsieur [D] [R] la somme de 30 863,98 € au titre de l'arriéré locatif justifié par le décompte versé aux débats qui n'est pas sérieusement contesté par la locataire.
Sur la demande de résiliation du bail.
Monsieur [D] [R] doit être déclaré irrecevable en sa demande de résiliation de bail et ses demandes subséquentes comme étant nouvelles en cause d'appel.
Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive.
L'appel interjeté par Madame [T] [U] ne présente pas les caractéristiques d'un appel abusif, celle-ci n'étant pas animée d'une véritable intention de nuire et n'ayant pas fait preuve d'une particulière légèreté blâmable. Monsieur [D] [R] doit donc être débouté de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Sur la demande de délais formée par Madame [T] [U].
Madame [T] [U] se borne à solliciter des délais sans expliquer cette demande, ni la justifier. Elle doit en être déboutée.
Sur les dépens et l'application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Succombant partiellement en son recours, Madame [T] [U] sera condamnée aux dépens d'appel et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés, les dispositions prises sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance étant confirmées.
L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile en faveur de parties au titre des frais de procédure exposés en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Rejette les exceptions d'irrecevabilité soulevées in limine litis par Monsieur [D] [R].
Déboute Monsieur [R] de sa demande tendant à voir écarter des débats; l'ensemble des pièces communiquées par Madame [U].
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté Madame [T] [U] de sa demande de dommages-intérêts.
Statuant à nouveau
Condamne Monsieur [D] [R] à verser à Madame [T] [U] la somme de 6 000 € à titre de dommages-intérêts.
Y ajoutant.
Condamne Madame [T] [U] à verser à Monsieur [D] [R] la somme de 30 863,98 € au titre de l'arriéré locatif selon décompte arrêté au 31 mars 2014.
Prononce la compensation entre le montant des condamnations réciproques des parties.
Déboute Madame [T] [U] de sa demande de délais.
Déclare Monsieur [D] [R] irrecevable en sa demande de résiliation du bail et ses demandes subséquentes comme étant nouvelles en cause d'appel.
Déboute Monsieur [D] [R] de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Déboute les parties de leur demande formée sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Condamne Madame [T] [U] aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT