RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 7
ARRÊT DU 15 Janvier 2015
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/10029
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 13 Septembre 2012 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VILLENEUVE SAINT GEORGES section Commerce RG n° 11/00610
APPELANTE
SASU ISS PROPRETE anciennement dénommée ISS ABILIS FRANCE
[Adresse 2]
[Localité 1]
représentée par Me Sandrine GENOT, avocat au barreau de PARIS, toque : R245
INTIMEE
Madame [T] [F]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Catherine CAHEN-SALVADOR, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 409
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 20 Novembre 2014, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Patrice LABEY, Président de chambre
Monsieur Bruno BLANC, Conseiller
Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier : Madame Laëtitia CAPARROS, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Patrice LABEY, Président, et par Melle Laëtitia CAPARROS, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
En application des dispositions de l'article L 1224 du Code du travail, le contrat de travail de Mme [T] [F] qui exerçait des fonctions d'hôtesse de blocs sanitaire (agent de service), classification AS2A sur le site de l'aéroport d'[Localité 3], a été transféré à la société ISS ABILIS FRANCE, devenue ISS PROPRETÉ avec reprise de son ancienneté à compter du 1er novembre 1989.
De la même manière, à la suite de la non reconduction du marché d'[Localité 3] au profit de la société ISS PROPRETE, le contrat de travail de Mme [F] a été transféré à la société EPPI, avec effet au 1er mai 2010.
La convention collective applicable est celle des Entreprises de Propreté.
Le 12 décembre 2010, Mme [T] [F] saisissait le Conseil de prud'hommes de VILLENEUVE SAINT GEORGES aux fins de faire condamner la S.A.S ISS PROPRETÉ à lui payer les sommes suivantes :
- 37.225,51 € à titre de remboursement des sommes indûment prélevées sur son salaire pour la période allant de décembre 2006 à avril 2010 avec intérêts de droit à compter de chacune des échéances ;
- 5.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi ;
Outre l'exécution provisoire et l'octroi d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Mme [T] [F] demandait au Conseil de prud'hommes d'ordonner la remise des bulletins de salaires conformes à la décision à intervenir pour la période de janvier 2007 à avril 2010.
La Cour est saisie d'un appel formé par la société ISS PROPRETE contre le jugement du Conseil de prud'hommes de VILLENEUVE SAINT GEORGES en date du 13 septembre 2012 qui :
l'a condamnée à payer à Mme [T] [F] avec intérêts au taux légal à compter du 19 décembre 2011 :
- 37.225,51 € à titre de remboursement des sommes indûment retenues sous la rubrique " retrait avantages en nature [Localité 3]" de novembre 2006 à avril 2010 ;
- 600 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
a rappelé que le jugement était exécutoire de plein droit à titre provisoire, en application de l'article R 1454-28 du Code du Travail, dans la limite de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire et a rappelé, en application de ce même texte, que la moyenne des trois derniers mois de salaire est de 1704,29 €,
a ordonné la délivrance d'un bulletin de paie conforme ,
a débouté Mme [T] [F] de sa demande de dommages-intérêts,
a débouté la SAS ISS PROPRETE de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
a condamné la SAS ISS PROPRETE aux entiers dépens, y compris ceux afférents aux actes et procédure d'exécution éventuels.
Vu les conclusions du 20 novembre 2014 au soutien des observations orales par lesquelles la société ISS PROPRETE conclut à l'infirmation de la décision entreprise, au rejet des prétentions de Mme [F] et à sa condamnation à lui verser 2000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu les conclusions du 20 novembre 2014 au soutien de ses observations orales au terme desquelles Mme [T] [F] conclut à la confirmation de la décision déférée en ce qu'elle a condamné la société ISS PROPRETE à lui verser 37.225,51 € au titre des sommes indûment prélevées sur son salaire sur la période comprise entre novembre 2006 et avril 2010, avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts, et à son infirmation pour le surplus et demande à la cour de condamner la société ISS PROPRETE à lui verser 5000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, outre 2000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile , renvoie aux conclusions déposées et soutenues l'audience ;
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande remboursement des sommes prélevées sur les salaires
Pour infirmation de la décision entreprise, la société ISS PROPRETE fait valoir que ce n'est que tardivement après être sortie de ses effectifs que Mme [F] a contesté son mode de rémunération, alors que toutes les hôtesses de blocs qui y étaient attachées ainsi en particulier qu'à l'avantage que constituait l'usage établi des pourboires appelé "soucoupe", se sont toujours opposées à sa modification, seule leur sollicitation ayant été interdite par une note interne.
La société ISS PROPRETE ajoute que le montant de ces sommes ne pouvait être déterminé, qu'elle n'avait pas connaissance du montant des pourboires, de sorte que la base de calcul des cotisations sociales ne pouvait être inférieure à une assiette forfaitaire minimum, égale au montant cumulé du SMIC applicable, des indemnités, primes ou majorations s'ajoutant au SMIC, en vertu d'une disposition législative ou réglementaire, qu'elle a indiqué un salaire de base très supérieur au SMIC et légitimement décompté du salaire net, les sommes directement perçues par la salariée, sous l'intitulé certes impropre de "retenue avantage en nature [Localité 3]", sur la base du taux horaire net du SMIC applicable, multiplié par le nombre d'heures réalisées dans le mois, dans le souci de les assujettir à cotisation et d'en compléter le montant pour atteindre la rémunération mensuelle brute garantie.
La société ISS PROPRETE réfute les arguments de sa salariée qui selon elle, ne fonde sa réclamation sur aucun moyen juridique, se bornant à invoquer l'avis de l'inspecteur du travail tout aussi infondé, et ne rapporte pas la preuve du montant des pourboires qu'elle a reçus, pour démontrer que le total des sommes perçues était inférieur au SMIC.
Pour confirmation, Mme [T] [F] expose essentiellement que la somme forfaitairement prélevée sur son salaire était à tous égards injustifiée, en l'absence de relevé journalier ou de contrôle de l'employeur qui ne centralisait aucun pourboire et dont une note interne en interdisait la sollicitation, que les pourboires qui ne constituaient pas des avantages en nature, devaient être versés en sus du salaire de base, et non en remplacement ainsi que l'a rappelé l'Inspection du travail dans son courrier du 7 août 2007.
Mme [F] fait en outre valoir que d'anciennes salariées de la SAS ISS PROPRETE ont formé des demandes similaires ayant fait l'objet de décisions favorables du Conseil de Prud'hommes confirmées en appel, qu'aucun avenant à son contrat de travail verbal n'est intervenu, qu'en procédant ainsi sans la moindre justification de décompte de pourboires, à des retenues sur salaire au titre de ces pourboires inexactement qualifiés d'avantages en nature, la société appelante s'était soustraite à son obligation de paiement du salaire mensuel fixe, en sus des sommes versées à titre de pourboires, la démonstration n'étant pas faite que les prélèvements opérés aient pu correspondre aux pourboires effectivement perçus, que de ce fait, elle a été imposée sur des sommes non perçues, qu'en réalité la revendication des hôtesses des blocs sanitaires portait sur l'instauration d'un salaire minimum garanti fixe, avec maintien de la soucoupe et non pas au statut quo allégué qui ne concernait que le maintien de 7 postes en activité pour les services du matin et du soir.
L'article L 3243-3 du Code du travail dispose expressément que l'acceptation sans protestation ni réserve d'un bulletin de paie par le travailleur ne peut valoir de sa part renonciation au paiement de tout ou partie du salaire et des indemnités ou accessoires de salaire qui lui sont dus en application de la loi, du règlement, d'une convention ou d'un accord collectif de travail ou d'un contrat.
De la même manière, la circonstance que la salariée ait pu attendre de ne plus faire partie des effectifs de la société pour réclamer le remboursement de sommes qu'elle estime avoir été retenues à tort, ne peut lui être opposée, sauf à ce qu'elle ait pu agir au delà du délai de la prescription, non invoquée en l'espèce.
En application des dispositions de l'article L 3244-2 du Code du travail, les sommes remises volontairement par les clients pour le service s'ajoutent au salaire fixe, sauf dans le cas où un salaire minimum a été garanti par l'employeur.
En l'espèce, la société ISS PROPRETE ne produit aucun document contractuel ou conventionnel prévoyant les retenues auxquelles elle a procédé au titre des pourboires que la salariée pouvait être amenée à percevoir des usagers des toilettes de l'aéroport d'[Localité 3] auxquelles elle était affectée.
Ces sommes, de nature salariale, perçues directement par la salariée et de façon aléatoire et dont la société ISS PROPRETE ignorait le montant, ne constituaient pas des avantages en nature qui, considérés comme un élément de la rémunération au regard de l'article L. 242-1 du Code de la sécurité sociale applicable au moment des faits, doivent être mentionnés et valorisés pour être intégrés dans la rémunération brute pour le calcul des cotisations sociales avant d'être déduits du salaire net à payer, s'agissant d'avantages déjà perçus.
Dès lors qu'en connaissance de cause, la société ISS PROPRETE a opéré les retenues forfaitaires litigieuses en faisant irrégulièrement application des dispositions et du mécanisme relatifs aux avantages en nature, il lui appartenait de démontrer que ce faisant, elle avait toutefois garanti à sa salariée un salaire minimum.
A cet égard, s'il résulte de la note établie par la société ISS PROPRETE le 14 février 2007 produite aux débats qu'il était fait interdiction aux salariés de susciter le versement de pourboires qui devaient rester à la discrétion des usagers, il n'est pas soutenu par la société appelante qu'elle ait cherché à recueillir, auprès de Mme [F], une déclaration du montant des pourboires versés lui permettant de procéder pour leur montant, aux retenues intervenues afin que leur montant corresponde à celui des pourboires perçus.
Ainsi, la société ISS PROPRETE qui admet le caractère aléatoire des sommes versées au titre des pourboires, n'est pas en mesure de justifier avoir garanti à Mme [F] le salaire minimum dont elle se prévaut et ce, quand bien même les retenues auraient été réalisées à partir d'une rémunération supérieure au minimum garanti.
En toute hypothèse, la circulaire du 30 mars 1989 dispose que lorsqu'il s'agit de pourboires directement perçus par les salariés sans que l'employeur connaisse leur montant, le bulletin de paye ne mentionne que l'assiette forfaitaire retenue pour le calcul des cotisations de Sécurité sociale.
Les dispositions de l'article 2 de l'arrêté du 28 mars 1956 qui tendent à garantir aux salariés concernés une couverture sociale au moins équivalente à celle résultant du minimum garanti, n'autorisaient pas l'employeur à déduire indûment les pourboires perçus du montant du salaire net en empruntant le mécanisme applicable aux avantages en nature, les arguments tenant à la revendication alléguée du maintien du mode de rémunération par certains salariés ou délégués du personnel étant à cet égard inopérants.
Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de confirmer la décision entreprise de ce chef et de condamner la société ISS PROPRETE à verser à Mme [T] [F] la somme indûment retenue sur les bulletins de paie et non autrement contestée de 37.225,51 € nets de charges sociales, à titre de rappel de salaire pour la période comprise entre novembre 2006 et avril 2010, avec intérêts, au taux légal, à compter de la date de réception, par la société ISS PROPRETE, de sa convocation devant le bureau de conciliation.
Sur l'exécution déloyale du contrat de travail.
Pour infirmation, Mme [F] soutient que son employeur n'a pas respecté ses obligations à son égard concernant le paiement de son salaire, qu'il est résulté pour elle un préjudice de l'exécution de mauvaise foi de son contrat de travail, qu'elle évalue à 5000 €, ce que réfute la société ISS PROPRETE qui s'oppose à cette demande qu'elle estime injustifiée tant en son principe que dans son montant.
Il résulte des développements qui précèdent que non seulement la SAS ISS PROPRETE a manqué à ses obligations, à l'égard de Mme [F] en limitant ses ressources durablement, pendant une période de près de 5 ans mais y a procédé de manière particulièrement déloyale, en empruntant sciemment et non pas par erreur comme il est soutenu, le mécanisme des retenues des avantages en nature, de manière non seulement à récupérer en tout ou partie le montant des pourboires reçus par la salariée, tout en les éludant le cas échéant, du calcul de l'assiette des cotisations sociales, de sorte qu'il en est nécessairement résulté, pour Mme [F] qui de surcroît s'est trouvée imposée sur les sommes litigieuses, un préjudice consistant en une privation des moyens de faire face, pendant toute cette période, aux besoins de sa vie quotidienne, que ne répare pas intégralement le versement différé du rappel de salaire correspondant.
Il y a lieu en conséquence d'infirmer le jugement entrepris, sur ce point, et de condamner la société ISS PROPRETE à verser la somme de 2.000 € à Mme [F] à ce titre.
Sur la capitalisation des intérêts
En application de l'article 1154 du code civil, la capitalisation des intérêts est de droit dès lors qu'elle est régulièrement demandée ; elle ne peut être ordonnée qu'à compter de la demande qui en est faite et ne peut rétroagir avant cette demande ; elle peut être demandée pour les intérêts antérieurs dès lors qu'une année entière s'est déjà écoulée depuis la demande ; il doit être fait droit à cette demande';
Sur la délivrance du bulletin de salaire
La demande de remise d'un bulletin de salaire conforme à laquelle les premiers juges ont fait droit est fondée, de sorte qu'il y a lieu de débouter la société ISS PROPRETE de la demande formée à ce titre et de confirmer la décision entreprise de ce chef.
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure énoncée au dispositif ;
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,
DÉCLARE recevable l'appel formé par la SASU ISS PROPRETE anciennement dénommée ISS ABILIS FRANCE.
CONFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté Mme [T] [F] de sa demande de dommages et intérêts.
statuant à nouveau et y ajoutant,
CONDAMNE la SASU ISS PROPRETE à payer à Mme [T] [F] 2000 € à titre de dommages et intérêts ;
RAPPELLE que les sommes de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la date de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation, les autres sommes portant intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
ORDONNE la capitalisation des intérêts.
CONDAMNE la SASU ISS PROPRETE à payer à Mme [T] [F] 2000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE la SASU ISS PROPRETE de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes,
CONDAMNE la SASU ISS PROPRETE aux entiers dépens de première instance et d'appel,
LE GREFFIER LE PRESIDENT
L. CAPARROS P. LABEY