RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 7
ARRÊT DU 19 Février 2015
(n° , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/10361
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 19 Octobre 2012 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS Section Encadrement RG n° 11/07044
APPELANT
Monsieur [O] [U]
[Adresse 1]
[Localité 2]
comparant en personne
assisté de Me Frédéric NAVARRO, avocat au barreau de PARIS, toque : R090
INTIMEE
SA MORGAN STANLEY & CO INTERNATIONAL, société étrangère
[Adresse 2]
[Localité 1]
en présence de Mme [C] [X] Directrice des Ressources Humaines, Directeur exécutif et de M. [B] [Q]
assistée de Me Géric CLOMES, avocat au barreau de PARIS, toque : J30
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Janvier 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Patrice LABEY, Président
Monsieur Bruno BLANC, Conseiller
Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Conseiller
Greffier : Madame Laëtitia CAPARROS, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Patrice LABEY, Président, et par Melle Laëtitia CAPARROS, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
M. [O] [U] a été engagé par la société MORGAN-STANLEY&CO INTERNATIONAL PLC (MORGAN-STANLEY), le 22 juillct 2002 en qualité d'Associate, Responsable des Services Généraux, statut cadre, dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée à effet au 7 juillet 2002.
Nommé vice-président, Responsable des Services Généraux pour les pays d'Europe du Sud, Moyen-Orient et Afrique à compter de 2006, sous l'autorité de M. [M] [I] directeur exécutif pour l'ensemble de l'Europe, M. [U] percevait dans le dernier état des relations contractuelles régies par les dispositions de la convention collective du Personnel des Sociétés Financières, une rémunération brute mensuelle de 7659,35 €.
M. [U] a fait l'objet le 17 février 2011 d'une mise à pied conservatoire assortie d'une convocation à un entretien préalable à licenciement, qui s'est tenu le 28 février 2011 avant d'être licencié par lettre du 10 mars 2011 pour faute grave constituée par :
- [...]des comportements envers nos prestataires externes et leurs salariés caractérisés par des insultes et des humiliations injustifiées et des exigences en terme de comportement disproportionnées à l'objectif de perfection [...].
- un usage [à plusieurs reprises] de prestataires pour des besoins personnels ou pour des tâches qui ne leur incombaient pas et relevant de [ses] responsabilités propres, en contradiction avec [vos] obligations contractuelles."[...]
Le 06 mai 2011, M. [U] saisissait le Conseil de prud'hommes de PARIS aux fins de faire juger que le licenciement intervenu le 10 mars 2011 était dénué de cause réelle et sérieuse et faire condamner la société MORGAN-STANLEY à lui payer :
- l83 825 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 5 302,63 € à titre de rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire ;
- 530,26 € au titre des congés afférents ;
- 22978,05 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
- 2297,80 € au titre des congés afférents ;
-34 145,39 € à titre d'indemnité de licenciement ;
Outre l'exécution provisoire et l'octroi d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, M. [U] demandait au Conseil de prud'hommes d'ordonner sous astreinte la remise d'un bulletin de paie, d'une attestation Pôle emploi et d'un certificat de travail.
La Cour est saisie d'un appel formé par M. [U] contre le jugement du Conseil de prud'hommes de PARIS en date du 21 juin 2012 qui l'a débouté de l'ensemble de ses demandes.
Vu les conclusions du 09 janvier 2015 au soutien des observations orales par lesquelles M. [U] conclut à l'infirmation de la décision entreprise et à la condamnation de la société MORGAN&STANLEY à lui verser :
- l83 825 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 5 302,63 € à titre de rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire ;
- 530,26 € au titre des congés afférents ;
- 22978,05 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
- 2297,80 € au titre des congés afférents ;
- 34 145,39 € à titre d'indemnité de licenciement ;
Outre "l'exécution provisoire" et l'octroi d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, M. [U] demande à la cour d'ordonner sous astreinte la remise d'un bulletin de paie, d'une attestation Pôle emploi et d'un certificat de travail.
Vu les conclusions du 09 janvier 2015 au soutien de ses observations orales au terme desquelles la société MORGAN&STANLEY conclut à la confirmation de la décision déférée, au rejet des prétentions de M. [U] et à sa condamnation à lui verser 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile , renvoie aux conclusions déposées et soutenues l'audience ;
MOTIFS DE LA DECISION
Il résulte des articles'L.1234-1 et L.1234-9 du code du travail que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n'a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement.
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle fait obstacle au maintien du salarié dans l'entreprise y compris pendant la durée du préavis.
L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.
En application des dispositions de l'article L1332-4 du Code du travail, aucun fait fautif ne peut, à lui seul, donner lieu à l'engagement de poursuites disciplinaires au delà de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance ; lorsqu'un fait fautif a eu lieu plus de deux mois avant le déclenchement des poursuites disciplinaires, il appartient à l'employeur de rapporter lui-même la preuve qu'il n'en a eu connaissance que dans les deux mois ayant précédé l'engagement de la procédure disciplinaire ; toutefois l'existence de faits commis dans cette période permet l'examen de faits plus anciens relevant du même comportement, reproduits dans la période ;
Il résulte notamment de ces principes que seuls les faits dénoncés dans la lettre de licenciement doivent être pris en compte à condition qu'ils ne soient pas antérieurs de plus de deux mois à l'engagement de la procédure, exclusion faite de faits relevant éventuellement du même comportement s'ils n'ont pas été invoqués, exclusion faite plus encore de faits relevant d'un autre comportement, spécialement s'ils sont antérieurs de plus de deux mois.
La lettre de licenciement qui circonscrit les limites du litige et qui lie le juge, est ainsi rédigée:
"Nous avons eu à déplorer de votre part un agissement constitutif d'une faute grave.
En effet, nous avons eu à regretter de votre part de nombreux agissements incompatibles avec vos fonctions :
D'une part, un comportement envers nos prestataires externes et leurs salariés caractérisé par des brimades et des humiliations injustifiées, ainsi que des exigences en terme de comportement et d'attitude totalement disproportionnées à l'objectif de « perfection » que vous nous avez évoqué lors dé notre entretien préalable ;
D'autre part vous avez à plusieurs reprises fait usage de nos prestataires pour des besoins personnels ou pour des tâches qui ne leur incombaient pas et relevaient de vos responsabilités propres, en contradiction avec vos obligations contractuelles.
Ces faits ternissent l'image de notre société, sont humainement inacceptables, ont engendré le départ de certains prestataires, et mettent également à terme en risque l'ensemble des responsabilités dont vous avez la charge. Ils sont inacceptables.
De plus, certains de ces comportements vous avaient par le passé déjà été reprochés."
Pour infirmation, M. [U] fait essentiellement valoir qu'outre le fait que les attestations produites, sujettes à caution car obtenues d'employés de prestataires dépendant économiquement de son employeur, doivent être écartées car non-conformes aux exigences du code de procédure civile, celles-ci ne se rapportent à aucun fait précisément daté.
En outre, M. [U] qui conteste les accusations portées à son encontre au delà de termes de la lettre de licenciement, soutient qu'en réalité son éviction résulte d'un différend survenu avec M. [S] et son assistante concernant la distribution d'étrennes aux agents de nettoyage, arguant au surplus n'avoir jamais fait l'objet du moindre reproche ou de la moindre sanction de son employeur pendant huit ans et demi.
La société MORGAN-STANLEY réfute l'argument selon lequel le licenciement de M. [U] aurait pour origine le différend dont il fait état, M. [S] n'ayant aucune responsabilité à son égard, et expose que les attestations produites démontrent la réalité des griefs articulés à l'encontre du salarié, constitutifs d'une faute grave.
En l'espèce, la cour ne peut que constater, ainsi que l'y invite le salarié, que les faits qui sont imputés à M. [U], ne sont datés ni dans la lettre de licenciement, ni dans les différents "témoignages" parfois incomplètement produits et qualifiés d'attestations par l'employeur, ou se rapportent à des périodes antérieures au délai de prescription sus-visé, voire se réfèrent notamment, de manière particulièrement vague à des tensions persistant depuis 2009 jusqu'à la date de l'engagement de la procédure disciplinaire .
Si de telles carences dans l'administration de la preuve qui incombe à l'employeur sont suffisantes à ôter tout caractère réel et sérieux aux griefs articulés à l'encontre de M. [U], nonobstant leur caractère délétère, à supposer que l'intéressé ait pu adopter un tel comportement, il est également établi que ce dernier n'avait jamais fait l'objet de procédure disciplinaire depuis son embauche, ni d'évaluation négative y compris à la suite de tensions avec ses collègues de Londres ou de [F].
Au surplus, il apparaît que non seulement les personnes ayant établi les "témoignages" imputant à M. [U] un comportement équipollent à du harcèlement moral, employées par deux des cinq principaux prestataires, en charge pour l'une de la sécurité du site et pour l'autre de l'accueil, sont revenues sur leur témoignage, mais qu'en outre la concomitance entre l'engagement de la procédure disciplinaire et l'issue favorable à la position de M. [U] dans le différend l'opposant à M. [S] et à son assistance, au sujet de la distribution des étrennes au personnel du prestataire de ménage du site de MORGANE-STANLEY, permet de considérer qu'il s'agit du véritable motif de son engagement et ce, nonobstant l'absence de lien hiérarchique entre M. [S], dirigeant d'une autre entité de MORGAN et M. [U].
De surcroît, l'employeur qui n'ignorait pas certaines difficultés relationnelles ou de management que pouvait rencontrer M. [U] ainsi qu'en attestent le courriel d'échanges entre M. [I] et Mme [Z] entre le 19 et le 25 septembre 2008 au sujet des difficultés concernant [F] et le courriel de M. [Q] du 2 mars 2009 concernant le recadrage de son comportement à l'égard des prestataires, qui manifestement relèvent de l'appréciation de ses qualités professionnelles, ne rapporte aucun élément de nature à démontrer en quoi son comportement aurait, dans le délai de prescription, dégénéré au point de faire obstacle à la poursuite de son contrat de travail et de justifier sa mise à pied.
Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'infirmer la décision entreprise et de déclarer le licenciement de M. [U] dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Compte tenu de l'effectif du personnel de l'entreprise, d'une perte d'ancienneté significative de 8 ans et demi pour un salarié âgé de 42 ans ainsi que des conséquences matérielles et morales du licenciement à son égard, notamment des conditions particulières de son éviction ainsi que cela résulte des débats, il lui sera alloué, en application de l'article L 1235-3 du Code du travail une somme de 96.000 € à titre de dommages-intérêts ;
Le licenciement étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, le salarié peut prétendre aux indemnités de licenciement, compensatrice de préavis et de congés afférents ainsi qu'au rappel de salaire afférent à la mise à pied conservatoire tel qu'il est dit au dispositif, pour les sommes non autrement contestées.
Sur la remise des documents sociaux
La demande de remise de documents sociaux conformes est fondée ; il y sera fait droit dans les termes du dispositif ci-dessous sans qu'il y ait lieu à astreinte ;
Sur le remboursement ASSEDIC
En vertu l'article L 1235-4 ( L 122-14-4 alinéa 2 ancien) du Code du travail dont les conditions sont réunies en l'espèce, le remboursement des indemnités de chômage par la société MORGANE-STANLEY, employeur fautif, est de droit ; ce remboursement sera ordonné ;
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure énoncée au dispositif ;
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,
DÉCLARE recevable l'appel formé par M. [O] [U],
INFIRME le jugement entrepris,
et statuant à nouveau
DÉCLARE le licenciement de M. [O] [U] dépourvu de cause réelle et sérieuse,
CONDAMNE la Société MORGAN-STANLEY & CO INTERNATIONAL PLC :
à payer à M. [O] [U] :
- 96.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 5 302,63 € à titre de rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire ;
- 530,26 € au titre des congés afférents ;
- 22.978,05 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
- 2.297,80 € au titre des congés afférents ;
- 34.145,39 € à titre d'indemnité de licenciement ;
RAPPELLE que les sommes de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la date de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation, les autres sommes portant intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
à remettre à M. [O] [U] un certificat de travail, une attestation destinée au Pôle Emploi et un bulletin de salaire conformes au présent arrêt dans un délai de deux mois à compter de sa signification
CONDAMNE la Société MORGAN-STANLEY & CO INTERNATIONAL PLC à payer à M. [O] [U] 3.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE la Société MORGAN-STANLEY & CO INTERNATIONAL PLC de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes,
ORDONNE le remboursement par la Société MORGAN-STANLEY & CO INTERNATIONAL PLC à l'organisme social concerné des indemnités de chômage payées à M. [O] [U] dans les limites des six mois de l'article L 1235-4 du code du travail.
CONDAMNE la Société MORGAN-STANLEY & CO INTERNATIONAL PLC aux entiers dépens de première instance et d'appel,
LE GREFFIER LE PRESIDENT
L. CAPARROS P. LABEY