Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 3 - Chambre 1
ARRÊT DU 04 MAI 2016
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 14/25662
Décisions déférées à la Cour :
Jugement du 08 Juin 2011 - Tribunal de grande instance de CHARTRES - RG n°10/00502
Arrêt du 04 Juillet 2013 - Cour d'appel de VERSAILLES - RG n° 11/05375
Arrêt du 22 Octobre 2014 - Cour de Cassation de PARIS - n° 1237-F-D
APPELANTE
Madame [Y] [S] épouse [N]
née le [Date naissance 2] 1951 à CHATEAUDUN (28)
[Adresse 2]
[Adresse 1]
représentée et assistée par Me Alexandre DAZIN de la SEP LACHAUD MANDEVILLE COUTADEUR & Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : W06
INTIMÉE
Madame [M] [S] épouse [S]
née le [Date naissance 1] 1946 à [Localité 2] (72)
[Adresse 3]
[Localité 1]
représentée par Me Pascale FLAURAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0090
assistée de Me Michel LEVY, avocat au barreau de PARIS, toque : A0059
COMPOSITION DE LA COUR :
Après rapport oral, l'affaire a été débattue le 10 Février 2016, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Evelyne DELBÈS, Président de chambre
Madame Monique MAUMUS, Conseiller
Madame Nicolette GUILLAUME, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Madame Emilie POMPON
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Evelyne DELBÈS, Président et par Madame Emilie POMPON, Greffier.
***
[P] [S] est décédé le [Date décès 1] 1996, laissant pour recueillir sa succession, [D] [S], son épouse, légataire de la plus forte quotité disponible, et leurs deux filles, Mmes [Y] [S] épouse [N] et [M] [S] épouse [S].
[D] [S] est elle-même décédée le [Date décès 2] 2003, laissant pour lui succéder ses deux filles.
Dans le partage des actifs mobiliers des successions intervenu en 2008, Mme [S] a reçu un tableau de l'Ecole flamande intitulé 'Les joies de l'hiver' évalué à 22 867,35 euros qu'elle a vendu au mois de juin 2009 pour le prix de 220 000 euros.
Estimant avoir subi, dans la partage des biens mobiliers des successions, une lésion de plus du quart, Mme [Y] [S] épouse [N] a, par acte du 17 février 2010, assigné Mme [M] [S] épouse [S] devant le tribunal de grande instance de Chartres en complément de part sur le fondement de l'article 889 du code civil.
Par jugement du 8 juin 2011, le tribunal de grande instance de Chartres a débouté Mme [Y] [N] de toutes ses demandes, débouté Mme [M] [S] de sa demande de dommages et intérêts, dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile et condamné Mme [N] aux dépens.
Sur l'appel interjeté par Mme [Y] [N] et par arrêt du 4 juillet 2013, la cour d'appel Versailles a :
- confirmé le jugement du 8 juin 2011 en toutes ses dispositions,
- condamné Mme [Y] [N] à payer à Mme [M] [S] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté toute autre demande,
- condamné Mme [Y] [N] aux dépens d'appel avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Sur le pourvoi formé par Mme [Y] [N] et par arrêt du [Date décès 2] 2014, la Cour de cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt du 4 juillet 2013 faisant grief à la cour d'appel d'avoir pris en considération, pour apprécier la réalité de la lésion alléguée, la somme revenue, après l'adjudication du tableau, à Mme [S] de Pas après déduction des honoraires de vente et d'expertise qu'elle justifiait avoir acquittés, soit 167 332 euros, alors que seul le prix d'adjudication devait être pris en considération pour le calcul de la lésion, à l'exclusion des honoraires de vente et d'expertise, a remis en conséquence la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et les a renvoyées devant le cour d'appel de Paris.
Mme [Y] [N] a saisi la cour de renvoi par déclaration du 8 décembre 2014.
Dans ses dernières écritures du 21 janvier 2016, elle demande à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris,
- statuant à nouveau,
- constater que seul le prix d'adjudication doit être pris en compte pour connaître la valeur d'un bien vendu aux enchères publiques,
- dire qu'elle établit avoir subi une lésion de plus du quart dans l'acte de partage du 15 juin 2008,
- constater l'insuffisance du lot qu'elle a reçu et qu'elle n'a pas été remplie des trois quarts du lot qu'elle aurait dû recevoir,
- condamner Mme [S] à lui verser un complément de part de 98 566,33 euros avec intérêts au taux légal depuis le jour du partage du 15 juin 2008,
- débouter Mme [S] de toutes ses demandes,
- condamner l'intéressée à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions du 28 janvier 2016, Mme [S] demande à la cour de :
- débouter Mme [N] de l'intégralité de ses demandes,
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté ces demandes,
- y ajoutant,
- condamner Mme [N] à lui rembourser l'intégralité de la somme qu'elle a dû lui verser après cassation, soit 8 810,42 euros, assortie des intérêts au taux légal et des intérêts cumulés à compter du jour de ce remboursement,
- subsidiairement, dans l'hypothèse où la cour ferait droit aux demandes de Mme [N] ne tenant compte que de la valeur des meubles du château d'Ancise,
- condamner Mme [N] à lui payer la somme de 26 312 euros assortie de l'intérêt légal et des intérêts cumulés, qui viendra en déduction de toute somme qu'elle serait amenée à devoir à l'intéressée,
- la récompenser pour ses diligences sur le fondement de l'article 815-12 du code civil à concurrence de 50 % de la plus-value que les dites diligences ont permis de réaliser,
- à défaut, décider d'une telle récompense sur le fondement de l'article 815-13 du code civil,
- en toute hypothèse,
- condamner Mme [N] à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et atteinte à l'honneur et celle de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens de première instance et d'appel avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
A l'audience du 10 février 2016, avant la tenue des débats, les parties ayant exprimé leur accord par l'intermédiaire de leurs avocats, l'ordonnance de clôture rendue le 26 janvier 2016 a été révoquée et une nouvelle ordonnance de clôture a été prononcée, de sorte que la cour statue sur les dernières conclusions susvisées.
SUR CE
Considérant que Mme [N] soutient que les successions de ses parents ont donné lieu à plusieurs partages partiels, l'un portant sur les immeubles en date du 27 juin 2008, l'autre portant sur les meubles en date du 15 juin 2008 et que le protocole transactionnel du 28 mars 2008 n'a nullement opéré un partage, mais seulement organisé les modalités des deux partages partiels ; qu'elle fait plaider que la caractère partiel des deux partages est confirmé par le fait que chacun d'eux a réalisé des lots d'égale valeur entre les deux indivisaires ; qu'elle en déduit qu'il y a donc lieu d'apprécier la lésion au regard du seul partage des meubles intervenue le 15 juin 2008 ; qu'elle invoque une lésion de plus du quart à son préjudice, précisant que la valeur des biens qui lui ont été attribués aux termes de l'acte de partage des meubles a été de 228 170,43 euros, eu égard à une évaluation erronée du tableau 'Les joies de l'hiver', fixée à 22 867,35 euros, alors qu'elle aurait dû être de 326 736,76 euros puisque cette oeuvre, qui se trouvait dans le lot attribué à sa soeur, a été vendu un an plus tard aux enchères pour 220 000 euros ; qu'elle prétend donc à un complément de part de 98 566,32 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du partage du 15 juin 2008 ;
Considérant que Mme [N] soutient que le protocole transactionnel du 28 mars 2008 a réalisé un partage global et ce, dans la commune intention de ses signataires, qui y ont fait précéder leur signature de la mention 'Bon pour partage', qu'il a porté sur l'ensemble des biens meubles et immeubles à partager, lesquels sont énumérés, valorisés et attribués aux copartageantes, que concernant les meubles, il manifeste aussi la volonté de celles-ci de sortir de l'indivision et pose les règles qui présideront à la réalisation de leur partage, soit tirage au sort et choix alternatif des biens sur la base des valeurs de l'inventaire ; que le fait qu'un livre ait été écarté du partage en raison de sa grande valeur ne remet pas en cause le fait que le protocole a réalisé un partage global ; qu'elle fait plaider que la lésion invoquée, qui doit s'apprécier au regard de ce seul partage global, n'est pas constituée ;
Considérant que les successions en cause, bien qu'ouvertes antérieurement au 1er janvier 2007, date d'entrée en vigueur de la loi du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, n'étaient pas encore partagées à cette date, de sorte que sont applicables les articles 887 et suivants du code civil issus de ladite loi ;
Considérant que l'article 838 dispose : 'Le partage amiable peut être total ou partiel. Il est partiel lorsqu'il laisse subsister l'indivision à l'égard de certain bien ou de certaines personnes' ;
Considérant qu'aux termes de l'article 889 du code civil :
'Lorsque l'un des copartageants établit avoir subi une lésion de plus du quart, le complément de sa part lui est fourni, au choix du défendeur, soit en numéraire, soit en nature. Pour apprécier s'il y a eu lésion, on estime les objets suivant leur valeur à l'époque du partage' ;
Considérant que selon l'article 890 du même code :
'L'action en complément de part est admise contre tout acte, quelle que soit sa dénomination, dont l'objet est de faire cesser l'indivision entre copartageants.
L'action n'est plus admise lorsqu'une transaction est intervenue à la suite du partage ou de l'acte qui en tient lieu sur les difficultés que présentaient ce partage ou cet acte.
En cas de partages partiels successifs, la lésion s'apprécie sans tenir compte ni du partage partiel déjà intervenu lorsque celui-ci a rempli les parties de leurs droits par parts égales ni des biens non encore partagés' ;
Considérant que le protocole transactionnel du 28 mars 2008 prévoyait :
- Article 1 : Composition du lot immobilier de Mme [Y] d'estampes [N] (...)
- Article 2 : Composition du lot immobilier de Mme [M] [S] (...)
- Article 5 : méthodes de partage des actifs mobiliers
Les parties conviennent de la méthode suivante de partage des actifs mobiliers dépendant des successions : à partir de l'inventaire général et/ou particulier établi par les deux commissaires priseurs nommés par les parties, soit Mes [V] et [K], lesdits commissaires priseurs réuniront les parties au Château le week-end du 14/15 juin 2008 à la meilleure convenance des parties.
Lors de cette réunion, le partage effectif sera réalisé tout d'abord après tirage au sort de la partie qui commencera à choisir un premier numéro. Après ce premier choix, l'autre partie choisira elle-même un autre numéro, et ainsi de suite jusqu'à ce qu'une des parties atteigne dans son total attribué, la moitié de la valeur de l'inventaire des meubles à partager.
Il sera procédé de même manière pour les meubles non numérotés oubliés dans l'inventaire.
Le partage donnera lieu à l'établissement d'un procès-verbal signé par les parties et les deux commissaires priseurs.
Cependant, l'ouvrage en 10 volumes 'La description de l'Egypte' sera retiré de l'inventaire et vendu aux enchères (...)
- Article 7 :
Le présent protocole d'accord emporte, du consentement exprès des parties, désistement d'instance et d'action sur tous les litiges (...)
Il est cependant réservé ici le sort du partage mobilier qui doit être réalisé en exécution de l'article 5 ci-dessus, les parties réservant leurs droits à ce titre.
- Article 8 : Portée de la transaction
La présente transaction constitue un accord contractuel irrévocable contenant partage définitif des immeubles entre les parties à effet du 31 mars 2008, ayant à ce titre autorité de la chose jugée en dernier ressort entre les parties dans les conditions des articles 2044 et suivants du code civil' ;
Considérant que si ce protocole réalise le partage, irrévocable entre les parties, des immeubles, il ne comporte, s'agissant des meubles, ni inventaire, ni estimation ni, contrairement à ce qu'il en est pour les immeubles, attributions, fixant seulement un calendrier des opérations de partage effectif des actifs mobiliers et la méthode pour y parvenir ; que s'il précise que chaque partie s'estime remplie de ses droits s'agissant des immeubles, il n'en est pas de même pour les meubles, l'article 7 stipulant que : 'Il est cependant réservé ici le sort du partage mobilier qui doit être réalisé en exécution de l'article 5" et 'les parties réservant leurs droits à ce titre' ;
Considérant que le protocole s'il organise les modalités du partage des meubles, n'a pas réalisé celui-ci et n'a pas mis fin à l'indivision les concernant ;
Considérant que le partage des actifs mobiliers et la cessation de l'indivision les concernant n'ont été réalisés que par l'effet de l'acte du 15 juin 2008 ;
Considérant que l'on est donc en présence de partages successifs, celui des immeubles, effectif entre les parties dès le 28 mars 2008, et celui des meubles intervenu le 15 juin 2008 ; que dès lors et le partage des immeubles ayant rempli les copartageantes de leurs droits à parts égales, l'appréciation de la lésion à propos du partage des meubles doit s'opérer sans tenir compte de celui des immeubles ;
Considérant que l'intimée fait valoir que l'appelante n'apporte pas la preuve de la lésion à l'époque du partage, se référant à la vente aux enchères du 7 juin 2009, intervenue un an après celui-ci dans un marché de l'art hautement aléatoire et très fortement à la hausse à la suite de la crise de 2008, et ne produisant aucune évaluation du tableau au 15 juin 2008 ;
Considérant que pour apprécier la lésion, l'évaluation des biens se fait à l'époque du partage ;
Considérant que force est de constater que Mme [N], qui ne verse aux débats aucune estimation d'expert, ne démontre pas que l'évaluation du tableau 'Les joies de l'hiver' réalisée le 15 juin 2008 par un commissaire-priseur a été inexacte ; que cette preuve ne saurait résulter du seul prix auquel cette oeuvre a été adjugée, un an plus tard, aux enchères publiques ; que rien ne permet de retenir, en effet, que ce prix, fruit de l'engouement des amateurs présents à cette vente, correspond à la valeur du tableau au jour du partage ;
Considérant que Mme [N] ne démontre donc pas l'existence de la lésion dont elle prétend avoir été victime à l'occasion du partage des meubles de la succession intervenu le 15 juin 2008 ;
Considérant que le jugement entrepris doit, en conséquence, être confirmé en ce qu'il a débouté Mme [N] de toutes ses demandes ;
Considérant que les demandes subsidiaires de Mme [S] sont, par suite, sans objet ;
Considérant que Mme [N] doit restituer à Mme [S] la somme de 8.810,42 euros qu'elle lui a versée après le prononcé de l'arrêt de cassation, et ce avec intérêts au taux légal à compter, non pas de son paiement, mais de la première demande en remboursement de l'intimée, soit à compter du 25 août 2015 ;
Considérant que l'appelante ayant pu légitimement faire erreur sur l'existence de ses droits, son action en rescision ne présente aucun caractère abusif ; que Mme [S] ne précise enfin pas en quoi l'attitude de l'intéressée aurait porté atteinte à son honneur ; que sa demande de dommages et intérêts formée de ces chefs doit donc être rejetée ;
Considérant que l'équité commande de ne pas faire application, en l'espèce, des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement déféré,
Y ajoutant,
Condamne Mme [N] à rembourser à Mme [S] la somme de 8 810,42 euros avec intérêts au taux légal à compter du 25 août 2015,
Rejette toute autre demande,
Condamne Mme [N] aux dépens, en ce compris ceux de l'arrêt cassé, et dit qu'ils pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT