RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 7
ARRÊT DU 18 Décembre 2014
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/09645
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 17 Septembre 2012 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'EVRY section Activités Diverses RG n° 11/00711
APPELANTE
Madame [I] [D]
[Adresse 1]
[Localité 1]
représentée par Me Christophe BORE, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 19 substitué par Me Sébastien MAHUT, avocat au barreau de VAL DE MARNE
INTIMEE
SARL JP OCEAN
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Pierrick DESHAYES, avocat au barreau de CAEN
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 06 Novembre 2014, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Patrice LABEY, Président de chambre
Monsieur Bruno BLANC, Conseiller
Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier : Madame Laëtitia CAPARROS, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, après prorogation du délibéré.
- signé par Monsieur Patrice LABEY, Président, et par Melle Laëtitia CAPARROS, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Mme [I] [D] a été engagée à partir du 15 septembre 2003 par JP OCEAN qui comptait moins de onze salariés, dans le cadre de deux contrats de qualification successifs en préparation d'un BTS d'assistante de gestion, en alternance, en qualité d'employée de bureau, avant d'être engagée à partir du 1er septembre 2005 dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, en qualité de secrétaire sur le site de [Localité 2] pour un salaire brut mensuel de 1.430 € sur 13 mois.
Transférée sur le site de [Localité 5], Mme [D] percevait à compter du mois de mars 2010 une rémunération mensuelle de 2125 € brut.
La société JP OCEAN envisageait au printemps 2011, une restructuration devant conduire à la fermeture du site de [Localité 5] et au regroupement de l'ensemble des activités de JP OCEAN au siège social de la société à [Localité 4] dans le département du CALVADOS.
Par courriers recommandés avec accusés de réception des 19 avril 2011 et 17 mai 2011 Mme [D] demandait d'une part à son employeur de rendre la procédure de licenciement envisagée à son encontre effective un mois avant le transfert finalement prévu le 30 juin et d'autre part réclamait un rappel de salaire au titre d'heures supplémentaires ainsi que la régularisation de sa situation professionnelle sur le principe « même travail, même salaire ».
Le 17 mai 2011, l'employeur tenait une réunion d'information au personnel concernant la restructuration du Groupe.
Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 25 mai 2011, la société JP OCEAN formalisait sa proposition de reclassement sur le site de [Localité 4], qui précisait qu'en cas de refus, une procédure de licenciement économique devrait être envisagée et à laquelle Mme [D] opposera un refus par lettre du 27 mai 2011 dans laquelle elle indiquait rester ouverte à toute autre proposition compatible avec sa situation.
Par courrier recommandé avec accusé de réception la société JP OCEAN a adressé le 26 mai 2011 un avertissement à Mme [D] , à la suite de son refus de communiquer à ses collègues de [Localité 3], toutes les informations nécessaires à la mise en place de la nouvelle organisation.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 30 mai 2011 Mme [D] a contesté le motif de l'avertissement, s'étonnant par ailleurs que son remplacement soit envisagé avant toute décision concernant la restructuration en cours.
Mme [D] a fait l'objet le 1er juin 2011 d'une convocation à un entretien préalable à licenciement, qui s'est tenu le 9 juin 2011 au cours duquel lui a été remis la documentation relative à la convention de reclassement personnalisé qu'elle a acceptée le 16 juin 2011 avant d'être licenciée par lettre du 28 juin 2011 pour motif économique.
Le 8 juillet 2011, Mme [D] saisissait le Conseil de prud'hommes d'EVRY aux fins de faire juger qu'elle a été victime d'une inégalité de traitement salarial et que le licenciement intervenu le 28 juin 2011 était dénué de cause réelle et sérieuse pour faire condamner la société JP OCEAN à lui payer :
- 35 000 € à titre d'indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
- 50 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral et financier résultant de l'inégalité de traitement salarial ;
- 30 398,66 € à titre de rappel d'heures supplémentaires sur période de juillet 2006 à juin 2011;
- 3 039,97 au titre de congés payés afférents ;
Outre l'exécution provisoire , Mme [D] demandait au Conseil de prud'hommes de lui allouer une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile .
La Cour est saisie d'un appel formé par Mme [D] contre le jugement du Conseil de prud'hommes d'EVRY en date du 17 septembre 2012 qui l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes.
Vu les conclusions du 6 novembre 2014 au soutien des observations orales par lesquelles Mme [D] conclut à l'infirmation du jugement critiqué et demande à la cour de juger qu'elle a été victime d'une inégalité de traitement salarial et que le licenciement intervenu le 28 juin 2011 était dénué de cause réelle et sérieuse pour faire condamner la société JP OCEAN à lui payer :
- 35 000 € à titre d'indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
- 50 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral et financier résultant de l'inégalité de traitement salarial ;
- 30 398,66 € à titre de rappel d'heures supplémentaires sur période de juillet 2006 à juin 2011;
- 3 039,97 au titre de congés payés afférents ;
- 4 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile .
Vu les conclusions du 6 novembre 2014 au soutien de ses observations orales au terme desquelles la société JP OCEAN conclut à la confirmation de la décision déférée et à la condamnation de Mme [D] à lui verser 3500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile , renvoie aux conclusions déposées et soutenues l'audience ;
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la rupture :
En application de l'article L1233-3 du code du travail, est constitutif d'un licenciement pour motif économique, le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non-inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques ; lorsqu'une entreprise fait partie d'un groupe, les difficultés économiques de l'employeur doivent s'apprécier tant au sein de la société, qu'au regard de la situation économique du groupe de sociétés exerçant dans le même secteur d'activité, sans qu'il y ait lieu de réduire le groupe aux sociétés ou entreprises situées sur le territoire national ;
Une réorganisation de l'entreprise ne constitue un motif de licenciement que si elle est effectuée pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise ou du secteur d'activité du groupe dont elle relève, en prévenant des difficultés économiques à venir et leurs conséquences sur l'emploi du salarié licencié ;
La sauvegarde de compétitivité ne se confond pas avec la recherche de l'amélioration des résultats, et dans une économie fondée sur la concurrence, la seule existence de celle-ci ne représente pas une cause économique de licenciement ;
Par application de l'article L1233-4 du même code, le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent ou, à défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, sur un emploi d'une catégorie inférieure ne peut être réalisé dans le cadre de l'entreprise ou, le cas échéant, dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient ; les offres de reclassement proposées au salarié doivent êtres écrites et précises ;
Le reclassement doit en outre être recherché avant la décision de licenciement, au sein de la société comme au sein des sociétés du groupe entre lesquelles la permutabilité du personnel est possible, et l'employeur doit s'expliquer sur la permutabilité et ses éventuelles limites, au regard des activités, ou de l'organisation, ou du lieu d'exploitation; dans le cadre de cette obligation, il appartient encore à l'employeur, même quand un plan social a été établi, de rechercher effectivement s'il existe des possibilités de reclassement, prévues ou non dans le plan social, et de proposer aux salariés dont le licenciement est envisagé des emplois disponibles ; il ne peut notamment se borner à recenser dans le cadre du plan social les emplois disponibles au sein de la société et dans les entreprises du groupe ;
En l'espèce, il est constant que dans le courant du premier semestre 2011 la société JP OCEAN a envisagé la fermeture de son agence de [Localité 5] dans le cadre de sa restructuration conduisant au regroupement de ses activités au siège de la société à [Localité 4] dans le département du CALVADOS.
Il est également constant qu'antérieurement à la formalisation de l'offre de reclassement sur le site de [Localité 4] présentée à Mme [D] par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 25 mai 2011, la société JP OCEAN qui avait organisé des échanges informels avec les salariés au cours desquels elle les avait informés du projet de transfert initialement prévu au 30 mai 2011, ne pouvait ignorer le refus de la salariée d'accepter une telle proposition.
S'il ressort à cet égard des débats et des pièces produites que Mme [D], prenant acte de cette seule proposition de reclassement et du report de la date du transfert, demandait le 19 avril 2011 à son employeur d'envisager son licenciement à la date initialement prévue, cette circonstance n'emportait pas ipso-facto sa renonciation au bénéfice des dispositions de l'article L1233-4 du code du travail imposant à son employeur, avant d'envisager son licenciement de rechercher les possibilités de reclassement de l'intéressée sur un emploi dans le cadre de l'entreprise ou, le cas échéant, dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient.
En se bornant dans ces conditions à proposer un reclassement dont elle n'ignorait pas par avance qu'il serait refusé par Mme [D], la société JP OCEAN qui reconnaît explicitement dans ses écritures, ne pas avoir tenté de rechercher de possibilités de reclassement au sein du groupe auquel elle appartient, n'a pas sérieusement satisfait, aux obligations résultant des dispositions de l'article L1233-4 du code du travail, ôtant ainsi tout caractère réel et sérieux au licenciement de Mme Mme [D], de sorte que la décision entreprise sera réformée de ce chef.
Compte tenu de l'effectif du personnel de l'entreprise, de la perte d'une ancienneté de près de 8 ans pour cette salariée âgée de 31ans ainsi que des conséquences matérielles et morales du licenciement à son égard, en particulier de la difficulté avérée à retrouver un emploi tel que cela résulte des pièces produites et des débats, il lui sera alloué, en application de l'article L 1235-5 du Code du travail une somme de 23000 € à titre de dommages-intérêts ;
Sur les heures supplémentaires
Selon l'article L. 3121-10 du Code du Travail, la durée légale du travail effectif des salariés est fixée à trente-cinq heures par semaines civile ; l'article L. 3121-22 énonce que les heures supplémentaires accomplies au-delà de la durée légale hebdomadaire fixée par l'article L. 3121-10, ou de la durée considérée comme équivalente, donnent lieu à une majoration de salaire de 25% pour chacune des huit premières heures supplémentaires, les heures suivantes donnant lieu à une majoration de 50 % ;
Une convention ou un accord de branche étendu ou une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement peut prévoir un taux de majoration différent qui ne peut être inférieur à 10%;
Si aux termes de l'article L.3171-4 du Code du Travail, la preuve des horaires de travail effectués n'incombe spécialement à aucune des parties et si l'employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures supplémentaires, d'étayer sa demande par la production de tous éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur de répondre en apportant, le cas échéant, la preuve contraire ;
La règle selon laquelle nul ne peut se forger de preuve à soi même n'est pas applicable à l'étaiement (et non à la preuve) d'une demande au titre des heures supplémentaires et que le décompte précis d'un salarié, qui permet à l'employeur de répondre en fournissant les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, est de nature à étayer la demande de ce dernier ;
En l'espèce, Mme [D] produit des tableaux détaillant les heures supplémentaires réalisées par semaine et par mois ainsi que des courriels correspondant aux heures supplémentaires revendiquées.
La société JP OCEAN réfute les arguments développées par Mme [F] et conteste la réalité des heures litigieuses, arguant de ce que les documents produits ne renseignent nullement sur son temps de travail et que le rapprochement des différents documents ôte tout crédit aux décomptes produits.
En l'espèce, les décomptes produits par Mme [D] en ce qu'ils ne portent que sur le détail jour par jour et mois par mois des heures supplémentaires qu'elle aurait effectuées et non pas sur le détail de l'ensemble des heures effectivement réalisées chaque semaine permettant d'identifier les heures supplémentaires, ne sont pas en soi suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur de répondre en apportant, le cas échéant, la preuve contraire et ce, nonobstant les courriels produits
La décision entreprise sera confirmée de ce chef.
Sur l'application du principe " travail égal-salaire égal"
En vertu du principe " à travail égal, salaire égal ", l'employeur est tenu d'assurer l'égalité de rémunération entre tous les salariés placés dans une situation identique.
Ce principe n'interdit pas des différences entre salariés qui effectuent un même travail ou un travail de valeur égale pour autant que celles-ci reposent sur des éléments objectifs matériellement vérifiables et étrangers à toute discrimination.
A ce titre, des salariés qui exercent des fonctions différentes n'effectuent par un travail de valeur égale et peuvent donc subir des différences de traitement.
Il appartient au salarié qui se prétend lésé de soumettre aux juges les éléments de fait susceptibles de caractériser une atteinte au principe d'égalité de rémunération.
L'employeur doit alors établir que la disparité de la situation constatée est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, la différence de traitement entre les salariés placés dans la même situation devant reposer sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence.
Mme [D] fait essentiellement valoir qu'elle effectuait les mêmes tâches que Mme [L] à la suite du départ de cette dernière qui n'avait pas été remplacée, sans en percevoir la rémunération et sans en acquérir le titre, arguant en outre qu'à la suite du transfert des activités en Normandie, elle a été remplacée par un responsable juridique et contentieux et qu'il n'est pas démontré qu'une partie des tâches de Mme [L] avaient été reprises par M. [X].
La société JP OCEAN soutient que Mme [D] qui n'a ni la compétence ni la formation pour occuper le poste de responsable juridique et contentieux, percevait une rémunération qu'elle fixe elle-même à 33372 € par an, qu'elle a bénéficié d'une augmentation de plus de 45 % depuis son embauche définitive, étant précisé qu'elle compare des situations sans rapport entre elles.
Les moyens soutenus par Mme [D] ne font que réitérer, sans justification complémentaire utile, ceux dont les premiers juges ont connu et auxquels, se livrant à une exacte appréciation des faits de la cause, et à une juste application des règles de droit s'y rapportant, ils ont répondu par des motifs pertinents et exacts que la cour adopte, sans qu'il soit nécessaire de suivre les parties dans le détail d'une discussion se situant au niveau d'une simple argumentation;
La décision entreprise sera par conséquent confirmée de ce chef.
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure énoncée au dispositif ;
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,
DÉCLARE recevable l'appel formé par Mme [I] [D],
CONFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté Mme [D] de sa demande de dommages et intérêts au titre de la rupture,
et statuant à nouveau,
DÉCLARE abusif le licenciement de Mme [D].
CONDAMNE la SARL JP OCEAN à payer à Mme [D] 23000 € à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive ;
CONDAMNE la SARL JP OCEAN à payer à Mme [D] 2800 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE la SARL JP OCEAN de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes,
CONDAMNE la SARL JP OCEAN aux entiers dépens de première instance et d'appel,
LE GREFFIER LE PRESIDENT
L. CAPARROS P. LABEY