RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6- Chambre 7
ARRÊT DU 16 Avril 2015
(no, 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/ 03546
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 10 Décembre 2010 par le Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire de PARIS section Encadrement RG no 04/ 05717
APPELANT
Monsieur Jean-Jacques X...
Né le 31 Octobre 1954 à Tizi Ouzou (Algérie)
...
91190 VILLIERS LE BACLE
représenté par Me Béatrice DE VIGNERAL, avocat au barreau de PARIS, toque : E1997
INTIMEE
SYNDICAT NATIONAL POUR L'EXPANSION DE LA COOPERATION AGRICOLE dit SYNCOPEX
83, Avenue de la Grande Armée
75116 PARIS
représentée par Me Pascal DELIGNIERES, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 05 Mars 2015, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Patrice LABEY, Président de chambre
Monsieur Bruno BLANC, Conseiller
Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier : Mme Naima SERHIR, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
-mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Patrice LABEY, Président, et par Madame Sandrine CAYRE, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Engagé le 1er janvier 1993, après une première période de travail de 1987 à mars 1992, par le Syndicat National pour l'Expansion de la Coopération Agricole, dit Syncopex, en qualité de " délégué de direction " détaché à Bruxelles et chargé des questions européennes pour le compte du syndicat, Monsieur Jean-Jacques X... a été convoqué à un entretien préalable le 14 janvier 2004, puis après entretien, s'est vu notifier son licenciement pour cause réelle et sérieuse par lettre recommandée avec accusé de réception du 9 février 2004.
Il a été dispensé de l'exécution de son préavis de six mois qui lui a été réglé.
M. X... était le seul salarié de cette entreprise soumise à la convention collective nationale des coopératives agricoles de céréales, meunerie, approvisionnement, alimentation du bétail et d'oléagineux.
Contestant son licenciement, M. X... a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 21 avril 2004 et, après six renvois demandés par les parties, a, dans le dernier état de la procédure, présenté les chefs de demande suivants le 18 novembre 2010 :
Juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Condamner le Syncopex à lui payer les sommes de :
-656. 561 ¿ à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
-6. 404, 54 ¿ de remboursement de frais professionnels,
avec intérêts au taux légal et exécution provisoire,
-5. 000 ¿ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La Cour est saisi d'un appel régulier de M. X... du jugement du conseil de prud'hommes de Paris en date du 10 décembre 2010 qui a débouté M. X... de ses demandes et le Syncopex de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et a condamné M. X... aux dépens.
Evoquée à l'audience du 9 novembre 2012, l'affaire a été renvoyée à la demande de M. X... au 24 janvier 2014. A cette date, l'affaire a été radiée, M. X... précisant ne pas être en état de plaider à la suite d'un arrêt prononcé en Belgique le 6 mai 2013.
A la demande de M. X... reçue le 24 mars 2014, l'affaire a été remise au rôle de la Cour.
Vu les écritures développées par M. X... à l'audience du 5 mars 2015, au soutien de ses prétentions par lesquelles, il demande à la cour de :
Infirmer le jugement du 10 décembre 2010 en toutes ses dispositions,
Dire que son licenciement pour motif personnel ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse,
Condamner le Syncopex à lui payer les sommes de :
-656. 561 ¿ à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
-6. 404, 54 ¿ de remboursement de frais professionnels,
avec intérêts au taux légal,
-5. 000 ¿ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les écritures développées par le Syncopex à l'audience du 5 mars 2015, au soutien de ses prétentions par lesquelles, il demande à la cour de :
Confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
Juger le licenciement de M. X... régulier en la forme et fondé sur une cause réelle et sérieuse,
Subsidiairement,
Cantonner l'éventuelle indemnisation au titre de l'article L 1235-3 du Code du Travail à la somme de 33. 662, 44 ¿,
En tout état de cause,
Débouter M. X... de sa demande de remboursement de frais professionnels,
Condamner M. X... à lui payer la somme de 5. 000 ¿ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et le condamner aux dépens.
Pour un exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour renvoie à leurs écritures visées par le greffe le 5 mars 2015, auxquelles elles se sont référées et qu'elles ont soutenues oralement à l'audience.
MOTIFS DE L'ARRET
Sur le licenciement
Considérant que la lettre de licenciement, à laquelle il est expressément fait référence, qui fixe les limites du litige, lie les parties et le juge qui ne peut examiner d'autres griefs que ceux qu'elle énonce, est ainsi motivée :
" Nous faisons suite à l'entretien préalable qui s'est tenu le lundi 26 janvier dernier au siège de notre organisme et au cours duquel vous n'avez pas souhaité être assisté.
Lors de cet entretien, nous avons abordé avec vous la situation qui est la vôtre à ce jour et le constat que nous avions fait depuis plusieurs mois de l'absence d'exercice des fonctions qui sont les vôtres au sein du Syncopex.
Vous nous avez précisé que dans le cadre de l'enquête judiciaire dont vous faisiez l'objet en Belgique, vous étiez sous le coup d'une mesure de contrôle judiciaire, sans limitation de durée, qui vous interdisait d'avoir des contacts tant avec le Syncopex qu'avec les personnes travaillant au sein de INVIVO ou des instances de la Communauté Européenne.
Vous nous avez également précisé que vous faisiez l'objet d'une interdiction de sortie du territoire belge jusqu'en mars prochain sauf autorisation du juge local, ce qui avait été le cas pour notre entretien.
A cet égard, vous deviez nous faire parvenir sous quelques jours par courrier copie de l'ordonnance du juge justifiant des termes de ce contrôle. Mais, à ce jour nous n'ayons rien reçu de votre part.
C'est pourquoi, en fonction des éléments d'appréciation en notre possession et après réflexion, nous vous notifions par la présente la rupture de votre contrat de travail et ce en raison de l'incapacité persistante dans laquelle vous vous trouvez d'exercer et de poursuivre les activités qui sont les vôtres au sein de notre organisme.
En effet, depuis le 15 octobre 2003, date de votre incarcération à Bruxelles, et compte tenu du contrôle judiciaire continu dont vous faites l'objet, la mission de représentation de notre organisme ne peut plus être assurée ni à ce jour ni ultérieurement.
Car, compte tenu de l'impact de cette affaire et indépendamment du fait que des charges puissent être ou non retenues contre vous (ce qui n'est pas l'objet de notre décision), il n'est pas concevable que les représentants des instances communautaires maintiennent un contact avec vous.
Votre préavis de 6 mois courra à compter de la première présentation de ce courrier.
Cependant, nous vous dispensons de son exécution et votre rémunération vous sera versée mois par mois... " ;
Considérant que selon l'article L. 1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; que si un doute subsiste, il profite au salarié ;
Qu'ainsi l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables ;
Que pour l'infirmation du jugement et un licenciement sans cause réelle et sérieuse, M. X... soutient pour l'essentiel que :
- son contrat a été suspendu pendant sa période d'incarcération de dix jours, puis pendant son contrôle judiciaire.
- le Syncopex et ses dirigeants Bruno Y... président et aussi (jusqu'au 30 juin 2002) directeur général de la société Union Invivo (issue de la fusion des société Sigma et de l'UNCAA) adhérent du syndicat, Louis Z... directeur général adjoint de la société Union Invivo jusque fin 2006, Philippe A... directeur financier adjoint, également concernés par la procédure pénale et ayant accès au dossier d'instruction, étaient parfaitement informés de sa situation dès le mois d'octobre 2003, d'autant qu'une perquisition des locaux de l'entreprise a eu lieu le 15 octobre, et des obligations mises à sa charge dans le cadre du contrôle judiciaire. L'employeur ne peut donc invoquer une absence injustifiée.
- les effets du contrôle judiciaire devaient se terminer le 2 mars 2004, sauf prolongation, et l'employeur, qui ne l'a pas mis en demeure de justifier de son absence, a agi avec précipitation.
- le Syncopex n'apporte pas la preuve des conséquences préjudiciables à l'entreprise liées à son absence.
- l'incapacité dans laquelle il a été de poursuivre ses activités pour le compte de Syncopex à compter d'octobre 2003 résulte du seul fait de Syncopex, dont la président B Y... a été jugé comme l'instigateur et la maître d'oeuvre du système de corruption mis en place depuis 1990 ;
Que pour la confirmation du jugement et un licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse
le Syncopex fait valoir en substance que :
- il est resté sans nouvelle de son seul collaborateur à l'issue de son incarcération, après s'être enquis de la durée prévisible de cette détention.
- il était dans l'ignorance de la durée d'incarcération de son salarié, puis de son contrôle judiciaire qui rendaient impossible l'exercice de ses fonctions.
- M. X... n'a transmis une copie de son ordonnance de contrôle judiciaire que le 20 février 2004, après la notification de son licenciement.
- si le contrat de travail a été suspendu pendant toute la période d'incarcération, puis de contrôle judiciaire de M. X..., avec maintien du salaire, on distingue mal comment son absence aurait pu être sans conséquence sur le fonctionnement de l'entreprise qui ne pouvait pallier cette absence par le recours au travail temporaire ;
Considérant que le Syncopex ne justifie pas avoir mis en demeure M. X... de justifier de l'absence d'exercice de ses fonctions, avant de le licencier ;
Que, selon l'arrêt pénal de la Cour d'appel de Bruxelles du 6 mai 2013, (page118 et 239) :
" le Syncopex s'est révélé n'être en fait qu'un paravent de la société Union Invivo par rapport aux instances européennes et une véritable courroie de transmissions d'informations ainsi que de documents sensibles dans le secteur des céréales ", (page 123 et 252 et 253) " le prévenu Y..., qui dirigeait à la fois la société Union Invivo (au moins jusqu'au 30 juin 2002) et le Syncopex, a été l'instigateur du système, mis en place dès le début des années 1990, dont le but était d'utiliser les services du prévenu Vies, unique employé de Syncopex et rémunéré à cette seule fin, en vue d'obtenir auprès d'un fonctionnaire européen des informations permettant à la société Union Invivo de se positionner, sur le marché des céréales, de manière favorable à ses concurrents, les services de ce fonctionnaire étant rémunérés par des avantages tels que des nuitées, de très nombreux repas, des sorties dans les bars de nuit, voire des sommes d'argent afin de financer l'achat de son véhicule " et " la prévention de corruption active qui lui est reprochée (à M Y... déclaré coupable et condamné) consiste à avoir proposé ou offert à un fonctionnaire européen des avantages indus pour obtenir des informations secrètes pouvant bénéficier au groupe Sigma devenue Union Invivo qu'il dirigeait " ;
Que pour autant, la participation de M. X... à ce système de corruption d'un fonctionnaire européen a duré plusieurs années, lui permettant ainsi d'obtenir des documents qui ne pouvaient être divulgués ; que, selon l'arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles, M. X... " a été particulièrement performant dans cette entreprise malhonnête " et que M. X... " loin d'être une victime ou un acteur secondaire qui aurait suivi docilement les instructions qui lui étaient données, a activement contribué à la corruption de celui... " ;
Qu'il s'en suit que le propre comportement de M. X... est à l'origine de son incapacité à exercer et à poursuivre son activité de " délégué de direction " détaché à Bruxelles et chargé des questions européennes pour le compte du Syncopex, c'est à dire en réalité à faire du lobbying auprès de la commission des communautés européennes, qui a résulté,
- d'une part, de sa détention provisoire du 15 octobre 2003 au 2 décembre 2003, puis de son contrôle judiciaire jusqu'au 2 mars 2004 lui interdisant de quitter la Belgique et d'entrer en contact avec des prévenus, inculpés ou toutes personnes susceptibles d'être considérées comme témoins,
- d'autre part, de la nature et de l'ampleur de cette affaire, dont la presse s'est faite l'écho et qui a conduit la commission des communautés européennes à obtenir, en qualité de partie civile, la condamnation de M. X... par la Cour d'appel de Bruxelles, de sorte qu'il n'était effectivement " pas concevable que les instances des communautés européennes maintiennent un contact " avec lui ;
Que le licenciement a donc une cause réelle et sérieuse et le jugement doit être confirmé de ce chef et en ce qu'il a débouté M. X... de sa demande de dommages et intérêts ;
Sur les frais professionnels
Considérant que les moyens soutenus par l'appelant ne font que réitérer, sous une forme nouvelle, mais sans justification complémentaire utile, ceux dont les premiers juges ont connu et auxquels, se livrant à une exacte appréciation des faits de la cause, et à une juste application des règles de droit s'y rapportant, ils ont répondu par des motifs pertinents et exacts que la cour adopte, sans qu'il soit nécessaire de suivre les parties dans le détail d'une discussion se situant au niveau d'une simple argumentation ;
Qu'il sera ajouté que le Syncopex justifie, par la production des copies de chèques, avoir avancé la somme de 6. 404, 54 ¿ sur les frais professionnels de M. X..., lequel ne justifie toujours pas avoir déboursé une somme équivalente pour les besoins de son activité professionnelle, alors qu'il avait la possibilité de demander la copie des justificatifs qu'il dit avoir été saisis lors de la perquisition du 15 octobre 2003 ;
Sur les frais et dépens
Considérant que M. X... qui succombe en son appel supportera les dépens, sans qu'il soit fait application des dipositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 10 décembre 2010 en toutes ses dispositions ;
Dit le licenciement de Monsieur Jean-Jacques X... fondé sur une cause réelle et sérieuse ;
Déboute les parties de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Monsieur Jean-Jacques X... aux dépens.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
S. CAYRE P. LABEY