RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 12
ARRÊT DU 09 Avril 2015
(n° 596, 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/05375
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 25 Avril 2013 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de BOBIGNY RG n° 13-00036
APPELANT
Monsieur [Q] [N] [L]
[Adresse 3]
[Localité 3]
représenté par Me Jean-charles MARQUENET, avocat au barreau de PARIS, toque : G0801
INTIMEE
CAISSE DE PREVOYANCE ET DE RETRAITE DE LA SNCF
[Adresse 2]
[Localité 1]
représentée par Me François Régis CALANDREAU, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : 91
Monsieur le Ministre chargé de la sécurité sociale
[Adresse 1]
[Localité 2]
avisé - non comparant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 février 2015 , en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Marie-Ange SENTUCQ, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Bernadette VAN RUYMBEKE, Président
Monsieur Luc LEBLANC, Conseiller
Madame Marie-Ange SENTUCQ, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier : Mme Fatima BA, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Bernadette VAN RUYMBEKE, Président et par Madame Fatima BA, Greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Cour statue sur l'appel principal interjeté par Monsieur [Q] [N] [L] et l'appel incident interjeté par la Caisse de Prévoyance et de Retraite de la SNCF, à l'encontre du jugement prononcé le 25 avril 2013 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de BOBIGNY, dans le litige opposant ces deux parties.
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :
Monsieur [Q] [N] [L], employé à l'ECT [Localité 4] NORD, a été victime d'un accident le 9 septembre 1997 à 14 heures 40 sur le site de [Localité 5].
La déclaration reçue le 10 septembre 1997 par l'employeur relate :
«tentant de m'interposer entre un voyageur récalcitrant qui refusait de présenter sa pièce d'identité et un collègue de travail dans le train; ce voyageur m'agressa (coup de pied, coup de poing) et m'insulta'».
Nature des lésions : «'contusions faciales plus douleurs'»
Siège des lésions : «'cou, oeil, dent, dos'».
Les premiers soins ont été dispensés le 9 septembre 1997 à 20 heures par le Docteur [E], à [1].
Un témoin, Monsieur [D] [C] est mentionné.
Le certificat médical initial établi le 9 septembre 1997 mentionne : «' contusion faciale + douleur des 2 articulations temporo-mandibulaires, léger hématome péri-orbitaire droit, trapézalgies droites, contusion sternale, fracture longitudinale incisive droite sur dent dévitalisée.'»
Un arrêt de travail a été prescrit jusqu'au 13 septembre 1997.
L'accident a été pris en charge au titre de la législation professionnelle.
Monsieur [N] [L] a invoqué une rechute sur la foi d'un certificat médical établi le 29 août 2000 constatant l'«aggravation de son état dépressif avec importante nervosité, vertiges, insomnies, agitation» et prescrivant un arrêt de travail jusqu'au 10 octobre 2000.
Monsieur [N] [L] a exprimé son désaccord avec l'avis du médecin conseil de la caisse qui a fixé au 27 août 2012 la consolidation de la rechute du 25 août 2000.
Par une décision du 20 mars 2012, la CPR, sur l'avis du Docteur [H], médecin expert désigné en vertu de l'article L 141-1 et R 141-1 et suivants du code de la sécurité sociale, a confirmé que «l'état de santé de Monsieur [N] [L], en rechute depuis le 25 août 2000 de son accident du travail du 9 septembre 1997, peut être considéré comme consolidé au 27 août 2012.»
Saisi par Monsieur [N] [L], le tribunal des affaires de sécurité sociale de BOBIGNY, par un jugement du 25 avril 2013, a annulé l'expertise effectuée le 28 novembre 2012 par le Docteur [H] au motif que Monsieur [N] [L] n'a pas été convoqué à l'expertise en temps utile en sorte de lui permettre de bénéficier de l'assistance de son médecin traitant.
Monsieur [N] [L] fait plaider par son conseil les conclusions visées par le greffe social le 11 février 2015 tendant :
Au vu des articles L141-1 et R 141-1 du code de la sécurité sociale, R 142-24-1 du même code, 546 et 566 du code de procédure civile :
- A la confirmation du jugement en ce qu'il a annulé l'expertise du Docteur [H]
- A voir déclarer recevable et bien fondé le recours de Monsieur [N] [L] à l'encontre de la décision de la CPR du 20 décembre 2012
Y ajoutant,
Il demande à la Cour:
- D'ordonner à la CPR d'organiser une nouvelle expertise en remplacement de l'expertise confiée au Docteur [H] ou sur le fondement de l'article R 142-24-1 du code de la sécurité sociale
- De préciser que cette expertise sera confiée à un médecin psychiatre
- De juger abusif le refus de la CPR d'organiser une nouvelle expertise à la suite du jugement du 25 avril 2013
- De la condamner au paiement d'une somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts
- D'allouer à Monsieur [N] [L] une indemnité de 3 800 euros au titre des frais irrépétibles.
Monsieur [N] [L] soutient qu'il est recevable à solliciter une nouvelle expertise car la critique par un assuré d'une expertise réalisée par un médecin généraliste au lieu d'un médecin spécialiste constitue bien une demande de nouvelle expertise selon une jurisprudence de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation.
De nombreux motifs justifient par ailleurs selon lui cette annulation en complément du motif retenu par le tribunal tenant :
- à la non justification de l'inscription du Docteur [H] en tant qu',expert spécialisé sur la liste Sécurité Sociale,
- à la non prise en compte par le Docteur [H] de la guérison de l'incisive détruite et à l'absence de spécialisation de ce médecin en psychiatrie.
Enfin la Cour est, selon l'appelant, en mesure, en tout état de cause, au vu de l'avis technique, d'ordonner une nouvelle expertise médicale conformément aux stipulations de l'article R 142-24-1.
La CPR a développé les conclusions visées par le greffe social le 11 février 2015 tendant à voir déclarer irrecevable l'appel principal.
A titre subsidiaire elle sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il a annulé l'expertise sur le fondement d'une chronologie erronée.
Elle sollicite la confirmation de la décision de consolidation du 27 août 2012 prise par la CPR au vu de l'expertise du Docteur [H].
A titre infiniment subsidiaire, dans l'hypothèse où l''appel serait accueilli, elle demande que soit écartées toutes les demandes de dommages et intérêts et d'indemnité au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
La CPR fait valoir que l'objet du litige étant déterminé par les prétentions des parties, faute pour Monsieur [N] [L] d'avoir sollicité en première instance une expertise, il n'a plus d'intérêt en appel à la solliciter puisqu'il a obtenu la satisfaction de sa demande d'annulation.
Sur le motif de l'annulation, à titre subsidiaire, la CPR soutient que le tribunal s'est fondé sur une chronologie erronée en mentionnant que la convocation n'a pas été envoyée en temps utile pour une expertise fixée au 28 novembre 2012 alors qu'elle a eu lieu le 29 novembre 2012.
L'expert a été désigné par l'Agence Régionale de la Santé l'ARS,qui a choisi le Docteur [H], médecin inscrit sur la liste des experts de sécurité sociale, cette désignation n'a pas à être justifiée par la caisse ni par l'ARS à l'assuré.
Enfin, les expertises dont se prévaut Monsieur [N] [L] pour remettre en cause la date de consolidation sont anciennes et impropres à remettre en cause la date de consolidation.
SUR QUOI,
LA COUR :
Sur la recevabilité de la demande d'expertise,
Considérant les dispositions de l'article 564 du code de procédure civile dont il résulte qu'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la Cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ;
Considérant néanmoins les dispositions de l'article 566 du même code selon lesquelles les parties peuvent expliciter les prétentions qui étaient virtuellement comprises dans les demandes et défenses soumises au premier juge ;
Considérant qu'en l'espèce Monsieur [N] [L] a sollicité en première instance l'annulation de l'expertise technique du Docteur [H], pour différents motifs dont notamment le fait qu'un médecin psychiatre aurait dû être désigné au lieu et place du Docteur [H] et qu'en outre ni Monsieur [N] [L] ni son médecin traitant n'auraient été destinataires en temps utile de la convocation à l'expertise ;
Considérant que s'il apparaît que la demande tendant à la désignation d'un nouvel expert n'est pas explicitement reprise dans le dispositif des conclusions de première instance, cette demande est implicitement développée dans le corps des conclusions à l'appui du moyen tiré de la nécessité de recourir à médecin spécialisé en psychiatrie au lieu du médecin généraliste désigné ;
Qu'il s'en suit que la demande tendant à la désignation d'un expert était virtuellement comprise dans la demande d'annulation de l'expertise, que cette demande conditionne son intérêt à agir en première instance de sorte que Monsieur [N] [L] doit être déclaré recevable en son action ;
Sur la régularité de l'expertise,
Considérant les dispositions de l'article 175 du code de procédure civile qui soumet le régime juridique de la nullité des décisions et actes d'exécution relatifs aux mesures d'instruction au régime juridique de la nullité des actes de procédure ;
Considérant les dispositions de l'article 114 du code de procédure civile dont il résulte que la nullité d'un acte de procédure ne peut être prononcée qu'à la charge pour la partie qui l'invoque de prouver le grief que lui cause la nullité ;
Considérant les dispositions de l'article 16 du code de procédure civile dont il résulte que le juge doit en toutes circonstances respecter et veiller à faire respecter le principe du contradictoire ;
Considérant enfin les dispositions des articles R 141-1 à R 141-3 du code de la sécurité sociale qui fixent les règles selon lesquelles les contestations mentionnées à l'article
L 141-1 sont soumises à un médecin expert désigné d'un commun accord par le médecin traitant et le médecin conseil ou à défaut d'accord par le directeur de l'Agence Régionale de Santé ;
Que ces dispositions imposent à la caisse d'établir un protocole mentionnant notamment obligatoirement l'avis du médecin traitant nommément désigné ;
Que les dispositions de l'article R 141-4 du code de la sécurité sociale prescrivent au médecin expert d' informer immédiatement le malade ou la victime, des lieux, date et heure de l'examen et que dans le cas où l'expertise est confiée à un seul médecin expert, celui-ci doit aviser le médecin traitant et le médecin conseil qui peuvent assister à l'expertise ;
Que le médecin expert procède à l'examen du malade ou de la victime, dans les cinq jours suivant la réception du protocole mentionné ci-dessus, au cabinet de l'expert ou à la résidence du malade ou de la victime si ceux-ci ne peuvent se déplacer ;
Que le médecin expert établit immédiatement les conclusions motivées en double exemplaire et adresse, dans un délai maximum de quarante-huit heures, l'un des exemplaires à la victime de l'accident du travail ou de la maladie professionnelle, l'autre au service du contrôle médical de la caisse d'assurance maladie.
Qu'en ce qui concerne les bénéficiaires de l'assurance maladie, les conclusions sont communiquées dans le même délai au médecin traitant et à la caisse ;
Considérant que les brefs délais prévus par l'article R 141-1 à titre indicatif caractérisent l'urgence de la procédure et qu'il ne peut être excipé d'une violation du contradictoire tiré de la brièveté du délai de convocation du médecin traitant par l'expert dès lors que l'expert a satisfait à l'exigence de communiquer ses conclusions motivées au médecin traitant préalablement au dépôt de son rapport d'expertise ;
Considérant qu'en l'espèce il apparaît que le Docteur [H], expert désigné par l'Agence Régionale de Santé, a convoqué Monsieur [N] [L] et son médecin traitant par courrier du vendredi 23 novembre 2012 dont la notification le mercredi 27 septembre 2012 n'est pas contestée, en vue d'une expertise devant se dérouler le jeudi 28 novembre 2012 à 8 heures 30 soit le lendemain du jour prévu pour l'expertise dont le rapport a été rédigé le 29 novembre 2012 ;
Qu'ainsi, s'il est avéré que le médecin traitant n'a reçu communication de la date de l'expertise que la veille de celle-ci, dès lors qu'il n'est ni allégué ni établi que l'expert ait failli à l'obligation de communiquer à bref délai ses conclusions motivées au médecin traitant préalablement au dépôt de son rapport, il y a lieu de constater que le principe du contradictoire a été respecté à l'égard de Monsieur [N] [L] et qu'il n'y a pas lieu d'annuler l'expertise médicale ;
Que le jugement sera infirmé de ce chef ;
Considérant que les moyens tenant à à la non justification de l'inscription du Docteur [H] en tant qu' expert spécialisé sur la liste Sécurité Sociale, s'agissant d'un expert inscrit sur la liste de la Cour d'Appel de PARIS ne constitue pas un vice de forme ;
Que le moyen tiré de la non prise en compte par le Docteur [H] de la guérison de l'incisive détruite et de l'absence de spécialisation de ce médecin en psychiatrie sont des moyens de fond qui doivent être examinés à l'aune de la demande de nouvelle expertise ;
Sur la demande de nouvelle expertise,
Considérant que le Docteur [H] est expert près la Cour d'appel de PARIS en tant que médecin généraliste ;
Que ce médecin a examiné Monsieur [N] [L] au regard des blessures initiales décrites dans le certificat médical initial et du retentissement psychologique à type d'état dépressif décrit sur le certificat médical de rechute du 25 août 2000 ;
Qu'il a exactement décrit l'altération de l'état bucco-dentaire et l'absence de la dent 11, procédant à l'examen médical au niveau du crâne et de la face, du cou, des membres supérieurs et du rachis ainsi qu'à la description du retentissement psychologique de l'agression sur l'état de santé de Monsieur [N] [L] ;
Qu'il en résulte que l'expert a satisfait à sa mission sans qu'il soit démontré par Monsieur [N] [L] en quoi la désignation d'une expert psychiatre aurait été plus adaptée à ses doléances de sorte qu'en présence de conclusions claires et précises, fixant la date de consolidation au 27 août 2012, Monsieur [N] [L] ne justifie pas d'un motif légitime à voir ordonner une nouvelle expertise médicale ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de dommages et intérêts et la demande de frais irrépétibles formées par Monsieur [N] [L] ;
PAR CES MOTIFS :
Déclare Monsieur [N] [L] recevable mais mal fondé en son appel ;
Infirme le jugement ;
Statuant à nouveau :
Dit n'y avoir lieu à annuler l'expertise médicale ;
Déboute Monsieur [N] [L] de ses demandes ;
Fixe le droit d'appel à la charge de la partie qui succombe prévu par les dispositions de l'article R 144-10 du code de la sécurité sociale, au dixième du plafond mensuel prévu par l'article L 241-3 et condamne Monsieur [N] [L] au paiement de ce droit ainsi fixé.
Le Greffier, Le Président,