RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 3
ARRÊT DU 27 Octobre 2015
(n° , 4 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/02900
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 28 Novembre 2012 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY RG n° 12/00179
APPELANT
Monsieur [N] [Q]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
né le [Date naissance 1] 1947 à [Localité 1]
représenté par Me Olivier BONGRAND, avocat au barreau de PARIS, toque : K0136
INTIMEE
SAS AUTOMOBILE NEUBAUER
[Adresse 1]
[Adresse 1]
N° SIRET : 398 419 432 00073
représentée par Me Anne QUENTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : P0381 substitué par Me Aurélien WULVERYCK, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Septembre 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Laurence SINQUIN, Conseillère, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Daniel FONTANAUD, Président
Madame Roselyne NEMOZ, Conseillère
Madame Laurence SINQUIN, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : Madame Claire CHESNEAU, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
- signé par Monsieur Daniel FONTANAUD, Président et par Madame Claire CHESNEAU, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Monsieur [N] [Q] a été engagé par la société NEUBAUER en janvier 1977, en qualité d'adjoint chef des ventes.
La convention collective applicable à la relation de travail est celle du commerce et de la réparation automobile, cycle, motocycle et activités annexes. L'entreprise compte plus de onze salariés et dans le dernier état de la relation de travail, le salaire brut moyen de monsieur [Q] était de 3.700 Euros.
A compter du mois de janvier 2006, monsieur [Q] a été en arrêt maladie.
Le 7 novembre 2006, monsieur [Q] a adressé à son employeur une lettre de démission pour cause de départ en retraite à compter du 1er mars 2007.
Le 30 septembre 2008, monsieur [Q] a saisi le Conseil de Prud'hommes de Bobigny aux fins d'obtenir des dommages et intérêts pour harcèlement moral.
Par jugement du 8 novembre 2012, le Conseil de Prud'hommes l'a débouté de cette demande. Ce jugement a été notifié à monsieur [Q] par lettre recommande présentée le 15 février 2013, revenue non réclamée.
Le 22 mars 2013, monsieur [Q] a interjeté appel de la décision du Conseil de Prud'hommes. Cette décision n'ayant pas été signifiée à l'intéressé, avec notamment mention des délais d'appel , celui-ci est recevable.
Par conclusions visées par le greffe le 16 septembre 2015 au soutien de ses observations orales, et auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne ses moyens, monsieur [Q] demande à la Cour d'infirmer le jugement, de requalifier la démission pour départ volontaire en retraite en une prise d'acte, de dire don licenciement nul et sans cause réelle et sérieuse et de condamner la société NEUBAUER à lui payer les sommes suivantes :
- 50.000 Euros à titre de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral ;
- 100.000 Euros à titre d'indemnité pour licenciement nul et sans cause réelle et sérieuse
- 22.564,64 Euros à titre d'indemnité de licenciement
- 4.500 Euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure civile
Par conclusions visées par le greffe le 16 septembre 2015 au soutien de ses observations orales, et auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne ses moyens,
la société NEUBAUER demande à la Cour de juger la démission de monsieur [Q] claire et non équivoque, à titre subsidiaire de diminuer les éventuelles condamnations pour harcèlement et licenciement nul et de condamner monsieur [Q] à lui payer 4.500 Euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure civile
MOTIFS
Sur le harcèlement moral
Il appartient au salarié qui se prétend victime de harcèlement moral d'établir la matérialité de faits précis et concordants faisant présumer l'existence de ce harcèlement ; celui-ci se définit, selon l'article L 1152-1 du code du travail, par des actes répétés qui ont pour objet ou pour effet, indépendamment de l'intention de leur auteur, une dégradation des conditions de travail du salarié, susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ;
Lorsque les faits sont établis, l'employeur doit démontrer qu'ils s'expliquent par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement ;
Monsieur [Q] faut valoir que dès le mois de décembre 2005, il a dénoncé les agissements de monsieur [B] lequel avait modifié ses tâches et lui avait reproché son incompétence ; qu'il a subi des pressions de l'intéressé ainsi que des remarques vexatoires sur l'exécution de son travail ; que les agissements de monsieur [B] ont été dénoncés par les salariés auprès de l'inspecteur du travail ; que monsieur [B] les avait incités à signer une pétition à son encontre, notamment afin qu'ils s'abstiennent de voter en sa faveur au premier tour des élections professionnelles ; qu'ayant été cité devant le tribunal correctionnel de Nanterre pour des faits de diffamation, de nombreux témoins ont confirmé les propos tenus à son encontre par monsieur [B] lequel l'avait notamment traité de "momie ambulante", "secrétaire de luxe" et alors qu'il était atteint d'une maladie grave, avait qualifié son cancer de "trou du cul"; que la Cour d'appel de Versailles avait certes infirmé le jugement du tribunal correctionnel mais retenu les imputations de harcèlement, injures, mise en quarantaine, entraves à son expression syndicale ;
Il soutient que ces persécutions ont eu de graves répercussions sur sa santé, lui causant une sévère dépression le rendant inapte à son travail et l'ayant contraint à liquider sa retraite ;
A l'appui de ses affirmations, monsieur [Q] verse aux débats le jugement du tribunal correctionnel de Nanterre du 15 mai 2007 retenant qu'il a fait l'objet de harcèlement, dénigrement et affronts publics et de propos injurieux ; l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles du 20 février 2008 qui a considéré, après audition de plusieurs témoins, que les faits de harcèlement, dénigrement et pressions étaient avérés, l'attestation de monsieur [G] du 19 décembre 2005 selon laquelle il avait été obligé par son directeur, monsieur [B] à rédiger une pétition dénigrant et mettant en cause l'honnêteté de monsieur [Q] ; celles de mesdames [V] et [X], des 30 novembre et 14 décembre 2015, qui attestent que monsieur [B] leur avait demandé de ne pas voter au premier tour pour la liste FO (celle de monsieur [Q] ) ; une attestation médicale d'incapacité de travail au 9 janvier 2005 pour cause de dépression grave due à des difficultés au travail ;
L'ensemble de ces faits, matériellement établis, laisse présumer une situation de harcèlement si bien qu'il appartient à la société NEUBAUER de démontrer qu'ils étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à une situation de harcèlement ;
Or la société NEUBAUER se borne à faire valoir que par jugement du 18 novembre 2009, monsieur [B] a été relaxé par le tribunal de Bobigny des faits de discrimination syndicale et harcèlement moral, argumentation totalement inopérante dès lors que monsieur [Q] n'était partie poursuivante ni pour la discrimination ni pour le harcèlement, qui concernaient d'autres salariés de la société ; en revanche, monsieur [B] a bien été condamné par le tribunal pour délit d'entrave en raison des pressions exercées sur les salariés pour qu'ils s'abstiennent de voter pour la liste FO ;
Pour le surplus, la société NEUBAUER ne conteste pas les injures proférées par monsieur [B] à l'encontre de monsieur [Q], et sa mise à l'écart, confirmés par les témoins lors de leur audition devant la Cour de Versailles à l'occasion de l'"offre de vérité " signifiée par l'intéressé pour se défendre des faits de diffamation lui étant reprochés : "propos ignobles" sur l'épouse de monsieur [Q] alors malade et depuis décédée , "cancer de trou du cul"", mise en quarantaine de monsieur [Q], pressions pour signature d'une pétition dirigée contre lui;
L'intéressé, monsieur [B], a d'ailleurs admis devant le tribunal de Nanterre qu'il considérait que monsieur [Q] était "un secrétaire de luxe", ce qui corrobore les déclarations des témoins selon lesquelles il tenait fréquemment de tels propos en leur présence ;
En l'absence de toute justification, par la société NEUBAUER, que les agissements ci-dessus sont étrangers à un harcèlement moral, celui-ci est caractérisé ; il a entraîné une dépression cause de l'arrêt de travail du 9 janvier 2005 ainsi que cela est établi par l'attestation médicale d'incapacité de travail qui a été délivrée à monsieur [Q] ; compte tenu de la durée du harcèlement, telle qu'elle ressort des pièces produites, son préjudice sera justement réparé par l'allocation d'une somme de 12.000 Euros à titre de dommages et intérêts ;
Sur la rupture du contrat de travail
Le départ à la retraite est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste, de façon claire et non équivoque, sa volonté de mettre fin à son contrat de travail ;
En l'espèce le courrier de monsieur [Q] du 7 novembre 2006 est ainsi rédigé "Merci de prendre en compte ma démission de mes fonctions au sein de l'entreprise à compter du 1er mars 2007 pour raison de départ à la retraite ";
S'il est exact que cette lettre a été adressée à l'employeur dans un contexte particulièrement conflictuel, cette seule circonstance ne suffit pas à la requalifier en prise d'acte de la rupture aux torts de l'employeur ; en effet, cette lettre ne comporte aucune réserve susceptible de rendre équivoque la volonté de monsieur [Q] de partir en retraite ; et force est de constater qu'elle n'a jamais été rétractée par l'intéressé qui a attendu la procédure devant la Cour, soit près de 10 ans, pour demander la requalification de sa demande de mise à la retraite;
En outre, si l'arrêt de travail du 9 décembre 2005 était bien consécutif à une dépression ainsi qu'il a été vu ci-dessus, rien ne permet d'établir que celui du mois de janvier 2006 et qui s'est prolongé jusqu'au départ de l'intéressé, avait également pour unique cause un état dépressif contraignant monsieur [Q] à solliciter son départ en retraite en mars 2007, date à laquelle il avait atteint l'âge de 60 ans ;
Il convient en conséquence, de débouter monsieur [Q] de ses demandes visant à vouloir requalifier sa demande de départ en retraite en licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse et de ses demandes subséquentes ;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme le jugement en ce qu'il a débouté monsieur [N] [Q] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;
Statuant à nouveau ;
Condamne la société NEUBAUER à payer à monsieur [Q] la somme de 12.000 Euros en réparation du préjudice causé par le harcèlement moral ;
Ajoutant au jugement ;
Déboute monsieur [Q] de sa demande visant à voir requalifier sa demande de mise à la retraite en licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse et de ses demandes subséquentes ;
Condamne la société NEUBAUER à payer à monsieur [Q] la somme de 2.000 Euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure civile ;
Met les dépens à la charge de la société NEUBAUER
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT