Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 1
ARRET DU 02 FEVRIER 2016
(n° 85 , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 14/24214
Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Novembre 2014 -Tribunal de Grande Instance de Paris - RG n° 13/02389
APPELANTS
Monsieur [K] [Y]
[Adresse 1]
[Localité 2]
né le [Date naissance 3] 1961 à [Localité 3] (38)
Représenté par Me Olivier MORICE, avocat au barreau de PARIS, toque : E0546, substitué par Me OGIER D'IVRY Célia,
Madame [E] [G] épouse [Y]
[Adresse 1]
[Localité 2]
née le [Date naissance 1] 1962 à [Localité 5] (47)
Représentée par Me Olivier MORICE, avocat au barreau de PARIS, toque : E0546, substitué par Me OGIER D'IVRY Célia,
Mademoiselle [L] [Y]
[Adresse 1]
[Localité 2]
née le [Date naissance 4] 1992 à [Localité 4]
Représentée par Me Olivier MORICE, avocat au barreau de PARIS, toque : E0546, substitué par Me OGIER D'IVRY Célia,
Mademoiselle [V] [Y]
[Adresse 1]
[Localité 2]
née le [Date naissance 2] 1990 à [Localité 4]
Représentée par Me Olivier MORICE, avocat au barreau de PARIS, toque : E0546, substitué par Me OGIER D'IVRY Célia,
INTIME
L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représenté par Me Frédéric BURET, avocat au barreau de PARIS, toque : D1998
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 novembre 2015, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant M. Jacques BICHARD, Président de chambre et de Madame Marie-Sophie RICHARD, Conseillère,
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Jacques BICHARD, Président de chambre
Madame Marie-Sophie RICHARD, Conseillère
Madame Isabelle CHESNOT, conseillère, appelée pour compléter la composition de la cour en vertu de l'article R 312-3 du code de l'organisation judiciaire
Greffier, lors des débats : Mme Sylvie BENARDEAU
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M. Jacques BICHARD, président et par Mme Sylvie BENARDEAU, greffier.
Par jugement en date du 5 novembre 2014 auquel il est expressément fait référence pour l'exposé des faits et des prétentions initiales des parties M [K] et Mme [E] [Y] ainsi que leurs filles [L] et [V] [Y] (les consorts [Y]), ont été déboutés par le tribunal de grande instance de Paris de leur action en responsabilité pour faute lourde ou déni de justice engagée en application de l'article L 141-1 du code de l'organisation judiciaire du fait du fonctionnement défectueux du service public de la justice.
Les consorts [Y] ont interjeté appel de cette décision et dans leurs conclusions notifiées par Rpva le 27 octobre 2015 ils demandent à la cour d'infirmer le jugement, de juger que les conditions dans lesquelles a été menée la procédure caractérisent un dysfonctionnement du service public de la justice et de condamner l'agent judiciaire de l'Etat à leur verser la somme de 50 000€ à chacun en réparation du préjudice moral résultant de la faute lourde et du déni de justice dont ils ont été victimes outre la somme de 10 000€ à chacun en application de l'article 700 du code de procédure ainsi que les dépens.
Dans ses conclusions notifiées le 9 novembre 2015 l'agent judiciaire de l'Etat sollicite la confirmation du jugement et la condamnation des consorts [Y] à lui verser la somme de 1 500€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
Dans ses conclusions en date du 26 octobre 2015 le ministère public sollicite la confirmation du jugement déféré à la cour.
MOTIFS DE LA DECISION :
Aux termes de l'article L 141-1 du Code de l'organisation judiciaire, seule la faute lourde du service de la justice peut permettre de retenir la responsabilité de l'Etat ;
Constitue une faute lourde toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi ;
Par ailleurs, l'article L 141-3 du même code dispose que :' les juges peuvent être pris à partie dans les cas suivants ...2° s'il y a déni de justice. Il y a déni de justice lorsque les juges refusent de répondre aux enquêtes ou négligent de juger les affaires en état et en tour d'être jugées...' .
Le déni de justice s'entend non seulement comme le refus de répondre aux requêtes ou le fait de négliger les affaires en l'état de l'être mais aussi plus largement tout manquement de l'Etat à son devoir de protection juridictionnelle de l'individu qui comprend le droit pour le justiciable de voir statuer sur ses prétentions dans un délai raisonnable.
Le déni de justice est caractérisé par tout manquement de l'Etat à son devoir de permettre à tout personne d'accéder à une juridiction pour faire valoir ses droits dans un délai raisonnable et s'apprécie à la lumière des circonstances propres à chaque espèce en prenant en considération la nature de l'affaire, son degré de complexité, le comportement de la partie qui se plaint de la durée de la procédure et les mesures prises par les autorités compétentes.
L'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi ne peut être appréciée que dans la mesure où l'exercice des voies de recours n'a pas permis de réparer le mauvais fonctionnement allégué.
En l'espèce les consorts [Y] soutiennent à l'appui de la faute lourde qu'ils invoquent la succession de neuf juges d'instruction différents au cours de l'information judiciaire qui dure depuis plus de seize ans, ce qui selon eux a nui au bon déroulement des opérations menées sous le contrôle du magistrat instructeur ainsi que l'absence d'exploitation par ces magistrats de certains éléments révélés par l'enquête jusqu'à l'arrêt rendu par la chambre de l'instruction le 13 janvier 2014 qui a ordonné la mise en examen de trois personnes morales sans pouvoir aboutir à celle de [C] [U] décédé en 2009.
A l'appui du déni de justice qu'ils invoquent également ils font valoir le non respect du délai raisonnable consacré par l'article 6§1 de la convention européenne des droits de l'Homme et en particulier que l'information judiciaire ouverte le 13 avril 1999 est toujours en cours et émaillée de nombreuses périodes d'inerties du 31 mai 2001 au 29 octobre 2002 et du 30 juin 2006 au 5 décembre 2007 alors que la complexité de l'affaire ne justifie pas ces délais anormalement longs qui ont conduit au prononcé d'un non-lieu partiel sanctionné par la chambre de l'instruction dans son arrêt précité.
L'agent judiciaire de l'Etat fait valoir dans ses conclusions notifiées le 9 novembre 2015 que seule la juridiction administrative est compétente pour connaître de la faute éventuellement commise dans la désignation de neuf juges d'instruction successifs alors que cette nomination aux fins d'assurer la continuité du service public de la justice n'a pas nui aux investigations menées par les fonctionnaires de police dont les rapports ont été soumis aux juges d'instruction sans que l'analyse différente de ces rapports par la chambre de l'instruction établisse qu'ils n'auraient pas été examinés par les magistrats instructeurs qui ont pu les apprécier différemment, étant précisé que l'exercice par les appelants des voies de recours qui leur étaient offertes a permis en toute hypothèse de réparer l'erreur alléguée.
Il fait également valoir l'absence de déni de justice et notamment l'absence de périodes d'inerties et de caractère déraisonnable de la durée de la procédure au regard de la grande complexité de l'affaire, étant précisé que le supplément d'information ordonné par la chambre de l'instruction le 13 février 2014 a fait l'objet d'un dépôt le 23 février 2015 et que l'affaire est en cours d'audiencement, la chambre de l'instruction étant saisie de cinq requêtes en annulation de pièces par les mis en examen déposées entre les mois de mars et juin 2015.
Sur la faute lourde:
La succession de neuf magistrats instructeurs dans la procédure litigieuse n'est pas en elle-même révélatrice d'un dysfonctionnement du service public de la justice et les éventuels dysfonctionnements tenant au statut des magistrats ou à la gestion des personnels ne relèvent pas de la compétence de l'ordre judiciaire comme l'a rappelé le tribunal par de justes motifs que la cour adopte.
Les consorts [Y] ne démontrent pas que cette succession de magistrats a nui au bon déroulement de l'instruction. En effet la décision de la chambre de l'instruction en date du 13 janvier 2014 qui a ordonné la mise en examen de plusieurs personnes morales en s'appuyant en partie sur les conclusions d'un rapport de synthèse établi en 2006 et consacré notamment aux rapports de l'église [Établissement 2] avec l'institut [Établissement 1], ne permet pas de considérer que le défaut de mise en examen de ces personnes morales par les juges d'instruction qui se sont succédé procède d'une absence de lecture des rapports de synthèse plutôt que d'une appréciation différente de leur contenu et tout particulièrement de l'existence d'indices graves et concordants;
C'est donc à juste titre que le tribunal qui a rappelé qu'aucune décision définitive n'était encore intervenue sur la culpabilité des personnes morales mises en examen par la chambre de l'instruction, a écarté l'existence d'une faute lourde ;
Sur le déni de justice:
C'est par de justes motifs que la cour adopte au regard des actes intervenus pendant les trois périodes considérées et dont l'existence est établie que le tribunal n'a pas retenu les périodes d'inertie alléguées pendant l'instruction, non plus que l'existence de délais anormalement longs, étant rappelé également le délai supplémentaire induit par l'exercice des voies de recours et des moyens de défense des parties qui ne peut être imputé à l'Etat.
En effet le délai entre le 17 septembre 2001 (date de la constitution de partie civile de Mme [W] et le 4 février 2002, (date du dépôt d'un rapport d'enquête), s'explique par la réalisation des investigations conduites dans ce cadre puis le délai couru jusqu'à l'audition des époux [T] le 29 octobre 2002 par l'analyse de ce rapport menée par les magistrats instructeurs.
Le délai écoulé entre le 30 juin 2006 et le 5 décembre 2007 résulte des requêtes en annulation de pièces qui ont donné lieu aux arrêts de la chambre d'instruction rendus le 7 septembre 2007, (pourvois non admis le 8 novembre 2007), qui ont annulé certains actes et ordonné diverses cancellations de cotes.
Le délai qui a couru entre le 7 décembre 2010, date du réquisitoire définitif, et l'ordonnance de règlement du 16 octobre 2012 s'explique également par le dépôt de requêtes en annulation ainsi que de demandes de non-lieu sur lesquelles la chambre de l'instruction a statué le 20 février 2012 en ordonnant notamment des cancellations de pièces matériellement exécutées le 5 juin 2012. Et le délai écoulé entre le 24 octobre 2012, date de l'appel de l'ordonnance de non lieu- partiel par les consorts [Y] et le 23 septembre 2013, date de l'audience devant la chambre de l'instruction, résulte du temps nécessaire à la suite du réquisitoire écrit du 2 avril 2013 pour le dépôt de neuf mémoires.
Enfin , et comme l'a rappelé le tribunal, l'appréciation du caractère raisonnable de la durée d'une procédure ne peut se limiter à la constatation d'une durée objectivement longue mais doit prendre en considération la nature de l'affaire, son degré de complexité ainsi que le comportement des parties au cours de la procédure.
En l'espèce le tribunal a retenu à juste titre l'absence de caractère déraisonnable de la durée de l'instruction, qui ne concerne pas uniquement les liens entretenus entre l'institut [Établissement 1] et l'église [Établissement 2], au regard notamment de la multiplicité des recherches pour identifier et entendre les nombreux témoins et victimes ainsi que de la complexité de l'analyse des mouvements financiers ayant nécessité plusieurs expertises pour déterminer les liens entre l'établissement scolaire et des structures paraissant relever de l'église [Établissement 2], (y compris pour déterminer si les pratiques de l'institut étaient conformes aux pratiques médicales et pédagogiques), et également compte tenu de l'exercice de multiples voies de recours dont saisines de la Cour de cassation.
Enfin il ne peut être induit du non-lieu partiel prononcé le 16 octobre 2012 la reconnaissance par le service public de la justice d'un dysfontionnement né d'un déni de justice alors que cette ordonnance a fait l'objet sur ce point d'une infirmation par la chambre de l'instruction le 13 janvier 2014 qui a mis en examen trois personnes morales.
Le jugement qui a débouté les consorts [Y] de leur demande sur le fondement d'un déni de justice sera donc confirmé.
L'équité ne commande pas en l'espèce de faire application de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement, par décision contradictoire:
-Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
-Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile;
-Condamne M [K] et Mme [E] [Y] ainsi que leurs filles [L] et [V] [Y] aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT