Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 1
ARRET DU 23 SEPTEMBRE 2014
(n° , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 12/21810
Décision déférée à la Cour : Recours en annulation d'une Sentence du 5 Septembre 2012 rendue sous l'égide de la Cour Internationale d'Arbitrage de la CCI de PARIS, par un arbitre unique, Monsieur [L] [K] [X]
DEMANDERESSE AU RECOURS :
Société GENENTECH INC. Société de droit américain
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 1]
[Adresse 3]
ETAS UNIS
représentée par Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN-DE MARIA - GUERRE, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : L0018
assistée de Me Emmanuel GAILLARD et de Me Elie KLEIMAN, avocats plaidant du barreau de PARIS, toque : J 006 et J 007
DÉFENDERESSES AU RECOURS :
Société HOECHST GMBH société de droit allemand
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 1]
ALLEMAGNE
représentée par Me Alain FISSELIER de la SCP AFG, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : L0044
assistée de Me Amet VAN HOOFT et de Me Marion BARBIER, avocats plaidant du barreau de PARIS, toque : R 255
Société COMPANY SANOFI-AVENTIS DEUTSCHLAND GMBH société de droit étranger exerçant sous l'enseigne GMBH
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 1]
ALLEMAGNE
représentée par Me Alain FISSELIER de la SCP AFG, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : L0044
assistée de Me Amet VAN HOOFT et de Me Marion BARBIER, avocats plaidant du barreau de PARIS, toque : R 255
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 17 juin 2014, en audience publique, le rapport entendu, devant la Cour composée de :
Monsieur ACQUAVIVA, Président
Madame GUIHAL, Conseillère
Madame DALLERY, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Madame PATE
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur ACQUAVIVA, président et par Madame PATE, greffier présent lors du prononcé.
Suivant convention signée le 6 août 1992, la société de droit allemand Behringwerke AG (« Behringwerke ») spécialisée dans les biotechnologies, aux droits de laquelle vient la société de droit allemand Hoescht, a concédé, avec effet rétroactif au 1er janvier 1991, à la société Genentech, société de droit du Delaware (Etats-Unis d'Amérique) une licence non exclusive mondiale pour l'utilisation de l'activateur des systèmes d'expression eucaryotique HCMV lequel était destiné à permettre d'accroître l'efficacité du processus cellulaire utilisé pour la fabrication de protéines.
Cette technologie a donné lieu à la délivrance de plusieurs brevets d'une part le 22 avril 1992 d'un brevet européen n° EP 0173 177 53 (EP 177) ultérieurement annulé le 12 janvier 1999 par l'Office européen des brevets pour défaut de nouveauté d'autre part le 15 décembre 1998 d'un brevet américain n° 5,849,522 enfin le 17 avril 2001 d'un brevet américain n°6,218,140.
Cet accord permettait à Genentech d'utiliser l'activateur HCMV, en vue de fabriquer et utiliser des protéines à des fins de recherches, celle-ci s'engageant, en contrepartie, aux termes de l'Article 3.1 de l'Accord, à payer à Behringwerke d'une part une redevance unique de 20.000 DM à titre de frais d'émission de la licence, non-remboursable d'autre part une redevance à des fins de recherches annuelle fixe minimum à hauteur de 20.000 DM.
Par ailleurs, cette convention autorisait également Genentech en contrepartie 'des redevances courantes à hauteur d'un demi pour cent (0.5%) des ventes nettes de produits finis par le licencié, et ses sociétés affiliées et sous-licenciés' à 'fabriquer, utiliser et vendre les produits sous Licence, identifiés par le licencié avant leur fabrication, en quantités commerciales', les produits sous licence désignant aux termes de l'accord 'les matériels (y compris les organismes) dont la fabrication, l'utilisation ou la vente contreferait, en l'absence du présent accord, une ou plusieurs revendications non expirées comprises dans les droits attachés aux brevets sous licence' et les produits finis s'entendant 'des marchandises commercialement négociables incorporant un produit sous licence, vendues sous une forme permettant d'être administrée aux patients pour un usage thérapeutique ou utilisée dans le cadre d'une procédure de diagnostic et qui ne visent pas ni ne sont commercialisées en vue d'une nouvelle formulation, d'un traitement, d'un remballage ou ré-étiquetage avant leur utilisation'.
Cette dernière redevance n'a jamais été versée par Genentech.
Par lettre de son conseil du 30 juin 2008, Sanofi-Aventis Deutschland, filiale de Hoechst, a invité Genentech à lui faire part de ses observations, des informations publiques sur les recherches développées par cette dernière étant de nature à lui laisser penser qu'elle commercialisait des produits finis utilisant les matériaux et processus brevetés, ouvrant droit au paiement des redevances prévues par l'accord de licence.
Par lettre du 27 août 2008, Genentech a notifié à Sanofi-Aventis Deutschland sa décision de résilier l'accord de licence à effet du 27 octobre 2008, conformément aux dispositions de l'article 8.3 du dit accord.
C'est dans ces conditions que le 24 octobre 2008, Hoechst, considérant que Genentech avait utilisé l'activateur du CMV sous licence dans la synthèse recombinante des protéines afin de fabriquer le Rituxan et d'autres médicaments et n'ayant pas payé les redevance courantes sur la vente de tous ces médicaments avait violé le contrat de licence, a, conformément à la clause compromissoire stipulée à l'article 11 de l'Accord de licence, formé une Requête en arbitrage contre Genentech auprès de la Cour internationale d'arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale (« CCI »).
Le 2 juillet 2009, la Cour internationale d'arbitrage de la CCI a, sur proposition du comité national suisse, désigné Monsieur [L] [K] [X] comme Arbitre unique.
L'Acte de mission a été signé le 16 août 2009 par les deux parties et l'Arbitre unique.
Sanofi Deutschland, ayant dans l'intervalle, saisi le 27 octobre 2008, le tribunal fédéral du district est du Texas d'une plainte pour contrefaçon des brevets en cause à l'encontre de Genentech et de Biogen Idec, lesquelles avaient elles-mêmes agi le même jour en nullité des brevets sous licence devant le tribunal fédéral du district nord de Californie, les deux procédures étant finalement jointes devant la juridiction californienne, Genentech a sollicité la suspension de l'arbitrage, motif pris de l'existence d'une litispendance.
Cette demande a été rejetée par l'Arbitre aux termes d'une première sentence partielle rendue à Paris le 26 mars 2010 qui a également écarté les moyens tirés de l'inarbitrabilité du litige et de la nullité de la convention d'arbitrage.
Par jugement du 11 mars 2011, le tribunal fédéral du district nord de Californie a décidé que le Rituxan ne constituait pas une contrefaçon des brevets en cause. Cette décision a été confirmée le 22 mars 2012 par la cour d'appel des Etats-Unis pour le circuit fédéral et est devenue irrévocable.
Dans une deuxième sentence partielle rendue à Paris le 9 juin 2011, l'arbitre unique a fait droit à la demande de Hoescht tendant à la communication des rapports financiers relatifs au Rituxan, produit fabriqué par la société Genentech et argué par Hoescht de constituer une contrefaçon des revendications des brevets américains sous licence visés dans l'Accord de Licence de Brevets, sans pour autant prononcer dans son dispositif sur la responsabilité de Genentech.
Dans une troisième sentence partielle rendue à Paris le 5 septembre 2012, l'arbitre unique a retenu la responsabilité de Genentech quant au Rituxan et aux autres produits ayant les mêmes propriétés, a condamné celle-ci à payer à Hoescht la somme de 391.420,36 euros plus 293 565,27 US dollars relativement à ses frais de représentation, du 9 juin 2011 au jour de la sentence, excepté les frais concernant l'évaluation du quantum et a réservé les décisions portant sur l'évaluation du quantum, sur tous les frais de l'arbitrage, sur les frais de représentation déjà engagés pour l'évaluation du quantum jusqu'au jour de la sentence et sur tous les frais de représentation future des parties.
L'arbitre a, en effet, considéré l'objet commercial du contrat interprété selon l'article 242 du code civil allemand lequel était d'éviter tout procès sur la validité des brevets américains pendant la durée de validité du contrat de licence et estimé en conséquence que les parties avaient prévu que 'pendant que le contrat de licence était en vigueur, des redevances courantes soient dues sur la base de la fabrication du Rituxan même si, dans le pays de fabrication, le brevet de fabrication pour le Rituxan s'avérait nul par la suite, et donc si la fabrication de Rituxan s'avérait ne pas avoir contrefait le brevet local au sens du droit des brevets du pays de délivrance et de fabrication'.
Un recours en annulation a été introduit le 10 décembre 2012 contre la troisième sentence partielle du 5 juin 2012. (RG n°12/21810)
Par ordonnance du 3 octobre 2013, le conseiller de la mise en état a conféré l'exequatur à cette dernière sentence.
Vu les conclusions signifiées le 27 mars 2014 par RPVA par la société Genentech qui demande à la Cour de :
* A titre principal :
- prononcer l'annulation de la Troisième Sentence Partielle rendue le 5 septembre 2012 ;
- prononcer l'annulation de la Sentence Finale rendue le 25 février 2013 ;
- prononcer l'annulation de l'Addendum rendu le 22 mai 2013 ;
- le cas échéant, poser la question suivante à la Commission européenne : « La Commission européenne pourrait-elle clarifier si les principes prévus aux paragraphes 81 et 156 de la Communication de la Commission du 27 avril 2004 intitulée Lignes directrices concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3 du Traité CE aux accords de transfert de technologie (OJ 2004/C 101/2) trouvent également à s'appliquer dans l'hypothèse où un accord de licence de brevets est interprété comme mettant à la charge du licencié une obligation de payer des redevances si la technologie brevetée n'est pas utilisée dans ses produits, c'est-à-dire si ses produits ne contrefont pas les revendications des brevets sous licence ' une telle interprétation est-elle dans ce cas restrictive de concurrence au sens de l'article 101 TFUE' »
* A titre subsidiaire :
- prononcer l'annulation partielle de la Sentence Finale rendue le 25 février 2013 et de l'Addendum rendu le 22 mai 2013 s'agissant des paragraphes relatifs au paiement d'un taux d'intérêt qui n'existe pas.
* En tout état de cause :
- rejeter les demandes de Hoechst GmbH dans leur ensemble, en ce compris la demande tendant à ce que les Parties soient renvoyées devant l'Arbitre Unique dans l'hypothèse où les Sentences seraient annulées ;
- rejeter la demande de Hoechst GmbH tendant au paiement de la somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner Hoechst GmbH au paiement de la somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Vu les conclusions signifiées le 29 avril 2014 par RPVA par les sociétés Hoescht GmbH et Sanofi GmbH qui demandent à la Cour de :
- rejeter irrecevables et en tout cas mal fondés les recours en annulation formé par Genentech à l'encontre de la troisième sentence partielle en date du 5 septembre 2012, de la quatrième Sentence partielle ou sentence finale en date du 22 février 2013 et de l'addendum à la sentence finale en date du 22 mai 2013.
- à titre infiniment subsidiaire et si par impossible une annulation partielle voire totale de l'une ou de plusieurs de ces Sentences était prononcée, renvoyer les parties devant l'arbitre unique [L] [X] afin qu'il se prononce à nouveau sur les questions restant à trancher en l'état de la première et de la deuxième Sentence aujourd'hui définitives et le cas échéant des sentences ultérieures telles qu'elles subsisteront à l'issue de l'arrêt à intervenir.
- condamner Genentech au paiement de la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
SUR QUOI,
- Sur le moyen d'annulation tiré de la violation de l'ordre public international (article 1520 5° du Code de procédure civile)
Genentech fait valoir que l'Accord de licence ne prévoyait le paiement de redevances qu'en cas de contrefaçon en sorte que la décision de l'arbitre unique qui la condamne à ce titre sans constater aucune contrefaçon de brevet, viole le droit européen de la concurrence et spécialement l'article 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne, dans la mesure où fabriquant le rituximab, un composé actif du Rituxan, commercialisé sur le territoire de l'Union Européenne (Allemagne, France, Italie), la restriction qui en résulte a un effet direct sur le courant d'échanges entre les Etats membres.
Il est soutenu en effet que puisque selon la jurisprudence de la CJUE, des redevances ne peuvent être versées à un licencié pour l'usage d'une invention qui ne constitue pas une contrefaçon de brevet, la sentence viole le droit européen de la concurrence en condamnant Genentech au paiement de redevances sans constater une quelconque contrefaçon de brevet, lui imposant de supporter pour une technologie non brevetée et accessible sans restriction, des dépenses injustifiées, en contravention du principe de la libre concurrence.
Considérant qu'il est soutenu par la recourante qu'en l'obligeant au paiement de redevances sans constater aucune contrefaçon alors qu'aux termes mêmes du contrat le licence, celles-ci n'étaient dues que pour des produits dont la fabrication, l'utilisation ou la vente contreferaient, en l'absence de cet accord, une plusieurs revendications non expirées comprises dans les droits attachés aux brevets sous licence, la sentence qui lui impose des dépenses injustifiées, en contravention du droit de la concurrence, heurte l'ordre public international ;
Considérant qu'aux termes de l'accord de licence conclu le 6 août 1992 la société de droit allemand Behringwerke AG (« Behringwerke ») spécialisée dans les biotechnologies, aux droits de laquelle vient la société de droit allemand Hoescht, a concédé, avec effet rétroactif au 1er janvier 1991, à la société Genentech, une licence non exclusive mondiale pour l'utilisation de l'activateur des systèmes d'expression eucaryotique HCMV ;
qu'il résulte expressement de l'exposé liminaire de cette convention que Genentech a souhaité prendre sous licence les droits attachés aux brevets déposés par Behringwerke relatifs à un activateur des systèmes d'expression eurocaryotique dont celui-ci était le seul licencié exclusif;
que cet accord mentionne expressément que sous réserve d'une résiliation anticipée, les licences concédées resteront en vigueur 'jusqu'à l'expiration des derniers droits attachés aux brevets sous licence dans chaque pays' ;
que par ailleurs, l'accord de licence définit les produits sous licence comme désignant'les matériels (y compris les organismes) dont la fabrication, l'utilisation ou la vente contreferait, en l'absence du présent accord, une ou plusieurs revendications non expirées comprises dans les droits attachés aux brevets sous licence' et les produits finis comme s'entendant 'des marchandises commercialement négociables incorporant un produit sous licence..' ;
Considérant que les parties ont stipulé que l'accord de licence serait interprété et exécuté conformément au droit de la République Fédérale d'Allemagne dont il n'est pas contesté qu'il autorise le concédant à réclamer au licencié jusqu'à la résiliation du contrat, des redevances nononbstant l'annulation ultérieure des brevets auxquels étaient attachés les droits concédés ;
que la sentence arbitrale ayant fait application du contrat et considéré que durant la période de validité de celui-ci, le licencié était tenu du paiement des redevances stipulées conventionnemment alors même que l'annulation des brevets a un effet rétroactif, se trouve ainsi posée la question de savoir si un tel contrat contrevient aux dispositions de l'article 81 du Traité devenu l'article 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne comme faussant le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché intérieur en ce que soumettant le licencié à paiement de redevances dépourvues de cause par l'effet de l'annulation des brevets attachés aux droits concédés, il inflige à celui-ci un désavantage dans la concurrence ;
qu'il convient, en conséquence, de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne aux fins de répondre à la question préjudicielle énoncée au dispositif du présent arrêt et de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice se soit prononcée ;
PAR CES MOTIFS,
Avant dire droit,
Renvoie à la Cour de justice de l'Union européenne aux fins de répondre à la question suivante:
'Les dispositions de l'article 81 du Traité devenu l'article 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne doivent-elles interprétées comme faisant obstacle à ce qu'il soit donné effet, en cas d'annulation des brevets, à un contrat de licence qui met à la charge du licencié des redevances pour la seule utilisation des droits attachés aux brevets sous licence' ;
Sursoit à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice se soit prononcée ;
Dit que l'affaire sera retirée du rôle et rétablie à la demande de la partie la plus diligente dès la survenance de l'événement sus-visé ;
Réserve les dépens.
LA GREFFIERE LE PRESIDENT