RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 12
ARRÊT DU 15 Janvier 2015
(n° , 4 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/08647
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 21 Mai 2013 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de PARIS RG n° 12-05345
APPELANTE
Madame [Q] [T] [D]
[Adresse 3]
[Adresse 5]
[Localité 2]
comparante en personne, et assistée de Me Nicole LELOIR, avocat au barreau de PARIS, toque : B0286
INTIMÉE
CAISSE RÉGIONALE D'ASSURANCE MALADIE D'ILE DE FRANCE
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par M. [U] en vertu d'un pouvoir spécial
Monsieur le Ministre chargé de la sécurité sociale
[Adresse 1]
[Localité 3]
avisé - non comparant
DÉFENSEUR DES DROITS - MISSION DE LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS ET POUR L'ÉGALITÉ
[Adresse 4]
[Localité 1]
représenté par M. [R] en vertu d'un pouvoir spécial (Agent du défenseur des droits)
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 06 Novembre 2014, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Bernadette VAN RUYMBEKE, Président
Monsieur Luc LEBLANC, Conseiller
Madame Marie-Ange SENTUCQ, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier : Mme Marion MÉLISSON, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Bernadette VAN RUYMBEKE, Président et par Madame Marion MÉLISSON, Greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Cour statue sur le fond du litige opposant Mme [D] à la Caisse régionale d'assurance maladie d'Ile de France (CRAMIF) après le rejet de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée à l'occasion de l'appel du jugement rendu le 21 mai 2013 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris ;
Faits, prétentions et moyens des parties :
Mme [D], née en [Date naissance 1] 1950, était titulaire d'une pension d'invalidité de la deuxième catégorie des invalides depuis le 1er janvier 2005 ; qu'en 2010, elle a demandé à bénéficier de cette pension au-delà de son soixantième anniversaire au motif qu'elle poursuivait une activité salariée ; que cette prolongation lui a été accordée sur le fondement de l'article L 341-16 du code de la sécurité sociale ; que le 10 novembre 2011, elle a cessé ses activités professionnelles à la suite d'un licenciement et a perçu les allocations de l'assurance chômage ; que la CRAMIF lui a notifié son refus de poursuivre le versement de sa pension d'invalidité au-delà du 30 novembre 2011 et lui a demandé le remboursement d'une somme de 868,86 € versée à tort pour le mois de décembre 2011 ; que l'intéressée a contesté cette décision devant la commission de recours amiable qui a rejeté sa réclamation par décision du 28 août 2012 ; qu'elle a alors saisi la juridiction des affaires de sécurité sociale.
Par jugement du 21 mai 2013, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris a débouté Mme [D] de ses demandes, confirmé la décision de la commission de recours amiable du 28 août 2012 et condamné Mme [D] à payer à la CRAMIF la somme de 868,86 €.
Mme [D] fait déposer et soutenir oralement par son conseil des conclusions demandant à la Cour d'écarter les dispositions de l'article L 341-16, alinéa 2, du code de la sécurité sociale qui constituent une violation des articles 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 1er du Protocole additionnel n° 1 annexé à cette convention et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Elle conclut en conséquence à ce qu'il soit reconnu qu'elle continuera à percevoir sa pension d'invalidité en parallèle avec ses indemnités de chômage, y compris les arriérés depuis le 1er janvier 2012 et, au cas où elle retrouverait un travail, que les trimestres accumulés soient pris en compte pour le calcul de sa retraite qui ne pourra prendre effet qu'au jour où elle le décidera. En tout état de cause, elle poursuit la condamnation de la CRAMIF à lui payer la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de son appel, elle prétend être victime d'une discrimination fondée sur le handicap et l'état de santé, dans la mesure où l'application de l'article L 341-16 l'empêche de bénéficier des mêmes droits que les personnes non handicapées qui peuvent retarder la liquidation de leurs droits à retraite et ont ainsi la possibilité d'améliorer le montant de leur pension de vieillesse. Elle indique qu'après son licenciement, elle a bénéficié du contrat de sécurisation professionnelle et que l'allocation versée à ce titre se cumule avec la pension d'invalidité. Elle considère que l'article précité est en totale contradiction avec la volonté législative d'assurer aux salariés invalides la possibilité d'améliorer leurs droits en matière de retraite en travaillant jusqu'à 65 ans et dénonce l'atteinte au principe du libre choix de la date de départ en retraite. Elle souligne à nouveau le caractère discriminatoire de la condition d'exercice d'une activité professionnelle qui ne s'impose qu'aux invalides ainsi privés de la possibilité d'acquérir des trimestres supplémentaires jusqu'à l'âge maximal prévu par la loi.
Dans le cadre des dispositions de l'article 33 de la loi organique du 29 mars 2011, le Défenseur des droits a présenté des observations écrites concluant à l'existence d'une discrimination indirecte à raison du handicap au sens des articles 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du protocole additionnel d'une part et de la directive 2000/78 ainsi que de la loi du 27 mai 2008 d'autre part. Selon lui, les dispositions de l'article L 341-16 du code de la sécurité sociale ont pour effet de priver les personnes handicapées de la possibilité d'acquérir des droits à pension de retraite dans les mêmes conditions qu'une personne non handicapée et cette différence de traitement constitue une discrimination prohibée. Il considère que cette inégalité ne repose sur aucune justification objective et raisonnable, que la condition d'exercice d'une activité professionnelle apparaît manifestement excessive et qu'il n'y a pas de rapport de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Il estime aussi qu'il n'est pas légitime d'exiger d'un assuré handicapé qu'il exerce une activité professionnelle pour continuer à bénéficier d'une pension d'invalidité lorsque l'assuré se trouve privé d'emploi pour des motifs extérieurs à son handicap. Il en déduit que cette exigence ne présente pas de caractère approprié et nécessaire.
Dans ses conclusions soutenues à l'audience, la CRAMIF demande la confirmation du jugement attaqué. Après avoir rappelé qu'en vertu de l'article L 341-15 du code de la sécurité sociale, la pension d'invalidité prend fin à l'âge prévu au premier alinéa de l'article L 351-1, soit 60 ans pour Mme [D] né en 1950, et est remplacée par la pension de vieillesse allouée au titre de l'inaptitude au travail, elle indique qu'il n'est dérogé à cette règle qu'en cas d'exercice d'une activité professionnelle. Elle fait observer que Mme [D] a bénéficié du maintien de sa pension d'invalidité au-delà de son soixantième anniversaire jusqu'au 30 novembre 2011 mais ne peut continuer à percevoir cette prestation depuis son licenciement. Selon elle, le remplacement obligatoire de la pension d'invalidité par une pension de vieillesse, en cas de cessation de l'activité professionnelle après 60 ans, ne présente pas de caractère discriminatoire fondé sur le handicap et la situation de l'intéressée ne peut se comparer à celle des personnes valides pour lesquelles la question d'une telle succession de prestations ne se pose pas.
Il est fait référence aux écritures déposées de part et d'autre pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions ;
Sur quoi la Cour :
Considérant qu'il convient d'abord de rappeler qu'aux termes de l'article L 341-15 du code de la sécurité sociale, la pension d'invalidité prend fin à l'âge prévu au premier alinéa de l'article L 351-1, c'est à dire à l'âge de 60 ans pour les assurés nés avant le 1er juillet 1951; qu'elle est automatiquement remplacée par la pension de vieillesse allouée en cas l'inaptitude au travail ;
Considérant toutefois que pour favoriser le travail des personnes invalides, il est prévu, par dérogation aux dispositions précédentes, qu'en cas d'activité professionnelle de l'assuré, la pension de vieillesse allouée au titre de l'inaptitude au travail ne lui est concédée que s'il en fait expressément la demande ; que s'il ne la demande pas, il continue à bénéficier de la pension d'invalidité jusqu'à la liquidation de sa retraite et au plus tard jusqu'à l'âge mentionné au 1° de l'article L 351-8 ;
Considérant que cette dérogation prévue par l'article L 341-16 du code de la sécurité sociale est donc expressément subordonnée à l'exercice d'une activité professionnelle et son bénéfice est exclu en cas de chômage quelles que soient les modalités de son indemnisation ;
Considérant que pour revendiquer malgré l'arrêt de son travail le maintien de la pension d'invalidité au-delà du 30 novembre 2011, Mme [D] invoque la discrimination dont elle serait victime par rapport aux personnes âgées, valides et au chômage qui conservent la possibilité d'acquérir de nouveaux droits avant de demander la liquidation de leur retraite alors qu'elle-même se voit privée, en raison de son handicap, de cette espérance légitime;
Considérant cependant que la situation des invalides perdant la possibilité de cumuler des revenus professionnels et une pension d'invalidité au-delà de l'âge auquel cette prestation prend normalement fin n'est pas comparable à celle des personnes âgées valides pour lesquelles cette question ne se pose pas ; que n'étant pas concernées par la substitution d'une pension de vieillesse à une pension d'invalidité, rien ne s'oppose à ce que les personnes valides retardent le moment de la liquidation de leurs droits à retraite ; qu'elles ne sont pas obligées de demander la liquidation de leurs droits à l'assurance vieillesse à l'âge légal de la retraite en cas d'absence d'activité professionnelle parce qu'elles ne sont pas prises en charge par l'assurance invalidité ;
Considérant qu'en l'espèce, si les invalides privés d'emploi perdent à compter de l'âge prévu à l'article L 351-1 la possibilité d'acquérir des trimestres supplémentaires leur donnant droit à une pension de vieillesse plus avantageuse alors qu'ils n'y seraient pas contraints s'ils étaient valides, cette différence ne constitue pas pour autant une discrimination fondée sur le handicap ; qu'en effet, à compter de l'âge précédemment mentionné, le régime social de l'assurance invalidité est automatiquement relayé par celui de l'assurance vieillesse, sauf en cas d'exercice d'une activité professionnelle ; qu'en revanche, les personnes âgées, valides et au chômage ne perçoivent pas de pension d'invalidité et ne peuvent donc pas être contraintes de percevoir une pension au lieu et place de l'autre ;
Considérant qu'en réalité, il s'agit de deux situations différentes que le législateur règle de façon distincte et cette différence de traitement est en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;
Considérant qu'en tout état de cause, les dispositions du code de la sécurité sociale ne font pas obstacle à l'exercice d'une activité professionnelle par les personnes invalides qui peuvent cumuler les revenus retirés de cette activité avec leur pension d'invalidité jusqu'à leur départ volontaire en retraite ; que l'article incriminé prévoit seulement que cette pension est remplacée par la pension de vieillesse lorsque l'assuré atteint l'âge légal prévu par la loi pour liquider ses droits à la retraite et n'exerce aucune activité ;
Considérant que de surcroît, comme le souligne à juste titre le jugement attaqué, la pension de vieillesse qui se substitue à la pension d'invalidité est calculée sur la base d'un taux plein quelle que soit la durée d'assurance acquise par l'assuré ;
Considérant qu'au demeurant, la discrimination alléguée n'est pas directement liée au handicap puisque la possibilité ou non de maintenir la pension d'invalidité dépend uniquement de l'exercice par l'assuré d'une activité professionnelle ;
Considérant que les dispositions critiquées ne sont donc pas contraires aux articles 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 1er du protocole additionnel n°1 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'union européenne ; qu'elles ne contreviennent pas non plus à la directive 2000/78 transposée à l'article 2 de la loi du 27 mai 2008 ;
Considérant que, dans ces conditions, c'est à juste titre que les premiers juges ont débouté Mme [D] de ses prétentions et l'ont condamnée à restituer les allocations trop perçues au titre du mois de décembre 2011 ;
Que leur décision sera confirmée ;
Considérant que Mme [D] qui succombe en son appel, sera déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Par ces motifs :
Déclare Mme [D] recevable mais mal fondée en son appel ;
Confirme le jugement attaqué ;
Déboute Mme [D] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
Fixe le droit d'appel prévu par l'article R 144-10, alinéa 2, du code de la sécurité sociale à la charge de l'appelante au 10ème du montant mensuel du plafond prévu à l'article L 241-3 et la condamne au paiement de ce droit s'élevant à la somme de 317 euros.
Le Greffier, Le Président,