RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 9
ARRÊT DU1 8 Mai 2016
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/06609
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 14 mai 2014 par le conseil de prud'hommes de PARIS section - section commerce - RG n° 12/00819
APPELANTE
Madame [E] [P]
[Adresse 2]
[Adresse 3]
représentée par Me Claudine MARTIN VILLETELLE, avocat au barreau de PARIS, D1236 substitué par Me Philippe DE GOEYSE, avocat au barreau de PARIS,
INTIMEE
SAS BENETTON FRANCE COMMERCIAL
[Adresse 1]
[Adresse 3]
N° SIRET : 324 536 499
représentée par Me Isabelle PONTAL, avocat au barreau de PARIS, E0897
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 24 février 2016, en audience publique, devant la cour composée de :
Monsieur Benoît HOLLEAUX, conseiller faisant fonction de président
Madame Christine LETHIEC, conseiller
Madame Anne DUPUY, conseiller
qui en ont délibéré
Greffier : Madame Marion AUGER, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Benoît HOLLEAUX, conseiller faisant fonction de président et par Madame Marion AUGER, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Vu le jugement du conseil de prud'hommes de Paris en formation de départage du 14 mai 2014 ayant débouté Mme [E] [P] de l'ensemble de ses demandes tout en la condamnant aux dépens, et ayant rejeté les prétentions reconventionnelles de la SAS BENETTON FRANCE COMMERCIAL au titre du préavis ainsi que de l'article 700 du code de procédure civile';
Vu la déclaration d'appel de Mme [E] [P] a reçue au greffe de la cour le 24 février 2016';
Vu les écritures régulièrement communiquées et oralement soutenues à l'audience du 24 février 2016 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens de Mme [E] [P] qui demande à la cour':
' d'infirmer le jugement entrepris
' statuant à nouveau,
.à titre principal, de':
- requalifier la relation contractuelle de travail en un temps plein à compter du 1er juillet 2004, lui reconnaître la catégorie de cadre avec un salaire de 5'571,37 € bruts mensuels, dire que les 216'000 € perçus sur la période du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2011 ont la nature juridique d'avances sur les salaires nets sollicités à titre de rappel, et «requalifier» sa prise d'acte de rupture du contrat de travail en un licenciement sans cause réelle et sérieuse
- condamner en conséquence la SAS BENETTON FRANCE COMMERCIAL à lui régler les sommes de':
' 16'714,11 € d'indemnité compensatrice légale de préavis et 1'671,41 € de congés payés afférents
' 33'428,22 € d'indemnité pour travail dissimulé
' 284'529 € de rappel de salaires et 28'452,90 € d'incidence congés payés
' 100'284,66 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
' 11'142,74 € de dommages-intérêts pour préjudice moral
' 4'000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, avec remise des documents sociaux conformes';
.subsidiairement, de':
- requalifier la relation contractuelle de travail en un temps plein à compter du 1er juillet 2004, lui reconnaître la catégorie de cadre avec un salaire de 5'571,37 € bruts mensuels, dire que les 216'000 € perçus sur la période du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2011 ont la nature juridique d'avances sur les salaires nets sollicités à titre de rappel, et «requalifier» sa prise d'acte de rupture du contrat de travail en un licenciement sans cause réelle et sérieuse
- condamner en conséquence la SAS BENETTON FRANCE COMMERCIAL à lui régler les sommes de':
' 16'714,11 € d'indemnité compensatrice légale de préavis et 1'671,41 € de congés payés afférents
' 8'579,91 € d'indemnité conventionnelle de licenciement
' 284'529 € de rappel de salaires et 28'452,90 € d'incidence congés payés
' 100'284,66 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
' 11'142,74 € de dommages-intérêts pour préjudice moral
' 4'000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, avec remise des documents sociaux conformes';
Vu les écritures régulièrement communiquées et oralement soutenues à l'audience du 24 février 2016 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens de la SAS BENETTON FRANCE COMMERCIAL qui demande à la cour de confirmer la décision déférée sauf en ce qu'elle l'a déboutée de ses demandes reconventionnelles en paiement des sommes de 1'658,44 € au titre du préavis de deux mois non effectué et 1'500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, sommes auxquelles Mme [E] [P] devra être condamnée.
MOTIFS
La SAS BENETTON FRANCE COMMERCIAL a engagé l'appelante dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel (20 heures hebdomadaires) à compter du 1er juillet 2004 en tant que chargée de communication, catégorie employé-groupe H, moyennant un salaire de 784,87 € bruts mensuels, avec un lieu de travail situé au siège de l'entreprise situé à Paris.
De manière concomitante, il a été conclu le 26 juillet 2004 entre BENETTON GROUP SpA, société de droit italien enregistrée à Trévise, et PRODUCTIONS LLC FAITHPEN, société de droit nord américain située à New York, qui a comme gérante Mme [E] [P], contrat renouvelé jusqu'en 2009, et ux termes duquel la deuxième s'engage vis-à-vis de la première à lui fournir des services dans le domaine des relations publiques au profit de BENCOM Srl, une société du groupe BENETTON, qui a pour activité la vente en France de vêtements et d'accessoires de la marque «United Colors of Benetton»et «Sisley».
Par un courrier du 19 décembre 2011 adressé à la SAS BENETTON FRANCE COMMERCIAL, l'appelante a pris acte de la rupture de son contrat de travail en invoquant les griefs suivants':
- dégradation de ses conditions de travail et suppression des moyens lui permettant d'exercer ses fonctions ;
- harcèlement moral';
- non respect de l'obligation de sécurité en la faisant travailler dans un environnement sans respect des conditions d'hygiène et de sécurité.
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Seront successivement abordés les moyens de Mme [E] [P] sur la requalification en un contrat à temps plein de son contrat de travail à temps partiel conclu avec la SAS BENETTON RETAIL FRANCE (§ II.1.2.1, page 21 et suivantes), la requalification en un contrat de travail du contrat de prestation de service conclu entre BENETTON GROUP SpA et PRODUCTIONS LLC FAITHPEN (§ II.1.2.2, page 26 et suivantes), la reconnaissance de ce que les deux contrats précités ne forment en réalité qu'«un unique contrat de travail » soumis à la loi française et de la compétence du juge français (§ II.1.2.3 et § II.1.2.4, page 34 et suivantes), les conséquences de cette reconnaissance d'un «contrat unique de travail» avec l'octroi de la catégorie de cadre-classification D-position 1 (§ II.1.2.5, page 41 et suivantes), sa prise d'acte de rupture (page 44 et suivantes)'; moyens au soutien desquels elle présente ensuite des demandes de rappel de salaires (page 54 et suivantes) et de nature indemnitaire (page56 et suivantes).
*
Sur la requalification du contrat de travail à temps partiel conclu avec la Sas BENETTON FRANCE COMMERCIAL en un contrat à temps plein
Au soutien de cette demande, Mme [E] [P] considère que ses responsabilités étaient «incompatibles» avec un emploi de catégorie employé à temps partiel puisqu'elle était responsable du bureau de presse et gérait en permanence une équipe de deux ou trois collaborateurs, ce à quoi l'intimée répond que la salariée ne démontre pas avoir été mise à sa disposition permanente.
Un contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel a été librement conclu par les parties, l'écrit ou instrumentum produit aux débats répondant aux conditions de l'article L.3123-14 du code du travail, ce qui n'est pas contesté.
Dès lors que l'appelante, contrairement à ce qu'elle prétend, ne démontre pas que ses fonctions de chargée de communication, dans toute leur étendue et diversité, étaient «incompatibles» avec un recrutement à temps partiel, le jugement ne pourra qu'être confirmé en ce qu'il a écarté toute requalification en un temps plein.
Sur la requalification en un «contrat de travail» du contrat commercial conclu entre BENETTON GROUP SpA et la société PRODUCTIONS LLC FAITHPEN'
Mme [E] [P] sollicite très précisément la requalification à son profit en un «contrat de travail» du contrat commercial précité qui a été conclu entre BENETTON GROUP SpA et la société PRODUCTIONS LLC FAITHPEN dont elle est la gérante, entreprises qu'elle n'a pas appelées à la cause.
*
L'appelante rappelle à cette fin qu'elle est la gérante de la société américaine PRODUCTIONS LLC FAITHPEN qui intervient sur le site de la SAS BENETTON FRANCE COMMERCIAL, entreprise cliente, que M. [J], son «responsable fonctionnel» dans le cadre de son contrat de travail à temps partiel n'a jamais fait la moindre différence selon qu'il s'adressait à elle comme salariée de la société BENETTON FRANCE RETAIL ou gérante de la société PRODUCTIONS LLC FAITHPEN, qu'il en est résulté une situation de prêt de main d''uvre illicite, et qu'elle a exercé son activité de prestataire comme celle de salariée au sein de la SAS BENETTON FRANCE COMMERCIAL qui lui a fourni seule les moyens matériels nécessaires.
En réponse, l'intimée constate qu'il existe des liens étroits entretenus exclusivement par Mme [E] [P] avec les entités italiennes du groupe BENETTON, qu'au-delà du contrat de travail qu'elle a conclu avec l'appelante pour l'exécution d'une prestation bien déterminée, il ressort que cette dernière s'est toujours considérée comme la partenaire commerciale des sociétés BENETTON GROUP et BENCOM, de sorte qu'il y a en l'espèce une réelle «indépendance» entre le contrat commercial et le contrat de travail.
*
Contrairement à ce que soutient Mme [E] [P], la SAS BENETTON FRANCE COMMERCIA ne peut se voir reprocher aucune situation de prêt illicite de main d''uvre e au sens de l'article L.8241-1 du code du travail, cela pour avoir permis qu'intervienne sur son site la société PRODUCTIONS LLC FAITHPEN qui est elle-même en relation d'affaires avec BENETTON GROUP Spa, relation d'affaires procédant d'un contrat commercial dont l'objet, comme précédemment exposé, est le développement des ventes en France de vêtements et d'accessoires de la marque «United Colors of Benetton» et «Sisley», contrat commercial relevant de la qualification juridique de contrat d'entreprise pour lequel l'appelante a exercé des fonctions particulières totalement indépendantes en sa qualité de gérante de la société PRODUCTIONS LLC FAITHPEN, contrat d'entreprise distinct dans sa phase d'exécution du contrat de travail qu'elle a conclu par ailleurs avec l'intimée.
Comme l'a retenu à bon droit le premier juge, il ne peut ainsi y avoir lieu à requalification en un contrat de travail du contrat d'entreprise ayant lié la société PRODUCTIONS LLC FAITHPEN à la SAS BENETTON GROUP SpA.
Sur «l'existence d'un seul et même contrat de travail» et les demandes afférentes'
Dans la mesure où ces deux mêmes contrats sont distincts au plan juridique pour les raisons venant d'être rappelées, c'est vainement que l'appelante demande à la cour de juger qu'ils ne forment qu'un «unique contrat de travail».
C'est tout aussi témérairement, en conséquence de cette absence de reconnaissance d'un unique contrat de travail, que Mme [E] [P] revendique la classification supérieure de niveau cadre-catégorie D-position I, à temps plein, avec un salaire de 5'571,37 € bruts mensuels, et persiste à solliciter un rappel à ce titre de 284'529 € (+ 28'452,90 €) correspondant, selon elle, à la différence mensuelle sur cinq ans entre ce qu'elle aurait dû percevoir (5'571,37 €) et ce qu'il lui a été versé (829,22 €), avec cette indication que n'ayant pas à être rémunérée deux fois, elle demande à la cour de dire que les 216'000 € (3'600 € x 60 mois) qu'elle a déjà encaissés «au titre du contrat Faithpen ont la nature juridique d'avance sur salaire net».
La décision querellée sera tout autant confirmée sur ce point.
Sur la prise d'acte et les demandes indemnitaires y étant liées'
S'agissant du grief de harcèlement moral reposant, selon Mme [E] [P] a sur des conditions de travail dégradées - licenciement verbal, accusation de détournement de matériel informatique, reproches larvés, perte de de tout moyen de travail décent -, force est de relever qu'elle n'établit aucun fait qui permettrait d'en présumer l'existence au sens de l'article L.1154-1 du code du travail, celle-ci, en effet, nonobstant les quelques courriels qu'elle a envoyés à la SAS BENETTON FRANCE COMMERCIAL sur l'organisation de son activité, se contentant de prétendre dans ses écritures qu'elle «apporte la preuve de chacune de ses affirmations» sans être «jamais démentie par son employeur».
Au-delà même desdits courriels dont elle se prévaut tout autant, il ne pourra qu'être constaté que l'appelante allègue sans le début d'une quelconque démonstration avoir travaillé «dans des conditions déplorables et dangereuses» en violation des règles d'hygiène et de sécurité, ce que l'intimée a toujours contesté, cela en fournissant aux débats des éléments objectifs et matériellement vérifiables.
La prise d'acte injustifiée le 19 décembre 2011 par la salariée de la rupture de son contrat de travail ne peut donc que produire les conséquences d'une démission.
Le jugement déféré sera ainsi confirmé en ce qu'il a rejeté l'ensemble des prétentions indemnitaires de Mme [E] [P] à ce titre (indemnités de rupture, dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, dommages-intérêts pour préjudice moral), de même que concernant sa réclamation pour travail dissimulé au visa des articles L.8221-5 et L.8223-1 du code du travail.
Sur la demande reconventionnelle de la SAS BENETTON FRANCE COMMERCIAL au titre du préavis
Dès lors que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail non justifiée produit les effets d'une démission, la salariée doit à l'employeur le montant de l'indemnité compensatrice de prévis résultant de l'application de l'article L.1237-1 du code du travail.
La décision critiquée sera ainsi infirmée, et l'appelante condamnée reconventionnellement à payer à la SAS BENETTON FRANCE COMMERCIAL la somme de 1'658,44 € à titre d'indemnité compensatrice légale de préavis représentant l'équivalent de deux mois de salaires.
Sur la remise des documents sociaux de fin de contrat de travail
Il y aura lieu seulement à la délivrance d'une attestation Pôle Emploi mentionnant comme mode de rupture du contrat de travail la prise d'acte de l'appelante produisant les conséquences d'une démission.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens'
Mme [E] [P] sera condamnée en équité à payer à l'intimée la somme de 1'500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS'
LA COUR,
CONFIRME le jugement entrepris sauf en ses dispositions sur le préavis';
Statuant à nouveau de ce chef,
CONDAMNE reconventionnellement Mme [E] [P] à payer à la SAS BENETTON FRANCE COMMERCIAL la somme de 1'658,44 € à titre d'indemnité compensatrice légale de préavis';
Y ajoutant,
ORDONNE la remise par la SAS BENETTON FRANCE COMMERCIAL à Mme [E] [P] d'une attestation Pôle Emploi mentionnant comme mode de rupture de son contrat de travail une prise d'acte produisant les conséquences d'une démission ;
CONDAMNE la SAS BENETTON FRANCE COMMERCIAL à payer à Mme [E] [P] la somme de 1'500 € an application de l'article 700 du code de procédure civile';
CONDAMNE Mme [E] [P] aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT