RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 12
ARRÊT DU 11 Décembre 2014
(n° , 4pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/07503
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 24 Février 2004 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de PONTOISE RG n° 00246003
APPELANTE
Madame [S] [Q] veuve [V]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Sophie GRÈS, avocat au barreau de PARIS, toque : D2162
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2012/028599 du 27/06/2012 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)
INTIMEE
CAISSE NATIONALE D'ASSURANCE VIEILLESSE
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Mme [P] en vertu d'un pouvoir spécial
Monsieur le Ministre chargé de la sécurité sociale
[Adresse 3]
[Localité 1]
avisé - non comparant
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 16 Octobre 2014, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Bernadette VAN RUYMBEKE, Présidente de chambre
Monsieur Luc LEBLANC, Conseiller
Madame Marie-Ange SENTUCQ, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : Madame Céline BRUN, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Bernadette VAN RUYMBEKE, Président et par Madame Marion MÉLISSON, Greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Cour statue sur renvoi après cassation de l'arrêt rendu le 10 décembre 2009 par la cour d'appel de Versailles dans le litige opposant Mme [V] à la Caisse nationale d'assurance vieillesse en appel du jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de Pontoise en date du 24 février 2004 ;
Les faits, la procédure, les prétentions des parties :
Les faits de la cause ont été exactement exposés dans la décision déférée à laquelle il est fait expressément référence à cet égard ;
Il suffit de rappeler que Mme [V], de nationalité française, a demandé l'attribution d'une pension de réversion du régime général d'assurance vieillesse ; que cette prestation lui a été refusée par la Caisse nationale d'assurance vieillesse au motif qu'elle ne pouvait se prévaloir de la qualité de conjoint survivant au sens de l'article L 353-1 du code de la sécurité sociale en l'état d'un premier mariage contracté en Algérie en 1955 et non dissous au moment de son second mariage ; que l'intéressée a contesté cette décision devant la commission de recours amiable, puis a saisi la juridiction des affaires de sécurité sociale et la cour d'appel en produisant un jugement du tribunal de Mostaganem du 5 décembre 2006 ordonnant la confirmation du divorce coutumier intervenu en 1958 préalablement à son second mariage ; que les juridictions saisies ont rejeté la demande de pension ;
Par arrêt du 9 novembre 2011, la Cour de cassation a annulé l'arrêt du 10 décembre 2009, au visa de l'article 3 du code civil, pour ne pas avoir recherché si, selon le droit algérien, le jugement de confirmation de divorce n'avait pas eu un effet déclaratif et si Mme [V] n'était pas, en conséquence, divorcée au moment de son second mariage. L'affaire et les parties ont donc été renvoyées devant la cour d'appel de Paris.
Mme [V] fait déposer et soutenir oralement par son conseil des conclusions tendant à infirmer le jugement du 24 février 2004, dire qu'elle avait la qualité de conjoint survivant à la date du décès de M. [V] le 27 août 2001, la rétablir dans ses droits à pension de réversion à compter de cette date et, le cas échéant, condamner la Caisse nationale d'assurance vieillesse à lui verser à titre rétroactif les droits dont elle est bénéficiaire avec intérêts au taux légal à compter du 21 janvier 2003, date de sa demande devant le tribunal des affaires de sécurité sociale. En tout état de cause, elle demande la condamnation de la Caisse à lui verser la somme de 1 000 € sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ainsi qu'à supporter les entiers dépens.
Elle fait valoir en effet que, contrairement aux énonciations du jugement attaqué, elle ne se trouvait pas encore dans les liens de son premier mariage lorsqu'elle s'est mariée avec M. [V] en 1960 puisque le divorce coutumier intervenu le 20 juin 1958 a été confirmé par le tribunal de Mostaganem dans un jugement du 5 décembre 2006 transcrit sur les actes d'état civil le 5 novembre 2008. Elle estime donc que la pension de réversion ne peut lui être refusée au motif qu'elle n'aurait pas été valablement mariée avec l'assuré décédé, comme le prétend toujours la Caisse en contestant le caractère déclaratif du jugement du 6 décembre 2006. Selon elle, cette décision de confirmation a, selon le droit algérien, un effet déclaratif reconnaissant sa situation de personne divorcée avant la célébration du second mariage. Elle ajoute que son premier mariage a été contracté selon le droit coutumier et que son second mariage n'aurait pas pu être valablement célébré si le premier n'avait pas été dissous antérieurement. Elle invoque également sa bonne foi quant à la dissolution de sa première union avant le mariage avec M. [V] et précise qu'en tout état de cause son premier mari est décédé en 1965. Enfin, elle considère que les dispositions de l'article 262 du code civil ne s'appliquent pas à sa situation et que le jugement du 5 décembre 2006 ne modifie pas son statut personnel. En tout état de cause, elle fait observer que la convention générale de sécurité sociale entre la France et l'Algérie n'exclut pas le bénéfice d'une pension de réversion pour les épouses d'assuré polygame et que le motif de bigamie ne pouvait lui être opposé dès lors que son mariage avec M. [V] n'avait pas été annulé.
La caisse nationale d'assurance vieillesse fait déposer et soutenir oralement par sa représentante des conclusions aux termes desquelles elle déclare s'en remettre à la sagesse de la Cour s'agissant de l'effet déclaratif du jugement du 5 décembre 2006. En cas de réponse affirmative, elle, soulève l'inopposabilité du divorce à son égard avant sa transcription sur les actes d'état civil et reporte en conséquence l'examen des droits à pension de l'intéressée à la date du 1er décembre 2008, premier jour du mois suivant la transcription. En cas de réponse négative, en l'absence d'effet du jugement du 5 décembre 2006 sur la situation antérieure de Mme [V], elle maintient que celle-ci était toujours dans les liens d'une précédente union lorsqu'elle s'est mariée avec M. [V] et lui dénie la qualité de conjoint survivant En tout état de cause, elle s'oppose à la demande formulée au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Plus précisément, elle invoque les dispositions de l'article 262 du code civil qui fixe au jour de la transcription du jugement de divorce sur les actes d'état civil, son opposabilité aux tiers, en ce qui concerne les biens des époux et rappelle que la pension de réversion constitue un bien. Elle en déduit que le divorce ne pourra lui être opposable pour l'ouverture des droits à pension de réversion de Mme [V] qu'à compter de sa transcription à l'état civil.
Dans ses observations développées à l'audience, le ministère public est d'avis que Mme [V] a légitimement contracté sa deuxième union en 1960 et a la qualité de conjoint survivant au sens du code de la sécurité sociale depuis le 27 août 2001, date du décès de son mari. Il indique que le jugement du 5 décembre 2006 se borne à confirmer un précédent divorce intervenu le 20 juin 1958 et a un effet déclaratif. Il fait observer que la qualité de conjoint est acquise à la date du mariage, quelle que soit la date de transcription sur l'état civil et qu'il en va de même pour la perte de cette qualité en cas de divorce. Enfin, il relève que les dispositions de l'article 262 du code civil sur l'opposabilité aux tiers des effets patrimoniaux d'un divorce n'impliquent pas de reporter l'examen de la demande de Mme [V] au jour de la transcription du divorce sur le registre d'état civil.
Il est fait référence aux écritures ainsi déposées de part et d'autre pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions ;
Motifs :
Considérant que le jugement du tribunal de Mostaganem du 5 décembre 2006 ordonne la confirmation du divorce coutumier intervenu le 20 juin 1958 à Mostaganem entre [B] [I] et Mme [Q] ;
Considérant qu'une telle décision, rendue en matière d'état des personnes et se bornant à constater, selon le droit algérien, la dissolution antérieure d'un mariage coutumier, présente un caractère déclaratif ;
Considérant que son prononcé n'a donc pas modifié la situation juridique de Mme [V] dont l'état de personne divorcée était établi à la date du 20 juin 1958 ;
Considérant qu'il en résulte qu'à la date du second mariage de Mme [V], en octobre 1960, sa première union était bien dissoute ;
Considérant que, dans ces conditions, la Caisse nationale d'assurance vieillesse ne peut se fonder sur la nullité absolue s'attachant à l'état de polygamie résultant d'un second mariage prétendument contracté avant la dissolution du premier pour refuser à l'intéressée la qualité de conjoint survivant ;
Considérant que la circonstance que le jugement précité du 5 décembre 2006 n'ait été transcrit sur le registre d'état civil qu'en novembre 2008 n'autorise pas non plus la caisse nationale d'assurance vieillesse à fixer au 1er décembre 2008 la date éventuelle d'ouverture des droits à pension de l'intéressée ;
Considérant qu'en effet si, en ce qui concerne les biens des époux, le jugement de divorce est opposable aux tiers à partir du jour où les formalités de mention en marges prescrites par les règles de l'état civil ont été accomplies, la qualité de conjoint survivant au sens de l'article L 353-1 du code de la sécurité sociale ne dépend pas, quant à elle, de la date de transcription sur les registres de l'état civil et a été acquise par l'intéressée dès le jour du décès de son époux
Considérant qu'en l'espèce, Mme [V] avait bien la qualité de conjoint survivant lorsqu'elle a demandé, le 23 octobre 2001, une pension de réversion et il importe peu que la dissolution de sa première union n'ait été retranscrite que postérieurement ;
Considérant qu'il y a donc lieu d'infirmer le jugement entrepris et de condamner la Caisse nationale d'assurance vieillesse à servir à Mme [V] la pension de réversion suivant les modalités applicables au moment du dépôt de sa demande et sous réserve qu'elle remplisse les autres conditions d'attribution de cette prestation ;
Considérant que les intérêts légaux courront à compter du 21 janvier 2003 date de l'introduction du recours de l'intéressée ;
Considérant qu'au regard de la situation respective des parties, il n'y a pas lieu de condamner la caisse au paiement de frais irrépétibles d'autant que l'organisme de sécurité sociale fait observer à juste titre qu'elle ne pouvait servir la prestation demandée avant que le statut personnel de Mme [V] soit retranscrit sur les registres d'état civil ;
Considérant que la procédure en matière de sécurité sociale est gratuite et sans frais ; qu'elle ne donne pas lieu à dépens ;
Par ces motifs :
Déclare Mme [V] recevable et bien fondée en son appel ;
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau :
Condamne la Caisse nationale d'assurance vieillesse à verser à Mme [V] la pension de réversion bénéficiant au conjoint survivant à compter de la date d'entrée en jouissance prévue par la réglementation en vigueur et sous réserve qu'elle remplisse les autres conditions d'attribution ;
Dit que les intérêts légaux à valoir sur les arrérages de pension courront à compter du 21 janvier 2003 pour l'arriéré échu à cette date et à compter de leur date d'échéance pour le reste ;
Déboute Mme [V] de sa demande au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991;
Dit n'y avoir lieu de statuer sur les dépens.
Le Greffier, Le Président,