Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 3
ARRÊT DU 21 OCTOBRE 2015
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 13/17901
Décision déférée à la Cour : Jugement du 01 Mars 2013 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 09/12741
APPELANTS
Monsieur [I] [D] [M] [V]
[Adresse 5]
[Adresse 4]
Madame [P] [V]
Intervenante volontaire
[Adresse 3]
[Adresse 7]
Madame [S] [V]
Intervenante volontaire
[Adresse 1]
[Adresse 6]
Représentés par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065, avocat postulant
Assistés de Me Christophe DENIZOT de l'Association NICOLAS & DENIZOT ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : B0119, avocat plaidant
INTIMÉE
SARL INTEMPOREL prise en la personne de ses représentants légaux
Immatriculée au RCS de [Localité 2] sous le n°325 091 163
[Adresse 2]
[Adresse 6]
Représentée par Me Michel GUIZARD de la SELARL GUIZARD ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0020, avocat postulant
Assistée de Me Bernard PUYCAYARDE, avocat au barreau de PARIS, toque : K83, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 30 Juin 2015, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Brigitte CHOKRON, conseillère, chargée d'instruire l'affaire, laquelle a été préalablement entendue en son rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Chantal BARTHOLIN, présidente
Madame Brigitte CHOKRON, conseillère
Madame Caroline PARANT, conseillère
Greffier : lors des débats : Madame Orokia OUEDRAOGO
ARRÊT :
- contradictoire,
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Madame Chantal BARTHOLIN, présidente, et par Madame Orokia OUEDRAOGO, greffière.
********
Suivant acte sous seing privé du 28 novembre 1972, [J] [A] a donné à bail à la société Techphot aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la société Intemporel (SARL), des locaux commerciaux dépendant d'un immeuble sis [Adresse 12], à usage de 'librairie, objets d'arts, vidéo, disques, cadeaux ainsi que toutes activités connexes ou complémentaires s'y rattachant'.
Le bail a été renouvelé en dernier lieu à compter du 15 février 2000, pour une durée de neuf années, moyennant un loyer annuel hors taxes et hors charges de 18.116,28 ; par avenant du 9 octobre 2003, le loyer a été révisé et porté, à effet du 15 février 2003, à la somme annuelle de 19.788 euros hors taxes et hors charges.
Le 16 juillet 2008, la société Intemporel s'est vue notifier un congé pour le 14 février 2009 à minuit avec offre de renouvellement du bail moyennant un loyer déplafonné de 45.966 euros en principal par an, à raison d'une modification des facteurs locaux de commercialité .
La société Intemporel, en désaccord sur le montant du loyer proposé, a engagé suivant assignation du 31 juillet 2009 la procédure en fixation judiciaire.
Par jugement avant-dire droit du 16 mars 2010, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Paris a commis un expert pour avis sur le prix du bail renouvelé .
L'expert [F] a accompli sa mission et déposé son rapport le 31 août 2011, concluant au plafonnement du loyer et estimant la valeur locative à 30.000 euros.
Aux termes des mémoires échangés en ouverture du rapport, la locataire a demandé la fixation du loyer à la somme annuelle en principal de 26. 738 euros et, le bailleur, de 46.966 euros .
Par jugement contradictoire du 1er mars 2013, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Paris a :
-fixé à 26.738 euros en principal par an à compter du 15 février 2009, le loyer du bail renouvelé depuis cette date entre la société Intemporel et les époux [V] pour les locaux situés [Adresse 12], toutes autres clauses et conditions du bail expiré demeurant inchangées,
-condamné la société Intemporel à payer aux époux [V] les intérêts au taux légal sur les loyers arriérés depuis le 31 juillet 2009, puis pour les échéances postérieures, au fur et à mesure de chaque échéance,
-débouté les époux [V] de leur demande de capitalisation des intérêts,
-ordonné l'exécution provisoire,
-débouté les parties du surplus de leurs demandes,
-rappelé que conformément aux dispositions de l'article L.111-3 du code des procédures civiles d'exécution, le jugement constituera, lorsqu'il aura force exécutoire, un titre exécutoire permettant l'exécution forcée,
-condamné les époux [V] à payer à la société Intemporel la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamné les époux [V] à supporter deux tiers des dépens, la société Intemporel étant pour sa part condamnée à supporter le tiers restant .
[I] [V] a relevé appel de ce jugement le 9 septembre 2013 ; par ses dernières conclusions, signifiées le 29 mai 2015, contenant les interventions volontaires d'[P] [V] et [S] [V] en leur qualité de donataires en avancement d'hoirie d'une partie du bien loué, l'appelant demande à la cour d'infirmer le jugement déféré, de fixer le loyer de renouvellement au 15 février 2009 au montant annuel de 38.500 euros hors taxes et hors charges , de dire que les loyers arriérés porteront intérêts au taux légal depuis le 31 juillet 2009 puis, pour les échéances postérieures, au fur et à mesure de chaque échéance, que les intérêts échus depuis plus d'une année produiront eux-mêmes intérêts selon les dispositions de l'article 1154 du code civil, de débouter la société intemporel de ses demandes, de la condamner au paiement de la somme de 5.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux deux tiers du coût de l'expertise et aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ces derniers .
La société Intemporel (SARL), intimée, par ses dernières écritures signifiées le 14 avril 2015, conclut à la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et au débouté des demandes de l'appelant ; concernant la capitalisation des intérêts, elle entend préciser, en cas d'infirmation du jugement sur ce point, que le bailleur a formulé sa demande sur la fixation du loyer par mémoire signifié après l'expertise, le 28 janvier 2013, date à compter de laquelle devra courir la condamnation sollicitée au titre de l'article 1154 du code civil ; elle poursuit en tout état de cause la condamnation de l'appelant aux entiers dépens d'appel dont distraction .
SUR CE :
Il convient de préciser à titre liminaire que [I] [V], venant aux droits de sa mère [J] [A] veuve [V], décédée le [Date décès 1] 2013, est l'unique propriétaire du bien loué ainsi qu'il ressort de l'attestation établie par Me [N], notaire à [Localité 1], le 23 août 2013 ; que ses filles [P] et [S] [V] déclarent intervenir volontairement à la procédure d'appel au soutien de ses moyens et prétentions, en leur qualité de donataires en avancement d'hoirie d'une partie des biens loués, qualité dont il est justifié par l'attestation notariée de Me [N] en date du 14 août 2014 ;
Etant rappelé que le renouvellement du bail au 15 février 2009 n'est pas contesté, les parties s'opposent sur le montant du loyer du bail renouvelé, le bailleur critiquant à cet égard le jugement dont appel pour n'avoir pas retenu, ainsi qu'il le demandait, le motif de déplafonnement tiré d'une modification notable des facteurs locaux de commercialité au cours du bail expiré justifiant de fixer le loyer du bail renouvelé à la valeur locative ;
Le bailleur soutient que la société Intemporel, qui exploite dans les lieux loués un commerce de vente d'affiches de cinéma ainsi que de livres et documents anciens concernant le cinéma et qui vise ainsi une clientèle d'amateurs d'art et de culture à pouvoir d'achat moyen ou élevé, a incontestablement bénéficié de la réouverture en 2000 du centre [C] [L], situé dans sa proximité immédiate, et dont la fréquentation a connu depuis une hausse continue ; il ajoute que l'augmentation de l'afflux touristique sur le secteur (+1,47%), l'augmentation du nombre des usagers des stations de métro Châtelet et Hôtel de Ville, participent de l'évolution positive du quartier, qu'au surplus, des événements en lien avec l'art cinématographique, tels que l'inauguration de la 'rue du cinéma' dans le Forum des Halles, la création de la bibliothèque du cinéma [Établissement 1], la rénovation du Forum des Images, ont fait de ce quartier un ' quartier dédié au cinéma' ainsi que le confirment par ailleurs le chiffre très important de plus de 3 millions d'entrées du cinéma UGC les Halles en 2008 et l'implantation de nombreuses galeries d'art ;
Ceci ayant été exposé il doit être rappelé que selon les dispositions combinées des articles L. 145-33 et L. 145-34 du code de commerce, le loyer du bail renouvelé échappe à la règle plafonnement et doit être fixé à la valeur locative s'il est justifié d'une modification notable des facteurs locaux de commercialité au cours du bail expiré ;
La modification des facteurs locaux de commercialité doit être prouvée par le bailleur et appréciée, au sens des dispositions de l'article R. 145-6 du code de commerce, en considération de l'intérêt qu'elle présente pour le commerce considéré ;
Il ressort en l'espèce du rapport de l'expert et des pièces de la procédure, que la [Adresse 12] est une longue rue reliant la [Adresse 11], la boutique de la société Intemporel étant située sur la portion piétonnière de la rue, entre la [Adresse 8], essentiellement vouée aux commerces d'articles touristiques et de restauration ; cette portion de rue dessert le centre [C] [L] à partir de la rue de Rivoli mais sa fréquentation n'atteint pas celle des abords du centre [C] [L] ;
L'expert précise que la boutique bénéficie de la proximité de la rue de Rivoli depuis laquelle la boutique n'est toutefois pas visible et que l'activité exploitée est en bonne adéquation avec la situation géographique ;
Sur la période du bail expiré, soit la période comprise entre le 15 février 2000 et le 15 février 2009, l'expert a relevé que le centre [C] [L], fermé pour travaux en 1997 et rouvert le 1er janvier 2000 (antérieurement à la période du bail expiré) , a connu une hausse de fréquentation de 16 % en ce qui concerne le musée national d'art moderne, mais une baisse de fréquentation de 16 % en ce qui concerne la bibliothèque publique d'information (BPI), ce qui porte à 1 % la progression globale du musée et de sa bibliothèque ; ces chiffres montrent par eux-mêmes que si le centre [C] [L] a pu enregistrer une affluence spectaculaire lors de sa réouverture le 1er janvier 2000, cette affluence n'a pas connu, contrairement à ce que prétend l'appelant, une augmentation notable sur les huit années suivantes ;
L'appelant soutient qu'il n'y a pas lieu de faire cas de la baisse de la fréquentation de la bibliothèque, dont les usagers sont des étudiants, des retraités et des inactifs à faible pouvoir d'achat et de retenir par contre la hausse de la fréquentation du musée ; mais force est toutefois de relever que selon l'expert, l'achalandage des abords des lieux loués n'a pu se trouver notablement stimulé par la proximité de ce pôle culturel dès lors que les accès par les transports publics et les parcs de stationnement n'imposent pas un passage par la partie basse de la rue [Localité 4];
S'agissant des transports publics et parcs de stationnement, l'expert indique que le parc de stationnement '[Adresse 13]' a été créé antérieurement à la période considérée, que l'évolution de sa fréquentation doit être toutefois examinée dès lors qu'un accès au parc se situe à proximité immédiate des locaux, or, la fréquentation annuelle du parc a chuté de 55 % de 2000 à 2008, ce qui représente un nombre annuel d'usagers de 63 759 usagers en moins ; quant aux stations de métro Châtelet et Hôtel de [Localité 5] et de RER Châtelet les Halles, leur progression globale de +11 % sur la même période n'est pas significative, outre que, les lieux loués ne sont dotés d'aucune visibilité depuis les accès de ces stations et qu'ils se situent à l'écart des chemins empruntés par les flux de chalands qui, issus de ces stations, irriguent essentiellement les pôles attractifs de Beaubourg, de la [Adresse 9] ;
L'augmentation des flux de touristes, avancée par l'appelant, n'est pas non plus significative, au regard du chiffre retenu par l'expert, non contesté, de + 1,47 % du nombre de touristes sur [Localité 2] de 2000 à 2008 ;
L'implantation des galeries d'art dans le secteur n'est pas nouvelle, selon l'expert qui a pu établir que 7 galeries, sur les 9 citées par le bailleur, avaient été créées antérieurement au bail échu ou succédaient à des galeries créées antérieurement au bail échu ; le bailleur cite nouvellement deux noms de galeries de la rue [Localité 3] sans préciser la date à laquelle elles ont été ouvertes ; en toute hypothèse, ce chiffre ne justifie pas d'une modification de la commercialité du secteur concerné dont l'expert a relevé qu'il était voué de longue date aux galeries d'art, en particulier la [Adresse 10] ;
La création, invoquée par le bailleur d'un 'pôle cinématographique' n'est pas davantage avérée par le seul fait qu'ont été inaugurées en décembre 2008 une rue du cinéma et une bibliothèque du cinéma dans le Forum des Halles, distant des lieux loués de 950 mètres ; par ailleurs, l'augmentation de 9,90 % de la fréquentation du cinéma UGC les Halles n'est pas pertinente au regard de l'intérêt présenté pour le commerce considéré dès lors que ce cinéma , situé au niveau -4 du Forum des Halles, est directement accessible par le RER et les parcs publics de stationnement, et sa clientèle peut être éventuellement amenée à se répandre dans les étages du Forum mais non pas jusqu'aux abords de lieux loués ;
Enfin le chiffre d'affaires de la boutique, qui ne saurait justifier d'une modification notable des facteurs locaux de commercialité et ne peut être regardé que comme élément de recoupement des données versées à la procédure, montre une chute considérable entre 2002 et 2003, passant de 896.645 euros à 93.521 euros, pour atteindre 326.555 euros en 2009 ;
Il s'infère de l'ensemble des observations qui précèdent que c'est avec raison que le premier juge a estimé que la modification notable des facteurs locaux de commercialité n'était pas caractérisée pour la période du bail expiré et a rejeté en conséquence la demande du bailleur en déplafonnement du loyer du bail renouvelé au 15 février 2009 ;
Le jugement sera en conséquence confirmé sauf en celle de ses dispositions déboutant de la demande de capitalisation des intérêts à laquelle il convient de faire droit dans les conditions de l'article 1154 du code civil pour les intérêts qui pourraient être dûs depuis plus d'un an, étant observé que les parties ne critiquent pas par ailleurs la disposition du jugement condamnant la société Intemporel au paiement des intérêts au taux légal sur les loyers arriérés depuis le 31 juillet 2009, puis pour les échéances postérieures au fur et à mesure de chaque échéance ;
[I] [V] succombant à l'appel en supportera les dépens et sera débouté, en équité, de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions sauf celle déboutant de la demande de capitalisation des intérêts,
Statuant à nouveau de ce chef,
Dit que les intérêts seront capitalisés dans les conditions de l'article 1154 du code civil,
Déboute de toutes demandes contraires aux motifs de l'arrêt,
Condamne [I] [V] aux dépens de la procédure d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile .
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE