Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 1
ARRET DU 15 NOVEMBRE 2016
(n° , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 16/03266
Décision déférée à la Cour : déclaration du greffier en chef du tribunal de grande instance de Paris du 15 décembre 2014 constatant le caractère exécutoire du jugement du tribunal de Budapest en date du 22 mars 2013
DEMANDEUR A LA RÉVOCATION :
SCP B.T.S.G. - [W]-[L]-[S]-[G] pris en la personne de Maître [O] [G], Mandataire Judiciaire
ès qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire de la SAS VALCO [Adresse 1]
[Adresse 2]
[Localité 1]
représentée par Me Frédérique ETEVENARD, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : K0065
assistée de Me Fanny LOUVET substituant Me [L] PARIENTE, avocat plaidant du barreau de PARIS,
DÉFENDERESSE A LA RÉVOCATION :
Société SELECT HUNGARIA société de droit hongrois
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 3]
[Adresse 3]2
[Localité 2]
HONGRIE
représentée par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : K0111
assistée de Me Anne LOISEAU substituant Me Anja DROEGE GAGNIER, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : R216
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 910 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 octobre 2016, en audience publique, le rapport entendu, les avocats des parties ne s'y étant pas opposé, devant Madame GUIHAL, conseillère, faisant fonction de présidente et Madame SALVARY, conseillère, chargées du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de:
Madame GUIHAL, conseillère, faisant fonction de présidente
Madame SALVARY, conseillère
Monsieur MULLIEZ, conseiller, appelé pour compléter la cour conformément aux dispositions de l'ordonnance de roulement portant organisation des services rendue le 22 août 2016 par Madame le premier président de la cour d'appel de PARIS
Greffier, lors des débats : Madame Mélanie PATE
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par Madame Dominique GUIHAL, conseillère, faisant fonction de présidente de chambre.
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Dominique GUIHAL, conseillère, faisant fonction de présidente et par Madame Mélanie PATE, greffier présent lors du prononcé.
LA SAS VALCO, société de droit français, ayant pour activité l'étude, la conception et la construction de centres de traitement de déchets, et la société de droit hongrois SELECT HUNGARIA, ont conclu le 27 janvier 2003 un contrat de maîtrise d'oeuvre aux termes duquel SELECT HUNGARIA a commandé à la société VALCO la conception et la construction en Hongrie d'un site industriel de tri de et de recyclage de déchets.
Deux virement sont intervenus de la part de la société SELECT HUNGARIA au profit de la société VALCO les 31 janvier 2003 et 1er avril 2004 d'un montant respectif de 2 249 664,05 euros et 1 994 970 euros, soit au total 4 244 634, 05 euros dont il n'est pas contesté qu'ils ont été reversés par la société VALCO à la société luxembourgeoise NEUMAN et à la société anglaise STF.
Le 28 juillet 2009, la société SELECT HUNGARIA, reprochant à la société VALCO de n'avoir pas fourni la documentation technique nécessaire à l'obtention du financement bancaire et des autorisations administratives relatives à la construction de l'usine, a saisi le tribunal de Budapest d'une demande tendant à se voir rembourser les acomptes versés de 4 250 000 euros outre les intérêts de retard.
Par jugement du 22 mars 2013, le tribunal de Budapest a fait droit à cette demande et mis à la charge de la défenderesse les frais de justice. Ce jugement a été confirmé par décision de cour d'appel de Budapest le 18 décembre 2013, elle-même confirmée par la cour suprême de Hongrie le 22 mai 2014.
A la suite de la requête déposée le 5 décembre 2014 sur le fondement de l'article 509-2 du code de procédure civile dans sa version alors applicable, le greffier en chef du tribunal de grande instance de Paris a déclaré exécutoire en France le jugement rendu le 22 mars 2013 par le tribunal de Budapest.
Par jugement du tribunal de commerce de Paris du 22 janvier 2015, la société VALCO a été placée en liquidation judiciaire et la SCP [W] [L] [E] (SCP BTSG) représentée par Me [G], désignée en qualité de liquidateur.
Le 2 février 2016, la société BTSG a formé un recours à l'encontre de la décision précitée du greffier en chef. Elle en a fait de même à l'encontre de la décision ayant déclaré exécutoire en France l'arrêt de la cour d'appel de Budapest (affaire pendante n° 16/03271).
La société SELECT HUNGARIA, à la suite des décisions du greffier en chef, a fait pratiquer une saisie-attribution à l'encontre de la société VALCO entre les mains de la Direction Générale des Finances Publiques Trésorerie municipale de Pointe-à-Pitre, obtenant ainsi le versement d'une somme de 514 716 euros.
Par conclusions notifiées le 15 septembre 2016, la SCP BTSG, ès qualités, demande à la cour de révoquer la déclaration du greffier en chef du tribunal de grande instance de Paris ayant constaté le caractère exécutoire du jugement du tribunal de Budapest, en conséquence de condamner la société SELECT HUNGARIA à restituer à la SCP BTSG, ès qualité, l'intégralité des sommes versées par la Direction Générale des Finances Publiques Trésorerie municipale de Pointe-à-Pitre, soit la somme de 514 716 euros, de condamner la société SELECT HUNGARIA à payer à la société BTSG, ès qualités, la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et ainsi que les dépens de première instance et d'appel dont le recouvrement sera poursuivi par Frédérique ETEVENARD, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par conclusions notifiées le 7 septembre 2016, la société SELECT HUNGARIA demande à la cour de confirmer la déclaration du greffier en chef du tribunal de grande instance de Paris du 15 décembre 2014 constatant le caractère exécutoire du jugement du tribunal de Budapest en date du 22 mars 2013, de débouter la SCP BTSG, ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société VALCO de l'ensemble de ses demandes, de condamner la SCP BTSG, ès-qualités, à payer à la société SELECT HUNGARIA la somme de 50.000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, de condamner la SCP BTSG, ès-qualités, à payer à la société SELECT HUNGARIA la somme de 25.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, de condamner la SCP BTSG ès-qualités aux entiers dépens, comprenant les frais de traduction, au profit de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU.
MOTIFS
Sur la demande de révocation de la déclaration constatant la force exécutoire du jugement du tribunal de première instance de Budapest
Considérant qu'aux termes de l'article 38 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, les décisions rendues dans un Etat membre et qui y sont exécutoires sont mises à exécution dans un autre Etat membre après y avoir été déclarées exécutoires sur requête de toute partie intéressée; que suivant les articles 43 et 45.1 du même règlement, l'une ou l'autre des parties peut former un recours contre la décision relative à la demande de déclaration constatant la force exécutoire, la juridiction saisie du recours ne pouvant alors refuser ou révoquer une déclaration constatant la force exécutoire que pour l'un des motifs prévus aux articles 34 et 35 ;
Considérant qu'aux termes de l'article 34 précité, 'une décision n'est pas reconnue si :
1) la reconnaissance est manifestement contraire à l'ordre public de l'Etat membre requis';
Considérant qu'à l'appui de son recours, la SCP BTSG, ès qualités, fait valoir principalement que la reconnaissance du jugement du tribunal de Budapest doit être refusée pour être manifestement contraire à l'ordre public français et en particulier à l'exigence de motivation qui suppose une réponse spécifique et explicite aux conclusions régulièrement présentées par les parties ; qu'en omettant de répondre au moyen tiré de l'existence d'une fraude à l'origine des deux virements litigieux de la société HUNGARIA à la société VALCO sur la base d'opérations de nature fictive entre des entités entretenant des liens étroits, suivis du reversement de ces fonds par la société VALVO à deux sociétés NEUMAN et STF, domiciliées, l'une au Luxembourg, l'autre au Royaume-Uni, n'ayant jamais entretenu de liens d'affaires avec elle, la décision hongroise a méconnu l'obligation de motivation sur des arguments ayant une incidence évidente sur la solution du litige et l'existence d'un droit de créance de SELECT HUNGARIA ; que la société VALCO a d'ailleurs régularisé une plainte avec constitution de partie civile devant le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Paris visant à faire constater la collusion frauduleuse dont elle a fait l'objet pour obtenir sa condamnation indue ;
Considérant que la société SELECT HUNGARIA répond pour l'essentiel que la clause relative à l'ordre public ne doit jouer que dans des cas exceptionnels et qu'elle est d'interprétation stricte; que l'exigence de motivation varie selon la nature de la décision, les tribunaux n'étant pas tenus d'apporter une réponse détaillée à chaque argument soulevé ; que la procédure civile hongroise s'est déroulée de manière contradictoire, dans le respect des droits de la défense, que le jugement est motivé en fait et en droit, que le grief de fraude ne représentait, à partir du deuxième jeu d'écritures de VALCO devant le tribunal de Budapest après changement de conseil, qu'un caractère subsidiaire par rapport à ses autres demandes tendant à dire, en contrariété avec ses premières conclusions, que les virements d'argent de SELECT HUNGARIA étaient la contrepartie des prestations fournies par VALCO et que les reversements de celle-ci aux entreprises NEUMAN SA et STF avaient pour but, en lien avec le projet, de ' préparer ses prestations à venir', que les digressions de l'appelante sur la fraude tendent à faire oublier les agissements frauduleux de ses propres actionnaires qui ont fait disparaître ses actifs au détriment de SELECT HUNGARIA, son créancier le plus important;
Considérant que pour justifier de la teneur des moyens soulevés devant le tribunal de Budapest, la SCP BTSG verse aux débats les conclusions de première instance de la société VALCO en date des 16 mai 2011, 25 octobre 2011 et 28 janvier 2013; que l'appelante fait valoir que les juges hongrois étaient saisis de l'ensemble des moyens invoqués dans ses conclusions successives, celles du 25 octobre 2011 précisant en effet sans équivoque 'nous maintenons toutes nos déclarations précédentes mais en même temps, au vu du changement de notre représentant, nous demandons au tribunal de réserver un sort prioritaire aux déclarations et aux demandes présentées dans le cadre de la présente demande reconventionnelle modifiée et acte préparatoire' ; qu'il en est ainsi du moyen développé dans les conclusions du 16 mai 2011, tiré du caractère prétendument fictif des virements d'argent intervenus en janvier 2003 et avril 2004 par la société SELECT HUNGARIA à la société VALCO et du reversement des fonds à deux sociétés étrangères, NEUMAN et STF, sans cause réelle ni contrepartie ;
Considérant que le jugement du tribunal de Budapest a dûment relevé ce moyen tiré de la fraude en précisant que la société VALCO invoque prioritairement, au vu des seules obligations qui lui incombaient selon elle, l'existence d'une contrepartie contractuelle aux virements de 2003 et 2004 et le fait que 'si le demandeur (SELECT HUNGARIA) affirme n'avoir rien reçu en échange, cela signifie (...) que ces montants ont été envoyés par le demandeur d'une façon frauduleuse à un titre économique irréel pour avantage personnel ,ce qui relève de la responsabilité pénale des anciens dirigeants de la société du Demandeur et de la société du Défendeur';
Considérant que le jugement, s'appuyant sur la réalisation d'une expertise commune de l'Institut d'expertise et du coexpert désigné par le tribunal sur les conclusions de laquelle les parties ont fait valoir leurs observations ainsi que sur divers témoignages, dont celui de M. [E] [T], représentant légal de la société VALCO, retient :
- que l'étendue de l'obligation de la société VALCO, sur laquelle les parties s'opposent, doit s'analyser non pas en fonction du seul contrat modifié de 2007, comme le soutient la société VALCO pour affirmer avoir rempli la totalité de ses obligations, mais aussi du contrat d'entrepreneur principal de 2003 et de ses modifications ultérieures, ' le contrat de 2007 n'ayant pu mettre hors vigueur toutes les dispositions du contrat de 2003",
- que 'l'obligation du défendeur (VALCO) relative à la remise de la documentation technologique et à la spécification technique était clairement stipulée par le contrat d'entrepreneur principal de 2003 aussi bien que par sa modification de 2007" et que 'l'expertise a constaté d'une façon claire que la société défendeur, en tant que société professionnelle, devait être consciente que, vu le contenu technique du contrat et de ses modifications, il devait remettre au demandeur (SELECT HUNGARIA) des documents, descriptions technologiques et spécifications relatifs à la description détaillée et à la modification de sa propre technologie de développement' ;
- que cette obligation comprenait la remise de la documentation technique exigée par l'établissement de crédit CIB ayant signé l'offre de financement au profit de SELECT HUNGARIA, peu important, selon le jugement hongrois, 'de savoir avec quelle partie plaidante la banque avait un rapport de droit'(...) puisque ' l'obligation contractuelle de fournir la documentation technique incombait uniquement au Défendeur (VALCO)' ;
Considérant que le tribunal hongrois, poursuivant son raisonnement au vu des éléments relevés par l'expertise, en conclut que les prestations de la société VALCO ont été manifestement insuffisantes, avec un taux d'achèvement des obligations contractuelles de 0,22%, et que ces manquements ont été directement à l'origine du refus de crédit par la banque et donc de l'échec du projet qui en dépendait ;
Considérant qu'en retenant de manière circonstanciée en fait et en droit l'existence de relations contractuelles entre les parties depuis 2003, sur la base d'un contrat modifié en 2004, 2005 et 2007, en caractérisant l'étendue des obligations contractuelles de la société VALCO à l'égard de la société SELECT HUNGARIA mais aussi de l'établissement de crédit partenaire du projet et en les comparant à la teneur des prestations effectivement réalisées sur toute la période par la société VALCO en lien avec le projet, le tribunal de Budapest a nécessairement écarté le moyen tiré de l'existence d'une fraude découlant de l'absence prétendue de toute cause réelle aux deux versements de janvier 2003 et avril 2004 ; que le tribunal a en outre motivé son refus de surseoir à statuer jusqu'à l'achèvement des poursuites judiciaires contre les dirigeants de société, sollicité par la société VALCO, en relevant que 'le procès actuel concerne le litige de deux sociétés et auparavant le défendeur n'a pas mentionné qu'une poursuite judiciaire était en cours contre la société Demandeur ;
Considérant que dans ces conditions, il apparaît que le jugement du tribunal de Budapest ne méconnaît pas l'obligation de motivation et qu'aucune violation de l'ordre public français ne peut donc, à ce titre, être opposée à la reconnaissance de cette décision dans l'ordre juridique français;
Qu'il y a donc lieu de déclarer de rejeter la demande de la SCP BTSG, ès qualités, de révocation de la déclaration du greffier en chef du tribunal de grande instance de Paris du 15 décembre 2014 constatant le caractère exécutoire du jugement du tribunal de Budapest e, date du 22 mars 2013 et de confirmer cette déclaration ;
Sur la demande de restitution des sommes versées à la société SELECT HUNGARIA par la Direction Générale des Finances Publiques Trésorerie municipale de Pointe-à-Pitre es qualités de trésorier public payeur de l'établissement public SYVADE Guadeloupe
Considérant qu'eu égard au caractère exécutoire du jugement hongrois, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de la SCP BTSG ès qualités de se voir restituer les sommes versées par la Direction Générale des Finances Publiques Trésorerie municipale de Pointe-à-Pitre à la société SELECT HUNGARIA ;
Sur la demande de dommages et intérêts formée par la société SELECT HUNGARIA
Considérant qu'il n'est pas établi que la demande en justice formée par la SCP BTSG ès qualités a dégénéré en abus de droit ; qu'il convient donc de débouter la société HUNGARIA de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Sur les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Considérant que la SCP BTSG ès qualités, qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel ; qu'il n'y a pas lieu d'inclure dans ces frais ceux de traduction engagés par chacune des parties, justifiés par le caractère international des relations contractuelles à l'origine du différend, et dont elles doivent à ce titre rester définitivement tenues ;
Considérant que la demande de la SCP BTSG fondée sur l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée ; qu'il en sera de même s'agissant de la demande de la société SELECT HUNGARIA formée sur le même fondement, eu égard à la situation économique de l'appelante en liquidation judiciaire ;
PAR CES MOTIFS
Rejette la demande de la SCP [W] [L] [E] représentée par Me [G], ès qualités de mandataire judiciaire de la société VALCO, tendant à la révocation de la déclaration du greffier en chef du tribunal de grande instance de Paris du 15 décembre 2014 constatant le caractère exécutoire du jugement du tribunal de Budapest en date du 22 mars 2013;
Confirme ladite déclaration ;
Déboute les parties de leurs autres demandes ;
Condamne la SCP [W] [L] [S] [G] représentée par Me [G], ès qualités de mandataire judiciaire de la société VALCO, aux dépens de première instance et d'appel, hors des frais de traduction qui resteront à la charge de la partie qui les a engagés, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU.
LA GREFFIÈRE LA CONSEILLÈRE, faisant fonction de présidente