Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 3
ARRET DU 02 FEVRIER 2016
(n° 72 , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 15/01542
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 31 Décembre 2014 -Président du TC de PARIS - RG n° 2014060579
APPELANTE
SAS eNOVA SANTE prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Adresse 1]
N° SIRET : 535 124 382
Représentée et assistée de Me Philippe CHARLES de la SELAS AGN Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : D1160
INTIMEE
SAS CAUDALIE représentée par son Président y domicilié
[Adresse 2]
[Adresse 2]
N° SIRET : 398 360 123
Représentée par Me Charles-hubert OLIVIER de la SCP LAGOURGUE & OLIVIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0029
assistée de Me Hugues VILLEY de l'AARPI BCTG AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : T01
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 14 Décembre 2015, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Martine ROY-ZENATI, Présidente de chambre
Madame Agnès BODARD-HERMANT, Conseillère
Mme Mireille QUENTIN DE GROMARD, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Mlle Véronique COUVET
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Martine ROY-ZENATI, président et par Mlle Véronique COUVET, greffier.
La SAS Caudalie a pour activité principale la fabrication et la distribution de produits cométiques sous la marque Caudalie, via un réseau de pharmacies et de parapharmacies avec lesquelles elle a mis en place un réseau de distribution sélective soit en point de vente soit par internet, faisant chacun l'objet d'un type de contrat spécifique.
La SAS eNOVA Santé fédère un certain nombre de pharmacies et leur propose une plate-forme internet, dénommée '1001pharmacie' leur permettant de vendre leur produits par ce moyen de diffusion.
La société Caudalie, prétendant que ce service contrevient aux principes de son réseau de distribution sélective et est donc prohibé en application de l'article L 442-6 I 6° du code de commerce, a , par acte du 5 novembre 2014, fait assigner en référé la société eNOVA Santé aux fins notamment de la voir cesser, sous astreinte, la commercialisation des produits Caudalie sur le site [Site Web 1].
Par ordonnance contradictoire du 31 décembre 2014, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a :
- enjoint à la société eNOVA Santé de :
* cesser toute commercialisation des gammes de produits de marque Caudalie et de supprimer toute référence à ces produits sur le site internet [Site Web 1] dans les 30 jours de la signification de l'ordonnance
* supprimer tout référencement et tout lien avec d'autres sites renvoyant vers son serveur et faisant référence aux gammes de produits de marque Caudalie dans les 30 jours de la signification de l'ordonnance
* supprimer toutes les reproductions de photographies et de descriptifs appartenant à la société Caudalie sur le site internet [Site Web 1] dans les 30 jours de la signification de l'ordonnance
- le tout sous astreinte de 1.000 € par jour de retard et par infraction, pendant le délai de 30 jours
- dit n'y avoir lieu à référé concernant les actes de concurrence déloyale et de parasitisme allégués par la société Caudalie, et les préjudices qui en résulteraient et a débouté cette dernière de sa demande de dommages et intérêts à ce titre
- débouté les parties de leurs demandes respectives de publications
- débouté la société Caudalie de sa demande de désignation d'un huissier de justice aux fins de réaliser, aux frais d'eNOVA Santé, le constat et le contrôle de l'exécution de l'ordonnance
- condamné la société eNOVA Santé au paiement de la somme de 3.500€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
La SAS eNOVA Santé a interjeté appel de cette décision le 21 janvier 2015 et par ses dernières conclusions transmises par le RPVA le 7 décembre 2015, elle demande à la cour :
- d'infirmer l'ordonnance entreprise
- et de condamner la société Caudalie au paiement de la somme de 19.500€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Elle soutient :
- que le réseau sélectif Caudalie enfreint les règles du droit de la concurrence, ce dont elle déduit l'absence de trouble manifestement illicite
- que depuis la décision du Conseil de la concurrence du 8 mars 2007 validant sous réserve d'engagements de la société Caudalie le contrat de vente sur internet que celle-ci propose, les situations de marché et le droit de la concurrence ont évolué, invoquant divers décisions ou avis récents de l'Autorité de la concurrence invalidant les contrats de distribution sélective qui interdisent aux distributeurs agrées d'avoir recours à une plate-forme de vente mandataire telle que [Site Web 1]
- que les produits dermo-cosmétiques de Caudalie n'entrent pas dans le monopole des pharmaciens et ne sont pas assortis d'un objectif de santé publique qui justifierait un traitement particulier en droit de la concurrence
- et qu'en tout état de cause, les dispositions de l'article L 442-6 I 6° du code de commerce ne lui sont pas opposable car elle n'agit pas en son nom propre, mais seulement en qualité de mandataire des pharmacies adhérentes à 1001pharmacies, auxquelles elle ne fait qu'offrir un service technique avec des modalités de paiement.
La SAS Caudalie, par ses dernières conclusions transmises le 8 décembre 2015, demande à la cour :
- de confirmer l'ordonnance entreprise sauf en ce qu'elle a rejeté ses demandes de dommages et intérêts au titre des actes de concurrence déloyale et de parasitisme de la société eNOVA
en conséquence,
- de condamner cette dernière au paiement d'une somme provisionnelle de 50.000€ au titre des dommages et intérêts subis,
- d'ordonner la publication du dispositif de l'arrêt à intervenir, précédé du titre 'Avertissement judiciaire', sur la page d'accueil du site litigieux, comme indiqué à leur dispositif
- d'autoriser la société Caudalie à procéder à la publication de tout ou partie de l'arrêt à intervenir dans la revue 'Le Moniteur du Pharmacien',comme indiqué à leur dispositif
- et de condamner la société eNOVA au paiement de la somme de 10.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Elle soutient :
- que la nature des produits cosmétiques de luxe Caudalie, nécessitant un choix qualitatif des revendeurs, justifie le recours à un mode de distribution sélective validé par le Conseil de la Concurrence en 2007 et 2009
- qu'au demeurant ses contrats de distribution sélective tant en point de vente que par Internet ne comportent aucune restriction caractérisée de concurrence, le taux d'agrément des distributeurs atteignant 93,75% et aucun prix de revente ni aucune restriction de revente aux consommateurs n'étant imposés
- que la vente des produits Caudalie sur le site [Site Web 1] constitue une violation de l'interdiction de revente hors réseau faite aux distributeurs agréés, la société eNOVA ne faisant pas partie de son réseau de distribution par internet et n'effectuant aucun contrôle susceptible de mettre son site à l'abri de pratiques violant l'interdiction de ventes hors réseau sélectif
- et qu'eNOVA Sante ne peut revendiquer le statut de simple hébergeur, celle-ci jouant au delà du mandat reçu de telle ou telle pharmacie membre et des prestations techniques d'accès à intemet, un rôle actif dans la vente de produits cosmétiques pour laquelle elle perçoit une rémunération distincte du forfait dû pour l'hébergement du site.
La cour renvoie à l'ordonnance entreprise et aux conclusions susvisées pour plus ample exposé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
Aux termes de l'article 873 alinéa 1er du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut toujours, dans les limites de la compétence du tribunal et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Et aux termes de l'article L.442-6 I 6° du code de commerce : « engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers:
...
6° De participer directement ou indirectement à la violation de l'interdiction de revente hors réseau faite au distributeur lié par un accord de distribution sélective ou exclusive exempte au titre des règles applicables du droit de la concurrence ».
Il est constant qu'en vertu du droit commun de la preuve résultant de l'article 1315 du code civil, il appartient à la société Caudalie, qui invoque l'existence d'un trouble manifestement illicite résultant de la commercialisation de ses produits hors réseau de distribution sélective, d'établir la licéité manifeste de ce dernier au regard des règles du droit de la concurrence et qu'il appartient à la société eNOVA d'établir à son tour à l'évidence ses allégations la contestant.
La société Caudalie soutient pour ce faire :
- que le Conseil de la Concurrence a approuvé par décision du 8 mars 2007 son contrat internet, sous réserve d'engagements de sa part dont il a vérifié le respect en 2009 sans émettre aucune observations à cet égard et par le délégataire du Premier Président de cette cour dans son ordonnance du 30 septembre 2015 rejetant la demande d'arrêt de l'exécution provisoire de l'ordonnance entreprise
- qu'en tout état de cause, il respecte en général, les dispositions de l'article 101 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne (TFUE) et de l'article L420-1 du code de commerce et en particulier, les cinq conditions du règlement 330/2010 de la Communauté Européenne du 20 avril 2010.
La société eNOVA, pour contester cette licéité, soutient :
- que le droit de la concurrence prohibe désormais l'interdiction catégorique, faite par la société Caudalie à ses distributeurs agrées, de commercialisation via une plate-forme internet telle que celle en litige, que cette prohibition nouvelle prive la société Caudalie du bénéfice de l'exemption de l'article 4 du règlement susvisé et qu'elle a saisi le 7 décembre 2015 l'Autorité de la concurrence d'une plainte à ce sujet.
En cet état et au vu des pièces produites, il est établi :
- que, comme rappelé plus haut, le réseau de distribution sélective des produits CAUDALIE est structuré par deux contrats de distribution éponyme dont l'un concerne la vente en pharmacie (le contrat pharmacie) et l'autre la vente sur internet (le contrat internet), agrément pour l'un ne valant pas automatiquement agrément pour l'autre ainsi que le prévoit l'article 7 intitulé « revente-internet » du premier de ces contrats ainsi rédigé : « le DISTRIBUTEUR ne pourra revendre les Produits qu'au détail, directement aux consommateurs. Il est expressément convenu que le DISTRIBUTEUR pourra revendre les Produits sur internet à la condition d'avoir signé préalablement un contrat spécifique à la vente à distance sur internet et de respecter les critères prévus à cet effet. » (Pièce n°16)
- que les distributeurs CAUDALIE ne peuvent vendre en ligne que sur leur propre site internet, ainsi qu'il résulte notamment des clauses suivantes du contrat internet :
« Seul un distributeur agréé disposant d'un point de vente physique et respectant l'ensemble des critères de sélectivité sera en droit de vendre en ligne les produits Caudalie sur son site internet » (article 1)
« Le DISTRIBUTEUR s'engage à créer sur son site web un espace spécialement dédié à la marque CAUDALIE. » (article 5) (Pièce n°17).
Il s'ensuit qu'en ne permettant que la vente en ligne par le site propre du pharmacien distributeur des produits Caudalie, les contrats de distribution sélective de la société CAUDALIE interdisent par principe à celui-ci le recours à la vente en ligne par le biais de plate-forme - ou places de marché - en ligne telle que celle proposée par la société eNOVA à l'adresse internet [Site Web 1] .
Or il résulte des deux décisions de l'Autorité de la concurrence des 23 juillet 2014 et 24 juin 2015, concernant le réseau de distribution sélective SAMSUNG interdisant la vente en ligne par le biais de plate-formes internet (pièces eNOVA 38-39), du communiqué de presse de cette Autorité du 18 novembre 2015 dans une affaire Adidas similaire (pièce eNOVA 45), de la position récemment prise par l'autorité de la concurrence allemande en faveur du caractère anticoncurrentiel d'une pratique comparable dans les contrats de distribution sélective ASICS et ADIDAS (pièces eNOVA 42 et 48), enfin de la consultation du professeur [W] [B] par la société eNOVA en mai 2015 (pièce eNOVA 42), un faisceau d'indices sérieux et concordants tendant à établir avec l'évidence requise en référé que cette interdiction de principe du recours pour les distributeurs des produits Caudalie, pour l'essentiel pharmaciens d'officine, à une plate-forme en ligne quelles qu'en soient les caractéristiques est susceptible de constituer, sauf justification objective, une restriction de concurrence caractérisée exclue du bénéfice de l'exemption communautaire individuelle visée à l'article L442-6 I 6° susvisé qui fonde les demandes litigieuses.
Cette éventualité prive donc le trouble allégué par Caudalie, résultant de la violation de son réseau de distribution sélective via la plate-forme [Site Web 1] proposée aux pharmaciens par la société eNOVA, de tout caractère manifestement illicite, sauf justification objective au regard du droit de la concurrence, tel qu'il résulte de ces éléments factuels et juridiques nouveaux, à tout le moins postérieurs à 2009.
Et la société Caudalie ne propose aucun argumentaire dédié à cette exclusion de principe de toute revente par le biais d'une plate-forme mandataire en ligne, s'agissant en particulier à sa conformité contestée aux dispositions reprises ci-dessus du droit de la concurrence qu'elle allègue.
Elle se borne en effet à discuter des conditions requises en vertu du règlement d'exemption 330/2010 précité, sans faire état de caractéristique générale du canal de vente qu'elle prohibe susceptible de justifier sa pratique restrictive au regard du droit de la concurrence pertinent. Elle n'établit donc pas que, nonobstant l'évolution récente de ce droit, exposée de manière circonstanciée par la société eNOVA, elle dispose d'une justification objective rendant manifestement licite son réseau de distribution sélective par internet interdisant ce canal de vente et, partant, manifestement illicite le trouble qui résulterait de la violation de celui-ci par les pharmaciens, fussent-ils agrées, vendant ses produits via la plate-forme 1001pharmacies.
A cet égard, l'ordonnance rendue par le délégataire du Premier Président de cette cour le 30 septembre 2015, qui s'est borné à rejeter dans son dispositif la demande d'arrêt de l'exécution provisoire de l'ordonnance entreprise ne saurait être interprétée ainsi que le suggère la société Caudalie comme validant ce réseau de distribution sélective, étant observé au demeurant qu'il n'appartient pas à ce délégataire saisi au visa de l'article 524 alinéa 3 du code de procédure civile, de porter une telle appréciation, ce qu'il énonce d'ailleurs expressément dans ses motifs.
Les demandes de la société Caudalie au titre de la violation de son réseau de distribution sélective internet ne peuvent donc être accueillies, ce d'autant que la société eNOVA a saisi l'Autorité de la concurrence le 7 décembre 2015 d'une plainte à ce sujet.
Il convient donc d'infirmer l'ordonnance entreprise du chef de l'injonction qu'elle a prononcée et, statuant à nouveau, de dire n'y avoir lieu à référé de ce chef.
En outre, l'ordonnance entreprise doit être confirmée du chef de la concurrence déloyale, du parasitisme et des dommages-intérêts dès lors que les prétentions à ce titre de la société Caudalie se fondent sur la violation de son réseau de distribution sélective, prétendument manifestement licite.
Il y a lieu également de confirmer l'ordonnance entreprise du chef de la désignation d'un huissier aux fins de constat et de contrôle de l'exécution de l'injonction ordonnée qui devient sans objet et du chef des demandes de publication du dispositif de l'arrêt, que la société eNOVA ne renouvelle pas en appel, que la société Caudalie n'étaye pas et qu'aucune circonstance ne justifie eu égard au contexte éminemment évolutif du droit applicable.
L'ordonnance entreprise doit être infirmée du chef de l'article 700 du code de procédure civile et l'équité commande de faire application des dispositions de cet article dans les termes du dispositif de la présente décision.
La société Caudalie partie perdante, ne peut prétendre à une indemnité de procédure et doit supporter la charge des dépens conformément aux articles 696 et 700 du code de procédure civile de sorte que l'ordonnance entreprise doit être infirmée de ce chef.
PAR CES MOTIFS
Confirme l'ordonnance entreprise sauf des chefs de l'injonction qu'elle a prononcée, de l'indemnité de procédure et des dépens
Statuant à nouveau de ces chefs infirmés
Dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de la société Caudalie
Condamne la société Caudalie à payer à la société eNOVA la somme de 7.000€ au titre de ses frais de procès, en première instance et en appel, non compris dans les dépens.
Condamne la société Caudalie aux dépens, de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT