RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 11
ARRÊT DU 13 Mars 2015 après prorogation
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/10621
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 26 Juillet 2012 par le Conseil de Prud'hommes de BOBIGNY - RG n° 11/04390
APPELANTE
SAS LAPEYRE SERVICES
[Adresse 2]
représentée par Me Catherine DAVICO-HOARAU, avocat au barreau de PARIS, toque : P0053
INTIME
Monsieur [J] [K]
[Adresse 1]
comparant en personne, assisté de Me Bertrand WAMBEKE, avocat au barreau de LILLE substitué par Me Thierry VANHOUTTE, avocat au barreau de LILLE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Janvier 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Isabelle DOUILLET, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Marie-Luce CAVROIS, Présidente
Madame Evelyne GIL, Conseillère
Madame Isabelle DOUILLET, Conseillère
Qui en ont délibéré
Greffier : Melle Flora CAIA, lors des débats
ARRET :
- Contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Marie-Luce CAVROIS, Présidente et par Mademoiselle Flora CAIA, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Vu l'appel régulièrement interjeté par la société LAPEYRE SERVICES à l'encontre d'un jugement prononcé le 26 juillet 2012 par le conseil de prud'hommes de Bobigny ayant statué sur le litige qui l'oppose à M. [J] [K] sur les demandes de ce dernier relatives à la rupture de son contrat de travail.
Vu le jugement déféré qui
- a jugé que le licenciement de M. [K], prononcé pour faute grave, ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse,
- a condamné la société LAPEYRE SERVICES à payer à M. [K] les sommes suivantes outre intérêts de droit à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation pour les créances de nature salariale et à compter du jour du jugement pour les créances à caractère indemnitaire :
- 3 069,44 € au titre du salaire des jours de mise à pied conservatoire,
- 16 663,73 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- les congés payés de 1/10ème afférents à ces sommes,
- 59 805,94 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 1 485,85 € à titre d'indemnité pour non respect du droit individuel à la formation (DIF),
- 88 000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- a ordonné la remise à M. [K] des documents conformes au jugement,
- a débouté M. [K] du surplus de ses demandes,
- a mis les dépens à la charge de la société LAPEYRE SERVICES.
Vu les conclusions visées par le greffier et développées oralement à l'audience aux termes desquelles :
La société LAPEYRE SERVICES, appelante, poursuivant l'infirmation du jugement déféré, demande à la cour de débouter M. [K] de l'ensemble de ses demandes et de le condamner à lui payer les somme de 5 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [J] [K], intimé, conclut :
- à la confirmation du jugement en ses dispositions relatives à la qualification du licenciement, au salaire des jours de mise à pied conservatoire, à l'indemnité compensatrice de préavis, aux congés payés afférents, à l'indemnité pour non respect du DIF,
- à sa réformation pour le surplus et, en conséquence, à la condamnation de la société LAPEYRE SERVICES à lui payer les sommes suivantes, outre intérêts de droit à compter de la saisine du conseil de prud'hommes pour les créances de nature salariale et à compter du jour du jugement pour les créances à caractère indemnitaire :
- 138 864,79 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 62 878,69 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 25 000 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral distinct,
- à la condamnation de la société LAPEYRE SERVICES à communiquer, sous astreinte, la décision à intervenir par courrier électronique à l'ensemble des collaborateurs de la société LAPEYRE SERVICES avec copie simultanée à lui-même,
- à la remise, sous astreinte, des documents de fin de contrat rectifiés,
- à la condamnation de la société LAPEYRE SERVICES à lui payer la somme de 4 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
CELA ÉTANT EXPOSÉ
M. [K] a été embauché à compter du 18 août 1987 par la société MENUISERIES LAPEYRE, aux droits de laquelle vient aujourd'hui la société LAPEYRE SERVICES, en qualité de vendeur magasinier.
La convention collective applicable est celle des menuiseries, charpentes et constructions industrialisées.
En dernier lieu, M. [K] était responsable du service catalogue au sein de la direction de la communication (statut cadre) et percevait un salaire mensuel brut forfaitaire de base de 4 846,48 €.
Le 19 février 2009, la société LAPEYRE SERVICES a convoqué M. [K] pour le 2 mars 2009 à un entretien préalable à un éventuel licenciement et lui a notifié sa mise à pied à titre conservatoire.
Le licenciement a été prononcé par lettre du 9 mars 2009 pour faute grave, dans les termes suivants :
' Courant décembre 2008, le contrôle de gestion, en charge des directions du siège, a alerté la direction communication, dont vous faites partie, sur le dépassement de ces frais par rapport à l'atterrissage initialement prévu.
Nous avons donc entrepris d'étudier ses frais de plus près. Concernant le service catalogue, dont vous avez la responsabilité, le contrôle de gestion a affiné, à notre demande, l'analyse, en distinguant notamment les frais de fonctionnement de l'équipe proprement dite des autres frais.
Constatant des frais de déplacement importants, nous avons examiné ce poste de plus près. En approfondissant, il est apparu que le récapitulatif des frais pour location de voiture s'élevait à environ 4 000 € environ pour l'année 2008.
Ces montants nous ont semblé anormalement élevés par rapport notamment aux autres services. Nous avons donc fait une recherche plus précise et avons constaté que vous aviez loué une voiture sur des longues périodes en 2005 et de façon et de façon quasi continu depuis septembre 2006 et ce jusque fin 2008. Ces locations se sont faites via les agences de location de voitures HERTZ ou SIXT pour un montant global de près de 13'000 euros.
Vous avez établi la réservation de ces voitures par notre centrale de réservation prorésa.
Chaque facture est en effet établie à votre nom.
Or ces locations de voiture ne sont pas justifiées par de quelconques déplacements professionnels, compte tenu du poste que vous occupez et de votre activité. À aucun moment vous n'avez eu l'autorisation par votre responsable de louer une voiture à titre professionnel pour des durées aussi importantes.
Il apparaît donc que vous avez loué plusieurs voitures de location, aux frais de l'entreprise, à des fins personnelles et de façon quasi continu, pour un montant s'élevant à environ 13'000 euros sur ces quatre dernières années.'
Le 14 novembre 2011, M. [K] a saisi le conseil de prud'hommes qui a rendu le jugement déféré.
SUR CE
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé aux conclusions écrites déposées par les parties à l'audience du 9 janvier 2015 qu'elles ont développées oralement lors de cette même audience.
Sur le licenciement
Sur la prescription des faits et la qualification du licenciement
L'article L. 1332-4 du code du travail dispose qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.
Il résulte de la lettre de licenciement qu'il est reproché à M. [K] des frais de location de véhicules abusifs au cours de la période 2005 / fin 2008, et ce, 'de façon quasi continue'.
M. [K] soutient que les faits sont prescrits.
La société LAPEYRE SERVICES oppose qu'après un courriel de Mme [Q], responsable du contrôle interne, du 19 novembre 2008 appelant l'attention sur les frais de location de voitures engagés par M. [K] en 2007 et 2008, elle a mené des investigations auprès des sociétés de location concernées et également auprès du service d'archivage du groupe auquel elle appartient (SAINT GOBAIN) afin de connaître avec davantage de précision le montant des dépenses engagées par M. [K] au cours des années 2005 à 2008 ; que ces informations ne lui ont été transmises qu'à la mi-janvier et le 19 février 2009.
Mais, si le courriel de Mme [Q] du 19 novembre 2008 a conduit l'employeur à procéder à des recherches plus approfondies pour connaître le montant des frais de location de véhicules engagés par son salarié depuis 2005, et pour cela, à solliciter le 19 février 2009 (seulement) le service des archives du groupe (pièce 36 de la société LAPEYRE SERVICES), lequel lui a fait parvenir les éléments demandés (listes, factures des sociétés de location...) le lendemain, 20 février, il reste que les documents relatifs aux frais de déplacements de M. [K], et notamment à ses frais de location de véhicules, étaient indiscutablement détenus au sein de la société LAPEYRE SERVICES ou, pour les plus anciens, l'avaient été avant d'être archivés.
Il est à cet égard observé que les factures des sociétés de location mentionnent toutes le nom et l'adresse de la société LAPEYRE SERVICES. En outre, M. [K] fournit des témoignages crédibles d'anciens salariés de la société desquels il ressort que les frais de déplacement et de location de voitures faisaient l'objet d'un suivi régulier par le service du contrôle de gestion et la direction financière (attestations de M. [V], ancien responsable du service 'catalogue production', et de Mme [I], ancienne assistante à la direction marketing et communication).
Dès lors, il ne peut être retenu que ce n'est qu'à la réception des éléments transmis par le service des archives du groupe que l'employeur a eu une connaissance exacte et complète de la réalité des faits et que le délai de prescription n'a commencé à courir qu'à partir de cette transmission. Les faits reprochés à M. [K] apparaissent par conséquent prescrits.
Dans ces conditions, et sans qu'il soit besoin d'examiner le surplus de l'argumentation des parties, le licenciement est nécessairement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Le jugement déféré sera confirmé sur ce point.
Sur les conséquences financières
'le salaire de référence
Le salaire mensuel brut moyen de M. [K] s'établit à la somme de 4 846,48 €.
' le salaire de la mise à pied conservatoire et les congés payés afférents
La société LAPEYRE SERVICES fait valoir à juste raison que le salaire de la mise à pied conservatoire qui a été retenu sur la fiche de paie du mois de mars 2009, s'élève à 3 018,02 € et non pas 3 069,44 €. C'est donc cette somme qui est due au salarié, outre les congés payés afférents de 10 %. Le jugement déféré sera réformé sur ce point.
'l'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents
Compte tenu de son salaire, M. [K] peut prétendre à une indemnité compensatrice de préavis de 14 539,44 €, outre les congés payés afférents. Le jugement sera réformé sur ce point également.
'l'indemnité conventionnelle de licenciement
La convention collective prévoit que le salaire servant de base au calcul de l'indemnité de licenciement est le 1/12 de la rémunération brute des 12 derniers mois ou, selon la formule la plus avantageuse, le 1/3 des 3 derniers mois.
Au vu des bulletins de salaire, la moyenne des trois derniers mois, base de calcul qui apparaît la plus avantageuse pour le salarié, s'élève, du fait du versement de primes d'activité exceptionnelle, à la somme de 7 255,23 €.
Eu égard à l'ancienneté de M. [K] - 18 ans et 4 mois au terme du préavis dont il a été privé -, le montant de l'indemnité due est donc de 62 878,69 €. Le jugement sera réformé sur ce point également.
'l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, de l'ancienneté de M. [K] au moment de la rupture, de son âge à ce même moment (46 ans), de sa rémunération, des circonstances de la rupture et de ses conséquences, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu de majorer l'indemnité allouée en première instance en accordant à M. [K] la somme de 106 623 € sur le fondement de l'article L. 1235-3 du code du travail, en réparation de l'ensemble de ses préjudices. Le jugement sera réformé sur ce point également.
'le DIF
M. [K], dont le licenciement ne repose pas sur une faute grave, a été indûment privé, du fait de l'absence de préavis, de la possibilité de faire valoir son droit individuel à la formation au moment de la rupture du contrat de travail.
Il ya lieu de faire droit à la demande dont le montant n'est pas contesté dans son montant. Le jugement sera confirmé sur ce point.
'le préjudice moral distinct
M. [K] ne justifie pas que les conditions de la rupture lui ont causé un préjudice distinct qui ne serait pas déjà réparé par l'allocation de l'indemnité allouée sur le fondement de l'article L. 1235-3 du code du travail. Sa demande sera rejetée et le jugement confirmé sur ce point également.
Sur les intérêts
Les créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la société LAPEYRE SERVICES de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes et les dommages-intérêts à compter du jugement de première instance et ce, dans leur intégralité, afin de leur conférer un plein et entier effet réparateur.
Sur la remise des documents sociaux
Il y a lieu d'ordonner à la société LAPEYRE SERVICES de remettre à M. [K] les documents sociaux rectifiés demandés conformes au présent arrêt, sans qu'il y ait lieu d'ordonner d'astreinte à ce titre.
Sur la communication de la décision
Les circonstances de l'espèce ne justifient pas la communication de la présente décision par courriel à l'ensemble des collaborateurs de la société LAPEYRE SERVICES. Le jugement déféré sera confirmé sur ce point.
Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens
La société LAPEYRE SERVICES qui succombe sera condamnée aux dépens d'appel et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés à l'occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance étant confirmées.
La somme qui doit être mise à la charge de la société LAPEYRE SERVICES au titre des frais non compris dans les dépens exposés par M. [K] peut être équitablement fixée à 3 500 €.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Infirme partiellement le jugement déféré,
Statuant à nouveau,
Condamne la société LAPEYRE SERVICES à payer à M. [J] [K] les sommes suivantes :
- 3 018,02 € au titre du salaire de la mise à pied conservatoire, outre 301,80 € pour les congés payés afférents,
- 14 539,44 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 1 453,94 € pour les congés payés afférents,
- 62 878,69 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 106 623 € au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Confirme le jugement déféré pour le surplus,
Y ajoutant,
Dit que les créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la société LAPEYRE SERVICES de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes et les dommages-intérêts, dans leur intégralité, à compter du jugement de première instance,
Condamne la société LAPEYRE SERVICES aux dépens d'appel et au paiement à M. [J] [K] de la somme de 3 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Le Greffier,La Présidente,