Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 2
ARRET DU 19 DECEMBRE 2014
(n° 2014- , 9 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 13/11772
Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Avril 2013 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 11/09311
APPELANTES
Madame [K] [M]
[Adresse 7]
[Localité 2]
Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034
Assistée de Me Vincent BOIZARD, avocat au barreau de PARIS, toque : P456
AXA ASSURANCE agissant en la personne de son représentant légal
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034
Assistée de Me Vincent BOIZARD, avocat au barreau de PARIS, toque : P456
INTIMÉES
Madame [N], [C] [S] agissant tant en son nom personnel qu'es-qualités de tutrice de son fils majeur sous tutelle, [R], [J] [S]
[Adresse 4],
[Adresse 4]
[Localité 4]
Représentée par Me Dominique LAURIER, avocat au barreau de PARIS, toque : D1418
CPAM DE L'ESSONNE pris en la personne de son représentant légal
[Adresse 2]
[Localité 5]
Défaillant. Régulièrement assigné.
CPAM DE NICE pris en la personne de son représentant légal
[Adresse 6]
[Localité 1]
Défaillant. Régulièrement assigné.
CPAM DU VAL DE MARNE pris en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Localité 7]
Défaillant. Régulièrement assigné.
CPAM DU VAR pris en la personne de son représentant légal
[Adresse 5]
[Localité 3]
Défaillant. Régulièrement assigné.
EPIC CPAM DE GUADELOUPE pris en la personne de son représentant légal
[Adresse 8]
[Localité 8]
Défaillant. Régulièrement assigné.
COMPOSITION DE LA COUR :
Madame Isabelle CHESNOT, conseillère, ayant été préalablement entendue en son rapport dans les conditions de l'article 785 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Novembre 2014, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Anne VIDAL, présidente de chambre
Madame Marie-Sophie RICHARD, conseillère
Madame Isabelle CHESNOT, conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Monsieur Guillaume LE FORESTIER
ARRET :
- réputé contradictoire,
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Anne VIDAL, présidente de chambre et par Monsieur Guillaume LE FORESTIER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
****
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Madame [N] [S], suivie pour sa première grossesse par le docteur [K] [M] en sa qualité de gynécologue obstétricien au centre médical [2], a été hospitalisée le 30 avril 1994 au matin (11 heures) à la clinique [1] où exerçait aussi le docteur [M].
Le cahier d'observations de la salle de naissance mentionne que Madame [N] [S] s'est présentée à la clinique 'pour perte de liquide rosé ce jour depuis une heure' et qu'après examen par la sage-femme, 'il est noté le risque de menace d'accouchement prématuré (MAP+)'. Le docteur [K] [M] décide d'hospitaliser sa patiente, prescrivant notamment une surveillance du rythme cardiaque du foetus (RCF) et une échographie.
Le 4 mai suivant, le docteur [K] [M] prend la décision d'une césarienne en urgence, à 31,5 semaines d'aménorrhée, avec appel préalable du SAMU pédiatrique, le dossier clinique mentionnant : 'RCF à 160 bpm peu modulé+dip 1 ; col un doigt, contractions utérines + ; saignements ++'
L'enfant, [R], naît en état de souffrance foetale sub-aïguë et de détresse respiratoire ; il est immédiatement transféré en réanimation néonatale à l'hôpital [3].
Il sera ultérieurement diagnostiqué un très lourd handicap caractérisé par une infirmité motrice d'origine cérébrale avec quadriplégie astique, une incapacité à la marche, une atteinte axiale et bucco-faciale et une absence quasi-totale de parole.
Par ordonnance du 22 octobre 2004, le juge des référés près le tribunal de grande instance de Nice a désigné le professeur [D] [Q] en qualité d'expert lequel s'est adjoint deux sapiteurs, le professeur [V], gynécologue-obstétricien, et le docteur [H], neuropédiatre.
Le rapport d'expertise a été déposé le 11 octobre 2007 alors que la consolidation de l'état de santé de [R] [S] n'était pas acquise, concluant à des préjudices pouvant être évalués 'a minima' ainsi :
-une incapacité permanente partielle de 70%,
-un pretium doloris assez important,
-un préjudice esthétique assez important,
-une assistance de substitution et de stimulation par une tierce personne nécessaire 24 heures sur 24.
Saisi par assignation délivrée à la demande de Madame [N] [S] agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentante légale de son fils mineur, le tribunal de grande instance de Paris, par jugement rendu le 22 avril 2013, réputé contradictoire à l'égard des caisses primaires d'Assurance Maladie du Var, de l'Essonne, de Nice, de Guadeloupe et du Val de Marne non représentées, a déclaré Madame [K] [M] responsable à 50% des préjudices subis par [R] [S], condamné in solidum Madame [M] et la société AXA ASSURANCES IARD à payer à Madame [N] [S] une somme de 800 000€ à valoir sur le préjudice définitif du jeune [R] [S] ainsi que la somme de 3 000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et avant dire droit sur l'indemnisation définitive, ordonné une expertise confiée au professeur [D] [Q] afin de déterminer les préjudices subis par l'enfant.
Selon déclaration du 12 juin 2013, le docteur [K] [M] et son assureur la société AXA Assurances IARD ont interjeté appel de ce jugement intimant toutes les parties à l'instance.
Les intimés se sont vus signifier la déclaration d'appel par actes d'huissier en date des 13, 16 et 24 septembre 2013.
Saisi d'un incident par Madame [N] [S], le conseiller de la mise en état a, par ordonnance du 30 janvier 2014, rejeté les demandes de nullité et de caducité de la déclaration d'appel au motif que si la dénonciation de cette déclaration n'a pas été délivrée au domicile actuel de celle-ci, lequel était connu des appelantes, cette irrégularité ne lui a causé aucun grief puisqu'elle a constitué avocat le 23 octobre 2013 et a conclu au fond et formé appel incident le 12 novembre 2013 dans les délais de l'article 909 du code de procédure civile.
Par conclusions signifiées le 9 octobre 2014, le docteur [K] [M] et la société AXA Assurances IARD demandent à la cour de réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et statuant à nouveau, de :
A titre principal,
-Constater que les requérants ne rapportent pas la preuve d'une faute commise par Madame le Docteur [M], les experts n'ayant pu examiner l'élément essentiel que constitue le dossier médical de l'établissement ;
-Constater en l'état qu'aucune faute n'est démontrée à l'encontre de Madame le Docteur [M] ;
-Constater, au surplus, que fait défaut la démonstration de la causalité entre la faute et le dommage, les requérants réclamant l'intégralité du dommage corporel souffert, malheureusement, par l'enfant ;
Subsidiairement,
-Désigner tel collège d'Experts qu'il lui plaira qualifié en gynécologie-obstétrique et en pédiatrie sur les listes des Experts nationaux avec mission habituelle en matière de responsabilité médicale ;
En tout état de cause, à titre infiniment subsidiairement,
-Dire que si par extraordinaire une faute devait être retenue à l'encontre de Madame le Docteur [M], celle-ci n'aurait pu avoir pour conséquence que la perte de chance pour l'enfant d'éviter une fraction du dommage, l'autre fraction étant irréductiblement lié à l'état antérieur pour être attachée à la prématurité ;
-Dire que cette perte de chance ne saurait excéder 25% du dommage ;
-Débouter de plus fort les requérants de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;
-Donner acte à la Compagnie AXA ASSURANCES de ce que son plafond de garantie est limité à la somme de 3 Millions d'Euros et qu'elle ne saurait être tenue au-delà de ce plafond;
-Débouter les requérants de leur demande formulée au titre de l'article
700 du code de procédure civile ;
-Les condamner aux entiers dépens de l'instance.
Le docteur [K] [M] et son assureur exposent que l'expert judiciaire et les sapiteurs n'ont pu travailler qu'à partir des déclarations des parties, de deux pages extraites du cahier de salle de travail et du compte-rendu opératoire, le dossier de consultation et d'hospitalisation n'ayant pas été retrouvé par le centre médical [2].
Ils reprochent à l'expert judiciaire de s'être affranchi des conclusions de son sapiteur gynécologue obstétricien et aux premiers juges d'avoir, en retenant les conclusions de l'expert, dénaturé les faits.
Ils soutiennent pour l'essentiel qu'aucune erreur fautive de diagnostic ne peut être reprochée au praticien dès lors qu'en l'absence de douleurs éprouvées par la patiente pendant son hospitalisation, et au regard des documents produits à l'expertise qui ne permettent d'affirmer ni que Madame le docteur [K] [M] a été avisée de la consultation du 29 avril 1994 au cours de laquelle Madame [N] [S] aurait évoqué une souffrance, ni qu'une échographie pratiquée pendant l'hospitalisation faisait suspecter un décollement placentaire ni enfin que le rythme cardiaque du foetus présentait des anomalies, il n'existait aucun signe clinique patent, avant la césarienne, en faveur d'un hématome rétro-placentaire, que s'agissant d'une grossesse à 31,5 semaines d'aménorrhée, il importait de gagner du temps pour éviter une trop grande prématurité et que seules les constatations faites au cours de l'intervention chirurgicale ont permis de poser le diagnostic d'un décollement du placenta et d'un hématome.
De surcroît, les appelants affirment que le docteur [K] [M] n'est pas responsable de la grande prématurité de l'enfant et/ou de la survenue de l'hématome, qu'elle n'est pas tenue de réparer l'entier dommage, l'expert judiciaire et le tribunal ayant retenu une prise en charge à hauteur de 50% et que dans l'hypothèse d'un manquement, elle n'aurait à répondre que d'une perte de chance pour l'enfant de ne pas avoir pu échapper aux conséquences de l'hématome rétro-placentaire et que dès lors, cette perte de chance doit être calculée sur la base d'un dommage imputable à hauteur de 50%.
Selon conclusions signifiées le 2 octobre 2014, Madame [N] [S] agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de tutrice de son fils [R] [S], majeur, forme appel incident et demande à la cour de réformer le jugement en ce qu'il a déclaré le docteur [K] [M] responsable à 50% des préjudices subis par l'enfant, et statuant à nouveau, de juger le docteur [K] [M] responsable à 80% de ces préjudices, de condamner le docteur [K] [M] et son assureur à les réparer et de confirmer le jugement en ses autres dispositions, subsidiairement de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions et en tout état de cause, de condamner les appelantes in solidum aux dépens dont distraction ainsi qu'à la somme de 10 000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que les experts comme les premiers juges ont pu se forger une opinion au vu des déclarations des parties -Madame [N] [S] évoquant des douleurs violentes et métrorragies non contestées par le docteur [K] [M]- et de la photocopie du cahier de salle de naissance, faisant apparaître des annotations du docteur [K] [M] sur le rythme cardiaque du foetus ('tracés peu ampliés', 'peu modulés').
Elle affirme que le docteur [K] [M] a commis une faute en manquant de diligence et en ne respectant pas les règles de l'art, le diagnostic d'hématome rétro-placentaire s'imposant en présence de douleurs et de saignements, l'absence de l'entier dossier médical ne permettant pas de retenir une atténuation de la responsabilité du médecin.
Elle soutient s'appuyant en cela sur l'avis médical sollicité auprès du professeur [A], expert judiciaire auprès de la cour d'appel d'Aix en Provence, chef de service médico-chirurgical pédiatrique, que la grande prématurité n'explique pas à elle-seule la leucomalacie périventriculaire néonatale dont a souffert l'enfant et que l'hématome rétroplacentaire -étendu sur 1/3 du placenta- a joué un rôle prépondérant dans la constitution de cette complication en tant que cause ou phénomène concomitant de la naissance prématurée ce qui doit amener la cour à fixer la responsabilité du docteur [K] [M] à 80%.
La Caisse Primaire d'Assurance Maladie du Var a fait savoir par courrier du 4 novembre 2013 qu'elle n'entend pas intervenir à l'instance précisant que le montant provisoire des prestations versées s'élève à la somme de 57 865,97€.
Les autres caisses primaires d'Assurance Maladie, régulièrement citées, n'ont pas comparu ni fait connaître leurs créances.
L'ordonnance clôturant l'instruction de l'affaire a été rendue le 23 octobre 2014.
MOTIFS DE LA DECISION :
A titre liminaire, force est de constater que la cour, à l'instar des experts judiciaires et du tribunal de grande instance de Paris ayant rendu le jugement entrepris, ne dispose ni du dossier de suivi de la grossesse de Mme [S] par le docteur [M] au centre médical [2] (fiches de consultation), ni du dossier d'hospitalisation de Mme [S] à la clinique [1], à l'exception de deux pages du cahier d'observation de la salle 'd'accouchement' et du compte-rendu opératoire rédigé par le docteur [M] à la suite de la césarienne et complété par les résultats de l'examen anatomo-pathologique du placenta, le dossier d'hospitalisation de l'enfant au centre de réanimation pédiatrique à l'hôpital [3] étant par ailleurs produit aux débats.
Il échet donc à la cour de statuer au vu de ces seuls documents, de l'expertise judiciaire laquelle comprend les rapports de deux sapiteurs et des déclarations des parties dont certaines sont concordantes, étant précisé que le praticien exerçant au sein d'un établissement de santé ne peut être tenu pour responsable de la perte du dossier médical détenu par l'établissement qui, seul, doit répondre de cette perte.
Le contrat médical met à la charge du médecin l'obligation de dispenser au patient des soins attentifs, consciencieux et conformes aux données acquises de la science à la date de son intervention, cette obligation concernant tant l'indication du traitement que sa réalisation et son suivi et s'étendant à l'établissement du diagnostic, préalable indispensable à la mise en oeuvre des soins.
Ainsi, pour pouvoir établir un diagnostic, le médecin doit non seulement procéder à un examen clinique complet du patient, mais encore recourir, le cas échéant, à des investigations complémentaires.
La persistance dans un diagnostic erroné constitue un manquement fautif de nature à engager sa responsabilité s'il ne s'est pas donné les moyens nécessaires pour tenter de parvenir au bon diagnostic.
Il convient donc de rechercher, si au vu de ses constatations personnelles ou de celles d'autres professionnels de santé qu'il aurait sollicitées, notamment au moyen d'examens radiologiques et/ou biologiques, le docteur [M] aurait dû entre le 29 avril au soir -date à partir de laquelle Mme [S] évoque les premiers symptômes- et le 4 mai 1994 au matin, date de la césarienne, poser un diagnostic d'hématome rétro-placentaire ce qui nécessairement, en raison des risques vitaux pour la mère et l'enfant, imposait l'indication d'une césarienne, intervention qui, réalisée plus tôt, aurait permis d'éviter, en tout ou partie, les séquelles subies par l'enfant.
Le professeur [Q], médecin légiste, docteur ès sciences et anthropologue désigné en qualité d'expert judiciaire a fait appel à deux sapiteurs exerçant l'un en qualité de neuropédiatre et pédiatre ( docteur [E] [H] ayant rendu un rapport en date du 21 novembre 2005 dont les conclusions intéressent exclusivement l'état d'infirmité cérébrale moteur sévère de l'enfant), l'autre en qualité de gynécologue-obstétricien (professeur [B] [V]).
Sur la responsabilité du médecin, qui seule est recherchée par Mme [N] [S] à titre personnel et ès qualités, les conclusions du professeur [D] [Q], et celles de son sapiteur, le professeur [B] [V] gynécologue-obstétricien, sont divergentes, alors même que leurs constatations factuelles ainsi que l'analyse des documents en leur possession et des symptômes annonciateurs d'un hématome rétro-placentaire sont concordantes.
En effet, le professeur [D] [Q] conclut son rapport d'expertise en ces termes :
'Il est estimé que la diligence n'a pas été absolue et les règles de l'art n'ont pas été totalement respectées.
Cette assertion devant être nuancée par deux éléments : la très grande difficulté diagnostique dans cette forme frustre d'hématome rétro-placentaire, et le contexte de l'époque concernant la prématurité, qui conduisent à établir qu'il ne peut être reproché au docteur [M] l'intégralité du problème.
Enfin ces conclusions sont apportées avec beaucoup de nuances, compte tenu de l'absence de certains documents médicaux très importants qui n'ont pas été portés à notre connaissance.
Il existe deux sources au dommage actuellement constaté chez l'enfant :
-l'état antérieur, autrement dit la prématurité
-et l'hématome rétro-placentaire.
On peut conclure que l'état séquellaire de l'enfant est pour partie en rapport avec la prématurité, et pour partie en rapport avec la souffrance foetale due à l'hématome rétro-placentaire, ce 2ème facteur étant chronologiquement postérieur au premier, et s'étant donc surajouté au premier. Si nous devions le quantifier, nous estimerions, avec toutes les nuances nécessaires, une répartition globale de moitié-moitié.'
Le professeur [B] [V], sapiteur, a rendu un avis écrit le 24 octobre 2005 dont les conclusions sont les suivantes :
' 1.L'hématome rétro-placentaire plus que la prématurité est responsable de la souffrance foetale.
2.Le diagnostic d'hématome rétro-placentaire n'a pas été évoqué jusqu'au dernier jour.
3. Il conviendrait d'analyser les enregistrements du rythme cardiaque foetal, la recherche d'albuminurie de la clinique [1], les fiches de consultations du Centre Médical [2].
4. Avec les réserves qui précèdent, et en se rapportant à une période où les transports in utero n'étaient pas organisés comme actuellement pour les grossesses pathologiques et les accouchements prématurés (suite au décret de 1993 sur la sécurité de la naissance), on peut estimer que l'ensemble du processus médical 's'est déroulé selon les règle de l'art' sous réserve de l'analyse des documents manquants (monitorings foetaux, résultats biologiques (albuminurie) et éventuelles échographies et compte-rendu). (...)
6. Une demande de recherche de documents manquants sera faite auprès du Professeur [Q].
7. (...)'.
Si, dans son courrier adressé au Professeur [Q] le 3 janvier 2006, le Professeur [V] indique que le diagnostic d'hématome rétro placentaire ne faisait pas de doute, à l'époque, c'est en ce qu'il a été révélé au cours de la césarienne, la menace d'accouchement prématuré s'avérant alors erronée, et il précise bien : 'qu'il s'agit d'une forme clinique fruste d'hématome rétro placentaire dans la mesure où il n'y a pas eu d'hypertension artérielle, d'albuminurie, d'anomalie échographique et/ou de rythme cardiaque f'tal : ces divers éléments n'apparaissant pas dans le dossier qui m'a été confié' et ajoute :' si des signes de souffrance foetale avaient été mis en évidence sur les enregistrements du rythme cardiaque foetal depuis le jour où la patiente a consulté, une extraction aurait pu être décidée plus tôt. '. .
Il doit en être déduit que la divergence entre les avis des professeurs [Q] et [V] n'est qu'apparente, tous deux ayant retenu que le diagnostic était particulièrement délicat en raison du caractère frustre de l'hématome et de son évolution à bas bruit et que le contexte de la grande prématurité avait pu guider le choix du Dr [M], seule étant différente leur appréciation des conséquences à tirer de l'absence au dossier de certains documents médicaux très importants.
Il n'est pas contesté que le 29 avril 1994 en fin d'après-midi, date à laquelle Mme [S] indique s'être présentée à la clinique en raison d'une violente douleur à l'abdomen et avoir été reçue par une sage-femme, le docteur [M] n'a pas été avisée de la présence de sa patiente dans les locaux de la clinique alors qu'elle-même y était et aurait pu l'examiner si elle avait été avertie. Dès lors, étant observé qu'il n'y a aucune raison de mettre en doute la réalité de cette consultation, aucune faute ne peut être reprochée au docteur [M] lors de cette consultation.
A compter de l'arrivée de Mme [S] à la clinique le 30 avril au matin, son état de santé et celui de l'enfant sont décrits dans les deux pages du cahier d'observation de la salle 'd'accouchement'.
Il résulte de ce document, dont le contenu n'est contesté par aucune des parties, que la consultation du 29 avril pour douleur abdominale aigue n'a pas été portée à la connaissance du docteur [M], qu'à aucun moment, pendant les quatre jours d'hospitalisation, Mme [S] ne s'est plainte de douleurs, que si les métrorragies et les contractions utérines ont pu provoquer des souffrances, celles-ci n'étaient pas intenses et n'ont pas nécessité la prescription d'antalgique, que l'unique dosage d'albuminurie effectué lors de l'admission était négatif et que la tension artérielle mesurée chaque jour était normale.
Par ailleurs, si la patiente présentait bien constamment des pertes sanguines, celles-ci pouvaient, en raison de leur couleur 'rosée', évoquer de préférence une perte de liquide amniotique alors que les saignements causés par un hématome rétro placentaire sont brunâtres, voire noirs.
Ces éléments permettent d'affirmer que le diagnostic d'hématome rétro placentaire qui doit de prime abord être envisagé lors d'une consultation au cours du troisième trimestre de grossesse, ne s'imposait pas avec évidence.
Les experts s'accordent alors pour dire qu'en présence d'un tel tableau clinique, la souffrance foetale décelée grâce à l'analyse du rythme cardiaque du foetus était l'élément déterminant pour poser le diagnostic d'hématome rétro placentaire. Or, force est de rappeler que la cour ne dispose pas des mesures de ce rythme cardiaque surveillé par monitoring. Il ne peut qu'être constaté que les deux feuilles manuscrites de la salle d'accouchement font état d'une surveillance fréquente (deux fois par jour) du rythme cardiaque du foetus, que s'il est bien mentionné que ce rythme est 'peu amplié' et 'peu modulé', il n'est pas constaté de décélération avant la mesure du 4 mai au matin qui révèle un rythme de 160 bpm, dans la limite haute et donc à surveiller, et un dip 1 (ralentissement du rythme cardiaque du foetus lors d'une contraction).
En dernier lieu, ni Mme [S] ni le docteur [M] ne se souviennent d'une échographie lors de l'hospitalisation ; toutefois, cet examen a bien eu lieu, puisqu'il a été prescrit par le médecin lors de l'admission de la patiente et qu'il est mentionné dans le dossier médical de l'enfant. Mais en tout état de cause, en l'absence de compte-rendu, il ne peut être tiré d'enseignement de cet examen, sauf à constater que le docteur [M] n'a pas failli à l'obligation qui lui était faite de mettre en oeuvre toutes les investigations nécessaires.
En l'absence de douleur aigue à l'abdomen pendant l'hospitalisation, de saignements importants, d'albuminurie, d'hypertension alors que la surveillance de la mère et de l'enfant a été régulière et vigilante, le diagnostic d'hématome rétro-placentaire était particulièrement difficile à poser, les deux experts indiquant de concert qu'il s'agissait d'une forme clinique inhabituelle et d'une pathologie frustre évoluant à bas bruit, en présence de certains symptômes (écoulement de liquide amniotique, contractions utérines de faible intensité) évoquant de préférence le risque d'un accouchement prématuré.
Il y a lieu de noter que dès que l'état de Mme [S] s'est modifié, c'est-à-dire le 4 mai au matin, avec l'apparition de saignements plus importants ['saignements ++'] et un dip estimé à 1, le rythme cardiaque du foetus étant par ailleurs contrôlé à 160 battements par minute (bpm) ce qui révèle une tachycardie modérée, le docteur [M] n'a pas hésité à prendre la décision d'une césarienne.
Dans ces conditions, au vu des éléments produits devant la cour et en l'absence des enregistrements du rythme cardiaque du foetus qui, seuls, auraient permis de caractériser une faute du praticien qui aurait négligé un rythme anormal mettant en évidence une souffrance foetale, il est établi que si le diagnostic posé par le docteur [M], qui a privilégié l'hypothèse d'un risque d'accouchement prématuré, s'est avéré erroné a posteriori, l'existence d'un hématome rétro-placentaire important ayant été révélé lors de la césarienne. Mais Mme [N] [S] ne rapporte pas la preuve qui lui incombe que le médecin a commis une faute en ne se donnant pas les moyens d'établir le bon diagnostic entre le 30 avril et le 4 mai 1994 au matin, date à laquelle il a été décidé de pratiquer une césarienne, étant rappelé que selon les experts, cet hématome était particulièrement difficile à déceler et qu'en 1994, la prise en charge des grands prématurés n'était pas aussi performante qu'à l'heure actuelle et incitait les obstétriciens à retarder au maximum l'accouchement.
En l'absence de faute prouvée, la responsabilité du docteur [M] dans les dommages subis par l'enfant [R] [S] à sa naissance ne sera pas retenue.
Les circonstances de la cause et la situation économique de chacune des parties imposent qu'il ne soit pas fait application de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu l'article 696 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
statuant publiquement, par décision réputée contradictoire
Infirme le jugement en toutes ses dispositions ;
statuant à nouveau,
Juge que la responsabilité du docteur [G] [M] n'est pas engagée dans les dommages subis par l'enfant [R] [S] le 4 mai 1994 à sa naissance ;
Déboute Madame [N] [S] agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de tutrice de son fils majeur, [R] [S], de toutes ses demandes ;
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Madame [N] [S] aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de l'avocat qui en fera la demande.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT