Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 2
ARRET DU 05 OCTOBRE 2016
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 14/20073
Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Juillet 2014 -Sans objet de Tribunal d'Instance 16 - RG n° 11-13-0008
APPELANT
Syndicat des Copropriétaires de l'immeuble sis [Adresse 1], représenté par son syndic, PROGESTRA, SARL inscrite au RCS de PARIS, SIRET n° 390 046 167 00032, prise en la personne de son président domicilié en cette qualité audit siège,
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représenté par Me Eric AUDINEAU et assisté à l'audience de Me Romain HAIRON de l'AARPI AUDINEAU GUITTON, avocats au barreau de PARIS, toque : D0502
INTIMES
Monsieur [O] [I], en personne
Né le [Date naissance 1] 1944 à [Localité 2]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Madame [I] [Q] épouse [I], en personne
Née le [Date naissance 1] 1949 à [Localité 4] (PANAMA)
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentés et assistés à l'audience de Me Grégory FENECH, avocat au barreau de PARIS, toque : D0331
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 15 Juin 2016, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Dominique DOS REIS, Présidente de chambre,
Madame Claudine ROYER, Conseillère,
Madame Agnès DENJOY, Conseillère,
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Mme Stéphanie JACQUET
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Claudine ROYER, faisant fonction de président pour le président empêché en vertu de l'article R 312-3 du code de l'organisation judiciaire, et par Madame Stéphanie JACQUET, greffier présent lors du prononcé.
***
M. et Mme [I] sont propriétaires depuis 1998 d'un appartement au1er étage de l'immeuble en copropriété situé [Adresse 1]. Un conflit cristallisé sur les modalités de distribution de leur courrier les oppose depuis 2002 à la gardienne salariée, Mme [K] [J], employée dans l'immeuble depuis juillet 1995.
Suivant acte extra-judiciaire du 19 août 2013, le syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 1] a assigné M. et Mme [I] à l'effet de voir constater leurs agissements malveillants, de leur ordonner de cesser ces agissements sous astreinte de 300 € par infraction constatée, de les entendre condamner solidairement à lui payer la somme de 7.500 € de dommages-intérêts outre 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en sus des entiers dépens.
Par jugement du 30 juillet 2014, le tribunal d'instance de Paris 16ème arrondissement a :
- dit les demandes du syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 1] irrecevables,
- l'a débouté de ses demandes de condamnation sous astreinte,
- débouté M. et Mme [I] de leurs demandes,
- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné le syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 1] aux dépens.
Le syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 1] a relevé appel de ce jugement dont il poursuit l'infirmation, demandant à la Cour, par dernières conclusions signifiées le 12 décembre 2014, de':
au visa des articles 15 de la loi du 10 juillet 1965, L. 1152 du code du travail,
- constater les agissements malveillants, s'apparentant à un harcèlement moral, de M. et Mme [I] à l'égard de Mme [K] [J],
- en conséquence, condamner solidairement M. et Mme [I] au paiement d'une astreinte par infraction constatée, s'agissant':
du refus d'ouvrir leur porte alors qu'ils sont présents à leur domicile,
de leurs interventions sur les parties communes de l'immeuble, notamment, sur les portes battantes du rez-de-chaussée,
de nuisances sonores nocturnes,
d'envoi de lettres enjoignant à Mme [K] [J] de garder leurs courriers à la loge ou celui de tiers,
de dénigrements et critiques proférées oralement dans les parties communes alors que Mme [K] [J] effectue son travail,
- condamner solidairement M. et Mme [I] à lui payer une somme de 7.500 € de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral,
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. et Mme [I] de leur demande relative aux modalités de distribution de leur courrier,
- les condamner solidairement au paiement de la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en sus des entiers dépens.
M. et Mme [I] prient la Cour, par dernières conclusions signifiées le 9 février 2015, de :
au visa des articles 14 et 15 de la loi du 10 juillet 1965, 31 du code de procédure civile, L. 1152-1 du code du travail, 1384 du code civil,
- dire mal fondé l'appel du syndicat des copropriétaires,
- confirmer le jugement en ce qu'il a dit irrecevables les demandes du syndicat des copropriétaires,
- l'infirmer en ce qu'il les a déboutés de leurs demandes,
- subsidiairement, constater que le harcèlement moral n'est pas démontré,
- constater que les demandes d'astreinte et d'indemnisation du syndicat n'ont aucun fondement légal,
- condamner le syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 1] à leur payer la somme de 5.000 € de dommages-intérêts,
- condamner le syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 1] à donner instructions à Mme [K] [J] de conserver à la loge leur courrier s'ils en expriment la demande et dire qu'ils devront retirer leur courrier pendant les heures d'ouverture de la loge,
- condamner le syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 1] à leur verser la somme de 6.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en sus des entiers dépens,
- dire qu'ils seront dispensés de toute participation aux frais de procédure et condamnations à dommages-intérêts dont la charge sera répartie entre tous les autres copropriétaires.
CECI ETANT EXPOSE, LA COUR
Sur la recevabilité des demandes du syndicat des copropriétaires
Au soutien de son appel, le syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 1] fait valoir qu'en sa qualité d'employeur de Mme [K] [J], il est tenu d'une obligation de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité de celle-ci, notamment en matière de harcèlement moral ; qu'à cet égard, il doit répondre des agissements des personnes qui, de droit ou de fait, exercent une autorité sur ses salariés ; s'agissant de la recevabilité de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral, il ajoute que le conflit opposant M. et Mme [I] à Mme [K] [J] implique les copropriétaires collectivement, détériore le climat dans l'immeuble et déséquilibre la vie du syndicat ;
M. et Mme [I] répliquent que, dans le cadre des articles 14 et 15 de la loi du 10 juillet 1965, le syndicat des copropriétaires ne peut agir que pour exercer des actions relatives à la conservation et à l'administration de l'immeuble, que seule la prétendue victime du harcèlement moral serait recevable à agir, qu'ils n'ont aucune autorité de fait sur la gardienne, que, de plus, le préjudice allégué est incertain et hypothétique ;
Toutefois, le syndicat des copropriétaires, tenu d'une obligation de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité de ses employés, se doit de leur garantir des conditions de travail normales et décentes, de les préserver de toute atteinte à leur intégrité physique et mentale qui pourrait émaner de personnes ayant autorité sur eux : tel est le cas de M. et Mme [I] qui, en leur qualité de copropriétaires membres du syndicat employeur, exercent bien une autorité de fait sur Mme [K] [J] comme le démontrent les nombreuses directives écrites et orales qu'ils lui adressent relativement aux modalités de distribution du courrier';
Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a dit l'action du syndicat des copropriétaires irrecevable ;
Sur le fond
Selon l'article L. 1152-1 du code du travail, le harcèlement moral est constitué indépendamment de l'intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel';
Il appert des très nombreuses attestations, pétitions, main-courante, dépôts de plaintes, lettres du président du conseil syndical et du syndic, missives adressées par les époux [I] à la gardienne, Mme [J], que M. et Mme [I], mécontents du service de celle-ci à laquelle ils reprochent essentiellement de s'absenter pendant ses heures de permanence à la loge, lui ont demandé de garder leur courrier au lieu de le distribuer et lui ont fait interdiction de le placer sur ou sous le paillasson ou encore de le glisser sous leur porte comme pour les autres copropriétaires, et ce afin, de contrôler sa présence dans la loge aux heures de permanence à l'occasion du retrait de leur courrier'; que les rapports entre Mme [I] [I] et Mme [K] [J] ont dégénéré à tel point qu'un conflit s'est enkysté autour de cette distribution de courrier, toutes tentatives d'apaisement à l'initiative du président du conseil syndical ou du syndic s'étant soldées par des échecs, notamment en ce qui concerne la pose d'une boite à lettres personnelle pour les époux [I], laquelle a été rapidement dégradée dans des conditions obscures ; M. et Mme [I] ont fait poser une barre de seuil sous leur porte pour empêcher la gardienne de glisser les lettres sous celle-ci et refusent d'ouvrir quant elle sonne chez eux pour leur remettre leur courrier en mains propres';
Ce conflit s'est ensuite déplacé sur les parties communes, Mme [I] [I], qui estimait que les portes d'accès aux chambres de service du rez-de-chaussée à côté de la loge devaient rester fermées en permanence, ayant fait retirer par un serrurier les bloques-portes en place, ce qui a provoqué des nuisances nocturnes pour la gardienne en raison des bruits d'ouverture et de fermeture de ces portes par les locataires de ces chambres, nuisances et troubles préjudiciables au repos de la gardienne ;
Si nombre de griefs restent non démontrés ou non imputables avec certitude à Mme [I] (dégradations dans l'immeuble, vol de décorations du sapin de Noël placé dans le hall d'entrée, disparition d'un vélo d'enfant, jets de bouteilles dans les poubelles la nuit pour réveiller Mme [K] [J], claquements inopinés de portes), il apparaît, en dépit de leurs dénégations contredites par des témoignages oculaires de copropriétaires (MM. [F] et [P]), que M. et Mme [I] se sont arrogé le droit de modifier les serrures de certaines portes, toujours dans l'intention de nuire à Mme [K] [J] et qu'ils abusent de leur qualité de copropriétaires pour adresser d'incessantes directives à la gardienne de l'immeuble alors que celle-ci est sous la direction du syndic qui est seul habilité à contrôler et à critiquer son service, toutes réclamations ou revendications émanant de copropriétaires devant passer par son intermédiaire';
Les reproches articulés par M. et Mme [I] quant à l'attitude hostile de Mme [K] [J] envers leurs relations, invités et visiteurs, incidents relatés aux attestations délivrées par ces derniers, sont regrettables mais s'inscrivent dans le climat conflictuel émaillé de mesures de rétorsion ou représailles qui s'est instauré entre Mme [I] et Mme [K] [J], dès lors que l'ensemble des copropriétaires, à l'exclusion des seuls époux [I], se félicite du service de Mme [K] [J], en fonctions dans l'immeuble depuis de très nombreuses années à la satisfaction de tous, ainsi qu'en atteste la lettre adressée par le conseil syndical à M. et Mme [I] le 17 février 2004':
« Nous constatons une fois de plus que vous vous plaignez de la distribution du courrier par la gardienne, Mme [K] [J], alors que le syndic et tous les copropriétaires se félicitent de ses services et de la bonne volonté qu'elle manifeste à tous égards.
Les reproches non justifiés que vous lui faites fréquemment ont un effet détestable sur son équilibre et sur ses conditions de travail et s'apparentent à du harcèlement moral.
Nous vous demandons en conséquence de mettre un terme à ce comportement conflictuel et d'entretenir des relations normales avec elle comme le font les autres copropriétaires de l'immeuble » ;
Le harcèlement dénoncé par le syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 1] est donc démontré et justifie, en réparation du trouble collectif subi par la copropriété du fait des agissements des époux [I] qui détériorent le climat de l'immeuble et les relations entre copropriétaires par le fait de la zizanie instaurée depuis plusieurs d'années autour de griefs dérisoires et malvenus, de condamner in solidum de ces derniers à payer au syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 1] la somme de 7.000 € de dommages-intérêts';
Il sera fait défense à M. et Mme [I] de poursuivre leurs agissements malicieux ou malveillants envers Mme [K] [J] à l'avenir, notamment de troubler son repos nocturne, de la dénigrer ou de critiquer son service, de lui donner des instructions orales ou écrites relativement aux modalités de distribution de leur courrier, lequel sera distribué, comme ceux de tous les autres copropriétaires, sur leur paillasson, sauf instructions contraires du syndic';
En ce qui concerne la demande d'astreinte, la Cour constate'qu'il est sans intérêt ou impossible concrètement d'assortir les agissement suivants d'une astreinte':
refus de M. et Mme [I] d'ouvrir leur porte : cette prétention du syndicat est sans objet, le courrier de M. et Mme [I] devant être, selon les instructions du syndic, déposé sur le paillasson des intéressés ou retiré à la loge uniquement pendant les heures de permanence contractuelles de la gardienne,
interventions sur les parties communes : ces interventions illicites, à les supposer avérées devront faire l'objet de résolutions prises en assemblée générale mandatant le syndic pour poursuivre la remise en état des parties communes et en obtenir le remboursement des responsables identifiés, le cas échéant ; en ce qui concerne les portes battantes du rez-de-chaussée, leur ouverture, fermeture ou freinage par un dispositif approprié doit être décidée de même en assemblée générale,
nuisances sonores nocturnes : ces nuisances doivent faire l'objet de plainte aux services de police après identification des responsables,
envoi de lettres à Mme [K] [J] lui enjoignant de garder leurs courriers ou celui de tiers : Mme [K] [J] peut, au choix, faire suivre ces courriers au syndic ou en faire le cas qu'elle estime approprié, n'étant pas la préposée des époux [I] et n'ayant pas à obéir à leurs injonctions,
dénigrements, critiques orales proférées dans les parties communes de l'immeuble alors que Mme [K] [J] effectue son travail : ces agissements pour regrettables qu'ils soient, ne peuvent faire l'objet de constats par huissier du fait de leur caractère ponctuel : il appartient à Mme [K] [J] de faire relater d'éventuelles injures par des attestations de témoins et d'assigner directement M. et Mme [I] devant le tribunal d'instance pour en obtenir réparation ;
Sur l'appel incident de M. et Mme [I]
Comme il a été dit, M. et Mme [I], qui ne sont pas les employeurs de Mme [K] [J], ne sont pas habilités à lui donner quelque directive que ce soit ; de ce fait, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a dit irrecevable leur demande tendant à voir condamner le syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 1] à donner instructions à Mme [K] [J] de conserver à la loge leur courrier s'ils en expriment la demande et dire qu'ils devront retirer leur courrier pendant les heures d'ouverture de la loge, prétention qui ne repose sur aucun fondement légal ou contractuel ;
En équité, M. et Mme [I] seront condamnés in solidum à payer au syndicat des copropriétaires du [Adresse 1] une somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile';
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme le jugement en ce qu'il a dit irrecevable les demandes du syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 1], et condamné le syndicat des copropriétaires aux dépens,
Statuant à nouveau,
Dit recevables les demandes du syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 1] tendant à voir condamner M. et Mme [I] pour harcèlement moral sur la gardienne de l'immeuble, Mme [K] [J],
Fait défense à M. et Mme [I] de poursuivre leurs agissements malicieux ou malveillants envers Mme [K] [J] à l'avenir, notamment de troubler son repos nocturne, de la dénigrer ou de critiquer son service, de lui donner des instructions orales ou écrites relativement aux modalités de distribution de leur courrier, qui sera placé, comme ceux de tous les autres copropriétaires sur leur paillasson, sauf instructions contraires du syndic,
Les condamne à payer au syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 1] la somme de 7.000 € de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral
Confirme le jugement pour le surplus,
Rejette toute autre demande,
Condamne M. et Mme [I] in solidum à payer au syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 1] la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. et Mme [I] in solidum aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le Greffier, Pour le Président empêché,