COUR D'APPEL DE PARIS Pôle 6- Chambre 7
ARRÊT DU 16 Avril 2015 (no, 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/ 10377
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 07 Septembre 2011 par le Conseil de prud'hommes-Formation de départage de PARIS section Commerce RG no 08/ 00877
APPELANTE SAS HOTEL RESIDENCE MONCEAU 83-85 rue du Rocher 75008 PARIS No SIRET : 55213327400019 représentée par Me Bertrand MERVILLE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0487
INTIMEE Madame Hortense X... divorcée Y... ...... 95310 ST OUEN L'AUMONE comparante en personne, assistée de Me Véronique PELISSIER, avocat au barreau de VAL D'OISE, toque : 93 (bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 2011/ 048551 du 28/ 11/ 2011 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 26 Février 2015, en audience publique, devant la Cour composée de : Monsieur Patrice LABEY, Président de chambre Monsieur Bruno BLANC, Conseiller Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Conseiller qui en ont délibéré
Greffier : Mme Naima SERHIR, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE-mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile le délibéré fixé au 09 avril étant prorogé au 16 avril 2015.- signé par Monsieur Patrice LABEY, Président, et par Mme Sandrine CAYRE, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Mme Hortense X... divorcée Y... a été embauchée à compter du 25 mars 1993 par la SAS HÔTEL RÉSIDENCE MONCEAU, employant habituellement moins de onze salariés, dans le cadre d'un contrat de travail à durée déterminée, poursuivi dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, en qualité de femme de chambre et préposée aux petits-déjeuners, pour un salaire mensuel moyen de 1 601 ¿ dans le dernier état des relations contractuelles régies par la convention collective des hôtels, cafés, restaurants.
Mme Hortense X... divorcée Y... a fait l'objet le 11 avril 2007 d'une mise à pied conservatoire assortie d'une convocation à un entretien préalable à licenciement, qui s'est tenu le 24 avril suivant avant d'être licencié par lettre du 30 avril 2007 pour faute grave. Le 23 janvier 2008, Mme Hortense X... divorcée Y... saisissait le Conseil de prud'hommes de PARIS aux fins de faire juger que le licenciement intervenu le 30 avril 2007 était dénué de cause réelle et sérieuse et faire condamner la SAS HOTEL RESIDENCE MONCEAU à lui payer avec intérêts au taux légal :-20 976 ¿ à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;-1 398, 80 ¿ à titre de rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire ;-139, 88 ¿ au titre des congés afférents ;-6 667, 20 ¿ à titre de rappel d'heures supplémentaires ;-666, 72 ¿ au titre des congés payés sur rappel de salaire ;-3 497 ¿ à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;-3 49, 70 ¿ au titre des congés afférents ;-2 272, 40 ¿ à titre d'indemnité de licenciement ;
Outre l'exécution provisoire, Mme Hortense X... divorcée Y... demandait au Conseil de prud'hommes de lui allouer une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
La Cour est saisie d'un appel formé par la SAS HOTEL RESIDENCE MONCEAU contre le jugement du Conseil de prud'hommes de PARIS rendu en formation de départage le 7 septembre 2011 qui l'a condamnée à payer à Mme Hortense X... divorcée Y... :-12. 808 ¿ à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive ;-860, 08 ¿ à titre de rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire ;-86 ¿ au titre des congés afférents ;-3. 202 ¿ à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;-320, 20 ¿ au titre des congés afférents.-2027, 93 ¿ à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ; Le Conseil a en outre dit que les intérêts au taux légal couraient à compter du 28 janvier 2008 pour les créances salariales et à compter du prononcé de la présente décision pour les autres sommes allouées, ordonné l'exécution provisoire de sa présente décision et condamné la SAS HOTEL RESIDENCE MONCEAU à verser à Mme Hortense X... divorcée Y... 1. 000 ¿ sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu les écritures du 25 février 2015 au soutien des observations orales par lesquelles la SAS HOTEL RESIDENCE MONCEAU conclut à la réformation de la décision entreprise, au rejet des prétentions de Mme Hortense X... divorcée Y... et à sa condamnation à lui verser 3. 000 ¿ sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu les écritures du 25 février 2015 au soutien de ses observations orales au terme desquelles Mme Hortense X... divorcée Y... conclut à la confirmation de la décision déférée en ce qu'elle a jugé son licenciement dénué de cause réelle et sérieuse et demande à la cour de condamner la SAS HOTEL RESIDENCE MONCEAU à lui verser :-3. 415, 04 ¿ au titre de l'indemnité de préavis ;-341, 50 ¿ au titre des congés payés afférents ;-860, 08 ¿ au titre du rappel de salaires sur mise à pied ;-86, 00 ¿ au titre des congés payés afférents ;-2. 869, 55 ¿ au titre de l'indemnité de licenciement conventionnelle ; Avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil ;-40. 000 ¿ au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;-3. 000 ¿ au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées et soutenues l'audience ;
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la rupture
Il résulte des articles L. 1234-1 et L. 1234-9 du code du travail que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n'a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement.
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle fait obstacle au maintien du salarié dans l'entreprise y compris pendant la durée du préavis.
L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.
La lettre de licenciement qui circonscrit les limites du litige et qui lie le juge, est ainsi rédigée :
Depuis de nombreuses années, et de manière de plus en plus accentuée nous avons été contraints soit de tenir des rendez-vous avec vous, soit de vous adresser des observations régulières par écrit sur votre comportement au sein de l'équipe et vis-à-vis des clients. L'ensemble de ces remarques et mises en garde étaient justifiées par votre attitude et étaient destinées à ce qu'intervienne une amélioration de votre part afin d'assurer le bon fonctionnement de l'entreprise. En dernière date, le 27 juin 2006, vous avez été reçue en entretien par Monsieur Z..., Gérant, au cours duquel vous vous êtes engagée à ce qu'il n'y ait plus de problème au sein de l'établissement et notamment avec vos collègues. Cependant, En date du 08 avril 2007 vous avez eu une nouvelle altercation dans la cafèterie (pour une porte de frigo restée ouverte), avec une de vos collègues, qui a duré toute la journée. Au cours de cette altercation, vous êtes allée jusqu'à menacer votre collègue, couteau à la main, de lui ébouillanter le visage. Cette menace a été confirmé par vos dires spontanés du 10 avril auprès de Madame A..., Adjointe de direction, dires qui ont alors engendré, par lettre du 11 avril, une mise à pied à titre conservatoire vu la gravité et la violence des faits. Vous avez renouvelé ces propos le 13 avril, lorsqu'il a fallu vous expliquer les conséquences de la lettre du 11 avril 2007, auprès de Madame A... et de Monsieur B..., comptable.
Ces incidents démontrent qu'une fois de plus vous n'avez pas respecté votre engagement de ne plus avoir d'altercations avec d'autres membres de l'équipe. Nous ne pouvons tolérer plus longtemps une telle attitude qui, en outre, devient de plus en plus violente et inquiétante à l'égard de vos collègues, et ce alors même que ces faits se déroulent le plus souvent dans les parties communes où un client serait susceptible de vous voir ou entendre. La réaction de vos collègues démontre leur vive inquiétude vis-à-vis d'altercations verbales et insultantes qui prennent aujourd'hui la nature de menaces physiques aux personnes. Nous avons bien noté que vous n'avez pas hésité, au cours de l'entretien du 24 avril 2007, à nier ces incidents et à atténuer vos déclarations des 10 et 13 avril 2007. Votre posture mensongère au cours de ce même entretien n'a pu qu'aggraver notre préoccupation quant à la sécurité des autres membres du personnel indépendamment du fait qu'elle dénote une absence de prise de conscience de la gravité de votre attitude.
Pour ces différentes raisons et compte tenu des risques que vous faîtes encourir au reste de notre personnel et des éléments probants que nous avons au dossier, votre conduite ne peut en rien modifier notre appréciation quant à ces incidents avérés. Nous vous précisons que le fait que votre conseiller, visiblement gêné pour justifier ou expliquer votre geste, nous ait menacés d'aller au Conseil des prud'hommes en nous insultant et nous qualifiant de racistes, propos auxquels vous avez acquiescez, qui sont absolument sans aucun fondement et particulièrement blessant à notre égard, n'a aucune incidence sur la situation en cause. Dans ces conditions, et l'entretien préalable étant loin de vous disculper, nous sommes contraints, pour la sécurité du personnel et des clients, de rompre le contrat de travail qui nous lie pour faute grave.
S'il est établi que Mme Hortense X... divorcée Y... a eu une altercation avec Mme Rangini C... dont elle conteste le caractère violent ou menaçant, il ressort des débats que M. Omar D..., veilleur de nuit, resté ce jour-là jusqu'à 8h45 et partiellement témoin de la scène, n'a pas jugé nécessaire d'intervenir, en dépit des cris et des insultes qu'il a déclaré avoir perçus.
En effet, ce salarié, entendu par les gendarmes dans le cadre de l'instruction de la plainte déposée par l'employeur pour faux témoignage et subornation de témoins, manifestement restée sans suite, a indiqué que l'altercation s'était achevée à 8h30, heure à laquelle Mme C... était sortie de la cuisine pour faire le ménage et que Mme E... arrivée à 7h45, après être entrée dans la cuisine pour prendre un café, en est ressortie immédiatement pour rejoindre son poste à la réception, sans solliciter une quelconque intervention de sa part ni lui adresser la moindre remarque à ce sujet ; A cet égard, si Mme E... qui a rédigé deux attestations contradictoires, a indiqué avoir établi la seconde attestation sur l'insistance de Mme Hortense X... divorcée Y..., ce nouveau revirement de l'intéressée entendue comme mise en cause dans le cadre d'une procédure où elle n'ignorait pas que sa responsabilité pénale pouvait être engagée, n'est pas plus de nature à permettre de retenir comme probante l'une quelconque des attestations.
Au surplus, même sujette à caution, l'attestation initiale de Mme E... ne fait pas état de la menace d'ébouillanter Mme C... évoquée dans la lettre de licenciement puisqu'elle ne fait référence qu'à " une violente altercation, au cours de laquelle de graves insultes ont fusé. Le ton est vite monté ; Mme Y... avait un couteau à la main tout en menaçant et insultant Mme C... de la façon suivante : " Votre mari n'est qu'un pauvre handicapé... " " Vos parents mangent du caca au Sri-Lanka "'Vos parents doivent crever ; je le leur souhaite ! Je vais prié pour cela et le jour où ça arrivera, j'ouvrirais le Champagne même si c'est dans 10 ans... " etc... Cela a duré toute la journée ! " alors que dans sa déclaration du 10 avril recueillie par ses employeurs, Mme C... indique que " Mme Y...... m'a menacée avec un couteau en criant qu'elle allait me jeter de l'eau bouillante sur le visage. J'ai subi des insultes concernant la maladie de mon mari et mes parents mourants au Sri Lanka âgés de 85 et 90 ans, gravement malades. "
L'audition de Mme C... dans le cadre de son audition par les gendarmes, qui certes confirme les insultes et les propos tenus à son encontre, permet d'établir que le couteau tenu par l'intéressée lui servait en réalité à préparer une salade de fruits et non pas à la menacer comme le soutient l'employeur dans ses écritures.
A cet égard, s'il est avéré que la dispute entre les deux salariées engagée à 7h30, ayant pour origine une requête adressée par Mme Hortense X... divorcée Y... qui extrayait des packs de lait du bas du frigo pour le nettoyer, à sa collègue qui lui aurait indiqué ne pas la craindre, s'est poursuivie jusqu'à 8h30 dans le même local, le maintien de Mme C... pendant une telle durée dans un espace où rien ne justifiait sa présence, contrairement à Mme Hortense X... divorcée Y..., qui de surcroît avait entamé une autre tâche, n'est pas compatible avec la nature des menaces et la crainte évoquées dans la lettre de licenciement ou dans la déclaration de l'intéressée à sa directrice.
Par ailleurs, les déclarations de Mme A..., adjointe de direction et de M. B..., comptable, concernant des propos que leur aurait tenus la salariée le 10 avril et réitérés le 17 avril, alors que la directrice de la société indique dans ses écritures avoir procédé elle-même à l'audition de la salariée, ne permettent pas à elles-seules d'établir la réalité des menaces physiques alléguées.
Il ressort par conséquent de ce qui précède que l'employeur ne produit pas aux débats d'éléments probants de nature à établir la violence de l'altercation et la réalité des menaces physiques alléguées qui de surcroît, n'ont fait l'objet d'aucune plainte de la part de Mme C... et, en tout état de cause, il existe un doute sur la réalité des faits imputés à la salariée licenciée qui doit lui profiter.
Dans ces conditions, l'altercation litigieuse marquée par des cris et des insultes que les deux salariées ont contribué à alimenter, ne peut justifier le licenciement de Mme Hortense X... divorcée Y... pour faute grave, en dépit de ses antécédents disciplinaires.
Au surplus, l'employeur qui n'a pas utilisé à l'égard de Mme Hortense X... divorcée Y..., la graduation des sanctions dont il disposait en fonction du degré de gravité des faits qui pouvait lui être reprochés, ne peut invoquer à son encontre, ses dénégations au cours de l'entretien préalable pour dramatiser l'altercation litigieuse et justifier ainsi de l'obstacle à son maintien dans l'entreprise que constitueraient l'incertitude de sa compréhension par la salariée de leur gravité et a fortiori sa dangerosité potentielle.
De surcroît, eu égard à l'ancienneté de la salariée, la sanction prise à son encontre apparaît en toute hypothèse disproportionnée, de sorte qu'il convient de confirmer la décision entreprise et de déclarer abusif le licenciement de Mme Hortense X... divorcée Y....
Compte tenu de l'effectif du personnel de l'entreprise, de la perte d'une ancienneté de près de quatorze ans pour une salariée âgée de 48 ans ainsi que des conséquences matérielles et morales du licenciement à son égard, concernant en particulier ses difficultés à retrouver un emploi régulier à temps plein, ainsi que cela résulte des pièces produites et des débats, il lui sera alloué, en application de l'article L 1235-5 du Code du travail (L. 122-14-5 ancien) une somme de 19. 000 ¿ à titre de dommages-intérêts ;
Le licenciement étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, le salarié peut prétendre aux indemnités de licenciement, compensatrice de préavis et de congés afférents tel qu'il est dit au dispositif, pour les sommes non autrement contestées de :-3. 415, 04 ¿ au titre de l'indemnité de préavis ;-341, 50 ¿ au titre des congés payés afférents ;-860, 08 ¿ au titre du rappel de salaires sur mise à pied ;-86, 00 ¿ au titre des congés payés afférents ;-2. 869, 55 ¿ au titre de l'indemnité de licenciement conventionnelle ;
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure énoncée au dispositif ;
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,
DÉCLARE recevable l'appel formé par la SAS HOTEL RESIDENCE MONCEAU, CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a : Déclaré abusif le licenciement de Mme Hortense X... divorcée Y... ; Condamné la SAS HOTEL RESIDENCE MONCEAU à verser à Mme Hortense X... divorcée Y... :-860, 08 ¿ au titre du rappel de salaires sur mise à pied ;-86, 00 ¿ au titre des congés payés afférents ;
LE RÉFORME pour le surplus,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
CONDAMNE la SAS HOTEL RESIDENCE MONCEAU à payer à Mme Hortense X... divorcée Y... :
-19. 000 ¿ à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;-3. 415, 04 ¿ au titre de l'indemnité de préavis ;-341, 50 ¿ au titre des congés payés afférents ;-2. 869, 55 ¿ au titre de l'indemnité de licenciement conventionnelle ;
CONDAMNE la SAS HOTEL RESIDENCE MONCEAU à payer à Mme Hortense X... divorcée Y... 2. 000 ¿ en application de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE la SAS HOTEL RESIDENCE MONCEAU de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes,
CONDAMNE la SAS HOTEL RESIDENCE MONCEAU aux entiers dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément à la loi sur l'aide juridictionnelle.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,
S. CAYRE P. LABEY