Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 3
ARRÊT DU 01 OCTOBRE 2014
(n° , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 12/19327
Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 Mai 2012 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2010054523 rectifié par jugement du 21 septembre 2012 du Tribunal de Commerce de PARIS - RG 2012038540
APPELANTS
Monsieur [X] [M] [V] [B]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Madame [T] [Z] [N] épouse [B]
[Adresse 4]
[Localité 2]
SAS LA CROIX PAIN prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentés par Me Alain FISSELIER de la SCP AFG, avocat au barreau de PARIS, toque : L0044, avocat postulant
Assistés de Me Pierre-François VEIL de l'Association VEIL JOURDE, avocat au barreau de PARIS, toque : T06, avocat plaidant
INTIMÉE
Société BOULANGERIE JOSEPHINE prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 2]
[Adresse 3]
Représentée par Me Mireille GARNIER de la SCP MIREILLE GARNIER, avocat au barreau de PARIS, toque : J136, avocat postulant
Assistée de Me Gérard BANCELIN, avocat au barreau de PARIS, toque : E0252, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 Juin 2014, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Odile BLUM, conseillère, chargée d'instruire l'affaire, laquelle a été préalablement entendue en son rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Chantal BARTHOLIN, présidente
Madame Odile BLUM, conseillère
Monsieur Christian BYK, conseiller
Greffier : lors des débats : Madame Orokia OUEDRAOGO
ARRÊT :
- contradictoire,
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Madame Chantal BARTHOLIN, présidente, et par Madame Orokia OUEDRAOGO, greffière.
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Par acte du 28 janvier 2010, les époux [B] ont vendu à la SARL Boulangerie Joséphine, au prix de 1.450.000 €, dont 1.395.000 € s'appliquant aux éléments incorporels, le fonds de commerce de boulangerie, pâtisserie, salon de thé, restauration rapide, traiteur, exploité sous l'enseigne "Joséphine" au [Adresse 2].
Les époux [B] exploitent par ailleurs deux fonds de commerce similaires par le biais de deux sociétés dont ils sont actionnaires : la société Passion Forest pour le fonds situé [Adresse 1] et la société La Croix Pain, pour le fonds à l'enseigne "La Gerbe d'Or" situé à [Adresse 5], qui s'approvisionnait auprès du fonds vendu.
Par actes d'huissier de justice des 28 juillet et 3 août 2010, la société Boulangerie Joséphine, invoquant l'arrêt de ces approvisionnements représentant 350.000 € de chiffre d'affaires annuel, a assigné la société La Croix Pain et les époux [B] en paiement de dommages et intérêts.
Par jugement rendu le 24 mai 2012 et rectifié par jugement du 21 septembre 2012, le tribunal de commerce de Paris a :
- condamné solidairement la SAS La Croix Pain et les époux [B] à payer à la SARL Boulangerie Joséphine la somme de 300.000 € avec intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation,
- condamné solidairement la SAS La Croix Pain et les époux [B] à payer à la SARL Boulangerie Joséphine la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, déboutant du surplus,
- débouté la SARL Boulangerie Joséphine de sa demande de dommages et intérêts punitifs d'un montant de 200.000 €,
- ordonne l'exécution provisoire,
- condamné solidairement la SAS La Croix Pain et les époux [B] aux dépens.
M [X] [B], Mme [T] [N] son épouse, et la SAS La Croix Pain ont relevé appel, le 26 octobre 2012, de la décision du 24 mai 2012 et du jugement rectificatif. Par leurs dernières conclusions du 21 mai 2013, ils demandent à la cour d'infirmer le jugement et de :
- débouter la société Boulangerie Joséphine de ses demandes,
- la condamner à leur payer la somme de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel, avec distraction.
Par ses dernières conclusions du 22 mars 2013, la SARL Boulangerie Joséphine demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné solidairement les appelants à lui payer la somme de 300.000 € avec intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation et celle de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- le réformer pour le surplus,
- dire que l'attitude des époux [B] et de la SAS La Croix Pain qui a consisté à préméditer dès avant la signature du contrat de vente la reprise de l'activité de livraison qui avait servi en partie à déterminer l'assiette du prix du fonds de commerce qu'ils cédaient, constitue plus qu'une faute inexcusable mais une manoeuvre frauduleuse délibérée qui avait pour but de s'approprier sans contrepartie une partie du prix de vente et d'appauvrir à due concurrence la société acheteuse,
- condamner en conséquence de ce chef solidairement les époux [B] et la SAS La Croix Pain à lui verser la somme de 200.000 € à titre de dommages et intérêts "punitifs",
- condamner solidairement les époux [B] et la SAS La Croix Pain aux dépens, avec distraction.
SUR CE,
Considérant que les époux [B] soutiennent qu'il est d'usage de ne pas prendre en compte les livraisons et fournitures pour la détermination de la valeur vénale d'un fonds de commerce de boulangerie-pâtisserie et qu'en l'espèce, l'acquéreur ne s'est pas attaché au chiffre d'affaires réalisé en livraisons mais a recherché surtout un emplacement exceptionnel lui permettant de développer une activité de restauration haut de gamme ; qu'ils font valoir que la valorisation du fonds de commerce à 200 % du chiffre d'affaires, hors activité livraison, n'a rien d'anormal compte tenu de l'emplacement et de la potentialité des lieux et que le prix de vente convenu n'a pas été fixé en considération de la poursuite des relations commerciales avec la société La Croix Pain ;
Considérant que la société La Croix Pain critique la condamnation prononcée à son encontre pour rupture du contrat d'approvisionnement en violation de l'article L 442-6-1 5° du code de commerce ; qu'elle fait valoir que cette rupture était justifiée par une hausse importante des prix à laquelle elle n'a pas consenti dès lors que, ne pouvant pas répercuter cette augmentation sur sa propre clientèle "livraisons" qui bénéficie de tarifs préférentiels, elle se trouvait conduite à une revente à perte ; qu'elle soutient que l'augmentation des prix n'a pas été mentionnée dans l'acte de vente alors que l'acquéreur avait exploité le fonds durant le mois de janvier 2010 et qu'il avait donc eu tout le loisir de s'apercevoir que les prix pratiqués à l'égard de la société La Croix Pain étaient prétendument trop faibles puis de corriger cette situation par des mentions idoines dans l'acte de vente ; qu'elle ajoute qu'en tout état de cause, l'indemnité qui tend à réparer le préjudice découlant de la brusque rupture des relations commerciales établies correspond à la perte de marge brute sur le chiffre d'affaires qui aurait été réalisé si un préavis conforme aux usages du commerce avait été donné ;
Considérant que les appelants contestent enfin l'existence de man'uvres frauduleuses et la faute "délibérée" dans l'arrêt des approvisionnements, le devis établi le 12 janvier 2010 par la société Panifour à la demande de la société La Croix Pain étant resté sans suite ; qu'ils ajoutent que ce n'est qu'à la suite d'un incendie survenu début mai 2010 qu'ils ont été contraints de faire l'acquisition de nouveaux matériels à partir du mois de juin 2010 car ils ne pouvaient pas continuer à acheter leurs produits auprès de la Boulangerie Joséphine à des prix prohibitifs ;
Considérant que l'acte de vente du 28 janvier 2010 précise en page 27 que "Monsieur [X] [B], pris en sa qualité de Président de la société La Croix Pain, confirme en tant que de besoin l'engagement de sa société de continuer à s'approvisionner auprès de Boulangerie Joséphine dont sa société est un client habituel, sauf à pouvoir librement mettre un terme à cet approvisionnement si celui-ci n'est pas assuré de la même manière régulière, y compris samedi, dimanche et jours fériés" ;
Qu'il résulte suffisamment de ces dispositions que le chiffre d'affaires réalisé avec la société La Croix Pain constituait pour l'acquéreur un élément déterminant du prix de vente et que le chiffre d'affaires réalisé au titre des livraisons a bien été pris en compte par les parties pour la valorisation du fonds de commerce ;
Que la clause de poursuite des approvisionnements ne prévoit aucunement que ces approvisionnements devront nécessairement se faire aux mêmes conditions tarifaires que précédemment alors que les parties ont pris le soin de prévoir une cause légitime de cessation des approvisionnements liée à leur régularité y compris samedi, dimanche et jours fériés ; qu'en l'état des dispositions contractuelles et de ce qu'elles révèlent de la commune intention des parties, les époux [B] et la société La Croix Pain ne sont pas fondés à soutenir que l'augmentation tarifaire, non contestée par l'intimée, constitue une cause légitime d'arrêt des approvisionnements ; que de fait, la société La Croix Pain n'a jamais protesté contre cette augmentation des prix qui a été immédiatement pratiquée par la société Boulangerie Joséphine et qui est apparue dès les premières factures ;
Considérant qu'ainsi en ne respectant pas la clause souscrite par son représentant légal, et en entamant progressivement, dès la vente du fonds de commerce, la diminution de ses approvisionnements pour les arrêter définitivement moins de six mois après la vente, la société La Croix Pain a commis une faute à l'égard de la société Boulangerie Joséphine, distincte de la brusque rupture des relations contractuelles, et a ainsi participé directement au préjudice subi par la société Boulangerie Joséphine qui a acquis un fonds de commerce valorisé en tenant compte de l'intégration dans son chiffre d'affaires de celui réalisé avec la société La Croix Pain ;
Que compte tenu du chiffre d'affaires moyen non contesté de 350.000 € réalisé avec la société La Croix Pain et de la valorisation du prix de vente à 90 % du chiffre d'affaires, les premiers juges ont exactement fixé à la somme de 300.000 € le montant des dommages et intérêts dus solidairement par la société La Croix Pain et les époux [B] du fait du non-respect des engagements pris dans l'acte de vente et qui constituaient un élément déterminant du prix ;
Considérant que le point de départ des intérêts sur les dommages et intérêts alloués n'étant pas discuté, le jugement sera confirmé également sur ce chef ;
Considérant que la société Boulangerie Joséphine demande que lui soit allouée la somme supplémentaire de 200 000 € à titre de dommages et intérêts "punitifs" en invoquant la mauvaise foi des appelants dans le cadre de l'exécution du contrat et le caractère prémédité des man'uvres qui ont amené à la surfacturation du prix du fonds de commerce, la dissimulation de la situation réelle de la société La Croix Pain qui n'a eu de cesse de présenter des arguments "fallacieux et invraisemblables" et le fait que les appelants ont contracté en sachant qu'ils arrêteraient toute relation commerciale dans les six mois de la vente du fonds et qu'ils préparaient concomitamment l'investissement leur permettant de se passer de leur fournisseur ;
Mais considérant qu'il suffit à la cour de relever que la société Boulangerie Joséphine ne justifie pas d'aucune faute distincte de celle liée au non-respect des engagements contractuels et ne démontre pas l'existence d'un préjudice distinct de celui réparé par les dommages et intérêts alloués ci-dessus ; que sa demande de dommages et intérêts supplémentaires est mal fondée ;
Considérant que les appelants qui succombent seront condamnés aux dépens d'appel ; que vu l'article 700 du code de procédure civile, les dispositions du jugement sur ce chef seront confirmées et les parties déboutées des demandes qu'elles forment devant la cour à ce titre ;
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement ;
Déboute les parties de leurs demandes formées en appel au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne solidairement la SAS La Croix Pain et les époux [B] aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE