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24/09/2014 | FRANCE | N°10/10834

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 24 septembre 2014, 10/10834


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6



ARRÊT DU 24 Septembre 2014

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/10834 MPDL



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 07 Octobre 2010 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage de CRETEIL section RG n° 07/00476





APPELANTE

Madame [R] [D] épouse [S]

[Adresse 2]

[Localité 1]

comparante en personne,
>assistée de Me Avi BITTON, avocat au barreau de PARIS, toque : E1060 substitué par Me Laetitia LENCIONE, avocat au barreau de PARIS, toque : E 1060





INTIMEE

Société ALMA SERVICES

[Adres...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRÊT DU 24 Septembre 2014

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/10834 MPDL

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 07 Octobre 2010 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage de CRETEIL section RG n° 07/00476

APPELANTE

Madame [R] [D] épouse [S]

[Adresse 2]

[Localité 1]

comparante en personne,

assistée de Me Avi BITTON, avocat au barreau de PARIS, toque : E1060 substitué par Me Laetitia LENCIONE, avocat au barreau de PARIS, toque : E 1060

INTIMEE

Société ALMA SERVICES

[Adresse 1]

[Localité 1]

représentée par Me Blaise DELTOMBE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0108 substitué par Me Sophie BURY, avocat au barreau de PARIS, toque : L0215

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 10 Juin 2014, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Marie-Pierre DE LIÈGE, Présidente

Madame Catherine BRUNET, Conseillère

Monsieur Thierry MONTFORT, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier : Mme Nora YOUSFI, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Marie-Pierre DE LIÈGE, Président et par Monsieur Bruno REITZER, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Les faits

Mme [R] [S] a été engagée le 1er janvier 1984 suivant contrat à durée indéterminée, par la Société ALMA Services, au sein de laquelle elle occupait en dernier lieu des fonctions de secrétaire de direction, statut cadre .

Par LRAR du 20 décembre 2006 l'employeur lui notifiait un avertissement.

Par courrier du 29 décembre 2006 elle était convoquée à un entretien préalable à licenciement fixé au 15 janvier 2007, avec mise à pied à titre conservatoire.

Par courrier du 8 février 2007, Mme [R] [S] était licenciée pour faute lourde

Mme [R] [S] saisissait alors le conseil de prud'hommes de Créteil le 7 mars 2007.

Celui-ci par jugement du 7 octobre 2010, section encadrement, statuant en formation de départage, retenait une faute lourde et, déboutant Mme [R] [S] de l'ensemble de ses demandes la condamnait à payer à la Société ALMA Services 30 000 € de dommages et intérêts en réparation du préjudice matériel supporté par l'entreprise et 1200 € en application de l'article 700 .

Mme [R] [S] a régulièrement formé le présent appel contre cette décision.

Elle soutient tout d'abord un harcèlement moral qu'elle dit avoir subi et demande en conséquence la nullité de son licenciement.

Sur le fond, elle conteste l'ensemble des griefs qui lui sont faits et conclut à un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Elle demande à la Cour d'infirmer le jugement du 7 octobre 2010 pour,

à titre principal, constater la nullité du licenciement et condamner la Société ALMA Services à verser à Mme [R] [S] les sommes suivantes :

-59 260 € d'indemnité conventionnelle de licenciement,

-14 625 € d'indemnité de préavis, congés payés de 10 % en sus,

-146 250 € de dommages-intérêts pour licenciement nul (30 mois de salaire),

-6224,88 euros de salaire pour la mise à pied conservatoire, congés payés afférents en sus

- 1800 € au titre du droit individuel à la formation.

À titre subsidiaire, elle demande à la cour de dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et de condamner l'employeur aux mêmes sommes,

En tout état de cause, elle sollicite un ensemble de sommes :

- 9750 € (deux mois de salaire de dommages-intérêts pour procédure à caractère vexatoire

- 4875 € pour procédure de licenciement irrégulière,

- 9750 € de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de résultats du fait du harcèlement moral,

- 9750 € de dommages-intérêts pour absence de suivi médical,

- 1792,32 euros pour manquements dans le montant des précomptes de la mutuelle Pro BTP durant les cinq années non prescrites.

Elle demande également à la Cour de constater les manquements dans les montants déclarés à la caisse de retraite complémentaire au cours des cinq années non prescrites et d'ordonner à la Société ALMA Services de procéder aux déclarations rectificatives auprès des organismes de retraite.

Elle sollicite 3060 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, la remise de documents sociaux rectifiés et intérêts au taux légal à compter de l'acte introductif d'instance avec capitalisation par année entière.

La Société ALMA Services a formé appel incident. Elle demande à la Cour,

à titre principal, de confirmer le jugement,

à titre subsidiaire, de dire que le licenciement de Mme [R] [S] repose à tout le moins sur une faute grave et de la débouter de ses entières demandes

à titre plus subsidiaire, de dire que le licenciement repose à tout le moins sur une cause réelle et sérieuse et de débouter la salariée de sa demande de dommages et intérêts formulée à ce titre,

en tout état de cause,

-dire que Mme [R] [S] n'a pas subi de harcèlement moral et la débouter de sa demande de dommages-intérêts,

-dire qu'elle ne justifie pas de sa demande de remboursement de précompte de mutuelle, la débouter de sa demande à ce titre,

subsidiairement, cantonner les sommes réclamées aux cinq dernières années.

L'entreprise compte plus de 11 salariés.

Le salaire brut moyen mensuel de Mme [R] [S] sur les 12 derniers mois de sa collaboration était de 4875 € par mois.

La convention collective des cadres du bâtiment de la région parisienne était applicable à cette relation.

Les motifs de la Cour

Vu le jugement du conseil de prud'hommes, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties, soutenues oralement à l'audience, auxquels il convient de se référer pour plus ample information sur les faits, les positions et prétentions des parties.

Il ressort du dossier des débats les faits constants suivants :

-du 1er janvier 1984 jusqu'au 27 octobre 2006, les relations de travail se sont déroulées, sans aucun incident précis rapporté, la salariée connaissant une bonne progression de carrière, étant en dernier lieu secrétaire de direction statut cadre, également chargée de participer à la tenue de la comptabilité de la Société ALMA Services (saisie des écritures courantes, partenariat avec le cabinet d'expertise comptable)

-le 25 avril 2005 M. [E] le responsable de la Société ALMA Services, y faisait entrer sa fille Mme [Z] [E].

-dès l'été 2006, la Société ALMA Services rencontrait un certain nombre de difficultés financières, qui sont évoquées par les deux parties,

-Le 27 octobre 2006 un courrier en lettre recommandée avec avis de réception, réitérant une première lettre datée du 28 septembre 2006 qui n'aurait pas été reçue par la salariée, était adressé par l'employeur à Mme [R] [S], faisant état d'un certain nombre de dysfonctionnements et du non-respect des consignes : réalisation par Mme [R] [S] du virement correspondant à son salaire « en dépit des consignes données par l'employeur qu'il effectuerait personnellement les règlements des salaires, charges et autres règlements en fonction des rentrées financières du mois d'août sur les comptes bancaires appropriés » ; modification des codes d'accès bancaire de sa propre initiative les rendant inaccessibles à l'employeur et sans en référer le 20 septembre 2006 à la suite d'une demande de précision quant à un compte bancaire de l'entreprise, réponse de la salariée selon laquelle les comptes de 2005 n'étant pas clôturés, elle ne pouvait réaliser les rapprochements bancaires .

L'employeur lui demandait donc de bien vouloir respecter les consignes qu'il lui donnait et de ne pas prendre de décisions qui dépassaient ses prérogatives ainsi que de réaliser conformément aux instructions reçues, les tâches qui lui étaient confiées.

- le 16 décembre 2008 la salariée adressait à son employeur un courrier dans lequel Mme [R] [S] , contestait avoir « sciemment » omis de porter sa propre domiciliation bancaire, sur les documents transmis à son employeur pour permettre à celui-ci de faire procéder aux ordres de virement pendant le mois d'août, selon un procédé non utilisé habituellement et risqué selon elle, les transmissions se faisant par télécopie ; la salariée affirmait qu'après avoir essayé vainement de joindre son employeur au bureau plusieurs fois elle avait finalement contacté la banque qui lui avait dit soit de transmettre un RIB par télécopie soit d'effectuer un nouvel ordre de virement isolé, solution qu'elle a adoptée.

Elle confirmait également qu'elle avait modifié les codes bancaires, à la demande de la banque et comme cela était pratiqué depuis que les comptes sont en ligne, tous les trois mois, à titre de mesure de sécurité, faute de quoi en absence de modification du code la consultation des comptes devenait impossible. Après avoir également répondu aux griefs relatifs aux rapprochements bancaires confirmant qu'ils ne pouvaient être réalisés officiellement tant que l'exercice précédent n'est pas clôturé, affirmant que la gestion du compte courant de son employeur n'avait pas changé depuis des années, celui-ci ayant la maîtrise de l'affectation définitive des écritures ... la salariée se plaignait, enfin, d'un changement radical de son employeur à son encontre, depuis l'entrée de sa fille dans la Société ALMA Services, changement constitutif selon elle de harcèlement moral, entraînant une dégradation de ses conditions de travail, compte tenu de l'attitude adoptée par le dirigeant : non transmission d'informations, critiques systématiques, absence de respect, retour négatif aux tierces personnes'.

-La salariée, en dernier lieu, Mme [R] [S] se plaignait en ces termes : « Mme [Z] [E] a cru devoir indécemment « faire profiter » à tous de ses conversations privées avec principalement un BVDH » ; elle citait ensuite plusieurs extraits de conversation entre ce correspondant et la fille de son employeur, critiquant dans des termes peu choisis l'attitude d'autres salariés et visant, encore plus désagréablement Mme Mme [R] [S], Mme [Z] [E] écrivant, à propos de son père:

« -viens de m'engueuler grave avec mon père à cause du tchat, ça a gueulé dans tout alma et il est parti en claquant la porte en me disant que je n'avais pas besoin d'être en tchat avec toi »

La salariée citait ensuite d'autres échanges la concernant directement :

([Z]) :«  [R] fait des rondes comme d'hab' »

l'autre : « et kan bien même elle te surveillerait va pisser sur son bureau elle comprendra qu'il ne faut pas t'emmerder ».... « j'ai la soluce à votre probl une quinzaine de jours de nanar avec la [R] et non Lamartine et elle se colle en dépression »

[Z] : « j'aimerais trop ».... »mon père pense qu'elle y est déjà' en dépression »

L'autre : « pour deux piges si elle ne se suicide avant' ».... »quand je viens je lui pète la tronche »

Mme [R] [S] ajoutait dans le courrier à son employeur: « pour ma part je ne connais pas la raison de ce comportement' En ce qui vous concerne, votre attitude n'est aucunement fondée, je crois avoir démontré depuis maintenant plus de 20 ans que j'ai toujours travaillé dans l'intérêt de la Société ALMA Services, sans jamais désarmer malgré des situations démotivantes récurrentes et sans jamais compter les heures' »

Le 20 décembre l'employeur adressait à Mme [R] [S] un courrier d'avertissement dans lequel il lui disait : «' Suite à l' altercation du lundi 11 décembre 2006 je ne peux que vous confirmer mon total désaccord quant à l'attitude totalement inadmissible, aussi bien dans la manière que dans l'état d'esprit, que vous avez adoptée depuis plusieurs semaines à l'encontre de la Société ALMA Services qui vous emploie, de son dirigeant et quant à vos prérogatives et obligations révélées définitivement ce jour-là'.

L'employeur reprochait ensuite à Mme [R] [S] ses retards à réunir les documents et courriers qu'il lui demandait depuis plusieurs semaines dans la perspective d'une rencontre avec la BTP banque fixée le 21 décembre, indiquait que, vu la taille de l'entreprise la plupart des informations restaient verbales, lui reprochait d'avoir affiché ses demandes écrites dans le cahier des appels téléphoniques consultables par tous, alors qu'il s'agissait de documents confidentiels, ce qui caractérisait selon l'employeur une démarche préjudiciable et volontaire de manifestation, d'opposition et de dénigrement , au mépris de ses obligations et devoirs eu égard à son statut.

L'employeur ajoutait « je ne saurais tolérer davantage votre comportement diffamatoire, votre action déstabilisatrice au sein de l'entreprise ainsi que votre opposition systématique à votre hiérarchie' Je vous prie de considérer cette lettre comme un premier avertissement' »

Mme [R] [S] qui devait théoriquement être en congé venait à l'entreprise le 29 pour travailler.

9 jours après l'avertissement l'employeur convoquait Mme [R] [S] à un entretien préalable à licenciement avec mise à pied conservatoire.

Le 8 février 2007 elle était licenciée pour faute lourde

Dans les mois qui suivaient, les parties échangeaient plusieurs courriers tant au sujet du bien-fondé du licenciement que de la conformité des documents délivrés par l'employeur, pendant ou après la rupture du contrat de travail, demandes pour la plupart aujourd'hui reprises la salariée dans la dernière partie du « par ces motifs »de ses conclusions.

Sur le harcèlement moral

L'article L 1222-1 du code du travail dispose que' le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi'. Par ailleurs l'article L1152-1 du même code précise qu'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel'.

Le juge doit appréhender les faits dans leur ensemble et rechercher s'ils permettent de présumer l'existence du harcèlement allégué .

Dès lors que le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Mme [R] [S] soutient que l'arrivée de la fille de M. [I] [E] au sein de la Société ALMA Services a dégradé ses conditions de travail, dans des conditions constitutives de harcèlement moral émanant tout à la fois de son employeur et de sa fille.

Elle rappelle au titre du harcèlement moral les termes de la lettre adressée par la Société ALMA Services le 27 octobre 2006, tout en soutenant, ce qui n'est pas utilement contredit par l'employeur, elle n'avait jamais reçu la première lettre datée du 28 septembre 2006. Elle présente, à tort , ce courrier comme un « avertissement », alors que celui-ci ne constitue à la lecture, qu'une simple, mais précise, mise en garde, sans caractère disciplinaire.

Les explications que Mme [R] [S] apporte dans sa lettre en réponse datée du 16 décembre 2006, démontrent, effectivement, des tensions et des dysfonctionnements au sein de l'entreprise, situation par ailleurs fréquente quand une entreprise rencontre des difficultés économiques.

L'évocation par la fille de l'employeur d'une éventuelle « dépression» de Mme [R] [S], et les réponses formulées par son interlocuteur, bien que fort désagréables, voire clairement vulgaires, s'apparentent davantage à des blagues de mauvais goût qu'à une stratégie délibérée de l'employeur, même si celui-ci n'a jamais nié que Mme [Z] [E] avait tenu de tels propos.

Aucune preuve concrète et précise n'est rapportée du changement brutal d'attitude du dirigeant invoqué par Mme [R] [S] dans son courrier du 16 décembre 2006,

D'autre part, les pièces médicales produites par la salariée font apparaître qu'elle a été sous traitement, antidépresseur, dès la fin du mois de mai 2006.

Ces incidents, pour désagréables mais également vraisemblablement annonciateurs d'une aggravation des tensions apparues manifestement assez brutalement entre Mme [R] [S] et son employeur depuis 23 ans, sont également le signe d'une absence, relativement récente, de bonne foi dans l'exécution du contrat de travail.

Ils sont cependant insuffisants à caractériser des agissements répétés constitutifs de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé, ce qui n'a d'ailleurs pas été plaidé en première instance.

Cependant, aux termes de l'article 1152-2 du code du travail « aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire' pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés».

Or en l'espèce, vu l'enchaînement extrêmement resserré entre le courrier du 16 décembre 2006 de la salariée qui relatait ce qu'elle considérait comme des faits de harcèlement moral et contestait les faits qui lui sont reprochés , l'avertissement envoyé par l'employeur du 20 décembre 2006, puis la convocation à entretien préalable pour licenciement du 29 décembre2006, même si après cette convocation mais également après l'entretien préalable, les motifs du licenciement ont été «étoffés », la Cour considère que les circonstances établissent un lien évident entre le fait pour la salariée d'avoir relaté des agissements qui constituaient selon elle un harcèlement moral, et le licenciement engagé moins de 15 jours plus tard par l'employeur.

En effet, si les allégations de la salariée ne sont pas retenues par la cour comme constitutives d'agissements répétés, pour autant, les allégations de Mme [R] [S], -conflits à répétition avec son employeur, reproches de celui-ci, et propos injurieux tenus par la fille de celui-ci, - ne sont pas contestables, ni d'ailleurs contestés quant à leur réalité. Aussi,la salariée qui invoque une nullité pour avoir relaté un harcèlement moral ne saurait voir écarter cette nullité, parce que, a posteriori, et sur des événements cependant établis, la cour ne retient pas la qualification de harcèlement.

Ainsi, la relation par Mme [R] [S] à son employeur de faits qualifiés par elle de harcèlement moral, a, de manière évidente pesé sur l'engagement, à très court terme, de la procédure de licenciement.

Aussi, les dispositions de l'article L 1153-4 du code du travail, le licenciement de Mme [R] [S], étant manifestement lié à la relation qu'elle a faite à son employeur des faits qu'elle analysait comme constitutifs de harcèlement moral, entraînent la nullité de ce licenciement.

La Cour, dira donc que le licenciement de Mme [R] [S] est nul, et en tirera toutes conséquences de droit.

Sur le caractère réel et sérieux de ce licenciement

Ayant retenu la nullité du licenciement, la cour, rappelant que la faute lourde est un fait imputable au salarié, rendant impossible le maintien du contrat de travail et commis dans l'intention de nuire à l'employeur ou à l'entreprise, la preuve des griefs fondant cette faute lourde devant être rapportée par l'employeur,  formulera toutefois les remarques suivantes concernant les deux griefs fondant ce licenciement pour faute lourde : .

En ce qui concerne les extraits de conversation entre Mme [Z] [E] et l'un de ses collègues par messagerie électronique instantanée, messages dont l'employeur, soutient que Mme [R] [S] n'a pu se les procurer qu'en interceptant ceux ci, par intrusion sur l'ordinateur de Mme [Z] [E]

-la cour dira tout d'abord , que Mme [R] [S] faisait précisément référence à ces conversations dans le courrier qu'elle a adressé le 16 décembre à son employeur et que celui-ci, qui n'établit pas qu'il n'avait pas encore reçu le courrier recommandé de Mme [R] [S] , a ensuite adressé à celle-ci, peu de temps après, le 20 décembre, un avertissement, qui a « purgé » la situation à cette date.

-elle relèvera également, qu'il ressort justement de l'un des messages émanant de Mme [Z] [E], et cité dans le courrier du 16 décembre, que le père de celle-ci, responsable de l'entreprise, avait lui-même connaissance des échanges de tchats, entre sa fille et l'autre personne puisque celle-ci dit : « -viens de m'engueuler grave avec mon père à cause du tchat, ça a gueulé dans tout alma et il est parti en claquant la porte en me disant que je n'avais pas besoin d'être en tchat avec toi ».

Il en ressort, qu'à tout le moins une autre personne, M. [I] [E] avait, d'une manière ou d'une autre, eu accès à de tels tchats, ce qui accrédite la thèse de la salariée qui affirme qu'elle a trouvé ces messages sur son poste de travail sûrement à la suite d'une erreur de manipulation de leur auteur et que ces conversations étaient accessibles par d'autres.

En revanche, aucun fait de 'divulgation' de ces échanges n'est établi à l'encontre de la salariée au delà de leur relation à son employeur.

Ce grief de l'intrusion volontaire sur l'ordinateur de Mme [Z] [E] ne pouvait donc être à nouveau invoqué à l'appui du licenciement et n'est pas établi.

S'agissant du refus de la salariée de communiquer le mot de passe qui protégeait le logiciel de paie, de la disparition du CD-ROM d'installation du logiciel, et de la disparition de l'ordinateur « de tous les dossiers administratifs et comptables »,

ces faits sont contestés par la salariée, qui plaide tout d'abord que, lors de l'entretien préalable, l'échange à ce sujet a été imprécis, affirmant avoir répondu à chacune des questions ; l'employeur se borne à dire que « l'expertise réalisée a montré que vous aviez fait disparaître un nombre considérable de fichiers comptables et administratifs les 28 et 29 décembre 2006 sur les deux ordinateurs »  qui étaient attribués à Mme [R][S]

La Cour soulignera tout d'abord l'imprécision du grief, notamment quant aux fichiers qui auraient été effacés.

D'autre part, elle constate que l'employeur ne répond pas à l'argument avancé par la salariée selon lequel les postes de travail étaient équipés du logiciel « Norton Go Back », qui permettait de récupérer les fichiers modifiés ou supprimés.

La salariée précise d'autre part, que lors de l'expertise diligentée le 22 janvier 2007 à laquelle on lui avait demandé de se présenter, il a été constaté que l'un des ordinateurs ne comportait aucun mot passe et que l'autre comportait un mot de passe qui avait été modifié par M. [I] [E],ce dont il résulte que celui-ci connaissait nécessairement le précédent mot de passe.

Enfin, s'agissant de la suppression des fichiers , il ressort du rapport d'expertise :

-que les fichiers ont été supprimés entre le 29 décembre 2006 et le 5 janvier 2007, alors qu'en tout état de cause, la salariée n'a été présente, pour une durée discutée entre les parties, que le 29 décembre 2006 et que, lorsque les archives de la comptabilité ont été supprimées les 4 et 5 janvier 2007, elle faisait l'objet d'une mise à pied.

-que l'expertise a démontré que de nombreux fichiers avaient déjà été supprimés en 2005, sans que la salariée ait encouru le moindre reproche, Mme [R] [S] affirmant, sans être sérieusement contredite, que ces suppressions du fichiers correspondaient le plus souvent à des réorganisations des répertoires.

Ces circonstances ne permettent pas d'assurer avec certitude, de Mme [R] [S] serait responsable des opérations intervenues sur ses deux ordinateurs .

Il en résulte que l'employeur, sur qui pèse la responsabilité d'établir de manière certaine les griefs invoquées à l'appui de la faute lourde, ne satisfait pas à cette obligation, étant rappelé qu'en application des dispositions de l'article L 1235-1 du code du travail « si un doute subsiste profite au salarié »

Enfin, les autres reproches évoqués par l'employeur- actes d'insubordination et mauvaise exécution de la prestation de travail, qui ont émaillé les derniers mois et ont justifié un premier avertissement le 20 décembre 2006, ne pouvaient bien évidemment faire l'objet d'une double sanction et donc fonder le licenciement, pas plus que l'imputation sur le compte courant de l'employeur par Mme [R] [S] d'un certain nombre de dépenses ou le règlement de son salaire du mois d'aout, faits prescrits et en tout état de cause également purgés par l'avertissement du 20 décembre 2006 .

Aussi, la cour dira que le licenciement de Mme [Z] [E] est nul, mais aussi, infirmant la décision des premiers juges, que ce licenciement est, en tout état de cause, dépourvu de cause réelle et sérieuse

Sur les sommes sollicitées par la salariée du fait de ce licenciement nul dépourvu de cause réelle et sérieuse :

Les sommes sollicitées par la salariée au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement (article 15 de la convention collective),de l'indemnité compensatrice de préavis avec congés payés afférents, du salaire correspondant à la période de mise à pied, sont justifiées dans leur principe comme dans leurs montants, qui ne sont d'ailleurs pas discutés par l'employeur.

Il y sera fait droit.

D'autre part, si le licenciement, relevant de l'application de l'article L 1235-3 du code du travail est entaché d'irrégularités de fond et de procédure, les deux indemnités ne se cumulent pas et seule est attribuée l'indemnité sanctionnant l'absence de cause réelle et sérieuse. Il ne sera pas fait droit à la demande de spécifique de la salariée à ce titre.

S'agissant des dommages et intérêts pour licenciement nul et dépourvu de cause réelle sérieuse, compte tenu des circonstances de l'espèce, de la manière vexatoire dont a été mené ce licenciement en dépit de l'ancienneté de la salariée, ancienneté supérieure à 23 ans, de son âge de 57 ans au moment de la rupture, et du fait que, bien qu'ayant retrouvé un emploi assez rapidement c'est-à-dire des le mois d'août 2008, elle subit, depuis lors, une perte de salaire de l'ordre de 30 %, la Cour fixera à la somme de 145 000 €, en application de l'article L 1235-3 du code du travail, le montant, toutes causes confondues, de l'indemnité due par l'employeur du fait de ce licenciement.

Sur les autres demandes formulées par la salariée

-manquement à l'obligation de sécurité de résultats : la Cour n'ayant pas retenu de harcèlement moral caractérisé, en dépit d'une absence de bonne foi dans l'exécution du contrat de travail, ne fera pas droit à cette demande

-manquement dans le suivi médical : il ressort de la procédure que depuis son embauche en 1985, et après une visite médicale d'embauche, la salariée n'a jamais fait l'objet d'aucun suivi médical même pendant son congé maternité, le service de santé au travail n'ayant pas retrouvé trace d'un dossier à son nom. La salariée en a nécessairement subi un préjudice notamment au moment où elle n'a pas été accompagnée médicalement par ce service quand la relation de travail s'est détériorée.

Il lui sera accordé 3000 € à ce titre.

-droit individuel à la formation : ayant été licenciée pour faute lourde, la salariée n'a pas bénéficié de son droit individuel à la formation, alors qu'elle avait acquis 120h au moment de la rupture..

Il sera fait droit à sa demande pour le montant justifié de 1800 € .

-manquement relatif aux précomptes de la mutuelle Pro BTP : la salariée soutient que des retenues ont été opérées sur ses salaires en dépit du fait qu'elle n'a jamais donné d'accord à ce sujet et qu'il n'existait aucun accord général au sein de la Société ALMA Services ; elle demande donc remboursement des sommes prélevées.

Toutefois, s'agissant d'un remboursement de salaire, la cour appliquant la prescription quinquennale du 8 mars 2000 2 au 7 mars 2007 limitera à la somme due en remboursement à un montant de 1792,32 euros.

-manquement sur la déclaration des montants d'indemnités de congés payés:la salariée soutient sans être contredite que l'employeur n'a pas déclaré aux caisses de retraite complémentaires, les congés payés réglés par la caisse de congés payés du bâtiment, ce qui a eu a une incidence sur le montant de la pension de retraite dont elle pourra bénéficier. L'employeur ne discute pas cette revendication, ni davantage le décompte produit par Mme [R] [S] en pièce 28.

La Société ALMA Services devra donc procéder aux déclarations rectificatives auprès des organismes de retraite.

L'employeur sera tenu de délivrer à Mme [R] [S] l'ensemble des documents sociaux conformes à la présente décision.

Sur la demande reconventionnelle formée par la Société ALMA Services visant à la condamnation de la salariée à lui rembourser 30 000 € de dommages-intérêts.

La faute lourde n'ayant pas été retenue par la cour qui a dit ce licenciement nul et dépourvu de cause réelle ni sérieuse l'employeur sera débouté de cette demande.

Sur le remboursement aux organismes sociaux

Le licenciement relevant de l'application de l'article L 1235-3 du code du travail, conformément à l'article L. 1235 '4 du même code, la cour ordonnera, d'office, le remboursement par la Société ALMA Services aux organismes concernés des indemnités de chômage versées à Mme [R] [S] depuis le jour de son licenciement et dans la limite de quatre mois.

Sur les dépens et la demande de dommages et intérêts au titre de l'article 700 du CPC

L'employeur, la Société ALMA Services, qui succombe supportera la charge des dépens

La Cour considère que, compte tenu des circonstances de l'espèce, il apparaît inéquitable de faire supporter par Mme [R] [S] la totalité des frais de procédure qu'elle a été contrainte d'exposer. Il lui sera donc alloué, en application de l'article 700 du code de procédure civile , et dans les limites de sa demande, une somme de 3060 euros .

Décision de la Cour

En conséquence, la Cour,

INFIRME la décision du Conseil de prud'hommes,

et statuant à nouveau :

DÉCLARE nul et dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement de Mme [R] [S].

CONDAMNE la Société ALMA Services à payer à Mme [R] [S] les sommes suivantes :

- 59 260 € d'indemnité conventionnelle de licenciement

-14 625 € d'indemnité de préavis, congés payés de 10 % en sus

--6224,88 euros de salaire pour la mise à pied conservatoire, congés payés afférents en sus,

-1792,32 euros pour remboursement des retenues opérées pour la mutuelle Pro BTP

ces sommes avec intérêts au taux légal et capitalisation par année entière à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le conseil de prud'hommes

-145 000 € de dommages-intérêts pour licenciement nul et dépourvu de cause réelle et sérieuse

- 1800 € au titre du droit individuel à la formation.

-3000 € pour l'absence de suivi médical

ces sommes avec intérêts au taux légal et capitalisation à compter de la présente décision.

ORDONNE le remboursement par la Société ALMA Services aux organismes concernés des indemnités de chômage versées à Mme [R] [S] depuis le jour de son licenciement et dans la limite de quatre mois.

ORDONNE à la Société ALMA Services de procéder aux déclarations rectificatives auprès des organismes de retraite, pour la période de cinq ans non prescrite.

CONDAMNE l'employeur à délivrer à Mme [R] [S] l'ensemble des documents sociaux conformes à la présente décision.

DÉBOUTE les parties de leurs demandes complémentaires ou contraires.

CONDAMNE la Société ALMA Services à régler à Mme [R] [S] la somme de 3060 € au titre de l'article 700 du CPC pour l'ensemble de la procédure.

CONDAMNE la Société ALMA Services aux entiers dépens de l'instance.

LA GREFFIERELA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 10/10834
Date de la décision : 24/09/2014

Références :

Cour d'appel de Paris K6, arrêt n°10/10834 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-09-24;10.10834 ?
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