Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 1
ARRET DU 08 MARS 2016
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 14/21055
Décision déférée à la Cour : Sentence du 10 Avril 2014 rendue par le Tribunal arbitral de PARIS composé de MM. [M] [V] et [W] [X], arbitres, ainsi que de M. [M] [G], président,
DEMANDERESSE AU RECOURS :
S.A.S CARREFOUR PROXIMITE FRANCE
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 9]
[Adresse 1]
représentée par Me Florence GUERRE de la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : L0018
assistée de Me Luca DE MARIA et de Me Jean-Patrick LEHUEDE, avocats plaidant du barreau de PARIS
DÉFENDEURS AU RECOURS
Monsieur [K] [B]
[Adresse 7]
[Adresse 5]
représenté par Me Frédéric BURET, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : D1998
assisté de Me Jean-François TESSLER, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : E2030
Monsieur [Y] [B]
[Adresse 8]
[Adresse 4]
représenté par Me Frédéric BURET, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : D1998
assisté de Me Jean-François TESSLER, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : E2030
Monsieur [J] [B]
[Adresse 3]
[Adresse 2]
représenté par Me Frédéric BURET, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : D1998
assisté de Me Jean-François TESSLER, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : E2030
S.A.R.L LA BRIOUZAINE
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 6]
[Adresse 4]
représentée par Me Frédéric BURET, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : D1998
assistée de Me Jean-François TESSLER, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : E2030
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 910 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 7 janvier 2016, en audience publique, le rapport entendu, les avocats des parties ne s'y étant pas opposé, devant Madame DALLERY, conseillère, chargée du rapport, faisant fonction de présidente pendant les débats.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de:
Madame DALLERY, conseillère, faisant fonction de présidente
Madame HECQ-CAUQUIL, conseillère,
Monsieur MULLIEZ, conseiller
Magistrats délégués appelés à compléter la cour conformément aux dispositions de l'ordonnance de roulement portant organisation des services rendue le 15 décembre 2015 par Madame le premier président de la cour d'appel de PARIS
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Mme Mélanie PATE
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Marie-Laure DALLERY, conseillère, faisant fonction de présidente et par Mme Mélanie PATE, greffier présent lors du prononcé.
Le 6 juin 2001, la société PRODIM, devenue CARREFOUR PROXIMITE France (ci-après CPF) et la société LA BRIOUZAINE ayant pour associés MM [K], [Y] et [J] [B] ont conclu un contrat de franchise SHOPI comportant en son article 4 un pacte de préférence au bénéfice du franchiseur.
Invoquant la violation du pacte de préférence en raison d'une augmentation de capital votée lors d'une assemblée générale extraordinaire du 1er août 2006 et de deux cessions de parts sociales du même jour par le gérant à chacun de ses deux fils, le franchiseur a notifié par lettre recommandée avec avis de réception du 26 octobre 2011 à la société LA BRIOUZAINE ainsi qu'à M. [K] [B], gérant et à ses associés, sa volonté de mettre en oeuvre la clause compromissoire figurant à l'article 13 du contrat.
Saisi par la société CPF, le tribunal arbitral composé de MM. [M] [V] et [W] [X], arbitres, ainsi que de M. [M] [G], président, par une sentence rendue à Paris le 10 avril 2014, a constaté son incompétence pour statuer en matière de concurrence déloyale, dit que la sentence du 20 novembre 2010 n'a pas autorité de chose jugée au regard de la présente instance, dit l'action engagée non prescrite et donc recevable, dit valable le pacte de préférence inscrit à l'article 4-1 du contrat de franchise du 6 juin 2001, constaté qu'il ne pouvait recevoir aucune application en pratique, constaté qu'en conséquence, le manquement de la société LA BRIOUZAINE à son obligation d'informer le franchiseur énoncée à l'article 4-2 du même contrat de franchise est sans portée en l'espèce, rejeté toutes les autres demandes et partagé par moitié les frais d'arbitrage, ordonné l'exécution provisoire.
Le 17 octobre 2014, CPF a formé un recours en annulation de la sentence arbitrale et, par conclusions notifiées par le RPVA le 10 juin 2015, demande son annulation et la condamnation de la société LA BRIOUZAINE à lui verser 50.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Elle soutient que le tribunal arbitral a violé le principe de la contradiction (article 1492 4° du code de procédure civile), n'a pas respecté sa mission (article 1492 3° du code de procédure civile ) et que la sentence a été prise en violation de l'ordre public (article 1492 5° du code de procédure civile).
La société LA BRIOUZAINE ainsi que MM [K], [Y] et [J] [B], par des conclusions notifiées par le RPVA le 16 mars 2015, sollicitent le rejet du recours en annulation et la condamnation de CPF à verser à chacun d'eux la somme de 30.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
SUR QUOI,
Sur le premier moyen d'annulation pris de la violation par le tribunal arbitral du principe de la contradiction (article 1492 4° du code de procédure civile)
CPF fait grief au tribunal arbitral d'avoir relevé des moyens nouveaux non débattus devant lui pour parvenir à sa solution.
Elle dit en premier lieu, qu'en retenant pour justifier le rejet d'une violation de l'obligation d'information prévue par le pacte de préférence, que l'agrément exigé par les statuts de la société LA BRIOUZAINE pour en devenir associé, n'aurait jamais été accordé de sorte que CPF ne pouvait se plaindre d'aucun préjudice, pas même d'une perte de chance, le tribunal arbitral a introduit un moyen nouveau, tiré du préjudice indemnisable, qui n'a jamais été discuté lors des échanges avec les parties.
En second lieu, elle estime qu'en retenant pour rejeter ses demandes, que le caractère familial de la société devait être autant protégé que le caractère personnel du contrat de franchise, le tribunal arbitral a introduit un moyen non débattu par les parties.
Considérant que rien de ce qui sert à fonder la décision des arbitres ne doit échapper au débat contradictoire ;
Considérant sur la première branche du moyen, que, invité à se prononcer sur la portée du pacte de préférence, le tribunal arbitral a admis que l'obligation d'informer le franchiseur n'avait pas été correctement exécutée, tout en relevant que celui-ci n'avait aucune chance d'être agréé à la majorité qualifiée exigée par l'article 11 des statuts face au caractère purement familial du groupe des associés détenteurs du capital ; qu'en retenant en conséquence que CPF ne pouvait se plaindre d'aucun préjudice, pas même d'une perte de chance et en déduire l'absence d'effet utile de la violation de l'obligation d'informer, le tribunal arbitral a tiré les conséquences de ses propres constatations et aucune violation du principe de la contradiction ne peut lui être reproché;
Considérant sur la seconde branche du moyen, que le tribunal arbitral qui a estimé, au vu des seuls éléments de fait et de droit que lui avaient soumis, que le caractère familial de la société devait être autant protégé que le caractère personnel du contrat de franchise, n'avait pas l'obligation de soumettre au préalable la motivation de sa sentence au débat contradictoire des parties ;
Que le moyen pris de la violation du principe de la contradiction ne peut qu'être rejeté ;
Sur le second moyen d'annulation pris de la violation par le tribunal arbitral de sa mission (article 1492 3° du code de procédure civile)
CPF fait grief au tribunal arbitral d'avoir outrepassé ses pouvoirs d'amiable compositeur en transformant les obligations des parties au contrat en disant que le pacte de préférence ne pouvait recevoir aucune application pratique et qu'en conséquence l'obligation d'information du franchiseur énoncée à l'article 4-2 du contrat de franchise de LA BRIOUZAINE était sans portée alors que la personnalité du franchisé est au coeur de l'engagement du franchiseur, l'article 11 dudit contrat prévoyant expressément qu'il est signé en considération de la personne du franchisé.
Elle ajoute qu'en privant d'efficacité la clause instituant le pacte de préférence qui est essentiel au contrat de franchise qu'elle a conclu pour assurer la continuité de l'intuitu personae en considération duquel le franchiseur s'est engagé, le tribunal arbitral a bouleversé l'économie du contrat, manquant ainsi à sa mission telle qu'elle a été voulue par les parties.
Considérant qu'aux termes de l'article 13 du contrat de franchise, le tribunal arbitral a reçu mission de statuer en amiable compositeur ;
Considérant que cette mission donne aux arbitres le pouvoir notamment de modérer les effets du contrat dans la recherche d'une solution juste et conforme à l'équité, en écartant au besoin l'application de certains droits nés de la convention, sous réserve de ne pas en modifier l'économie en substituant aux obligations contractuelles des obligations nouvelles ne répondant pas à l'intention commune des parties ;
Considérant que le tribunal arbitral qui a dit valable le pacte de préférence inscrit à l'article 4-1 du contrat de franchise, a constaté qu'il ne pouvait recevoir aucune application en pratique et qu'en conséquence, le manquement de la société LA BRIOUZAINE à son obligation d'informer le franchiseur énoncée à l'article 4-2 du même contrat de franchise était sans portée en l'espèce ;
Considérant que pour se prononcer sur la portée du pacte de préférence, le tribunal arbitral a distingué d'un côté, l'obligation d'informer le franchiseur de l'opération de nature à remettre en cause le caractère personnel du contrat et, de l'autre, l'efficacité du pacte de préférence, puis a observé que selon l'article 11 des statuts de la société LA BRIOUZAINE, les parts ne peuvent être transmises à des 'tiers étrangers à la société' qu'avec le consentement de la majorité des associés représentant au moins les trois quarts du capital et que le franchiseur n'avait aucune chance d'être agréé à la majorité qualifiée exigée face au caractère purement familial du groupe des associés détenteurs du capital ; Qu'il a alors estimé que 'le droit et l'équité se rejoignent pour [lui] permettre de constater qu'en lui-même, le pacte de préférence était, en l'espèce, sans portée et que si l'obligation d'informer le franchiseur n'a pas été correctement exécutée, il n'en résulte pas que cette violation aurait pu avoir un effet utile pour l'ancien franchiseur, créancier de préférence en tant que bénéficiaire du pacte' ;
Qu'en confrontant le droit à l'équité et en recherchant l'effet utile de la violation de l'obligation d'information du franchiseur par le franchisé au regard de l'absence de portée du pacte de préférence, le tribunal arbitral s'est conformé à la mission d'amiable compositeur qui lui avait été confiée sans porter atteinte aux obligations contractuelles des parties ;
Considérant en outre, que la recourante ne démontre pas que l'économie du contrat a été bouleversé par le tribunal arbitral disant qu'en l'espèce le pacte de préférence était sans efficacité pratique alors que les arbitres ont tiré les conséquences de leurs constatation, en observant que la cession n'étant intervenue qu'entre des associés, la demanderesse ne pouvait invoquer aucun préjudice né de la violation du pacte de préférence ;
Que le moyen pris de la violation de la mission ne peut qu'être rejeté;
Sur le troisième moyen d'annulation pris de la violation par le tribunal arbitral de l'ordre public (article 1492 5° du code de procédure civile)
CPF soutient que le tribunal arbitral en écartant purement et simplement l'engagement contractuel consenti par les deux parties que constitue le pacte de préférence, tout en reconnaissant expressément sa validité et la réunion de ses conditions, a violé de manière flagrante, effective et concrète le principe d'ordre public que constitue le principe de l'autonomie de la volonté qui veut que les conventions acceptées s'imposent au juge et aux parties sauf si ces dernières s'accordent pour y mettre fin.
Considérant que la recourante qui ne démontre pas en quoi la solution retenue par le tribunal arbitral sur l'absence d'efficacité pratique du pacte de préférence dont la validité en cas de cession entre associés a été reconnue, violerait un principe d'ordre public, invite en réalité la Cour à une révision de la sentence qui lui est interdite;
Que ce moyen et partant le recours en annulation est rejeté ;
Sur les autres demandes
Considérant que CPF qui succombe est condamnée aux dépens ; que sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile est rejetée ; qu'elle est condamnée, sur ce fondement, à payer à la société LA BRIOUZAINE, MM [K], [Y] et [J] [B] chacun, la somme de 20.000 € ;
PAR CES MOTIFS,
Rejette le recours en annulation,
Condamne la société CARREFOUR PROXIMITE France à payer à la société LA BRIOUZAINE, MM [K] [B], [Y] [B] et [J] [B] chacun, la somme de 20.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette toute autre demande,
Condamne la société CARREFOUR PROXIMITE France aux dépens et admet Me Frédéric BURET, avocat au bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA CONSEILLÈRE, faisant fonction de présidente