RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 2
ARRÊT DU 25 Juin 2015
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/06270
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 04 Juin 2013 par le Conseil de Prud'hommes de PARIS - section activités diverses - RG n° F12/1804
DEMANDERESSE AU CONTREDIT
Madame [R] [L]
[Adresse 5]
[Adresse 4]
représentée par Me Isabelle ROY-MAHIEU, avocat au barreau de PARIS, toque : P0527 substituée par Me Karine LANDRY
DÉFENDEURS AU CONTREDIT
ASSOCIATION SOCIETE MUSICALE RUSSE EN FRANCE
[Adresse 3]
[Adresse 4]
représentée par Me Laurent GAMET, avocat au barreau de PARIS, toque : P0461
Me [Q] [Q] - Mandataire judiciaire de l'ASSOCIATION SOCIETE MUSICALE RUSSE EN FRANCE
[Adresse 2]
[Adresse 7]
représenté par Me Laurent GAMET, avocat au barreau de PARIS, toque : P0461
PARTIE INTERVENANTE
CGEA I.D.F
[Adresse 1]
[Adresse 6]
représenté par Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS, toque : T10 substitué par Me Olivia ROGER-VASSELIN
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 21 mai 2015, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Nicolas BONNAL, Président
Madame Martine CANTAT, Conseiller
Monsieur Christophe ESTEVE, Conseiller
qui en ont délibéré
GREFFIER : Madame FOULON, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Nicolas BONNAL, Président et par Madame FOULON, Greffier .
**********
Statuant sur le contredit de compétence formé par Madame [R] [L] à l'encontre d'un jugement du conseil de prud'hommes de Paris, rendu le 4 juin 2013, qui s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance de Paris pour connaître du litige l'opposant à l'association SOCIETE MUSICALE RUSSE EN FRANCE ;
Vu les dernières écritures et observations orales à la barre, en date du 20 mai 2015, de Madame [R] [L] qui demande à la Cour de :
- accueillir le contredit,
- infirmer le jugement en ce qu'il s'est déclaré incompétent,
- évoquer le fond du litige,
- condamner l'association SOCIETE MUSICALE RUSSE EN FRANCE au paiement de la somme de 3.000 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile';
Vu les dernières écritures et observations orales à la barre, en date du 20 mai 2015, de l'association SOCIETE MUSICALE RUSSE EN FRANCE, ci-après dénommée l'association SMRF, et de la SCP [Q], représentée par Maître [Q] [Q], mandataire judiciaire, qui demandent à la Cour'de :
- déclarer le contredit mal fondé,
- confirmer le jugement,
- condamner Madame [R] [L] au paiement de la somme de 3.000 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile';
Vu les dernières écritures et observations orales à la barre, en date du 20 mai 2015, de l'AGS CGEA IDF OUEST qui demande à la Cour'de :
- prononcer la mise hors de cause de l'AGS,
- dire, s'il y a lieu à fixation, que celle-ci ne peut intervenir que dans les limites de la garantie légale,
- dire que la garantie de l'AGS ne peut concerner que les seules sommes dues en exécution du contrat de travail,
- dire que la garantie de l'AGS ne peut excéder le plafond 6';
SUR CE, LA COUR
FAITS ET PROCÉDURE
Madame [R] [L] a dispensé, entre le 1er septembre 1991 et le 31 décembre 2011, des cours de piano et de solfège à des élèves inscrits à l'association SMRF.
Elle a saisi le conseil de prud'hommes de Paris afin de se voir reconnaître la qualité de salariée et d'obtenir diverses sommes liées à sa prestation de travail et à la rupture de la relation contractuelle.
L'association SMRF a soulevé, in limine litis, l'incompétence de la juridiction prud'homale, au motif que les demandes relevaient de la compétence du tribunal de grande instance.
Par jugement du 4 juin 2013, le conseil de prud'hommes s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance de Paris.
Madame [R] [L] a formé un contredit de compétence.
Par jugement du 12 septembre 2013, le tribunal de grande instance de Paris a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de l'association SMRF et a désigné Maître [Q] [Q] de la SCP [Q] mandataire judiciaire.
MOTIVATION DE LA DÉCISION
Sur la qualification des relations contractuelles
Considérant que Madame [R] [L] affirme qu'elle était liée à l'association SMRF par un contrat de travail au motif qu'elle'était tenue de suivre les programmes définis par l'association, ne choisissait pas ses élèves, devait suivre le planning et les horaires qui lui étaient imposés par l'association, devait remplir un cahier de présence et ne pouvait négocier sa rémunération';
Que l'association SMRF conteste l'ensemble de ces affirmations';
Considérant que l'existence d'un contrat de travail ne dépend, ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination de leurs conventions, mais se caractérise par les conditions de faits dans lesquelles s'exerce l'activité professionnelle'; que le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné'; que le travail au sein d'un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail';
Que, par ailleurs, il appartient à la partie qui entend se prévaloir de l'existence d'un contrat de travail de rapporter la preuve de l'existence d'un lien de subordination ;
Considérant, qu'en l'espèce, il n'est pas contesté qu'aucun contrat de travail écrit n'a lié les parties'et qu'aucun bulletin de paye n'a été délivré à Madame [R] [L] ;
Qu'en conséquence, il appartient à cette dernière, qui entend se prévaloir de l'existence d'un contrat de travail, de rapporter la preuve de l'existence d'un lien de subordination ;
Considérant que Madame [R] [L] apporte aux débats à l'appui de son argumentation':
- le courrier, en date du 17 décembre 2011, par lequel elle a signifié à l'association SMRF sa décision de prendre acte de la rupture de la relation contractuelle aux torts de celle-ci et de cesser ses cours à compter du 3 janvier 2012,
- le courrier de réponse, en date du 4 janvier 2012, de l'association SMRF qui mentionne «'Ne vous étant pas présentée ce matin, 4 janvier 2012, au Conservatoire pour assurer vos cours, nous prenons acte que vous avez mis à exécution votre décision contenue dans votre lettre du 17 décembre 2011, de ne plus assurer votre enseignement, qui vous engageait vis-à-vis des élèves du Conservatoire. Nous en tirerons toutes les conséquences que de droit'»,
- des documents émanant de l'association SMRF dont il ressort que Madame [R] [L] a toujours perçu des honoraires,
- la charte gouvernant les relations entre l'association et «'ses professeurs indépendants qui ne disposent pas de l'infrastructure nécessaire pour dispenser leur enseignement à des groupes d'élèves'» qui mentionne que':
- «'la SMRF met en relation des élèves désireux d'étudier au sein du conservatoire et les professeurs désireux d'enseigner'»,
- «'lors de leur inscription annuelle au Conservatoire il est remis à chaque élève une liste des enseignants de l'instrument ou de la matière qu'ils souhaitent étudier'»,
- «'il revient aux élèves de contacter eux-mêmes les professeurs de la SMRF et de s'assurer de leur disponibilité'»,
-'« les professeurs de la SMRF sont libres d'accepter ou de refuser les élèves qui les contactent les critères de sélection étant de leur seule autorité'»,
- « les professeurs de la SMRF qui ont sollicité la SMRF pour y exercer une partie de leur activité d'enseignement au sein des locaux de la SMRF, ont toute liberté d'exercer par ailleurs cette activité, que cela soit à titre personnel ou au sein d'une autre structure'»,
- «'le planning d'utilisation des salles de cours est établi par les professeurs'»,
- « les professeurs définissent, en accord avec leurs élèves, les horaires et la durée des cours qu'ils dispensent'»,
- «'les professeurs apportent eux-mêmes le matériel nécessaire à la tenue de leurs cours'» (sauf les pianos),
- «'les programmes et les techniques d'enseignement sont déterminés librement par les professeurs de la SMRF et sous leur propre autorité'»,
- les professeurs peuvent mettre en place des examens d'évaluation de leurs élèves, en établissant eux-mêmes le programme de révision,
- les professeurs peuvent prendre des congés hors les périodes de vacances scolaires en prévenant les élèves et le Conservatoire',
- un courrier, en date du 29 septembre 2000, que l'association SMRF a envoyé à l'ensemble des professeurs pour leur rappeler que':
- «'aucun favoritisme n'est pratiqué par le secrétariat pour attribuer tel ou tel élève à tel ou tel professeur'»,
- deux journées «'portes ouvertes'» sont organisées en juin et en septembre pour que les professeurs puissent rencontrer de nouveaux élèves,
- le téléphone et la photocopieuse ne sont à la disposition de personne,
- les salles de cours ne sont pas personnelles,
- des courriers, en date des 17 septembre 2001, 29 septembre 2003, 12 octobre 2004 et 20 octobre 2006, que l'association SMRF a envoyés à l'ensemble des professeurs pour leur indiquer les dates des réunions au cours desquelles ils devaient établir les programmes de l'année,
- divers documents relatifs aux cotisations URSSAF,
- divers plannings,
- une fiche d'information de l'association SMRF destinée au public qui mentionne notamment':
- la liste des cours individuels dispensés': chant, piano, alto, balalaïka, guitare, harpe, violon, violoncelle, clarinette, flûte, saxophone, basson, accompagnement piano,
- la liste des cours collectifs dispensés'et les différents niveaux : composition, solfège, harmonie, langue russe, contrepoint, analyse, histoire de la musique,
- la liste des cours pour enfants': éveil musical, langue russe,
- les modalités de paiement': trimestriellement et d'avance,
- des attestations de professeurs dont il ressort que':
- comme dans tout conservatoire de musique le programme d'enseignement est fait en fonction du niveau de l'élève,
- les élèves sont attribués à chaque professeur par le secrétariat de l'association,
- le tarif des cours est fixé par l'association
- les professeurs se réunissent en début d'année avec la direction pour établir le programme de fin d'année de chaque niveau,
- des attestations de parents d'élèves'dont il ressort que':
- le professeur de leur enfant a été choisi par l'association,
- les cours sont compris dans les frais de scolarité et payés directement à l'association';
Considérant que l'association SMRF produit par ailleurs':
- des notes mensuelles d'honoraires signées par Madame [R] [L], avec des montants variables,
- des attestations de professeurs dont il ressort que'les professeurs'de l'association SMRF:
- sont libres de choisir leurs horaires et leurs jours de cours et d'en changer,
- peuvent choisir leurs élèves et refuser un élève qui leur est proposé,
- ont une complète liberté pour établir leur programme pédagogique,
- n'ont pas à signer de feuille de présence,
- un questionnaire destiné à l'URSSAF, rempli et signé par Madame [R] [L] le 5 avril 1996, qui mentionne, notamment, qu'elle':
- ne reçoit ni directives, ni ordres,
- n'est pas astreinte à un horaire ou à une présence à période fixe dans les locaux de l'association,
- n'a pas à rendre compte de son activité,
- n'est soumise à aucun contrôle en ce qui concerne ses travaux,
- a la possibilité de travailler ailleurs,
- peut refuser des cours sans voir sa collaboration compromise,
- n'est pas tenue de respecter un programme d'enseignement préétabli,
- a le libre choix de ses élèves, lesquels ont la possibilité de la suivre si elle quitte l'association,
- une attestation de Madame [R] [L], en date du 23 février 1996, qui mentionne, qu'en tant que professeur d'éveil musical au conservatoire'elle :
- a la liberté d'organiser ses cours selon sa propre conception, de choisir ses élèves, de fixer ses horaires et de disposer des salles en fonction de ses souhait(e)s,
- rétrocède au conservatoire, pour l'indemniser des services qu'il lui rend (mise à disposition de studio, secrétariat, prêt de matériel), une partie des sommes versées par les élèves pour les cours qu'elle leur donne,
- n'est «'subordonnée de personne'» pour son activité au conservatoire,
Considérant qu'il ne ressort pas des documents produits que Madame [R] [L] recevait des ordres, ou des directives, en ce qui concerne le choix des élèves auxquels elle devait dispenser un enseignement, les tâches à accomplir, les méthodes pédagogiques, son emploi du temps, ses horaires de travail et ses périodes de congés, ni qu'elle pouvait être sanctionnée pour ses manquements'; que les contraintes qu'elle allègue sont toutes liées à la nécessité pour l'association de répartir entre les multiples utilisateurs les salles de cours qui sont en nombre limité'et de percevoir la contrepartie financière des services qu'elle assurait aux professeurs, dont la mise à disposition de locaux ;
Que les documents relatifs aux cotisations URSSAF, qui relèvent de la législation de la sécurité sociale, ne peuvent avoir aucune incidence sur la qualification des relations contractuelles au regard des dispositions du code du travail';
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Madame [R] [L] qui a toujours perçu des honoraires et qui, de surcroît, est demanderesse au contredit n'établit pas qu'elle était en réalité liée à l'association SMRF par un contrat de travail'en se trouvant placée dans un lien de subordination vis-à-vis de celle-ci, pendant la période allant de 1991 à 2011';
Qu'il y a lieu, en conséquence, de confirmer le jugement et de renvoyer les parties devant le tribunal de grande instance de Paris pour qu'il soit statué sur le fond du litige';
Sur les frais irrépétibles et les frais de contredit
Considérant qu'il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais non compris dans les dépens qu'elles ont dû exposer, que les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile doivent être rejetées';
Considérant qu'il y a lieu de condamner Madame [R] [L] aux frais de contredit';
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Rejette le contredit de compétence,
Dit le conseil de prud'hommes incompétent,
Déclare le tribunal de grande instance de Paris compétent,
Renvoie les parties devant cette juridiction pour qu'il soit statué sur le fond du litige,
Confirme le jugement,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
Met les frais du contredit à la charge de Madame [R] [L].
LE GREFFIER LE PRESIDENT