Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 3
ARRET DU 20 SEPTEMBRE 2016
(n° 475 , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 14/16801
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 07 Juillet 2014 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 14/52429
APPELANTE
Société AVIANCA Société de droit étranger prise en la personne de ses représentants légaux et dont le siège social est sis
[Adresse 1]
[Adresse 2]
ayant son établissement en France
[Adresse 3]
[Adresse 4]
Représentée par Me Jacques BELLICHACH, avocat au barreau de PARIS, toque : G0334
assistée de Me Benjamin POTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : P0429
INTIMES
Monsieur [M] [S] Majeur sous curatelle assisté de sa curatrice Madame [I] [J], née le [Date naissance 1] 1956 à [Localité 1] (COLOMBIE), de nationalité française, demeurant [Adresse 5], Consultante
[Adresse 6]
[Adresse 5]
né le [Date naissance 2] 1981 à [Localité 2]
Représenté par Me Virginie LAPP, avocat au barreau de PARIS, toque : D1974
assisté de Me Claude LIENHARD de la SCP LIENHARD-PETITOT, avocat au barreau de STRASBOURG
CPAM DE NANTERRE
[Adresse 7]
[Adresse 8]
assignée à personne morale habilitée le 5 novembre 2014
INTERVENANT VOLONTAIRE
Madame [I] [J], née le [Date naissance 1] 1956 à [Localité 1] (COLOMBIE), de nationalité française,
[Adresse 9],
[Adresse 5]
Représentsé par Me Virginie LAPP, avocat au barreau de PARIS, toque : D1974
assistés de Me Claude LIENHARD de la SCP LIENHARD-PETITOT, avocat au barreau de STRASBOURG
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Juin 2016, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Martine ROY-ZENATI, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Martine ROY-ZENATI, Présidente de chambre
Madame Agnès BODARD-HERMANT, Conseillère
Mme Mireille QUENTIN DE GROMARD, Conseillère
Greffier, lors des débats : Mlle Véronique COUVET
ARRÊT :
- REPUTE CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Martine ROY-ZENATI, président et par Mlle Véronique COUVET, greffier.
Les 22 novembre et 27 décembre 2013, M. [M] [S], assisté par Mme [A] [S] en sa qualité de curatrice, blessé au cours d'un accident d'avion survenu à Madrid le 27 novembre 1983 alors qu'il était âgé de moins de deux ans, a fait assigner en référé la compagnie Aerovias Nacionales de Colombia SA Avianca (Avianca) et la CPAM de Nanterre pour obtenir une expertise médicale afin d'évaluer l'aggravation de son préjudice corporel, le versement d'une provision de 50.000 euros à valoir sur l'indemnisation de son préjudice et la somme de 15.000 euros à titre de provision ad litem.
Par ordonnance réputée contradictoire du 7 juillet 2014, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a :
- ordonné une mesure d'expertise et a désigné en cette qualité M. [C] [H] avec mission de :
1 - convoquer les parties ou leur conseil en les informant de la faculté de se faire assister par le médecin-conseil de leur choix ;
2 - déterminer l'état de la victime avant l'accident (anomalies, maladies, séquelles d'accidents antérieurs) ;
3 - relater les constatations médicales faites après l'accident ainsi que l'ensemble des interventions et soins, y compris la rééducation, les constatations médicales au vu desquelles est intervenue la décision judiciaire ou la transaction et les constatations et soins médicaux postérieurs à l'indemnisation ;
4 - examiner la victime, enregistrer ses doléances et décrire les constatations faites : taille et poids, séquelles apparentes (amputations, déformations, cicatrices...), et dire s'il est apparu postérieurement à l'indemnisation une lésion nouvelle et non décelée jusqu'alors, normalement imprévisible lors de 1'évaluation du dommage ;
5 - dire si, après l'indemnisation, est apparue une lésion nouvelle ou non décelée auparavant, et normalement imprévisible au moment où le dommage avait été évalué ;
6 -dans l'affirmative, déterminer la durée de l'incapacité temporaire en indiquant si elle a été totale ou partielle, en ce cas en préciser le taux, et proposer la date de consolidation de cette lésion ;
7 - dans l'affirmative, dire si cette lésion est la conséquence de l'accident et / ou d'un état ou accident antérieur ;
8 - décrire les actes, gestes et mouvements rendus difficiles, partiellement ou entièrement impossibles en raison de cette lésion ;
Donner un avis sur le taux de l'incapacité fonctionnelle qui résulte de ces difficultés ou impossibilités,
Si un barème a été utilisé préciser lequel, ainsi que les raisons de son choix ;
Préciser quel aurait été le taux d'incapacité fonctionnelle lors de l'indemnisation initiale en application du barème et des paramètres médicaux actuellement utilisés ;
Préciser la nature et le coût des soins en moyenne annuelle susceptibles de rester à la charge de la victime,
9 - dire si le blessé a perdu son autonomie personnelle. Dans l'affirmative, dire pour quels actes de la vie quotidienne, et pendant quelle durée, l'aide d'une tierce personne à domicile a été ou est indispensable, ou si son état nécessite le placement dans une structure spécialisée en précisant les conditions d'intervention de son personnel ( médecins, infirmiers, kinésithérapeutes...) ;
10 - donner un avis détaillé sur la difficulté ou l'impossibilité pour le blessé de poursuivre l'exercice de sa scolarité ou de sa profession ou d'opérer une reconversion ;
Préciser la nature et le coût des travaux d'aménagement nécessaires à l'adaptation des lieux de vie de la victime à son nouvel état, et du matériel approprié à son nouveau mode de vie et à son amélioration ;
11 - donner un avis sur l'importance des souffrances physiques et des atteintes esthétiques, entraînées par la lésion susvisée, et sur l'existence d'un préjudice sexuel ;
12 - dire s'il existe un préjudice d'agrément, et notamment une atteinte aux conditions d'existence dans la vie quotidienne, en précisant la difficulté ou l'impossibilité du blessé de continuer à s'adonner aux sports et activités de loisirs ;
- condamné la société Avianca à verser à M. [M] [S], assisté par Mme [A] [S], en sa qualité de curatrice, une provision de 10.000 euros à valoir sur l'indemnisation du préjudice global et la somme de 2.000 euros à titre de provision ad litem ;
- rejeté le surplus des demandes ;
- déclaré l'ordonnance opposable à la CPAM de Nanterre ;
- condamné la société Avianca aux dépens.
La société Avianca a interjeté appel de cette décision le 1er août 2014.
Par ses conclusions transmises le 27 octobre 2014, l'appelante demande à la cour d'infirmer l'ordonnance entreprise et statuant à nouveau de :
- dire et juger que la prescription de l'action de M. [M] [S] constitue une contestation sérieuse de son droit à indemnisation ne pouvant être tranchée en référé ;
- dire et juger que l'existence et l'ampleur des nouveaux préjudices ou aggravations allégués ne sont pas à ce jour déterminés ni déterminables ;
- en conséquence, rejeter la demande de provision ;
- dire et juger que l'action de M. [S] est vouée à l'échec car prescrite ;
- dire et juger qu'il n'existe aucun motif légitime à ordonner une mesure d'expertise in futurum portant uniquement sur le quantum, avant que la question de la recevabilité de l'action de M. [M] [S] ne soit tranchée par le juge du fond ;
- en conséquence, rejeter la demande d'expertise ;
- condamner M. [M] [S] aux entiers dépens.
Elle fait valoir que l'article 29 de la convention de Varsovie dispose que l'action en responsabilité doit être intentée, sous peine de déchéance, dans un délai de 2 ans à compter de l'arrivée à destination ou du jour où l'aéronef aurait dû arriver ou de l'arrêt du transport ; qu'il résulte de ce texte que le délai de prescription est de 2 ans et que le délai commence à courir à compter de l'arrivée de l'avion ; que le présent litige entre dans le champ d'application de la convention de Varsovie qui régit les actions en responsabilité du transporteur aérien ; que le fait qu'il s'agisse d'une action en aggravation et non d'une action initiale est donc indifférent, l'article 24 de ladite convention disposant expressément que 'toutes les actions en responsabilité, à quelque titre que ce soit, ne peut être exercée que dans les conditions et limites prévues par la convention'; que l'aggravation du dommage ne fait pas courir un nouveau délai de prescription d'une action régie par la convention de Varsovie ; qu'en l'espèce, la prescription de l'action a commencé à courir à compter de la majorité du demandeur et qu'elle a été interrompue par l'assignation en référé délivrée en 2000 ; que la provision n'ayant jamais été réglée, l'ordonnance de référé du 28 avril 2000 est devenue caduque et son effet interruptif a disparu ; qu' à supposer que l'effet interruptif ait survécu nonobstant la caducité de la mesure d'expertise, un nouveau délai de prescription d'une durée identique de 2 ans a commencé à courir à compter de l'ordonnance du 28 avril 2000 qui a mis un terme à la procédure de référé ; qu'en tout état de cause, l'action est donc prescrite depuis le 28 avril 2002 ; que dès lors l'assignation délivrée en 2013 est tardive.
Elle soutient que l'existence et l'ampleur des nouveaux préjudices ou aggravations allégués par M. [M] [S] ne sont pas à ce jour déterminés ni déterminables, et qu'il y a lieu de rejeter ses demandes de provision.
Elle fait valoir que les conditions de l'expertise in futurum ne sont pas réunies en l'espèce :
- il n'y a aucune urgence à procéder à l'expertise au vu du délai écoulé depuis la dernière assignation de 2000 ;
- il n'y a pas plus de risque de dépérissement de preuve, puisque l'expertise médicale suppose que la victime soit consolidée ;
- l'expertise demandée ne sert pas à établir sa responsabilité qui n'est pas contestée.
Par ses dernières conclusions transmises le 7 septembre 2015, M. [M] [S] assisté de sa curatrice Mme [I] [J], intervenante volontaire, demande à la cour de :
- confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a ordonné une mesure d'expertise confiée au Dr [C] [H] ;
- confirmer l'intégralité des dispositions de la mission d'expertise ;
- dire et juger que l'action en aggravation n'est pas une action en responsabilité, la responsabilité étant acquise ayant d'ores et déjà été établie dans le délai initial de l'article 29 de la convention de Varsovie ;
- dire et juger que toute autre interprétation constituerait un déni de justice et serait contraire au principe autonome de la réparation intégrale ;
- dire et juger que les dispositions de l'article 29 de la Convention de Varsovie ne concernent que l'action initiale ;
- constater qu'il n'existe aucune contestation sérieuse ;
- confirmer la condamnation intervenue au titre de la provision sur le dommage corporel à hauteur de 10.000 euros ;
- confirmer la condamnation intervenue au titre de la provision ad litem en son principe ;
- infirmer la décision intervenue et porter la provision ad litem à 10.000 euros ;
- condamner la compagnie Avianca aux dépens.
Il fait valoir qu'en raison de son état de santé physique et psychique, il bénéficie d'une mesure de protection sous la forme d'une curatelle simple ordonnée par jugement du 29 mars 2002, renouvelée par jugement du 4 décembre 2012, désignant sa soeur [A] en qualité de curatrice remplacée par Mme [I] [J] par ordonnance du juge des tutelles du 29 janvier 2015 ; qu'il s'est vu reconnaître par la CDAPH, un taux d'incapacité égal ou supérieur à 80% et l'attribution de l'allocation adulte handicapé.
Il soutient que sa situation médicale n'a jamais fait l'objet d'une approche complète, ses atteintes cérébrales n'ayant jamais été évaluées ; que son état s'est dégradé depuis la dernière expertise qui avait été confiée à un médecin orthopédiste quand il avait 3 et 4 ans et qui n'a pas évalué les troubles neuropsychiques et neurocognitifs; que le jugement du 24 octobre 1990 qui entérine les conclusions expertales concernées est laconique et succinct ; que les investigations complémentaires médico légales diligentées en 2012 par les docteurs [E], [Q] et [C] établissent l'aggravation de son état de santé.
Il soutient que ses demandes ne se heurtent à aucune prescription ; que la demande expertale fondée sur les dispositions de l'article 145 du code de procédure civile vise d'une part une aggravation de son état et d'autre part les atteintes aux fonctions cérébrales qui n'ont jamais été évaluées ; que les dispositions de l'article 29 de la convention de Varsovie ne visent que l'action initiale qui en l'espèce, a bien été introduite dans les 2 ans du dommage et a donné lieu à une décision initiale ; que l'action en aggravation de son état de santé et en constatation de séquelles non encore évaluées ne peut pas être, par définition, enfermée dans le délai visé par l'article 29 de la convention de Varsovie, sauf à nier le principe de réparation intégrale reconnue en droit interne, l'aggravation pouvant survenir bien au delà de ce délai de 2 ans ; que l'action en aggravation est donc soumise aux dispositions de l'article 2226 du code civil ; que la date de consolidation du dommage psychique qui n'a jamais été évalué n'étant pas connue, cela implique nécessairement le recours à une mesure expertale in futurum.
SUR CE, LA COUR
Considérant qu'aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé ;
Considérant que, lorsqu'il statue en référé sur le fondement de ce texte, le juge n'est pas soumis aux conditions imposées par l'article 808 du code de procédure civile, qu'il n'a notamment pas à rechercher s'il y a urgence, que l'existence de contestations sérieuses ne constitue pas un obstacle à la mise en oeuvre de la mesure sollicitée, l'application de cet article n'impliquant aucun préjugé sur la responsabilité des parties appelées à la procédure, ni sur les chances de succès du procès susceptible d'être ultérieurement engagé ;
Que l'application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile suppose que soit constaté qu'il existe un procès « en germe » possible, sur la base d'un fondement juridique suffisamment déterminé et dont la solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée à condition que cette mesure ne porte pas une atteinte illégitime aux droits d'autrui ;
Considérant que l'article 29 de la Convention de Varsovie dispose que 'l'action en responsabilité doit être intentée, sous peine de déchéance, dans un délai de 2 ans à compter de l'arrivée à destination ou du jour où l'aéronef aurait dû arriver ou de l'arrêt du transport' ; qu'en l'espèce, ainsi que le reconnaît la société AVIANCA, sa responsabilité n'est pas en litige ; que la demande expertale formée par M. [S] ne vise donc qu'à administrer la preuve d'une aggravation de son état de santé et de l'existence de séquelles non encore évaluées, qui ne peut dès lors être concernée par le délai susvisé ;
Considérant que les pièces médicales versées aux débats permettent de retenir qu'en 2012, M. [S] souffrait de séquelles du traumatisme crânien initial d'ordre neurologique et psychiatrique ; que ces avis médicaux suffisent pour caractériser le motif légitime de M. [S] de faire constater avant toute éventuelle action réparatoire l'existence d'une aggravation de son état de santé ou de séquelles de l'accident qu'il a subi non encore décelées au cours des examens antérieurs, étant rappelé que la condition de l'urgence n'est pas requise pour l'application de l'article 145 précité ; que l'ordonnance sera dans ces conditions confirmée en ce qu'elle a fait droit à la désignation d'un expert avec une mission qui n'est pas critiquée par l'appelante ;
Considérant qu'en application de l'article 809 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire ;
Considérant que c'est par des motifs pertinents en fait et en droit que la cour adopte que le juge des référés a alloué à M. [S] une provision ad litem et une provision à valoir sur la réparation de ses préjudices, dont les quantum ont été justement estimés ;
PAR CES MOTIFS
Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise ;
Condamne la SA Aerovias Nacionales de Colombia Avianca aux dépens, distraits conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT