RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 12
ARRÊT DU 18 Décembre 2014
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/10611
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 13 Mai 2011 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de MELUN RG n° 10/00505
APPELANTE
SA EVERITE
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 3]
représentée par Me Benoît CHAROT, avocat au barreau de PARIS, toque : J097 substitué par Me Delphine LAPILLONNE, avocat au barreau de PARIS, toque : J033
INTIMES
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE SEINE ET MARNE
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Mme [X] en vertu d'un pouvoir général
Monsieur [L] [G] [F]
[Adresse 2]
[Localité 5]
représenté par Me Elisabeth LEROUX, avocat au barreau de PARIS, toque : P 0268
Monsieur le Ministre chargé de la sécurité sociale
[Adresse 1]
[Localité 1]
avisé - non comparant
FONDS D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE L'AMIANTE
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 4]
avisé - défaillant
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 23 Octobre 2014, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Bernadette VAN RUYMBEKE, Président
Monsieur Luc LEBLANC, Conseiller
Madame Marie-Ange SENTUCQ, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier : Madame Marion MELISSON, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, après prorogation du délibéré.
- signé par Madame Bernadette VAN RUYMBEKE, Président et par Madame Fatima BA, Greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par la société Everite d'un jugement rendu le 13 mai 2011 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Melun dans un litige l'opposant à M. [G] [F] et à la caisse primaire d'assurance maladie de Seine et Marne, le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante ayant été informé de la procédure ;
Les faits, la procédure, les prétentions des parties :
Les faits de la cause ont été exactement exposés dans la décision déférée à laquelle il est fait expressément référence à cet égard ;
Il suffit de rappeler que M. [G] [F] a travaillé en qualité d'ouvrier qualifié au sein de l'établissement de [Localité 5] aujourd'hui fermé, de 1973 à 1987; qu'en avril 2009, il a établi une déclaration de maladie professionnelle au titre du tableau n° 30 relatif aux affections consécutives à l'inhalation de poussières d'amiante ; que sa maladie a été prise en charge par la caisse primaire d'assurance maladie de Seine et Marne et l'intéressé s'est vu reconnaître un taux d'incapacité permanente professionnelle de 5 % ; qu'il a ensuite engagé une procédure en reconnaissance de la faute inexcusable de la société Everite, son ancien employeur, et a saisi à cette fin la juridiction des affaires de sécurité sociale.
Par jugement du 13 mai 2011, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Melun a déclaré opposable à la société Everite la décision de prise en charge de la maladie de M. [G] [F] au titre de la législation professionnelle, dit que cette maladie est la conséquence d'une faute inexcusable de la société Everite, fixé au maximum la majoration de l'indemnité dont le montant suivra l'augmentation du taux d'incapacité et alloué à la victime les sommes suivantes:
- 15 000 € au titre du préjudice résultant des souffrances physiques et morales,
- 10 000 € au titre du préjudice d'agrément,
ces sommes portant intérêts au taux légal à compter du jugement.
La société Everite fait déposer et soutenir oralement par son conseil des conclusions demandant à la Cour d'infirmer le jugement, écarter la faute inexcusable et débouter en conséquence M. [G] [F] de ses demandes. A titre subsidiaire, si la Cour retenait l'existence d'une telle faute, elle conclut à l'inopposabilité de la décision de la caisse reconnaissant le caractère professionnel de la maladie de M. [G] [F] et demande que les conséquences financières de cette décision restent à la charge de l'organisme de sécurité sociale sans pouvoir être récupérées auprès d'elle. En tout état de cause, elle s'oppose à l'indemnisation des préjudices ou, à tout le moins, en demande la réduction à de plus justes proportions.
Encore plus subsidiairement, elle demande que l'ensemble des majorations et indemnités qui seraient versées soient imputées au compte spécial par application de l'arrêté du 16 septembre 1995, en raison de la fermeture de l'établissement de [Localité 5].
Au soutien de son appel, la société Everite relève d'abord qu'il n'est pas démontré que l'intéressé est atteint de la maladie désignée au tableau n° 30 B, sous la mention "plaques pleurales", dans la mesure où cette affection doit être confirmée par un examen tomodensiométrique et qu'un tel examen ne figurait pas dans le dossier médical consulté avant la décision de prise en charge. Elle estime d'ailleurs que les conditions du tableau n° 30 ne sont pas réunies car les compte-rendus d'examen, qui lui ont été communiqués dans le cadre de l'instance, évoquent des épaississements et non des plaques pleurales. Elle en déduit le caractère inopposable de la prise en charge et l'impossibilité pour la caisse de récupérer les indemnités pouvant être dues en cas de reconnaissance de sa faute inexcusable.
En tout état de cause, elle prétend qu'elle ne pouvait à l'époque avoir conscience du danger encouru par le salarié en rappelant qu'il n'existait aucune réglementation encadrant l'usage de l'amiante avant 1977 et que de nombreux équipements destinés à éviter les émissions de poussières étaient en place dans l'établissement de [Localité 5].
S'agissant des préjudices, elle relève l'absence de toute justification de leur existence ou de leur étendue et fait observer qu'en raison de la fermeture de l'établissement de [Localité 5], les éventuelles dépenses de la caisse, tant au titre de la maladie professionnelle qu'au titre de la faute inexcusable, devront être imputées au compte spécial de l'assurance maladie.
M. [G] [F] fait déposer et soutenir oralement par son conseil des conclusions tendant à la confirmation du jugement attaqué et à la condamnation de la société Everite à lui verser la somme de 2 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Il indique que la société Everite, fabriquant de matériaux en fibrociment à base d'amiante, aurait dû avoir conscience du danger lié à cette fibre et dénonce l'insuffisance des moyens mis en oeuvre pour le protéger du risque résultant de l'inhalation des poussières. Il précise qu'il effectuait des remplacements sur toutes les machines et s'occupait notamment du débourrage du concasseur utilisé pour broyer l'amiante ainsi que du ramassage des plaques en fibrociment. Compte tenu de l'intensité des souffrances endurées et de son préjudice d'agrément, il estime justifiée l'indemnisation allouée à ce titre par les premiers juges, en indiquant que plusieurs membres de sa famille sont déjà décédés de pathologies liées à l'amiante.
Dans des conclusions soutenues à l'audience par sa représentante La caisse primaire d'assurance maladie de Seine et Marne demande à la Cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il déclare opposable à la société Everite sa décision de prise en charge de la maladie de M. [G] [F].
Elle considère en effet que la maladie contractée par l'intéressé figure bien sur le tableau n° 30 des maladies professionnelles, en se référant au certificat médical initial du 26 mars 2009 qui mentionne l'existence de plaques pleurales, en donne les dimensions et fait état d'une exposition professionnelle à l'amiante lors du travail accompli chez Everite. Elle prétend que l'examen tomodensitométrique n'est qu'un simple élément du diagnostic et n'avait donc pas à figurer parmi les pièces du dossier de la maladie pouvant être consulté par l'employeur.
Enfin, elle s'oppose à la demande de la société Everite tendant à ce que soit inscrit au compte spécial l'ensemble des majorations et indemnités allouées à M. [G] [F] et demande, au contraire, à la Cour de lui donner acte de ce qu'elle se réserve le droit de récupérer auprès de l'employeur le montant des sommes allouées en application de l'article L 452-2 du code de la sécurité sociale. Elle estime en effet que les dispositions de l'article 2, 3° de l'arrêté du 16 octobre 1995 ne vise que les dépenses afférentes à la maladie mais non les conséquences financières de la faute inexcusable qui restent à la charge de l'auteur d'une telle faute.
Le Fonds d'indemnisation des victime de l'amiante a indiqué à la Cour qu'il n'entendait pas intervenir à l'instance ;
Il est fait référence aux écritures ainsi déposées de part et d'autre pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions ;
Motifs :
Sur l'opposabilité de la prise en charge de la maladie professionnelle,
Considérant que la société Everite conteste d'abord le caractère professionnel de la maladie de M. [G] [F] au motif que cette maladie ne correspondrait pas à celle figurant au tableau n° 30 B sous la dénomination "plaques pleurales" ;
Considérant cependant que le certificat médical initial fait état de "plaques pleurales ant. G de 3,6mm et lobaire inf de 6,6mm" et relève l'exposition professionnelle de l'intéressé aux poussières d'amiante pendant 14 ans d'activité au sein de l'établissement d'Everite ; que la déclaration de maladie professionnelle du 5 avril 2009 fait également état de "plaques pleurales" ; que ce diagnostic a été confirmé par le service médical de la caisse qui a considéré que la maladie invoquée correspondait à celle désignée au tableau n° 30 ;
Considérant que les comptes-rendus d'examen tomodensiométrique ne contredisent pas ce diagnostic mais confirment, au contraire, la présence des mêmes lésions pleurales, l'une antérieur gauche de 3,6 m d'épaisseur et l'autre lobaire inférieur gauche de 6,6 mn d'épaisseur ;
Considérant qu'il existe donc une identité de diagnostic et l'examen pratiqué ne révèle pas l'existence d'une maladie différente de celle figurant au tableau n° 30 ;
Considérant par ailleurs que les autres conditions de prise en charge tenant au délai d'apparition de cette maladie, à l'activité professionnelle et à la réalité de l'exposition à l'amiante sont réunies puisque le délai de 40 ans n'était pas dépassé et que l'intéressé était spécifiquement chargé de la maintenance de machines servant à la fabrication de matériaux en amiante-ciment ;
Considérant que l'employeur fait également grief à la caisse primaire de ne pas lui avoir communiqué, préalablement à la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie, l'examen tomodensitométrique établi pour confirmer le diagnostic médical ;
Considérant toutefois que la teneur de l'examen tomodensitométrique mentionné au tableau n° 30- B des maladies professionnelles, qui constitue un élément du diagnostic, n'a pas à figurer dans les pièces du dossier dont l'employeur peut demander la consultation ;
Considérant que c'est donc à juste titre que les premiers juges ont déclaré la décision de prise en charge opposable à la société Everite ;
Sur l'existence d'une faute inexcusable :
Considérant qu'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise ; que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L 452-1 du code de la sécurité sociale lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ;
Considérant qu'en l'espèce, la société Everite qui fabriquait des produits à base d'amiante-ciment, ne peut sérieusement soutenir que, durant toute la période où M. [G] [F] se trouvait à son service, de 1973 à 1987, elle ignorait le danger auquel il était exposé ;
Considérant qu'en effet, les effets nocifs de la poussière d'amiante étaient déjà connus avant même le recrutement du salarié ; qu'à cette époque, plusieurs maladies consécutives à l'inhalation de la fibre d'amiante étaient déjà inscrites au tableau des maladies professionnelles ; que, par ailleurs, le risque inhérent à l'inhalation des poussières en général est clairement identifié depuis la fin du XIXème siècle et la protection des travailleurs contre ce risque n'a cessé depuis lors d'être renforcée par la réglementation ;
Considérant qu'en dépit de sa connaissance du danger auquel étaient exposés ses salariés au contact de l'amiante, il apparaît clairement que la société Everite n'a pas pris toutes les précautions nécessaires pour préserver la santé de M. [G] [F] ;
Considérant qu'il ressort des témoignages des collègues de travail du salarié que celui-ci était exposé sans protection à la poussière d'amiante sèche ; que M. [T] précise que le travail de M. [G] consistait à 'aller chercher des sacs d'amiante avec un diable, ouvrir les sacs avec un couteau et en déverser le contenu dans une machine servant à pétrir et broyer l'amiante' et note que 'cela pouvait faire des bourrages avec l'amiante, que tout cela se faisait sans aucune protection, masque, gant et que le nettoyage se faisait à la pelle et au balai' ; que ces conditions de travail sont confirmées par MM [C], [P], [U] et [R] qui soulignent le dégagement de poussières d'amiante et l'absence de système d'aspiration ;
Considérant que l'intéressé invoque aussi, sans être démenti, un avertissement de l'inspection du travail sur les conditions de travail des salariés de la société intervenu le 9 mars 1981 ;
Considérant qu'ainsi, il est établi que la société Everite n'a pas mis en oeuvre les mesures de protection qui s'imposaient pour prévenir le risque sanitaire inhérent à l'inhalation de poussières d'amiante ;
Considérant que, dans ces conditions, c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu l'existence d'une faute inexcusable de la société Everite à l'origine de la maladie professionnelle contractée par M. [G] [F] ;
Sur les conséquences de la faute inexcusable,
Considérant qu'en application de l'article L 452-2 du code de la sécurité sociale, la victime a droit à la majoration au taux maximum des indemnités qui lui sont dues ; que cette majoration suivra l'évolution de son taux d'incapacité ;
Considérant qu'en vertu de l'article L 452-3 du code de la sécurité sociale, elle a également droit à la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales endurées et du préjudice d'agrément ;
Considérant que s'agissant des souffrances physiques et morales subies par la victime, cette dernière a présenté une dyspnée d'effort et des douleurs thoraciques qui se sont aggravées avec le temps, avec l'apparition d'une sensation d'étouffement ;
Considérant qu'il existe, par ailleurs, un retentissement moral provoqué par la maladie, eu égard au caractère irréversible et incurable de cette maladie et cette détresse s'est trouvée renforcée chez le malade par la fréquence des décès de collègues de travail et de membres de sa famille atteints comme lui par une maladie de l'amiante ;
Considérant qu'au regard des éléments soumis à son appréciation, la Cour considère que le préjudice subi à ce titre par M. [G] [F] a été correctement réparé par l'indemnité de 15.000 euros allouées en première instance ;
Considérant qu'il est, par ailleurs, justifié que les difficultés respiratoires dont souffre l'intéressé l'ont conduit à abandonner ou réduire la pratique des activités spécifiques de loisir et de sport auxquels il se livrait antérieurement ; qu'il est notamment rapporté la preuve, par plusieurs attestations, de la pratique du jardinage et du vélo ;
Considérant que le préjudice d'agrément subi par l'intéressé a été correctement réparé par l'indemnité de 10.000 euros allouée par les juges ;
Considérant que la société Everite justifiant de la fermeture de son l'établissement de [Localité 5], c'est à juste titre qu'elle soutient que les dépenses afférentes à la maladie professionnelle contractée par son salarié doivent être inscrites sur le compte spécial de l'assurance maladie en application des articles D 242-6-3 du code de la sécurité sociale et 2 de l'arrêté ministériel du 16 octobre 1995 ;
Considérant que cependant, même dans le cas où les dépenses sont inscrites au compte spécial en application des dispositions de l'arrêté ministériel du 16 octobre 1995, la caisse primaire d'assurance maladie, tenue de faire l'avance les sommes allouées au salarié en réparation de ses préjudices personnels, conserve le droit d'en récupérer le montant auprès de l'employeur dont la faute inexcusable est reconnue ; qu'en effet, ces indemnités n'étant pas recouvrées au moyen de cotisations supplémentaires, la fermeture de l'établissement n'empêche pas la récupération de ces sommes auprès de l'employeur ;
Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie de Seine et Marne pourra donc exercer le recours prévu par l'article L 452-3, alinéa 3, du code de la sécurité sociale à l'encontre de la société Everite ;
Considérant qu'enfin, compte tenu de la situation respective des parties, il y a lieu de condamner la société Everite à verser à M. [G] [F] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Par ces motifs :
Déclare la société Everite recevable mais mal fondée en son appel ;
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Dit que les dépenses afférentes à la maladie professionnelle seront inscrites au compte spécial mais que la caisse primaire d'assurance maladie de Seine et Marne conserve le recours prévu à l'article L 452-3 contre l'employeur dont la faute inexcusable est reconnue;
Condamne la société Everite à verser à M. [G] [F] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Fixe le droit d'appel prévu par l'article R 144-10, alinéa 2, du code de la sécurité sociale à la charge de l'appelante au 10ème du montant mensuel du plafond prévu à l'article L 241-3 et la condamne au paiement de ce droit s'élevant à la somme de 312,90 €;
Le Greffier, Le Président,