Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 3
ARRÊT DU 07 OCTOBRE 2016
(n° 287, 9 pages)
SUR RENVOI APRÈS CASSATION
Numéro d'inscription au répertoire général : 14/23965
Sur renvoi après un arrêt de la Cour de la cassation prononcé le 04 Novembre 2014 (Pourvoi n°12-25.419) emportant cassation partielle d'un arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris (Pôle 5 Chambre 3) le 13 juin 2012, sur un appel d'un jugement rendu le 26 Octobre 2010 par le Tribunal de commerce de Paris, sous le n° RG 2010056397
DEMANDRESSE A LA SAISINE
S.A.S. CARREFOUR PROXIMITÉ FRANCE
RCS CAEN n° 345 130 488
[Adresse 1]
[Adresse 1]
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
Représentée par Me Florence GUERRE de la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018
Ayant pour avocat plaidant Me Jacques LEBLOND de la SCP LCB, avocat au barreau de PARIS, toque : P88
DÉFENDERESSE A LA SAISINE
S.A.R.L. [K] [R]
RCS PONTOISE n° [K]
ayant son siège social [Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Patricia HARDOUIN de la SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056
Ayant pour avocat plaidant Me Carlos DE CAMPOS de la SELARL DE CAMPOS, avocat au barreau de REIMS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 Juin 2016, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Anne-Marie GALLEN, présidente et Madame Pascale WOIRHAYE, conseillère, chargées d'instruire l'affaire, la présidente ayant été préalablement entendue en son rapport
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anne-Marie GALLEN, présidente, rédacteur
Madame Brigitte CHOKRON, conseillère
Madame Pascale WOIRHAYE, conseillère
qui en ont délibéré,
GREFFIÈRE, lors des débats : Madame Corinne de SAINTE MARÉVILLE
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Anne-Marie GALLEN, présidente et par Madame Clémentine GLEMET, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
La société Comptoirs Modernes Union Commerciale a signé le 18 mai 1998 avec la société [K] [R] un contrat de franchise pour l'exploitation d'un magasin d'alimentation situé [Adresse 3], connu sous l'enseigne Marche Plus pour une durée de sept ans renouvelable par périodes de cinq ans.
Les mêmes parties ont signé le 25 mai 1998, un contrat de cession de ce fonds au profit de la société [K] [R].
La société Comptoirs Modernes Union Commerciale a été absorbée par la société Prodim à la suite d'une traite d'apport partiel d'actifs. L'activité franchise a été conservée par la société Prodim et l'activité approvisionnement reprise par la société CSF appartenant au même groupe que Prodim. Ultérieurement, la société Prodim a changé de dénomination sociale pour devenir Carrefour Proximité France.
La société [K] [R] a résilié ses deux contrats de franchise et d'approvisionnement par courrier du 14 novembre 2009 à effet au 18 mai 2010.
Aux termes d'un acte à [Localité 1] en date du 14 mars 2010, la société [K] [R] a cédé son fonds à la société Distribution Casino France, concurrente de la société Prodim.
Le contrat de franchise initial contenait en son article 28 un droit de première offre et un droit de préférence au profit du franchiseur.
La société Carrefour Proximité France n'a pas donné suite au droit de première offre mais, par lettre recommandée avec avis de réception du 28 juillet 2010, a notifié à la société [K] [R] et à son conseil, l'exercice de son droit de préférence avec faculté de substitution, aux conditions usuelles et moyennant le prix de 800.000 euros. L'exercice de ce droit de préférence était également notifié à la société Distribution Casino France.
En l'absence de réponse des uns et des autres, la société Carrefour Proximité France a engagé la présente instance.
Par acte du 17 avril 2010, la société Carrefour Proximité France a assigné à bref délai la société [K] [R] devant le tribunal de commerce de Paris, lui demandant notamment de faire interdiction à la société [K] [R] de régulariser la vente de son fonds de commerce à la société Distribution Casino France, d'ordonner la régularisation sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir de l'acte de cession du fonds de commerce au profit de la société Carrefour Proximité France, de juger que dans l'hypothèse où l'acte de cession serait néanmoins régularisé au profit de la société Distribution Casino France, avant la décision à intervenir, cette cession lui soit déclarée inopposable et privée de tout effet. Elle sollicitait également la substitution dans les droits du concessionnaire.
Par jugement du 26 octobre 2010, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de commerce de Paris a :
- dit recevable l'action de la société Carrefour proximité France,
- débouté la société [K] [R] de ses demandes,
- fait interdiction à la société [K] [R] de régulariser la vente de son fonds de
commerce à la société Distribution Casino France,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- condamné la société [K] [R] à payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article
700 du code de procédure civile et aux dépens.
L'acte de cession au profit de la société Distribution Casino France a été régularisé le 3 septembre 2010 et adressé, par lettre recommandée du 5 octobre 2010, au tribunal de commerce durant son délibéré.
Par déclaration du 30 décembre 2010, la société [K] [R] a fait appel du jugement.
Par un arrêt en date du 13 juin 2012, la Cour d'appel de Paris (chambre 5-3) a:
- confirmé le jugement, sauf en ce qu'il a fait interdiction à la société [K] [R] de régulariser la vente de son fonds de commerce à la société Distribution Casino France,
Statuant à nouveau sur le chef infirmé et y ajoutant :
- dit que la cession du fonds de commerce intervenue entre la société [K] [R] et la
société Distribution Casino France est inopposable à la société Carrefour proximité France,
- ordonné la substitution de la société Carrefour proximité France dans les droits de la société Distribution Casino France dans la cession du fonds de commerce et dit que le présent arrêt
vaut acte de cession au profit de la société Carrefour proximité France,
- dit que la régularisation de l'acte de cession devra intervenir dans le mois de la signification
du présent arrêt,
- débouté la société Carrefour proximité France et la société [K] [R] du surplus de
leurs demandes,
- dit n'y avoir lieu à paiement au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société [K] [R] aux dépens d'appel, avec droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La société [K] [R] a formé un pourvoi contre l'arrêt d'appel.
Par arrêt du 4 novembre 2014, la Cour de cassation (chambre commerciale) au visa des articles L.420-1 et L.420-3 du code de commerce a :
- cassé et annulé l'arrêt rendu le 13 juin 2012 par la cour d'appel de Paris, mais seulement en ce que, infirmant le jugement, il a dit que la cession du fonds de commerce intervenue entre la société [K] [R] et la société Distribution Casino France est inopposable à la société Carrefour proximité France, ordonné la substitution de la société Carrefour proximité France dans les droits de la société Distribution Casino France dans la cession du fonds de commerce et en ce qu'il a dit que l'arrêt vaut acte de cession au profit de la société Carrefour proximité France, et dit que la régularisation de l'acte de cession devra intervenir dans le mois de sa signification
- remis en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient
avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la cour d'appel de Paris autrement composée,
- condamné la société Carrefour proximité France aux dépens ainsi qu'à payer à la société [K] [R] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Carrefour Proximité France a saisi la cour d'appel de renvoi le 28 novembre 2014.
Par ses dernières conclusions signifiées le 18 mai 2016, elle demande à la cour de:
- constater que la demande visant à interdire à la société [K] [R] de céder son fonds à la société Distribution Casino France n'a plus d'objet,
- infirmer, en conséquence, le jugement déféré en ce qu'il a fait interdiction à la société [K]
[K] [R] de céder son fonds à la société distribution casino France.
En conséquence y ajoutant,
- déclarer la cession du fonds de commerce sis [Adresse 4] intervenue entre les sociétés [K] [R] et Distribution Casino France inopposable à la société Carrefour Proximité France
Subsidiairement, déclarer cette cession nulle et de nul effet.
En tout état de cause en conséquence :
- ordonner la substitution de la société Carrefour Proximité France dans les droits de la société Distribution Casino France dans la cession du fonds de commerce de la société [K] [R].
- dire que l'arrêt vaudra acte de cession au profit de la société Carrefour Proximité France
sans autre formalité, dès son prononcé.
- condamner la société [K] [R] au paiement d'une somme de 100.000 euros sur le
fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Par ses dernières conclusions signifiées le 25 mai 2016 au visa des articles 1108, 1134, 1165 et 1350 et suivants du code civil, l'article 14 du code de procédure civile et les articles L.420-1 et L.420-3 du code de commerce, la société [K] [R] demande à la cour de :
- juger que la preuve d'une collusion frauduleuse n'est ni recevable, en l'absence de la cause
de la société Distribution Cassino France, ni en tout état de cause rapportée,
- juger au surplus le droit de préférence stipulé dans le contrat de franchise consenti par la
société Carrefour de nature, au regard notamment de ses autres clauses, à restreindre
artificiellement le jeu de la concurrence sur le marché du détail de la distribution alimentaire en limitant la possibilité de rachat de magasins indépendants par des groupes de distribution concurrents,
- prononcer la nullité du droit de préférence stipulé à l'article 28 du contrat de franchisé signé entre les parties le 18 mai 1990,
- réformer le jugement en ce qu'il a cru devoir accueillir les demandes formulées par la société Carrefour France à l'encontre de la société [K] [R],
- débouter la société Carrefour France de toutes ses demandes comme irrecevables et mal fondées,
- condamner la société Carrefour France à payer une somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée,
- condamner la société Carrefour France à payer une somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner in solidum en tous les dépens d'instance et d'appel.
SUR CE,
Pour faire droit à la demande de la société Carrefour Proximité France, le tribunal de commerce de Paris a dit :
- que l'article 28 du contrat de franchise signé le 18 mai 1998 entre Carrefour, anciennement Prodim et la SARL [K] [R], prévoit un droit de préférence au profit du franchiseur en cas de cession ou transfert par le franchisé des droits de propriété ou de jouissance qu'il possède sur le local dans lequel est exploité Marché Plus ou en cas de cession ou transfert par le franchisé des droits de propriété ou de jouissance qu'il possède sur le fonds de commerce ainsi que la mise en place de la location gérance de celui-ci
-que l'acte de cession de fonds de commerce signé le 30 mars 2010 entre la SARL [K] [R] et la société Casino prévoit non pas dans son objet mais dans ses conditions suspensives que la société Casino consente à la SARL [K] [R] un contrat de gérance mandataire dans la région Ile de France sauf zone délimitée par la clause de non rétablissement
-que cette condition d'attribution d'un contrat de gérance mandataire ne participe pas à une cession telle que prévue dans l'article 28 du contrat de franchise
-que dès lors cette condition suspensive d'octroi à M. [K] d'une gérance mandataire échappe au champ d'application de l'exercice du droit de préférence
-que la société Prodim ( Carrefour France )a exercé valablement son droit de préférence par sa lettre du 28 juillet 2010
-que l'acte de cession du fonds de commerce du 14 mai 2010 de la SARL [K] [R] à la société Casino est soumis à la condition suspensive que Prodim n'exerce pas son droit de première offre ou son droit de préférence tels que prévus dans le contrat de franchise
-que dès lors le tribunal fait interdiction à la SARL [K] [R] de régulariser la vente du fonds de commerce à la société Casino ;
La cour d'appel de Paris, selon l'arrêt du 13 juin 2012, a dit :
-qu'aucune disposition législative ou réglementaire ne définit le pacte de préférence ;
-que si conformément à l'avis n° 10-A-26 du 7 décembre 2010 de l'Autorité de la concurrence, l'expression d'une préférence dans le droit des contrats commerciaux doit au moins être strictement limitée au regard des dispositions relatives à la libre concurrence et à la sanction des pratiques anti-concurrentielles, dans la mesure où seule la liberté de choisir son cocontractant est affectée par le pacte et dans la mesure où ce pacte n'oblige pas les parties à conclure le contrat pour lequel la préférence est donnée, le cédant n'étant pas obligé de céder son bien, le bénéficiaire n'étant pas obligé de l'acquérir, le pacte de préférence ne peut être considéré comme une pratique anti-concurrentielle, susceptible d'être annulé ;
Elle confirme donc le jugement du tribunal de commerce, sauf en ce qu'il a fait interdiction à la société [K] [R] de régulariser la vente de son fonds de commerce à la société Distribution Casino France,
- dit que la cession du fonds de commerce intervenue entre la société [K] [R] et la société Distribution Casino France est inopposable à la société Carrefour proximité France,
- ordonne la substitution de la société Carrefour proximité France dans les droits de la société
Distribution Casino France dans la cession du fonds de commerce et dit que le présent arrêt
vaut acte de cession au profit de la société Carrefour proximité France,
- dit que la régularisation de l'acte de cession devra intervenir dans le mois de la signification du présent arrêt ;
Pour casser l'arrêt précité, la cour de cassation a retenu, au visa des articles L.420-1 et L.420-3 du code de commerce, 'que pour rejeter la demande de la société [K] tendant à voir prononcer la nullité, en raison de son effet anticoncurrentiel, du pacte de préférence assortissant le contrat de franchise et ordonner la substitution de la société Casino dans les droits de la société Carrefour dans la cession du fonds de commerce, l'arrêt se borne à retenir que si conformément à l'avis n° 10-A-26 du 7 décembre 2010 de l'Autorité de la concurrence, l'expression d'une préférence dans le droit des contrats commerciaux doit au moins être strictement limitée au regard des dispositions relatives à la libre concurrence et à la sanction des pratiques anti-concurrentielles, dans la mesure où seule la liberté de choisir son cocontractant est affectée par le pacte et dans la mesure où ce pacte n'oblige pas les parties à conclure le contrat pour lequel la préférence est donnée, le cédant n'étant pas obligé de céder son bien, le bénéficiaire n'étant pas obligé de l'acquérir ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la stipulation,
dans les contrats de franchise consentis par la société Carrefour, d'un droit de préférence à son profit, valable pendant toute la durée du contrat et un an après son échéance, n'avait pas pour effet, en limitant la possibilité de rachat de magasins indépendants par des groupes de distribution concurrents, de restreindre artificiellement le jeu de la concurrence sur le marché du détail de la distribution à dominante alimentaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale' ;
La cour de cassation a donc cassé l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 13 juin 2012 mais seulement en ce que infirmant le jugement, il a dit que la cession du fonds de commerce intervenue entre la société [K] [R] et la société Distribution Casino France est inopposable à la société Carrefour proximité France, ordonné la substitution de la société Carrefour proximité France dans les droits de la société Distribution Casino France dans la cession du fonds de commerce et en ce qu'il a dit que l'arrêt vaut acte de cession au profit de la société Carrefour proximité France, et dit que la régularisation de l'acte de cession devra intervenir dans le mois de sa signification
- remis en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Dans ses dernières écritures devant la cour statuant de nouveau sur les points qui ont fait l'objet d'une cassation, la société Carrefour Proximité France explique à titre liminaire qu'une demande d'infirmation de la décision de première instance concernant l'interdiction faite à la société [K] [R] de vendre son fonds à la société Distribution Casino France n'a plus aujourd'hui de sens puisque, nonobstant la décision rendue et en violation du droit de préférence de la société Carrefour Proximité France, le fonds de commerce a, en définitive, été vendu à la société Distribution Casino France le 3 septembre 2010 ;
Elle fait valoir que l'arrêt de cassation ayant été rendu pour défaut de base légale, il n'est donc pas interdit à la Cour de renvoi de statuer dans le même sens que son arrêt du 13 juin 2012 tout en corrigeant la base légale ;
La SARL [K] [R] considère à l'inverse que la preuve d'une collusion frauduleuse entre les parties à l'acte de cession n'est ni recevable ni rapportée par la société appelante et que le droit de préférence stipulé dans le contrat de franchise consenti par la société Carrefour est de nature à restreindre artificiellement le jeu de la concurrence sur le marché du détail de la distribution alimentaire en limitant la possibilité de rachat de magasins indépendants par des groupes de distribution concurrents, motif pour lequel elle demande à la cour de prononcer la nullité du droit de préférence tel que stipulé à l'article 28 du contrat de franchisé signé entre les parties le 18 mai 1990, et donc de réformer le jugement en ce qu'il a cru devoir accueillir les demandes formulées par la société Carrefour France à l'encontre de la société [K] [R], ajoutant que le bénéficiaire ne peut invoquer le pacte que s'il fait une offre équivalente à celle que lui a transmise le promettant et que c'est la société appelante qui s'est unilatéralement dite dans "l'impossibilité d'exercer" son droit de préférence en ne formulant pas une proposition de reclassement pour le mandataire-gérant ;
Il importe d'observer que la Cour de cassation n'a prononcé qu'une cassation partielle de l'arrêt et qu'elle n'a aucunement remis en cause les dispositions de l'arrêt confirmant le jugement du tribunal de commerce en ce qu'il avait dit que la clause de "gérant mandataire" incluse par la société Distribution Casino France dans l'acte de cession du fonds de commerce, n'entrait pas dans le périmètre visé par le pacte de préférence et équivalait à empêcher la société Carrefour Proximité France d'exercer son droit de préférence, dès lors que le statut de gérant mandataire n'existe pas au sein du groupe Carrefour ;
Il est constant qu'aux termes des décisions de l'Autorité de la concurrence, le
pacte de préférence stipulé dans un rapport de distribution, notamment dans un contrat de franchise, n'est pas nul par lui même et qu'en conséquence sa licéité doit être appréciée au cas par cas ; c'est ainsi (décision de l'Autorité de la concurrence du 16 décembre 2011 n° 11-D-20) que dans le domaine de la distribution alimentaire, l'Autorité a validé des engagements pris par la société Carrefour et notamment une clause accordant au franchiseur Carrefour un droit de préférence à prix et conditions équivalents, rappelant que dans l'hypothèse où le groupe de distribution est réellement partenaire du développement du magasin indépendant (prise de participation correspondant à une véritable aide financière du groupe de distribution en possession des murs ou du fonds de commerce) l'existence d'un droit de priorité ou d'un dispositif assimilé paraît justifié ;
En l'espèce, la clause contenue dans l'article 28 du contrat de franchise du 18 mai 1998 intitulée 'Droit de première offre et de préférence au profit du franchiseur ou toute personne physique ou personne morale pouvant s'y substituer' prévoyait que 'Pendant le cours du présent contrat, à sa résiliation, pour quelque cause que ce soit ou à la fin du contrat, et pendant une durée d'une année suivant l'un de ces événements, le Franchisé, confère au Franchiseur un droit de première offre, suivi d'un droit de préférence sur toute autre personne à égalité de prix ou de condition, en cas de cession ou transfert par le franchisé des droits de propriété ou de jouissance qu'il possède sur le local dans lequel est exploité Marché Plus ou en cas de cession ou transfert par le franchisé des droits de propriété ou de jouissance qu'il possède sur le fonds de commerce ainsi que la mise en place de la location gérance de celui-ci' ;
Il n'est pas contesté que le fonds de commerce dont s'agit était exploité par M. [K] depuis douze ans sous l'enseigne 'Marché Plus'qui appartient au groupe Carrefour, le fonds appartenant auparavant à la société Carrefour Proximité France ;
A ce titre, M. [K] a pu bénéficier d'un partenariat commercial solide favorable au commerce exercé se manifestant notamment par le soutien de l'enseigne, l'aménagement du magasin, les conseils de vente et de promotions, et la mise à disposition de logiciel de gestion spécifique de nature à justifier que le franchiseur, à travers la clause contestée, puisse sécuriser l'investissement ainsi réalisé pendant plusieurs années, en empêchant l'appropriation des effets commerciaux favorables de ce partenariat par un concurrent ;
Il doit en outre être observé que les dispositions de la clause litigieuse stipulent d'un droit de préférence sur toute autre personne à égalité de prix ou de condition, étant rappelé que la clause de "gérant mandataire" incluse par la société Distribution Casino France dans l'acte de cession du fonds de commerce, n'entrait pas dans le périmètre visé par le pacte de préférence, comme l'a relevé le tribunal et ne pouvait donc constituer, contrairement à ce que soutient la SARL [K] [R], une condition différente l'ayant empêché de contracter à conditions équivalentes avec la société Carrefour ;
Il sera ajouté que si la clause litigieuse prévoyait que le droit de préférence du franchiseur avait un effet post contractuel d'une année, il n'est pas contesté que sa mise en jeu n'a pas, en l'espèce, eu lieu pendant cette période post-contractuelle ;
Par ailleurs, la SARL [K] [R] n'apporte aucun élément de nature à mesurer in concreto, à partir d'une analyse de marché et de données économiques, si la clause de préférence a pour effet de restreindre artificiellement la concurrence.
Il s'infère de ces observations que les questions relatives à la compatibilité du droit de préférence tel qu'édicté dans la clause litigieuse objet de la présente procédure avec les règles en matière de droit de la concurrence et à l'existence d'une possible barrière à l'entrée sur le marché du détail de la distribution à dominante alimentaire de concurrents doit recevoir une réponse négative, dès lors que seule la liberté de choisir son cocontractant est affectée par le pacte, étant ajouté qu'en aucun cas, le franchisé, en l'espèce M. [K], ne pouvait craindre de ne pas recevoir un juste prix pour la vente de son fonds de commerce, dès lors que la société Carrefour se proposait de lui acheter le fonds au même prix de 800.000 euros que celui proposé par la société Casino, étant rappelé que M. [K] l'avait acquis douze ans plus tôt pour un montant de 396.367 euros ;
Le pacte de préférence a donc été exercé à conditions égales, notamment financières et à un prix de marché important, n'entraînant aucun préjudice pour le cédant ;
Le jugement mérite dès lors confirmation, sauf en ce qu'il fait interdiction à la société [K] [R] de régulariser la vente de son fonds de commerce à la société Distribution Casino France, dès lors qu'il sera constaté que cette demande n'a plus d'objet ;
Au regard du sens de l'arrêt, les demandes subsidiaires de la société Carrefour Proximité France sont sans objet et les demandes de la SARL [K] [R] sont mal fondées, notamment en ce qu'elle demandait l'annulation du droit de préférence stipulé à l'article 28 du contrat de franchisé signé entre les parties le 18 mai 1990 et l'octroi à son profit de dommages et intérêts ;
L'équité commande de condamner la SARL [K] [R] à verser à la société Carrefour Proximité France une indemnité de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles ;
Succombant en appel, elle en supportera les dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour,
CONFIRME le jugement déféré sauf en ce qu'il a fait interdiction à la SARL [K] [R] de céder son fonds à la société distribution Casino France,
Statuant de nouveau de ce chef réformé et ajoutant,
CONSTATE que la demande visant à interdire à la SARL [K] [R] de céder son fonds à la société Distribution Casino France n'a plus d'objet,
DÉCLARE la cession du fonds de commerce sis [Adresse 4] intervenue entre les sociétés [K] [R] et Distribution Casino France inopposable à la société Carrefour Proximité France,
ORDONNE la substitution de la société Carrefour Proximité France dans les droits de la société Distribution Casino France dans la cession du fonds de commerce de la société [K] [R].
DIT que l'arrêt vaudra acte de cession au profit de la société Carrefour Proximité France sans autre formalité, dès son prononcé,
DÉBOUTE la SARL [K] [R] de l'intégralité de ses demandes,
LA CONDAMNE à payer à la société Carrefour Proximité France une indemnité de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
LA CONDAMNE aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE
C. GLEMET Anne-Marie GALLEN