Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 8
ARRÊT DU 10 MARS 2015
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 13/21655
Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Novembre 2013 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2013000671
APPELANTS :
Monsieur [B] [W]
né le [Date naissance 2] 1976 à [Localité 4]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représenté par Me Jean-Jacques FANET, avocat au barreau de PARIS, toque : D0675
Ayant pour avocat plaidant Me Jean-Louis BONNABEL, avocat au barreau de MARSEILLE
Monsieur [L] [W]
né le [Date naissance 1] 1980 à [Localité 4]
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représenté par Me Jean-Jacques FANET, avocat au barreau de PARIS, toque : D0675
Ayant pour avocat plaidant Me Jean-Louis BONNABEL, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEE :
SAS PRODITION prise en la personne de Monsieur [T] [O], Directeur Général
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Cédric AGNUS de la SELARL LEXEUROPE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0128
Ayant pour avocat plaidant Me Claire BOUSSEAU, avocat au barreau de Paris, toque : L0128
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 12 Janvier 2015, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Marie HIRIGOYEN, Présidente de chambre, présidente
Madame Marie-Christine HEBERT-PAGEOT, Présidente de chambre
Monsieur Joël BOYER, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Mme Pervenche HALDRIC
Ministère Public : L'affaire a été communiquée au ministère public.
ARRET :
- contradictoire
- rendu par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Marie HIRIGOYEN, présidente et par Madame Pervenche HALDRIC, greffière présente lors du prononcé.
La société Prodition, fabricant de prothèses auditives, a conclu le 29 janvier 2003 un contrat de partenariat commercial avec une société luxembourgeoise HIG, dirigée par M. [Z] [W], société holding détenant la totalité du capital d'une société de droit français, International Audio Group (IAG), elle-même dirigée par M. [W], et qui détenait 99% du capital social de 14 filiales de distribution et de commercialisation de produits auditifs sous la marque Audinova ainsi que 99% du capital de la société France Audio, centrale d'achat qui assurait l'approvisionnement en prothèses des filiales du groupe IAG.
La société Prodition qui avait toujours soutenu financièrement le développement du réseau IAG en France et qui s'était ménagée, au travers du contrat de partenariat, une faculté d'audit des comptes sociaux de la société IAG et de ses filiales françaises, se trouvait, au 30 juin 2006, créditrice de la centrale d'achat France Audio au titre des encours fournisseurs à hauteur de 2 550 987,19 euros, encours qu'elle a accepté de convertir en prêt d'un même montant aux termes d'une convention du 12 octobre 2006, France Audio, alors dirigée par M. [D] [I], s'étant engagée à rembourser ce prêt en 84 mensualités.
Le 4 janvier 2007, les fonds de commerce des 14 filiales de la société IAG ont été cédés pour la somme de 6 310 000 euros ainsi que la marque Audinova au prix de 800 000 euros.
Le 5 janvier 2009, M. [Z] [W], qui était devenu président de France Audio le 5 avril 2007 en remplacement de M. [I], démissionnaire, faisait part à Prodition de difficultés financières retardant le remboursement du prêt mais indiquait espérer être en mesure de procéder à un règlement partiel au cours de l'année 2009.
Le 12 mai 2010 un traité de fusion était signé entre la société France Audio et la société IAG qui devenait par conséquent débitrice de Prodition au titre du prêt consenti à la première en octobre 2006.
Après une vaine mise en demeure d'avoir à payer la somme de 2 829 058,26 euros, la société Prodition a fait assigner la société IAG en paiement, par acte du 7 avril 2011, devant le tribunal de commerce de Nanterre.
Cependant, par jugement du 31 mars 2011, le tribunal de commerce de Marseille avait ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société IAG. La société Prodition a déclaré sa créance au passif de cette procédure à hauteur de 2 829 058,26 euros.
Invoquant une faute détachable des fonctions ayant consisté pour les dirigeants des sociétés IAG et France Audio à ne pas avoir utilisé les fonds dont ces sociétés disposaient ensuite de la cession des fonds de commerce des filiales du groupe pour la désintéresser en préférant les investir dans des sociétés malgaches dont M. [W] était le dirigeant, la société Prodition a fait assigner MM. [D] [I] et [Z] [W] devant le tribunal de commerce de Paris en responsabilité en poursuivant leur condamnation solidaire à lui payer la somme de 3 035 128, 10 euros, encours du prêt non remboursé au 31 décembre 2009.
M. [Z] [W] étant décédé le [Date décès 1] 2010, la société Prodition a régularisé la procédure à l'égard de ses deux ayants droit, MM. [B] et [L] [W], par actes des 20 et 23 février 2012.
Parallèlement, ces deux derniers ont fait délivrer assignation à la société Prodition, par acte en date du 30 mai 2012, pour se voir décharger, en application de l'article 786 du code civil, de leur obligation à la dette successorale.
Ces assignations ont été jointes et par jugement du 4 novembre 2013, le tribunal:
- a dit non prescrite l'action en responsabilité personnelle engagée à l'encontre des dirigeants des sociétés IAG et France Audio,
- a dit irrecevable l'action engagée à l'encontre de M. [W] en sa qualité de président de la société IAG,
- a débouté la société Prodition de ses demandes à l'encontre de M. [I], président de la société France Audio jusqu'au 5 avril 2007,
- a dit que M. [W] a commis une faute détachable de ses fonctions de président de la société France Audio,
- a fixé à 2 919 991 euros la dette de M. [Z] [W] envers la société Prodition,
- a condamné MM. [B] et [L] [W], en qualités d'héritiers, à payer à la société Prodition respectivement 220 526 euros et 222 412 euros avec intérêts au taux légal à compter du 20 février 2012 et a prononcé la décharge du solde de leur dette successorale pour le surplus,
- a débouté MM. [B] et [L] [W] de leur demande reconventionnelle en dommages-intérêts,
- a condamné MM. [B] et [L] [W] aux dépens.
MM. [B] et [L] [W] ont relevé appel de cette décision par déclaration du 13 novembre 2013.
Dans leurs dernières conclusions signifiées le 6 juin 2014, ils demandent à la cour d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré, de débouter la société Prodition de toutes ses demandes, de déclarer prescrite, irrecevable et en tout cas mal fondée, l'action de la société Prodition, subsidiairement, de les dire bien fondés, au visa de l'article 786, alinéa 2, du code civil, à solliciter la décharge complète de l'obligation à la dette successorale qu'ils avaient motif légitime d'ignorer au moment de l'acceptation de la succession, encore plus subsidiairement, de confirmer la décision des premiers juges quant au quantum de la condamnation en rejetant toute prétention contraire de la société Prodition, de condamner cette dernière à leur payer à chacun la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts ainsi que la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions signifiées le 8 avril 2014, la société Prodition demande à la cour de confirmer le jugement déféré sauf quant au quantum des condamnations prononcées à son profit et, statuant à nouveau, de condamner solidairement les consorts [W] à lui payer la somme totale de 442 938 euros à laquelle s'ajoutera la valeur des propriétés reçues par donation évaluée à leur valeur vénale au jour de l'arrêt à intervenir, le tout assorti des intérêts au taux légal à compter du 20 février 2012, de les condamner sous la même solidarité à lui payer la somme de 50 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
SUR CE
Sur la prescription
Pour rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription, opposée par les consorts [W] à la société Prodition, les premiers juges ont retenu que cette dernière qui disposait d'un droit de contrôle sur les comptes d'IAG ne pouvait prendre connaissance des investissements réalisés avant la fusion par la société France Audio à Madagascar qu'après cette fusion intervenue le 18 juin 2010 et la publication au registre du commerce et des sociétés des actes correspondants, de sorte que le délai de trois ans de l'article L 225-254 du code de commerce n'était pas expiré à la date de l'assignation délivrée le 23 février 2012.
Selon l'article L 225-254, le délai de prescription court à compter du fait dommageable, ou, s'il a été dissimulé, de sa révélation.
En l'espèce, en dépit de fluctuations dans ses écritures successives devant les premiers juges, la société Prodition qui conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action dirigée contre les ayants droit de M. [Z] [W], au titre de la faute détachable de ses fonctions de dirigeant d'IAG, faute de préjudice distinct de celui de la masse des créanciers de cette dernière, n'invoque en cause d'appel que la faute de M. [W] en tant que dirigeant de France Audio.
La faute alléguée consiste pour le dirigeant de la société France Audio, laquelle avait recouvré les créances qu'elle détenait sur les filiales d'IAG ensuite de la cession par ces dernières de leurs fonds de commerce, à ne pas lui avoir remboursé le prêt qu'elle lui avait consenti ayant alors préféré accorder une avance de trésorerie à sa maison-mère IAG permettant à cette dernière d'investir dans des sociétés malgaches dont M. [W] était le dirigeant.
Il en résulte, la cession des fonds de commerce étant intervenue le 4 avril 2007 et le prêt litigieux ayant été consenti par France Audio à IAG durant le même exercice, comme les comptes de l'exercice clos au 31 décembre 2007 en font foi, que le fait dommageable allégué est survenu au plus tard à compter de cette dernière date.
C'est vainement que la société Prodition invoque un report du point de départ de la prescription à la date à laquelle elle a eu connaissance de l'emploi des fonds ainsi remontés de la filiale France Audio à sa maison-mère IAG, faute de toute dissimulation, laquelle suppose des manoeuvres, en l'espèce pas même alléguées.
Il sera relevé sur ce point que l'avance consentie par France Audio à IAG figurait dans les comptes des deux sociétés, que IAG qui avait formé opposition à la distribution du prix de cession des fonds de commerce avait nécessairement connaissance desdites cessions et qu'elle disposait, en application du contrat de partenariat du 29 janvier 2003, d'un droit de contrôle et d'audit sur les comptes d'IAG et de toutes ses filiales dont il n'est pas soutenu qu'ils auraient été incomplets, inexacts ou insincères.
Et les premiers juges se sont mépris en évoquant des investissements directs de France Audio dans des sociétés malgaches dont Prodition n'auraient eu connaissance qu'à la faveur du traité de fusion-absorption de France Audio par IAG, alors que les seuls investissements allégués sont le fait d'IAG et non de France Audio et qu'ils figuraient nécessairement dans les comptes de la première, lesquels étaient sous contrôle de Prodition, de sorte que la dissimulation du fait dommageable, seule de nature à reporter le point de départ de la prescription fait défaut.
Il s'en évince que la société Prodition était prescrite à la date de l'assignation en ce qu'elle recherchait la responsabilité du dirigeant de France Audio, laquelle a été délivrée plus de quatre ans après le fait dommageable allégué et il sera fait droit à la fin de non-recevoir tirée de la prescription de ce chef.
S'agissant de l'action visant le dirigeant de IAG au titre de sa faute personnelle, le jugement déféré qui a déclaré l'action irrecevable faute de préjudice distinct de celui de la masse des créanciers sera, en tant que de besoin, confirmé de ce chef et infirmé en toutes ses autres dispositions.
Les consorts [W] seront déboutés de leur demande de dommages-intérêts au titre de la procédure abusive, laquelle est insuffisamment caractérisée.
Il leur sera alloué une somme de 5 000 euros chacun au titre de leurs frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action en responsabilité personnelle engagée par la société Prodition au titre de la faute détachable des fonctions de M. [Z] [W] en sa qualité de président de la société International Audition Group (IAG),
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Fait droit à la fin de non-recevoir tirée de la prescription et déclare la société Prodition irrecevable en ses demandes au titre de la faute personnelle de M. [W] en sa qualité de dirigeant de France Audio,
Rejette toute autre demande,
Condamne la société Prodition à payer à MM. [B] et [L] [W] la somme de 5 000 euros à chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Prodition aux entiers dépens, les dépens d'appel pouvant être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La Greffière, La Présidente,