RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
Au nom du Peuple français
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 7
ARRÊT DU 27 Octobre 2016
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/07025
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 20 Janvier 2015 par le tribunal de grande instance de BOBIGNY RG n° 13/00136
APPELANTE
Société d'Economie Mixte SEM PLAINE COMMUNE DÉVELOPPEMENT
RCS de Bobigny n° 381 666 924
[Adresse 1]
[Localité 1]
Représentée par Me Frédéric LEVY, avocat au barreau de PARIS, toque : T07
INTIMÉES
SA TOTAL RAFFINAGE MARKETING
RCS de Nanterre n° 542 034 921
[Adresse 2]
[Localité 2]
Représentée par Me Pascale FLAURAUD, avocat postulant au barreau de PARIS, toque K0090
et Me Christophe BOURDEL, avocat plaidant au barreau de PARIS, toque P14
DIRECTION DÉPARTEMENTALE DES FINANCES PUBLIQUES DE LA SEINE ST DENIS COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT
France domaine
[Adresse 3]
[Localité 3]
Représentée par M. [U] [C], en vertu d'un pouvoir général
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 Septembre 2016, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Christian HOURS, président de chambre, chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :
- Christian HOURS, président de chambre
- Anne LACQUEMANT, conseillère
- Marc BAILLY, conseiller
Greffier : Isabelle THOMAS, lors des débats
ARRÊT :- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Christian HOURS, président et par Sabrina RAHMOUNI, greffière présente lors du prononcé.
Exposé :
Selon convention du 21 décembre 2004, la Communauté d'agglomération Plaine Commune a confié à la SEM Plaine Commune Développement (la SEM) la réalisation de la ZAC [Adresse 4] à [Localité 4].
La déclaration d'utilité publique est intervenue le 1er décembre 2008.
Les parcelles ont été déclarées cessibles par arrêté préfectoral du 15 avril 2009.
L'ordonnance d'expropriation a été rendue le 29 avril 2009.
Parmi les biens concernés par l'opération figurait un ensemble immobilier dont la société Total Marketing Service (la société Total) était propriétaire, situé [Adresse 5] sur les parcelles cadastrées section 0 n°[Cadastre 1] et [Cadastre 2], P n°[Cadastre 3], d'une superficie totale de 4 611 m², sur laquelle une station service était construite, qu'elle exploitait.
Des discussions ayant abouti à un accord conditionnel ont eu lieu. Toutefois, faute d'accord de la SEM sur la réalisation de cette condition, la société Total a, par mémoire reçu le 31 juillet 2013, saisi le juge de l'expropriation de Seine Saint Denis en fixation de l'indemnité selon l'accord invoqué.
La cour statue sur l'appel formé par la SEM Plaine Commune Développement le 20 mars 2015 de la décision du juge de l'expropriation du 20 janvier 2015, ayant':
- constaté que la SEM Plaine Commune Développement avait accepté le caractère satisfactoire de l'accomplissement par la société Total de son obligation de dépollution pour un usage des lieux en logements avec deux niveaux de sous-sol';
- constaté que la SEM Plaine Commune Développement ne rapportait pas la preuve de ce que la société Total n'aurait pas satisfait entièrement à son obligation de dépollution';
- constaté que la société Total justifiait avoir satisfait complètement à son obligation de dépollution dans les termes de l'accord des parties';
- dit que l'accord des parties était acquis';
- fixé en tant que de besoin, à 900 000 euros en valeur libre, l'indemnité totale de dépossession et d'éviction due par la SEM Plaine Commune Développement à la société Total dans le cadre de l'opération d'expropriation du bien situé [Adresse 5]';
- précisé que la somme de 900 000 euros se décomposait, selon la volonté des parties en
228 000 euros pour l'indemnité de dépossession et 670 000 euros d'indemnité d'éviction';
- débouté la SEM Plaine Commune Développement de sa demande relative à une expertise judiciaire en matière de pollution';
- condamné la SEM Plaine Commune Développement à payer à la société Total une somme de 8'000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile';
- condamné la SEM Plaine Commune Développement au paiement des dépens de la présente procédure.
Pour l'exposé complet des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est expressément renvoyé à la décision déférée et aux écritures':
- adressées au greffe par la SEM Plaine Commune Développement le 11 juin 2015, aux termes desquelles elle demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau :
- à titre principal de fixer les indemnités à revenir à la société Total pour dépossession et éviction à la somme de 773'500 euros, décomposée'en 228'000 euros d'indemnité de dépossession, dont à déduire 124'500 euros d'abattement pour pollution, et à 670'000 euros d'indemnité pour perte de fonds de commerce ;
- à titre subsidiaire,de fixer les indemnités à revenir à la société Total pour dépossession et éviction, alternativement selon que la juridiction de droit commun dira que la société Total a exécuté ou n'a pas exécuté, exécuté complètement ou partiellement son obligation au sens de la lettre de la société Plaine Commune Développement du 30 avril 2009';
- à titre très subsidiaire
- d'ordonner une expertise afin de prendre connaissance des données techniques des analyses et opérations de dépollution entreprises par la société Total ou toute entreprise travaillant pour son compte, dresser un état descriptif des analyses et opérations de dépollution entreprises au jours de la visite des lieux, procéder à toute analyse nécessaire afin de déterminer si le site est pollué et, le cas échéant, déterminer l'étendue de cette pollution, dire si la présence de pollution résiduelle sur le site est de nature à entrainer des travaux de dépollution ou des surcoûts au moment de l'aménagement du site afin de permettre un usage résidentiel avec parking souterrain (n-2), au cas où l'état des terrains nécessiterait des mesures de sauvegarde, de surveillance ou la mise en place de servitude d'utiliét publique, en préciser la nature, le coût et l'incidence sur la valeur du bien, chiffrer le coût des travaux éventuellement nécessaires pour dépolluer le site et en préciser la durée ;
- de fixer les indemnités de dépossession et d'éviction à revenir à la société Total à la somme de 1'001'500 euros toutes causes de préjudice confondues';
- en tout état de cause':
- d'allouer à la SEM Plaine Commune Développement une indemnité de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile';
- de dire que les dépens seront à la charge de la société Total et autoriser Me Frédéric Levy à les recouvrer conformément à l'article 699 du code de procédure civile';
- déposées au greffe les 10 août et 12 août 2015'par la société Total, aux termes desquelles elle demande à la cour :
- à titre principal,de constater l'accord entre les parties et, en conséquence, de fixer à 900 000 euros, en valeur libre, l'indemnité totale de dépossession et d'éviction due par la SEM Plaine Commune Développement à la société Total';
- à titre subsidiaire'et en toutes hypothèses, de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, débouter la SEM Plaine Commune Développement de l'ensemble de ses demandes et de condamner la SEM Plaine Commune Développement à lui payer la somme de 8'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens dont distraction au profit de Me Pascal Flauraud, conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;
- adressées au greffe par le commissaire du gouvernement, le 3 juillet 2015, aux termes desquelles il propose de confirmer le jugement de première instance dans toutes ses dispositions.
Motifs de l'arrêt':
Considérant à titre liminaire que l'appel et les écritures des parties, lesquelles, dûment notifiées, ont permis un débat contradictoire complet et ne font l'objet d'aucune contestation sur ce point, sont recevables ;
Considérant que la SEM Plaine Commune Développement soutient que le juge de l'expropriation ne dispose que d'une compétence d'attribution limitée'; que le juge de première instance, interprétant l'accord, s'est prononcé sur l'application de la législation relative aux installations classées pour la protection de l'en vironnement au lieu de statuer sous forme alternative' dès lors que ces éléments relevaient de la compétence des juridictions de droit commun';
Considérant qu'elle sollicite que soit pris en compte dans l'évaluation du bien sa pollution au moment de la date de l'ordonnance d'expropriation et le caractère non achevé des travaux de dépollution, en s'appuyant sur le rapport SERPOL et un diagnostic de la société ICF Environnement, alors que la société Total s'était engagée à ce que l'autorité expropriante n'ait pas à subir de surcoûts liés à une pollution, ce qui n'est pas le cas ; qu'ainsi un abattement pour pollution du terrain devra être appliqué'; que cet abattement doit s'élever à la somme de
114 500 euros afin d'inclure le surcoût associé à l'évacuation des terres et à la purge de la pollution au droit de l'ancienne fosse maçonnée';
Considérant que la société Total réplique que l'accord intervenu entre les parties sur le montant de l'indemnité d'expropriation est parfait et n'est ni contesté ni contestable'; que le premier juge était bien compétent pour constater l'exécution de cet accord ; qu'en effet, le site a bien été rendu compatible avec la destination «'logement avec deux niveaux de sous-sol'», comme en témoigne l'analyse des risques résiduels (ARR), la délivrance du récépissé de cessation d'activité de la station service sans réserve quant à la compatibilité du site avec son usage futur, ainsi que l'absence de réserve de la SEM qui n'a pas davantage sollicité de nouvelles investigations'; qu'en conséquence la SEM Plaine Commune Développement a accepté le caractère satisfactoire de l'accomplissement par la société Total de son obligation de dépollution';
Considérant qu'elle conteste l'incompétence alléguée du juge de l'expropriation dès lors que l'obligation de dépollution qu'elle a souscrite, claire et sans ambiguité, ne nécessitait pas d'interprétation ; qu'elle soutient qu'il ne doit pas être pratiqué un abattement pour pollution dès lors qu'elle a réalisé son obligation de dépollution en sorte que la qualité des sols soit compatible avec le projet d'aménagement envisagé'; que son obligation n'était en effet pas d'éviter à l'autorité expropriante d'engager tous frais avec la pollution et n'avait pas un caractère global ;
Considérant que le commissaire du gouvernement note que les termes de l'accord n'ont fait l'objet d'aucune objection de la part de la SEM et qu'ainsi ils doivent être appliqués dans leur intégralité, le rapport SERPOL ayant constaté la compatibilité du projet d'aménagement et le préfet ayant donné récépissé à la société Total de la déclaration de cessation d'activité pour les installations litigieuses ;
Considérant que si le juge de l'expropriation n'est pas compétent pour trancher une difficulté sérieuse, il en va autrement pour vérifier l'application d'un accord portant sur le montant de l'indemnisation de l'expropriation en cause, soumis à condition, qui ne pose pas de problème d'interprétation ;
Considérant que si les conséquences d'une pollution sur un terrain exproprié doivent en principe être prises en compte pour son appréciation, les parties avaient abouti à un accord sur le montant de l'indemnisation revenant à la société Total, tant en sa qualité de propriétaire qu'en celle d'exploitant de la station-service en cause, selon lequel la société Total devait s'engager, aux termes de la lettre de la SEM du 30 avril 2009, 'à dépolluer en vue d'une destination logement (des lieux) avec deux niveaux de sous-sol, y compris zone de garage mécanique ';
Considérant qu'il résulte manifestement de cette formulation que si la dépollution réalisée devait être faite au regard de l'objet indiqué (logements avec deux sous-sol et garage) et n'exigeaient pas de faire disparaître toute trace de pollution ; qu'il est cependant tout aussi clair qu'il ne devait rester aucune pollution susceptible d'entraîner un surcoût dans la réalisation des travaux prévus;
Considérant que s'il résulte des rapports d'expertise successifs SERPOL, dont les conclusions n'ont pas été remises en cause par des rapports ultérieurs, qu'après les travaux réalisés de remise en état, les traces de pollution et les odeurs subsistant sur le terrain de la société Total étaient compatibles avec le projet envisagé, des préconisations étant cependant formulées, il n'était pas exclu pour SERPOL et il était mis en évidence par ICF Environnement à la suite des analyses réalisées, un surcoût possible pour SERPOL, établi pour ICF, dans l'évacuation des terres à excaver, lesquelles montraient, selon ICF Environnement, de légers dépassements des critères ISDI ;
Considérant qu'au vu de l'accord initial que les échanges survenus entre les parties n'ont pas modifié, le souhait de la SEM de faire inclure une clause dans le traité d'adhésion à l'expropriation, selon laquelle la société Total supporterait les surcoûts liés à la pollution dans la réalisation des travaux prévus, était légitime ;
Considérant dès lors qu'il convient de fixer, compte tenu des termes clairs de l'accord précité, l'indemnisation alternative suivante :
- dans l'hypothèse où les travaux envisagés (logements sur deux niveaux de sous-sol et garage mécanique) ne donneront lieu à aucun surcoût lié à la pollution du terrain, l'indemnisation est fixée à la somme de 228 888 euros au titre de l'indemnité de dépossession et à celle de 670 000 euros au titre de l'indemnité d'éviction, la somme totale étant arrondie à 900 000 euros ;
- dans l'hypothèse où lesdits travaux donneront lieu à un surcoût dûment justifié lié à la pollution du terrain, il conviendra de déduire ce surcoût de l'indemnité de dépossession précitée ;
Considérant en conséquence que le jugement du 20 janvier 2015 doit être infirmé, sauf sur la charge des dépens, l'expropriant en conservant la charge ;
Considérant qu'il est équitable de laisser à la charge de chaque partie les frais irrépétibles qu'elles ont exposés ;
Considérant qu'eu égard à la solution donnée au recours, il convient que chaque partie conserve à sa charge les dépens qu'elle a exposés ; qu'il n'y a dès lors pas lieu à application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, étant ajouté que cet article est en tout état de cause inapplicable en la matière où la représentation par avocat n'est pas obligatoire ;
PAR CES MOTIFS, la cour statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,
- infirme le jugement du 20 janvier 2015 du juge de l'expropriation de la Seine Saint Denis, sauf sur la charge des dépens ;
- statuant à nouveau, fixe l'indemnisation de la société Total Marketing Services de la façon alternative suivante :
- dans l'hypothèse où les travaux envisagés (logements sur deux niveaux de sous-sol et garage mécanique) ne donneront lieu à aucun surcoût lié à la pollution du terrain, l'indemnisation est fixée à la somme de 228 888 euros au titre de l'indemnité de dépossession et à celle de 670 000 euros au titre de l'indemnité d'éviction, la somme totale étant arrondie à 900 000
euros ;
- dans l'hypothèse où lesdits travaux donneront lieu à un surcoût lié à la pollution du terrain, dûment justifié, il conviendra de déduire ce surcoût de l'indemnité de dépossession précitée ;
- y ajoutant, dit que chaque partie conservera à sa charge les frais irrépétibles exposés dans l'instance ainsi que ses dépens d'appel.
LA GREFFIÈRELE PRÉSIDENT