RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 12
ARRÊT DU 11 Juin 2015
(n° 907 , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/03074
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 21 Janvier 2012 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de MELUN RG n° 10/00233MN
APPELANTE
CPAM DU VAL DE MARNE
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Virginie FARKAS, avocat au barreau de PARIS, toque : D0001
INTIME
Monsieur [H] [I]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 3]
comparant en personne, assisté de Me François BABOUT, avocat au barreau de MELUN, toque : M24 substitué par Me Audrey OBADIA, avocat au barreau de MELUN
PARTIE INTERVENANTE
Monsieur [F] [E]
Institut de l'Appareil Locomoteur [1]
[Adresse 4]
[Localité 1]
représenté par Me Angélique WENGER, avocat au barreau de PARIS, toque : R123 substituée par Me Julia CRIQUI, avocat au barreau de PARIS, toque : R123
Monsieur le Ministre chargé de la sécurité sociale
[Adresse 3]
[Localité 2]
avisé - non comparant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 1er avril 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, Madame Bernadette VAN RUYMBEKE, Président, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Bernadette VAN RUYMBEKE, Président
Monsieur Luc LEBLANC, Conseiller
Madame Marie-Ange SENTUCQ, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier : Mme Fatima BA, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Bernadette VAN RUYMBEKE, Président et par Madame Fatima BA, Greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*
* *
FAITS-PROCÉDURE-MOYENS DES PARTIES :
Monsieur [H] [I], cascadeur professionnel, a été victime d'un accident du travail le 7 août 2006, pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne.
Victime d'une rechute déclarée le 23 janvier 2008, Monsieur [I] s'est vu verser des indemnités journalières pour un montant total de 14.436,40 euros du 23 avril au 26 octobre 2008, par la caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne devenue sa caisse d'affiliation à la date du 28 novembre 2007.
A l'issue d'une enquête administrative menée par un agent assermenté, cette caisse lui a notifié le 5 janvier 2009,une créance d'un montant de 14.436,40 euros, correspondant aux indemnités journalières versées aux motifs qu'il avait déménagé en dehors du ressort de la caisse, sans en informer cette dernière, qu'il avait ensuite gardé le silence sur sa nouvelle adresse , que les arrêts de travail enfin qu'il lui avaient été délivrés par le docteur [E] ,étaient apocryphes.
Monsieur [I] ne s'étant pas exécuté , la caisse primaire d'assurance maladie , après avoir saisi le tribunal des affaires de la sécurité sociale de Creteil qui s'est déclaré incompétent , a porté le litige devant le tribunal des affaires de la sécurité sociale de Melun devant lequel Monsieur [I] assignait le docteur [E] en intervention .
Par jugement en date du 24 janvier 2012, cette juridiction a rejeté le recours de la caisse, aux motifs que les arrêts prescrits étaient médicalement justifiés et l'a condamnée à verser une indemnité de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile à Monsieur [I] , lui même condamné au paiement d'une indemnité de 700euros au docteur [E].
La caisse primaire d'assurance maladie, par l'intermédiaire de son conseil qui a déposé des écritures développées à la barre, conclut à l'infirmation du jugement et à la condamnation de Monsieur [I] à lui rembourser, vu les dispositions de l'article 1382 et vu la fraude , la somme de 14.436,40 euros au titre des indemnités journalières perçues par l'assuré durant les périodes précitées, avec intérêts au taux légal à compter du 5 janvier 2009, date de la notification de la créance, outre à 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que peu important l'absence de contestation médicale du bien-fondé des arrêts prescrits, Monsieur [I] n'a pas respecté les obligations auxquelles est soumis un assuré qui perçoit des indemnités journalières.
Monsieur [I] , par la voix de son conseil qui a déposé des écritures développées oralement conclut à la confirmation du jugement , sauf en ce qu'il l'a condamné à verser des frais non répétibles à Monsieur [E] ; il ajoute une demande de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile .
Il soutient que la caisse ne peut à la fois, invoquer les dispositions de l'article L133-4-1 du code de la sécurité sociale sur le fondement desquelles son action est prescrite et celles de l'article 1382 du code civil ; à titre subsidiaire, il estime que les infractions reprochées sont incompatibles avec les textes normatifs européens et conteste avoir commis des fautes puisque son l'état de santé, connu de la caisse, correspondait à une affection réelle et que les arrêts de travail ont été établis sous la responsabilité du médecin; à titre très subsidiaire, il demande que le remboursement ne saurait dépasser1euro et que le docteur [E], responsable de l'infraction dénoncée par la caisse, devra le garantir du paiement de tout paiement.
Monsieur [E] par l'intermédiaire de son conseil qui a déposé des écritures développées à la barre, conclut à la confirmation du jugement estimant qu'il ne peut être tenu responsable du préjudice invoqué par la caisse; à titre subsidiaire, il demande de dire que sa garantie ne saurait excéder les indemnités journalières versées en vertu de la prolongation d'arrêt de travail du 23 avril au 1er juin 21008 , en tout état de cause, il sollicite la condamnation de Monsieur [I] à lui verser la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile et les conclusions des parties régulièrement communiquées, oralement soutenues et visées par le greffe à l'audience du 1er avril 2015, conclusions auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé de leurs demandes, moyens et arguments.
SUR CE, LA COUR :
sur la prescription
Considérant que Monsieur [I] soulève tout d'abord la prescription de l'action en remboursement de prestations indues introduite par la caisse en se fondant sur les dispositions de l'article L133-4-1 du code de la sécurité sociale instaurant une prescription biennale ;
Considérant toutefois que l'action de la caisse du Val de Marne, fondée que les dispositions de l'article 1382 du code civil invoqué dès l'introduction du recours en justice est recevable dès lors qu'elle reproche à Monsieur [I] d'avoir perçu des sommes sur la base de fausses déclarations et d'informations tues, ce qui constitue une fraude ; que son action n'est donc pas soumise au délai de prescription biennal, mais à la prescription de droit commun de 5 ans ; que la mise en demeure ayant été notifiée le 5 janvier 2009 , aucune prescription ne peut lui être opposée ;
Sur le fond :
Considérant que les indemnités journalières, versées par l'assurance maladie, constituent un revenu de remplacement destiné à compenser la perte de revenu professionnel que subit le travailleur se trouvant dans l'incapacité physique, médicalement constatée, de poursuivre son activité ; que leur perception contraint le bénéficiaire au respect de certaines règles et obligations;
Considérant, en l'espèce, que monsieur [I] a perçu des indemnités journalières au titre de la rechute de son accident du travail du 23 avril au 26 octobre 2008 versées par la caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne, sur le fondement de trois prolongations d'arrêts de travail ;
Que dans le cadre de son contrôle, l'enquêteur assermenté de cette caisse a constaté que :
- Monsieur [I] avait déménagé au mois de mai 2008, à la Chalautre la Grande, commune dépendant du ressort de la caisse de Seine et Marne, sans en aviser sa caisse de rattachement ;
- les arrêts de travail qui lui ont été délivrés les 23 avril, 27 juillet et 16 octobre 2008 pour les constations détaillées suivantes: 'luxation acromio-claviculaire , épaule droite' avec des prescriptions d'arrêts successifs , portaient certes le cachet du docteur [E] mais avaient été remplis et signés par la secrétaire du praticien sans que ce dernier n'examine le patient,
- ces arrêts de travail ont été transmis à la caisse du Val de Marne , avec mention de l'ancienne adresse de l'assuré pour le 1er arrêt , sans mention d'adresse pour les deux suivants ;
Considérant tout d'abord , sur le 1er manquement reproché, qu'en application des articles L. 323-6, L. 315-1 et L. 315-2 du code de la sécurité sociale, l'assuré qui se voit prescrire un arrêt de travail et perçoit durant cette période des indemnités journalières, doit notamment se soumettre aux contrôles organisés par le service du contrôle médical prévus à l'article L. 315-2 dudit code ;
Que pour permettre à l'organisme de mettre en place ce contrôle de l'assuré, l'assuré doit renseigner l'adresse de son domicile, à laquelle il peut être visité et où il doit demeurer, conformément aux autorisations de sortie mentionnées par le médecin prescripteur, qu'il ne doit pas quitter la circonscription de la caisse à laquelle il est rattaché sans autorisation préalable de celle ci et doit se soumettre aux divers contrôles mis en oeuvre par l'organisme;
Que ces obligations sont rappelées clairement au dos de chaque arrêt de travail, sous une forme lisible ainsi mise en exergue : ' IMPORTANT: quelque soit votre situation ,n'oubliez pas de..' suivies des prescriptions et de la mention, en caractère gras de la sanction, en cas d'inobservation , à savoir la perte des indemnités journalières ;
Que force est de constater que Monsieur [I] ne justifie d'aucune démarche visant à informer la caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne de son départ hors du département de rattachement, qu'il a omis de mentionner sa nouvelle résidence sur les trois arrêts de travail litigieux de sorte qu'en quittant son domicile sans avoir obtenu l'autorisation préalable de la caisse et sans informer celle ci de ses nouvelles coordonnées, il s'est soustrait volontairement à ses obligations; que dès lors, la caisse pouvait légitimement supprimer les indemnités journalières ;
Que ces obligations qui relèvent de l'information due à un organisme lui versant un revenu de remplacement ,ne portent nullement atteinte à sa liberté d'établissement ou d'aller et venir puisqu'il reste libre de résider où bon lui semble;
Que ce premier manquement est avéré ;
Considérant ensuite s'agissant du second manquement, qu'en application de l'article L. 321-2 du code de la sécurité sociale, en cas d'interruption de travail, l'assuré doit envoyer à la caisse primaire d'assurance maladie, dans un délai déterminé et sous peine de sanctions, une lettre d'avis d'interruption de travail qui doit comporter la signature du médecin; que ces règles s'appliquent, au visa de l'article R321-2 ,en cas de prolongation de l'arrêt de travail initial ;
Que l'article L441-6 du même code précise que le praticien établit, en double exemplaire, un certificat indiquant l'état de la victime et les conséquences de l'accident ou les suites éventuelles, en particulier la durée probable de l'incapacité de travail ;
Que ces prescriptions induisent que le médecin examine le malade avant de lui délivrer un arrêt de travail;
Considérant, en l'espèce, que les trois arrêts de travail de prolongation litigieux détaillant l'affection susvisée, ont été remplis et signés non par le médecin prescripteur, qui n'a pas examiné le malade, mais , en son nom, par la secrétaire du cabinet ;
Que cette dernière a indiqué avoir établi ces documents à la demande de Monsieur [I], et, devant les agents de la caisse, comme relaté dans le courrier de la caisse du 8 avril 2009, a ajouté avoir agi de sa propre initiative sans l'accord ou l'avis du praticien ; que le docteur [E] confirmait, quant à lui, avoir consulté l'assuré, pour la dernière fois le 6 mars 2008 ;
Qu'il en résulte que la caisse a indemnisé Monsieur [I] pendant 6 mois sur le fondement de documents apocryphes que l'assuré lui a transmis en connaissance de cause, laissant croire à l'organisme social que les dispositions de l'article L441-6 du code de la sécurité sociale précité avaient été personnellement accomplies par le docteur [E] ;
Considérant dès lors que ce second grief est également caractérisé ;
Et considérant sur les conséquences , qu'aux termes des dispositions de l'article 1382 du code civil, la caisse qui verse des prestations en espèces sur la foi de fausses informations est bien fondée à demander au bénéficiaire desdites indemnités, le remboursement des sommes perçues;
Que c'est en vain que Monsieur [I] soutient qu'il n'est pas responsable des fautes reprochées, que seul le médecin habilité à établir les arrêts de travail porte la charge des manquements qu'enfin ces arrêts étaient en tout état de cause médicalement justifiés par son état de santé alors que, bénéficiaire des indemnités, et nonobstant sa situation médicale, il lui appartenait personnellement de respecter ses obligations administratives et de transmettre à l'organisme social payeur des arrêts de travail conformes aux exigences des textes précités, ce qu'il n'a pas fait ;
Que contrairement à ce qu'il prétend encore, le fait générateur des versements indus n'est pas son état de santé mais les informations qu'il a omises ou faussement transmises ;
Que c'est enfin, en vain, qu'il argue de l'absence de préjudice de la caisse, celle ci, soumise à un contrôle strict des deniers dont elle assume la gestion, ayant indûment versé des indemnités journalières à un assuré qui d'une part, ne relevait plus de son ressort et d'autre part ,avait présenté des documents mensongers ;
Considérant, en conséquence, que c'est à tort que le tribunal des affaires de la sécurité sociale a débouté la caisse primaire d'assurance maladie de ses demandes ;
Que la caisse justifie de la réalité des indemnités journalières perçues par Monsieur [I] du 23 avril au 26 octobre 2008 pour un montant de 14.436,40 euros que ce dernier devra rembourser, cette somme n'ayant aucun caractère disproportionné ;
Considérant que Monsieur [I] sera enfin débouté de sa demande de garantie du docteur [E] ; que si le médecin, postérieurement à l'enquête, a déclaré assumer la responsabilité, au lieu et place de sa secrétaire de la délivrance des arrêts litigieux , il n'en demeure pas moins qu'il ne peut être tenu pour responsable des manquements et des actes personnels de monsieur [I] dans ses relations avec l'organisme social auquel il est affilié ;
Considérant, en conséquence, que le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions y compris dans celles relatives à l'article 700 du code de procédure civile ;
Que monsieur [I] sera condamnée en outre à verser à la caisse primaire d'assurance maladie une indemnité de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, les autres parties conservant la charge de leurs frais non répétibles ;
PAR CES MOTIFS :
Infirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
Condamne monsieur [I] à verser à la caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne la somme de 14.436,40 euros au titre d' indemnités journalières indûment versées du 23 avril au 26 octobre 2008, avec intérêts au taux légal à compter du 5 janvier 2009;
Le condamne en outre à verser à la caisse la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette les parties de toutes autres demandes , y compris sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le Greffier, Le Président,