Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 1
ARRET DU 08 JUIN 2015
(n° 184, 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 15/04989 jonction avec 15/08195
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 05 Mars 2015 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 15/51425
APPELANTE
Comité d'établissement SEITA CARQUEFOU
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Fiodor RILOV de la SCP SCP RILOV, avocat plaidant et postulant au barreau de PARIS, toque : P0157
INTIMEES
SARL LE CABINET ALTER représentée par son gérant M. [C] [R]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représentée par Me Philippe JOUARY, avocat plaidant et postulant au barreau de PARIS, toque : J114
SAS SEITA - SOCIETE NATIONALE D'EXPLOITATION INDUSTRIELLE DES TABACS ET ALLUMETTES agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Maîtres Jean GERARD, avocat plaidant au barreau de PARIS, toque : K 100 et Edmond FROMANTIN, avocat postulant au barreau de PARIS, toque : J151
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 13 Avril 2015, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Irène CARBONNIER, Président de chambre
Madame Véronique SLOVE, Conseillère
Madame Isabelle DELAQUYS, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : Mme Marine CARION lors des débats et de la mise à disposition
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, conformément à l'avis donné après les débats dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme CARBONNIER, Présidente, et par Madame Marine CARION, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * *
Vu l'ordonnance rendue le 5 mars 2015 par le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris qui, saisi par le 23 janvier 2015 par le comité d'établissement du centre de production de Carquefou (comité d'établissement de Carquefou) de la Société nationale d'Exploitation Industrielle des Tabacs et Allumettes (SEITA), a constaté l'intervention volontaire de la société ALTER, dit n'y avoir lieu à référé, débouté les demandeurs et intervenant de l'ensemble de leurs prétentions dirigées contre la société SEITA et prononcé leur condamnation in solidum à payer à cette dernière la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Vu la déclaration d'appel du comité d'établissement de [Localité 1] en date du 9 mars 2015, l'assignation à jour fixe en date du 18 mars 2015 et les conclusions de l'appelant tendant à voir réformer l'ordonnance de référé, juger que le défaut de communication par la SEITA des informations et documents demandés par l'expert-comptable est constitutif d'un trouble manifestement illicite et condamner en conséquence l'intimé à cette communication sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard à compter du cinquième jour suivant la notification de l'arrêt et au paiement de la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Vu la déclaration d'appel du cabinet ALTER en date du 13 avril 2015 et les conclusions signifiées le même jour en qualité d'appelant incident, tendant à le déclarer recevable en ses demandes, à réformer l'ordonnance entreprise, à enjoindre à la société SEITA, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard, de lui communiquer sans délai les documents qu'il a réclamés suivant liste produite et à condamner l'intimée à lui verser la somme de 4 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Vu les conclusions dirigées contre l'appelant principal et l'appelant incident par la SEITA qui soulève à titre liminaire l'irrecevabilité des demandes du cabinet ALTER qui n'est pas partie à la procédure d'appel, faute d'avoir été intimé par l'appelant et, au fond, le débouté du Comité d'établissement de [Localité 1] en raison de l'absence de trouble manifestement illicite et sa condamnation à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Considérant, sur la recevabilité des conclusions du cabinet ALTER, qu'aux termes des articles 549 à 551 du code de procédure civile, « L'appel incident peut également émaner, sur l'appel principal ou incident qui le provoque, de toute personne même non intimée ayant été partie en première instance » ; qu'il importe peu que cet appel incident ou provoqué, formé et notifié de la même manière que le sont les demandes incidentes, soit formé hors le délai de l'appel principal ; qu'il convient d'ordonner, pour une bonne administration de la justice, la jonction des deux procédures ;
Considérant, s'agissant de la communication des documents réclamés par le cabinet ALTER, que les articles L. 2325-35 à L. 2325-37 alinéa 1 du code du travail prévoient que la mission confiée par le comité d'entreprise à l'expert comptable porte sur tous les éléments d'ordre économique, financier ou social nécessaires à la compréhension des comptes et à l'appréciation de la situation de l'entreprise et que, pour opérer les vérifications et contrôles entrant dans l'exercice de ses missions, l'expert-comptable a accès aux mêmes documents que le commissaire aux comptes ; que ce dernier, aux termes des articles L. 823-13 alinéa 1 et L. 823-14 alinéas 1 et 2 du code du commerce, peut se faire communiquer toutes pièces qu'il estime utiles, notamment tous contrats, livres, documents comptables et registres des procès-verbaux, et peut mener ses investigations tant auprès de la personne ou de l'entité dont il est chargé de certifier les comptes que de celles qui la contrôlent ou qui sont contrôlées par elle au sens de l'article L. 233-3 ;
Qu'il ressort de ces dispositions qu'il n'appartient qu'à l'expert-comptable, lequel ne peut cependant exiger ni la confection de documents n'existant pas et/ou dont l'établissement n'est pas obligatoire pour l'entreprise, ni la transmission de documents dont ne pourrait disposer le commissaire aux comptes et qui ne seraient pas nécessaires à la compréhension des comptes et à l'appréciation de la situation de l'entreprise, d'apprécier l'utilité concrète des documents qu'il réclame pour mener sa mission, le juge ne pouvant substituer son appréciation de cette utilité à celle de l'expert ; qu'il lui appartient en revanche de contrôler le caractère nécessaire à la mission légale de l'expert-comptable des documents dont pourrait disposer un commissaire aux comptes et de sanctionner les abus de droit caractérisés ;
Considérant qu'il est constant que la SEITA a fusionné en 1999 avec une société espagnole Altadis dont le groupe britannique Impérial Tobacco a pris le contrôle en 2008 ; que le 10 juillet 2014, le Comité d'établissement de [Localité 1] a désigné le cabinet d'expertise comptable ALTER à fin d'examen des comptes annuels et prévisionnels 2013-2014 ; que le cabinet ALTER a adressé sa lettre de mission à l'employeur le 24 juillet, en y joignant une première liste d'informations et de documents à lui transmettre ;
Que les demandes de communication de l'expert-comptable portent sur les éléments suivants :
- Informations comptables et fiscales de la société SEITA sur les exercices 2011-2012, 2012-2013, 2013-2014 : liasse fiscale, annexe comptable, balance comptable, documents prévisionnels 2014 accompagnés des hypothèses de construction du BP,
- Informations juridiques pour l'exercice 2013-2014 : organigramme juridique complet du groupe Imperial Tobacco, procès-verbal ou projet de résolution de l'assemblée générale ordinaire,
- Informations sur l'activité et les comptes analytiques pour les exercices 2011-2012, 2012-2013, 2013-2014 et prévisions 2014-2015 : situation des principaux concurrents (nom, positionnement stratégique, chiffre d'affaires, résultats, situation financière), compte de résultat analytique global et par segment d'activité de chaque établissement du Groupe Imperial Tobacco en Europe distinguant les charges fixes des charges variables, détail des charges par nature pour le site de Carquefou et pour chaque établissement du groupe, modalités des refacturations internes au sein du Groupe Imperial Tobacco, notamment pour Carquefou, état détaillé des flux financier de toute nature entre l'établissement de SEITA Carquefou et chacune des autres entités du Groupe Imperial Tobacco,
- Informations sur le fonctionnement interne pour les exercices 2011-2012, 2012-2013, 2013-2014 et prévisions 2014-2015 : montant annuel des investissements détaillés par nature de chaque établissement du Groupe Imperial Tobacco, tableaux de bord détaillés (indicateurs de productivité, de rendement, de qualité, de sécurité, d'environnement et absentéisme) de chaque établissement du Groupe Imperial Tobacco en Europe, indices d'évolution des prix d'achat des principales matières premières, tabac notamment,
- Informations en complément de la lettre de mission : fabrication annuelle des marques SEITA détaillées par pays en 2011-2012, 2012-2013 et 2013-2014, effectifs par fonction pour le site de [Localité 1] et les établissements du Groupe Imperial Tobacco rn Europe en 2011-2012, 2012-2013 et 2013-2014, détail des charges par nature pour le site de [Localité 1] ainsi que pour chaque établissement du Groupe Imperial Tobacco en Europe, contrats de travail de chacun des mandataires sociaux de SEITA SASU et contrats de travail de chacun des cadres dirigeants de SEITA SASU avec toute société du Groupe Imperial Tobacco, tout document faisant état des limites de pouvoir des dirigeants (mandataires sociaux, membres du conseil d'administration, membres du conseil de surveillance etc.) de SEITA SASU, tout document faisant état des limites de pouvoir des dirigeants (mandataires sociaux, membres du conseil d'administration, membres du conseil de surveillance etc.) de SEITA SASU, tout document faisant état de la matrice des décisions du Groupe Imperial Tobacco et ou des seuils à partir desquels les décisions prises par SEITA SASU doivent être déférées à toute autre entité du Groupe Imperial Tobacco ;
- Informations sociales : salaires annuels bruts de base par coefficient : plus haut, plus bas, montant de la participation et de l'intéressement versé par salarié (à temps plein, présent toute l'année) : plus haut, plus bas, moyenne, liste et montant des primes de toute nature en vigueur dans l'entreprise : ordonnance (ventilées entre primes conventionnelles et primes non conventionnelles, nombre de bénéficiaires et modalités d'attribution ;
Considérant que, pour s'opposer à ces demandes de communication, l'employeur fait valoir que le plus grand nombre de documents n'existe pas ou n'est pas nécessaire à l'exercice de la mission de l'expert missionné non par le comité d'entreprise de SEITA mais par le comité d'établissement de [Localité 1] ; que, plus spécialement, le cabinet d'expertise-comptable ALTER ne peut avoir pour mission d'examiner « l'évolution des flux financiers, économiques et sociaux entre l'établissement et les autres entités du groupe » ou « l'évolution de l'activité, des marges et de la rentabilité commerciale de l'établissement en comparaison des autres établissements du groupe » et ne peut demander aucune des informations sur « les autres établissements du groupe », lequel compte soixante-quatorze sites en Europe, en ce qu'elles ne sont pas nécessaires à la mission expertale ;
Considérant qu'il est, tout d'abord, justifié que la SEITA a procédé à l'envoi d'un certain nombre de documents listés par le juge des référés ;
Qu'en revanche, si le juge des référés a relevé à juste titre que l'expert-comptable ne pouvait exiger de faire spécialement pour lui des documents supposant au préalable leur création, il y a lieu de constater que les demandes du cabinet ALTER portant sur la transmission d'informations telles que la situation des principaux concurrents (nom, positionnement stratégique, chiffre d'affaires, résultats, situation financière) ou la fabrication annuelle des marques SEITA détaillées par pays en 2011-2012, 2012-2013 et 2013-2014 ne sont pas déterminées en sorte que, s'agissant d'informations nécessairement connues de la société, il appartient à cette dernière non de créer des documents mais de remettre les documents répondant à cette demande donnée pour utile par l'expert comptable ; qu'au reste, c'est ainsi que l'a compris la société SEITA lorsqu'elle a remis des documents incomplets pour des documents plus précis qui n'étaient pas obligatoires (salaires annuels bruts de base/totaux par coefficient : plus haut, plus bas, montant de la participation et de l'intéressement versé par salarié (à temps plein, présent toute l'année) : plus haut, plus bas, moyenne, ou qui, pour répondre à la demande d'informations relatives aux effectifs par fonction pour le site de [Localité 1] et les établissements du Groupe Imperial Tobacco en Europe en 2011-2012, 2012-2013 et 2013-2014, a transmis « les documents existant susceptible de répondre à la demande, étant précisé qu'il n'existe pas de documents présentant le degré de détail demandé » et pour répondre à la demande portant sur la liste et le montant des primes de toute nature en vigueur dans l'entreprise : ordonnance (ventilées entre primes conventionnelles et primes non conventionnelles, nombre de bénéficiaires et modalités d'attribution a communiqué la convention collective d'entreprise, l'accord social 2014 et une « note d'information DRH » ;
Considérant, s'agissant du caractère nécessaire des communications sollicitées par le cabinet ALTER, que la mission de cet homme de l'art n'étant pas exclusivement comptable et devant permettre au Comité d'établissement qui le désigne de connaître la situation de l'établissement dans l'ensemble de l'entreprise et par rapport aux autres établissements avec lesquels il doit pouvoir se comparer, il lui appartient, et à lui seul, de déterminer les documents d'ordre économique, financier ou social utiles pour mener cette mission à bien ; que la société SEITA n'est dès lors pas fondée à opposer au cabinet ALTER la communication de l'ensemble des informations concernant le groupe, dont elle n'a jamais soutenu qu'elle n'en disposait pas, y compris les contrats de travail des cadres dirigeants et des mandataires sociaux avec les autres sociétés du groupe Imperial Tabacco ;
Que le refus opposé au cabinet ALTER missionné par le Comité d'entreprise de [Localité 1] par la société SEITA, qui ne caractérise ni même n'invoque un abus de droit, constitue dès lors un trouble manifestement illicite qu'il convient de faire cesser ;
Considérant que l'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 au profit de chacun des deux appelants ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
- ordonne la jonction de la procédure numéro 15/08195 avec la procédure numéro 15/04989,
- déclare recevable l'appel incident de la société ALTER,
- infirme l'ordonnance en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé s'agissant de la communication au cabinet ALTER de l'ensemble des pièces en lien avec le groupe Imperial Tobacco et les établissements le constituant, ainsi que des informations relatives à la situation des principaux concurrents (nom, positionnement stratégique, chiffre d'affaires, résultats, situation financière) et à la fabrication annuelle des marques SEITA détaillées par pays en 2011-2012, 2012-2013 et 2013-2014 et fait droit aux demandes de communication de ces pièces sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard à compter du huitième jour suivant la notification de l'arrêt,
- la confirme pour le surplus,
- condamne la Société nationale d'Exploitation Industrielle des Tabacs et Allumettes (SEITA) aux dépens et à payer, au titre de leurs frais de procédure, la somme de 2 000 euros tant au comité d'établissement du centre de production de [Localité 1] qu'à la société ALTER.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT