RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 12
ARRÊT DU 07 Mai 2015
(n° 705, 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/01211
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 31 Octobre 2012 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de PARIS RG n° 12/02631
APPELANTE
CAF 75 - [Localité 4]
[Adresse 2]
[Localité 2]
représentée par Mme [B] en vertu d'un pouvoir général
INTIMEE
Madame [R] [E]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 1]
représentée par Me Camille MAGDELAINE, avocate au barreau de PARIS, toque : B0579
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2013/013165 du 05/04/2013 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)
Monsieur le Ministre chargé de la sécurité sociale
[Adresse 1]
[Localité 3]
avisé - non comparant
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 25 février 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Luc LEBLANC, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Bernadette VAN RUYMBEKE, Président
Monsieur Luc LEBLANC, Conseiller
Madame Marie-Ange SENTUCQ, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier : Madame Fatima BA, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Bernadette VAN RUYMBEKE, Président et par Madame Fatima BA, Greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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La Cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par la Caisse d'allocations familiales de Paris d'un jugement rendu le 31 octobre 2012 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris dans un litige l'opposant à Mme [E] ;
Les faits, la procédure, les prétentions des parties :
Les faits de la cause ont été exactement exposés dans la décision déférée à laquelle il est fait expressément référence à cet égard ;
Il suffit de rappeler que Mme [E], de nationalité ivoirienne, a demandé, en novembre 2009, le versement des prestations familiales en faveur de sa fille [U] [O], née le [Date naissance 1] 1995 en Côte d'Ivoire et arrivée en France en dehors de la procédure de regroupement familial ; que la caisse d'allocations familiales de Paris a rejeté cette demande au motif que l'intéressée ne justifiait pas de la régularité de l'entrée et du séjour de son enfant sur le territoire français par la production du certificat médical exigé par l'article D 512-2 du code de la sécurité sociale ; que Mme [E] a contesté cette décision devant la commission de recours amiable, puis a saisi la juridiction des affaires de sécurité sociale ;
Par jugement du 31 octobre 2012, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris a fait droit à la demande de Mme [E] pour la période courant entre novembre 2009 et septembre 2010 et ordonné en conséquence à la caisse d'allocations familiales [1] de liquider ses droits au titre des prestations familiales du chef de l'enfant [U] [O] pour cette période. Le tribunal a rejeté les autres demandes de Mme [E].
La Caisse d'allocations familiales de Paris fait déposer et soutenir oralement par sa représentante des conclusions tendant à infirmer le jugement entrepris en ce qu'il dit que les droits étaient ouverts en faveur de l'enfant [U] [O] de novembre 2009 à septembre 2010 et à le confirmer sur les autres points. Elle conclut au rejet de l'ensemble des prétentions de Mme [E] quelle que soit la période.
Au soutien de son appel, la caisse fait valoir que les dispositions des articles D 512-1 et D 512-2 du code de la sécurité sociale n'accordent le bénéfice des prestations familiales aux parents d'enfants étrangers qu'à la condition que la régularité de l'entrée et du séjour des enfants en France soit justifiée par la production de l'un des documents énoncés par le second texte. Elle indique qu'en l'espèce, aucun certificat médical n'a été délivré par l'OFII à la fille de Mme [E]. Elle invoque la jurisprudence de la Cour de cassation en date du 3 juin 2011 et fait observer que les arrêts du 5 avril 2013, dispensant certains étrangers d'observer la formalité précitée, concernent uniquement les travailleurs ressortissants d'un Etat ayant conclu un accord euro-méditerranéen avec l'Union européenne. Selon elle, la convention générale de sécurité sociale franco-ivoirienne ne permet pas d'écarter l'application des articles D 512-1 et D 512-2 car elle n'est pas pourvue d'un effet direct établissant une égalité de traitement entre ressortissants des deux pays et a pour seul objet d'assurer la coordination des législations de sécurité sociale. De même, elle considère que l'exigence d'un certificat médical ne constitue ni une discrimination, ni une atteinte au droit au respect de la vie privée au sens de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et n'est pas contraire à la Convention internationale des droits de l'enfant. Enfin elle s'oppose aux demandes indemnitaires présentées par Mme [E] et fait observer, à titre subsidiaire, que les droits de l'intéressée au titre de l'assurance-chômage ont expiré en juillet 2013, de sorte qu'à partir de cette date sa situation ne relève plus de la convention franco-ivoirienne.
Mme [E] fait déposer et conclure oralement par son conseil des conclusions de confirmation du jugement sauf en ce qu'il limite ses droits à la période écoulée entre les mois de novembre 2009 et septembre 2010 et demande la condamnation de la caisse d'allocations familiales de Paris à liquider ses droits au titre des prestations familiales pour l'enfant [U] [O] jusqu'au mois d'octobre 2013 en y ajoutant les intérêts au taux légal à compter de la date de la première demande prestations. Elle conclut également à la condamnation de la caisse à lui payer la somme de 1 500 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par sa faute et celle de 1500€ sur le fondement des articles 700 du code de procédure civile et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ainsi qu'à supporter les entiers dépens.
Elle soutient en effet que sa demande doit être examinée au regard des conventions internationales directement applicables en France. Elle précise être titulaire d'un titre de séjour portant la mention "salarié" depuis 2009, que son enfant [U] [O] est régulièrement scolarisée et qu'elle est à sa charge effective et permanente. Elle estime donc réunir toutes les conditions requises pour bénéficier des prestations familiales et se prévaut des dispositions de la convention générale de sécurité sociale franco-ivoirienne du 16 janvier 1985 qui garantit une égalité de traitement entre les ressortissants des deux pays.
Elle précise que les dispositions claires et précises de ce texte sont d'application directe et que "l'activité assimilée à une activité salariée" au sens de l'article 1er est celle qui est reconnue comme telle par la législation de l'Etat sur le territoire duquel elle est exercée. Elle en déduit que les périodes de maladie ou de chômage indemnisé sont assimilées aux périodes de travail salarié pour l'attribution des prestations familiales et demande l'infirmation du jugement sur ce point. Enfin, elle prétend que les dispositions de l'article D 512-2 du code de la sécurité sociale issues du décret du 27 février 2006 constituent une discrimination directement fondée sur la nationalité qui contrevient à la fois aux articles 8 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi qu'à l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention et à l'article 3-1 de la Convention internationale sur les droits de l'enfant garantissant la primauté de l'intérêt supérieur de l'enfant en matière de protection sociale.
Il est fait référence aux écritures déposées pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions ;
Sur quoi la Cour :
Considérant qu'aux termes de la convention générale de sécurité sociale du 16 janvier 1985 entre la France et la Côte d'Ivoire, les ressortissants ivoiriens exerçant en France une activité salariée ou assimilée sont soumis aux législations de sécurité sociale énumérées à l'article 4, applicables en France, et en bénéficient, ainsi que leurs ayants droit, dans les mêmes conditions que les ressortissants français ; qu'il n'est pas contesté la législation française fixant l'organisation de la sécurité sociale et celle relative aux prestions familiales relèvent de la cette convention ; que l'article 35 de la convention prévoit d'ailleurs que "les travailleurs salariés de nationalité ivoirienne occupés sur le territoire français bénéficient pour leurs enfants résidant en France des prestations familiales prévues par la législation française";
Considérant que les dispositions de cette convention sont claires et précises et leur application n'est subordonnée à aucun autre texte ; qu'elles ont donc un effet direct sur la situation des ressortissants de chacun des pays concernés ;
Considérant que ces dispositions garantissent aux ressortissants des deux pays parties à la convention une égalité de traitement pour l'ouverture des droits aux prestations familiales; qu'il en résulte l'absence de toute discrimination fondée sur la nationalité ;
Considérant qu'ainsi, les ressortissants ivoiriens résidant légalement en France et y exerçant une activité salariée ou assimilée sont traités de la même manière que les ressortissants français ; que la législation française ne doit donc pas les soumettre à des conditions plus rigoureuses que celles applicables aux personnes de nationalité française pour l'attribution des prestations familiales;
Considérant qu'en l'espèce, la fille de Mme [E] est entrée en France en dehors de la procédure de regroupement familial; que le bénéfice des prestations familiales a été refusé à l'intéressée au motif qu'elle ne produisait pas le certificat médical exigé par l'article D 512-2 du code de la sécurité sociale; qu'il s'agit d'une condition imposée uniquement aux étrangers ressortissants des pays non européens;
Considérant qu'en revanche, les autres conditions d'attribution des prestations familiales tenant à la régularité du séjour en France de Mme [E] et à la charge effective et permanente des enfants étaient réunies ;
Considérant qu'il ressort de son titre de séjour que l'intéressée était autorisée à exercer toute profession en France dans le cadre de la législation en vigueur durant toute la période où elle a demandé le bénéfice des prestations familiales;
Considérant que c'est donc à juste titre que les premiers juges ont écarté les dispositions des articles L 512-2, D 512-1 et D 512-2 du code de la sécurité sociale qui imposent des conditions plus rigoureuses aux seuls étrangers non ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la confédération suisse en méconnaissance de la convention bilatérale franco-ivoirienne garantissant aux ressortissants des deux pays l'égal accès aux prestations familiales, dans les mêmes conditions que les nationaux;
Que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il reconnaît à Mme [E] le droit aux prestations familiales en faveur de son enfant [U] [O] ;
Considérant que pour limiter ce droit à la période comprise entre septembre 2009 et novembre 2010, le jugement énonce qu'à compter de cette dernière date, Mme [E] a été arrêtée suite à un accident du travail et était ensuite en recherche d'emploi ;
Considérant toutefois que le droit aux prestations familiales des travailleurs salariés ou assimilés ne se perd ni en cas de suspension temporaire de leur activité, pendant un arrêt de travail, ni en cas de privation involontaire d'emploi donnant lieu à une indemnisation;
Considérant que Mme [E] était donc bien en droit de percevoir les prestations familiales entre novembre 2010 et juillet 2013, date à laquelle où, selon les relevés établis par Pôle-Emploi, l'indemnisation du chômage a pris fin;
Que le jugement sera donc infirmé en ce qu'il limite au mois de novembre 2010 le droit aux prestations familiales alors qu'il se prolongeait jusqu'au mois de juillet 2013 ;
Considérant qu'en tout état de cause, les intérêts ne peuvent courir qu'à compter du jour où Mme [E] a demandé le versement des prestations et du jour de chaque échéance;
Considérant qu'enfin, la caisse d'allocations familiales qui, en présence de textes susceptibles d'interprétations divergentes, s'est retranchée derrière les dispositions de droit interne, n'a commis aucune faute ; que c'est donc à juste titre que les premiers juges ont débouté Mme [E] de sa demande en paiement de dommages-intérêts;
Considérant qu'au regard de la situation respective des parties, il n'y a pas lieu non plus de faire application, en l'espèce, des dispositions mettant à la charge de la partie succombante les frais irrépétibles engagés par son adversaire ;
Considérant que la procédure en matière de sécurité sociale est gratuite et sans frais ; qu'elle ne donne pas lieu à dépens;
Par ces motifs :
- Déclare la Caisse d'allocations familiales de Paris recevable mais mal fondée en son appel ;
- Déclare Mme [E] recevable et partiellement fondée en son appel incident;
- Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il limite la période d'ouverture des droits de Mme [E] entre les mois de novembre 2009 et septembre 2010 ;
Statuant à nouveau de ce chef :
- Reconnaît également le droit aux prestations familiales de Mme [E] en faveur de sa fille [U] [O], née le [Date naissance 1] 1995, pour la période comprise entre les mois de novembre 2009 et juillet 2013, augmentés des intérêts au taux légal à compter de la demande des prestations familiales pour les échéances passées et de chacune des échéances pour les autres ;
- Ordonne à la caisse d'allocations familiales de Paris de liquider les droits de l'intéressée en conséquence ;
- Déboute Mme [E] de ses plus amples prétentions ;
- Dit n'y avoir lieu à application des dispositions sur les frais irrépétibles ;
- Dit n'y avoir lieu de statuer sur les dépens ;
- Dispense la caisse d'allocations familiales de Seine-Saint-Denis du paiement du droit d'appel prévu à l'article R 144-10, alinéa 2, du code de la sécurité sociale ;
Le Greffier, Le Président,