RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 8
ARRÊT DU 19 Novembre 2015
(n° 555 , 5 pages)
Jonction avec l'affaire RG : 14/03481
Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/03168
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 24 Février 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS section encadrement RG n° 05/09523
APPELANT
Monsieur [Z] [F]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représenté par Me Virginie BOUCHET, avocat au barreau de PARIS, toque : L0047
INTIMEE
SA FRANCE MELASSES
[Adresse 2]
[Adresse 2]
N° SIRET : 591 92 0 2 511
représentée par Me Rose-marie TOURDE, avocat au barreau de PARIS, toque : E0836
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Octobre 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Camille-Julia GUILLERMET, Vice-présidente placée, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Catherine METADIEU, Présidente
M. Mourad CHENAF, Conseiller
Mme Camille-Julia GUILLERMET, Conseillère
Greffier : Madame Véronique FRADIN-BESSERMAN, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Madame Catherine MÉTADIEU, présidente et par Madame Véronique FRADIN-BESSERMAN, greffier présent lors du prononcé.
Faits et procédure :
Monsieur [Z] [F] a été engagé par la Société DEBAYSER par un contrat à durée indéterminée à compter du 27 décembre 1976, en qualité de garçon de course et de chauffeur.
Le contrat de travail de Monsieur [F] a été repris par la Société EUROPENNE DES MELASSES, filiale de son employeur initial, le 01 juillet 1982, en qualité d'employé commercial dans le cadre d'un avenant.
Le contrat de travail de Monsieur [F] a été repris en 2000 par la Société FRANCE MELASSES, en qualité d'agent technico-commercial.
Monsieur [F] s'est porté candidat aux élections des délégués du personnel, dont le second tour était organisé le 26 juillet 2005.
La relation de travail est régie par la Convention Collective de la Meunerie, en date du 16 juin 1996.
Le 01 mars 2001, Monsieur [F] a saisi le Conseil de Prud'hommes de PARIS aux fins de voir condamner la Société FRANCE MELASSES au paiement de 168 319, 90 euros au titre des heures supplémentaires effectuées entre 1996 et 2001, et des heures de repos compensateur afférents.
Par décision en date du 25 février 2002, le Conseil de Prud'hommes a condamné la Société FRANCE MELASSES au paiement des sommes susvisées, avec exécution provisoire, et a ordonné de faire figurer sur les bulletins de salaire de l'intéressé le nombre de jours de repos compensateur correspondant aux heures supplémentaires (1078 jours ouvrés).
Cette décision a été infirmée par un arrêt de la Cour d'Appel de PARIS en date du 18 mai 2005, décision qui a, en revanche, reconnu le statut cadre à Monsieur [F].
Dans le cadre d'un renvoi après cassation en date du 23 novembre 2011, la Cour d'Appel de PARIS, autrement composée, dans un arrêt en date du 08 avril 2015, a condamné la Société FRANCE MELASSES au paiement de la somme de 181 785, 41 euros au titre des heures supplémentaires, 18 178, 54 euros au titre des congés payés afférents, et 71 057, 37 euros au titre du repos compensateur.
Un pourvoi en cassation a été formé par la Société FRANCE MELASSES contre cet arrêt.
Parallèlement à cette première procédure judiciaire, la Société FRANCE MELASSES initiait une procédure de licenciement à l'encontre de Monsieur [F].
Le 03 mai 2001, la Société FRANCE MELASSES indiquait dans un courrier à Monsieur [F] qu'elle envisageait la suppression de son poste, en raison d'un choix interne de la société- mère UNITED MOLASSES.
Il convient de préciser que Monsieur [F] a pris ses congés de récupération à partir de septembre 2002.
Le 31 mai 2005, la Société FRANCE MELASSES a mis en demeure Monsieur [F] de réintégrer son poste.
Le 13 juin 2005, Monsieur [F] s'est présenté à son poste. Il a sollicité de pouvoir prendre des congés, ou à défaut, de pouvoir prendre le reliquat de repos compensateur qui lui restait du selon lui. Son employeur a refusé l'octroi de congés et a rappelé qu'il estimait qu'il ne bénéficiait plus de repos compensateur.
Monsieur [F] ne s'est plus présenté à compter du 14 juin 2005.
Le 01 juillet 2005, Monsieur [F] a été convoqué à un entretien préalable sur le fondement d'un abandon de poste. L'entretien s'est tenu le 13 juillet 2005.
La Société FRANCE MELASSES a sollicité l'autorisation de licencier Monsieur [F], salarié protégé, pour faute grave.
Le 01 août 2005, Monsieur [F] a saisi le Conseil de Prud'hommes.
Le 11 août 2005 l' Inspecteur du Travail a refusé l'autorisation de licenciement, puis il l'a accordée le 15 novembre 2005, sur le fondement de la faute grave, dans le cadre d'une nouvelle procédure enclenchée par l'employeur.
Le 21 novembre 2005, Monsieur [F] a été licencié pour faute grave.
Dans le cadre d'un recours hiérarchique, l'autorisation de l' Inspecteur du Travail a été annulée le 09 mai 2006.
Cette décision hiérarchique a fait l'objet d'un recours devant le Juge Administratif. La Cour Administrative d'Appel, à l'instar du Tribunal Administratif de PARIS, a, dans une décision en date du 21 novembre 2011, confirmé le rejet du recours décidé par les premiers juges. Le Conseil d'Etat n'a pas admis le pourvoi dans une décision en date du 21 novembre 2012.
Dans le temps de cette procédure administrative, la procédure prud'homale a été suspendue.
Le 07 février 2013, Monsieur [F] a saisi le Juge des Référés aux fins que lui soit allouée une provision sur le fondement de l'irrégularité de son licenciement. Dans le cadre d'une décision en date du 12 juillet 2013, le Juge des Référés, après avoir dit le licenciement nul, a condamné la Société FRANCE MELASSES au paiement de plusieurs sommes à titre provisionnel. La Cour d'Appel de PARIS dans un arrêt en date du 04 décembre 2014 a déclaré irrecevables les demandes de chacune des parties.
Dans le cadre de la procédure au fond, par une décision en date du 24 février 2014, le Conseil de Prud'hommes a jugé que le licenciement étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, et a condamné la Société FRANCE MELASSES au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis, les congés payés afférents, une indemnité de licenciement, et une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Monsieur [F] a interjeté appel de cette décision. Il demande à la Cour de juger son licenciement nul, et à titre subsidiaire, sans cause réelle et sérieuse, et de condamner la société à lui payer les sommes suivantes, augmentées des intérêts au taux légal, avec capitalisation des intérêts :
-17 541, 90 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
-1 754, 19 euros au titre des congés payés afférents,
-108 175, 05 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,
-350 838 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, et
à titre subsidiaire sans cause réelle et sérieuse,
-44 821, 23 euros au titre du défaut de réintégration,
-25 000 euros au titre de dommages-intérêts au titre d'un préjudice exceptionnel,
Monsieur [F] sollicite également la condamnation de la Société FRANCE MELASSES au paiement de la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile, outre aux entiers dépens.
Pour mémoire, la décision des premiers juges était assortie de l'exécution provisoire. Trois saisies-attribution ont été ordonnées à l'encontre de la Société FRANCE MELASSES.
Le Juge de l'exécution, par jugement en date du 14 octobre 2014, les a validées.
La Société FRANCE MELASSES a formé un appel incident contre le jugement du Conseil de Prud'hommes. A titre principal, et in limine litis, la Société FRANCE MELASSES sollicite de surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la Cour de Cassation concernant l'arrêt en date du 08 avril 2015 ayant statué sur les heures supplémentaires, arguant de l'impact de cette procédure sur la fixation de la rémunération de base et le montant des indemnités éventuelles. A titre subsidiaire, elle demande que Monsieur [F] soit débouté de l'ensemble de ses demandes. A titre infiniment subsidiaire, elle demande que les sommes sollicitées soient réduites aux minimums légaux.
Pour plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier le 06 octobre 2015, reprises et complétées à l'audience.
MOTIVATION
Sur le licenciement :
Il est établi que Monsieur [F] a été candidat à l'élection des délégués du personnel en juillet 2005, c'est-à-dire avant l'engagement de la procédure de licenciement à son encontre.
Sans qu'il soit nécessaire de reprendre les éléments afférents à la première demande d'autorisation, refusée, il est constant qu'une autorisation a été donnée le 15 novembre 2005 puis qu'elle a été annulée le 09 mai 2006, dans le cadre d'un recours hiérarchique, et ce de manière définitive, le Conseil d'Etat n'ayant pas admis le pourvoi par une décision en date du 21 novembre 2012.
Les parties s'accordent sur le caractère définitif de cette annulation, notifiée le 23 mai 2006.
En revanche, Monsieur [F] soutient que le licenciement prononcé à son encontre est nul en raison de l'annulation de l'autorisation donnée initialement par l'inspecteur du travail, tandis que la Société FRANCE MELASSES prétend que l'annulation de cette autorisation n'entraîne pas la nullité du licenciement, mais produit ' le cas échéant si la faute grave n'est pas retenue- les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
En application des dispositions de l'article L 2411-1 du Code du Travail, de l'article L 2411-3 et L 2411-4 du Code du Travail, et L 2422-14 du Code du Travail, lorsque le ministre compétent annule, sur recours hiérarchique, la décision de l'inspecteur du travail autorisant le licenciement d'un salarié investi de l'un des mandats énumérés, le salarié concerné a le droit, s'il le demande dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision, d'être réintégré dans son emploi ou dans un emploi équivalent.
Ainsi, l'annulation de l'autorisation administrative de licenciement par l'autorité hiérarchique ne laisse rien subsister de celle-ci, ce qui équivaut à une absence d'autorisation.
Dès lors, le licenciement de Monsieur [F] est nul.
A ce titre, Monsieur [F] a droit aux indemnités de rupture, ainsi qu'à une indemnité pour licenciement nul.
De plus, conformément aux dispositions de l'article L 2422-4 du Code du Travail, Monsieur [F] est bien- fondé à solliciter l'indemnisation de son préjudice résultant de l'annulation de l'autorisation de son licenciement. Cette indemnité qui correspond à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement (21 novembre 2005) et l'expiration du délai de 02 mois suivant la notification de l'annulation (annulation en date du 23 mai 2006, donc 23 juillet 2006), nonobstant l'arrêt maladie en cours à cette date et la prise en charge de Monsieur [F] au titre des indemnités journalières.
Par conséquent, au regard de l'ensemble de ces éléments, et alors qu'il n'a pas sollicité sa réintégration, conformément aux dispositions des articles L 2411-1, L 2422-4, L1234-5, L 1234-9 et L 1235-3 du Code du Travail, Monsieur [F] est donc bien-fondé à solliciter la condamnation de la Société FRANCE MELASSES au paiement des sommes au titre des indemnités suivantes :
-indemnité résultant du licenciement avec annulation de l'autorisation, L 2422-4,
-indemnité pour licenciement nul,
-indemnité compensatrice de préavis,
-indemnité conventionnelle de licenciement,
En dépit du caractère non suspensif du pourvoi en cours contre l'arrêt en date du 08 avril 2015, ce dernier ayant statué notamment sur un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires au bénéfice de Monsieur [F], il apparaît que l'issue du pourvoi est de nature à avoir une incidence sur le montant du salaire de base de l'intéressé et par conséquent sur le montant des indemnités à allouer en conséquence de la nullité du licenciement retenue précédemment.
Dès lors, il y a lieu de surseoir à statuer uniquement sur le montant des indemnités à allouer, la présente décision tranchant en revanche le principe de la nullité du licenciement et les chefs d'indemnisation qui en découlent.
PAR CES MOTIFS
Statuant par arrêt contradictoire publiquement ;
ORDONNE La jonction avec l'affaire RG : 14/03481
DIT que le licenciement de Monsieur [F] est nul, et lui ouvre droit à une indemnité pour licenciement nul,
CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a dit Monsieur [F] fondé à solliciter les indemnités suivantes :
-indemnité compensatrice de préavis,
-indemnité conventionnelle de licenciement,
AJOUTE que Monsieur [F] peut prétendre à une indemnité résultant du licenciement nul sur le fondement de l'article L 2422-4 du Code du Travail,
SURSEOIT A STATUER sur les montants des indemnités ci dessus énumérées dans l'attente de l'arrêt de la Cour de Cassation saisie du pourvoi n° B1519657, formé par la Société FRANCE MELASSES SA, contre l'arrêt rendu par la Cour d'Appel de PARIS, pôle 6, Chambre 9 en date du 08 avril 2015 (n° RG : 12/01133),
RENVOIE l'affaire à l'audience du 07 juin 2016 à 9h00 salle Jeanne CHAUVIN pour faire le point sur l'avancement de la procédure,
DIT que la notification de la présente décision vaut convocation à l'audience de renvoi.
RESERVE les dépens.
LE GREFFIER LE PRESIDENT