RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 10
ARRÊT DU 30 Novembre 2016
(n° , 06 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/07048
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 30 Avril 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL RG n° 09/02896
APPELANTE
Association UNION DE LA JEUNESSE ARMENIENNE D'ALFORTVILLE
[Adresse 1]
[Localité 1]
représentée par Me Didier DOMAT, avocat au barreau de PARIS, toque : J010
substitué par Me Hortense DOUARD, avocat au barreau de PARIS
INTIME
Monsieur [Y] [S]
né le [Date naissance 1] 1965 à CAP VERT
[Adresse 2]
[Localité 2]
comparant en personne
assisté de Me Christophe BERTRAND, avocat au barreau de PARIS, toque : P0036 substitué par Me Edmée LANGE, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 Octobre 2016, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Stéphanie ARNAUD, Vice-président placé, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Marie-Antoinette COLAS, président de chambre
Madame Françoise AYMES-BELLADINA, conseiller
Madame Stéphanie ARNAUD, vice président placé faisant fonction de conseiller par ordonnance du Premier Président en date du 30 juin 2016
Greffier : Mme Caroline CHAKELIAN, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Marie-Antoinette COLAS, président de chambre et par Madame Caroline CHAKELIAN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Monsieur [Y] [S] a été engagé à compter du 1er juillet 2008 selon un contrat à durée déterminée par l'Association Union de la Jeunesse Arménienne d'Alfortville en qualité d'entraîneur de football. L'échéance de son contrat était fixée au 30 juin 2010.
Son salaire mensuel brut moyen s'élevait en dernier lieu à 4.050,83 euros.
L'association compte plus de dix salariés.
Par courrier du 7 juillet 2009, Monsieur [S] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 15 juillet suivant. Il a été licencié pour faute grave par courrier du 10 août 2009.
Contestant le bien fondé de son licenciement, Monsieur [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Créteil qui, par jugement du 30 avril 2013, a condamné l'employeur au paiement des sommes suivantes :
- 44.929,60 euros au titre du préjudice financier,
- 1.200 euros au titre des frais de procédure, ainsi qu'aux dépens.
Le jugement a ordonné également la remise des documents sociaux sous astreinte de 10 euros par jour et document.
L'AJA [Localité 1] a interjeté appel de cette décision, demande à la cour de l'infirmer, de débouter le salarié de l'ensemble de ses prétentions et de le condamner au paiement de la somme de 3.000 euros au titre des frais de procédure, ainsi qu'aux dépens.
Monsieur [S] demande à la cour de confirmer le jugement déféré et de condamner en outre l'employeur au paiement des sommes suivantes avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts :
- 15.000 euros pour préjudice financier complémentaire dont perte de chance,
- 20.000 euros pour préjudice moral, personnel, professionnel, social et familial,
- 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Il demande également à la cour d'ordonner :
- la justification du versement des cotisations sociales aux organismes obligatoires sous astreinte journalière de 100 euros,
- la délivrance des documents sociaux conformes sous astreinte journalière de 100 euros.
Pour plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier, développées lors de l'audience des débats.
MOTIFS
Sur la modification unilatérale du contrat de travail
Monsieur [S] fait valoir qu'à son retour de congés le 21 juin 2009, il a eu la surprise de constater que le club avait d'ores et déjà pris la décision de l'écarter de ses fonctions précédentes et ce, notamment dès le match amical du 21 juin 2009 pour lequel il a même été interdit de vestiaire.
Selon lui, le fait de l'avoir ainsi déchargé de ses fonctions d'entraîneur constitue un manquement grave de la part de l'employeur aux obligations contractuelles qui s'en trouvent ainsi modifiées dans ses conditions essentielles et l'autorise à considérer que le club a rompu prématurément et abusivement les relations contractuelles à durée déterminée.
Pour justifier de cette décision de l'employeur de rompre prématurément le contrat, il produit notamment une attestation de Monsieur [L] [V], directeur sportif du club de [Localité 3] et organisateur du match amical du 21 juin 2009, indiquant « J'ai accueilli Monsieur [S] vers 15h30 à l'entrée du stade. En l'accompagnant au vestiaire pour voir son équipe, nous avons aperçu Monsieur [K]. Monsieur [S] s'est adressé à lui en disant « Bonjour Président, je descends aux vestiaires ». Monsieur [K] lui a répondu « Pourquoi faire tu peux rester là-haut ». Alors gêné, Monsieur [S] a regardé le match des tribunes à mes côtés pendant que Monsieur [E] dirigeait l'équipe avec d'autres dirigeants que je ne connais pas » .
L'AJA [Localité 1] remarque que le salarié n'a fait état de cet argument que très tardivement. Elle estime qu'il n'apporte aucune précision sur une prétendue mise à l'écart, antérieure à la procédure de licenciement. Elle précise qu'il s'agissait d'une rencontre amicale de fin de saison, sans le moindre enjeu sportif, qu'il n'existait aucune raison pour la direction du club d'empêcher Monsieur [S] d'avoir accès aux vestiaires de l'équipe.
L'association ajoute que le salarié était en congés à la date de la rencontre comme en attestent le registre signé par Monsieur [S] lui-même et deux salariés du club.
Il résulte des circonstances de l'espèce que Monsieur [S] étaient en congés à la date de cette rencontre amicale.
Il n'est pas contesté que l'entraînement et le suivi du match amical avaient été confiés au deuxième entraîneur Monsieur [E], que ce dernier avait donc la responsabilité de ce match.
Dans ce contexte, les propos tenus par Monsieur [K], tels que rapportés par Monsieur [T] ne peuvent être interprétés comme une interdiction formelle donnée au salarié de rejoindre les vestiaires, de rencontrer les joueurs et donc comme un retrait de ses fonctions d'entraîneur.
Il ne peut en conséquence être retenu que la décision d'écarter Monsieur [S] de ses fonctions a été prise et notifiée le 21 juin 2009.
Le jugement sera par conséquent infirmé sur ce point.
Sur le licenciement
Aux termes de l'article L1243-1 du code du travail, sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l'échéance du terme qu'en cas de faute grave, de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du travail.
Constitue une faute grave un fait ou un ensemble de faits imputables au salarié constituant une violation de ses obligations d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. Il incombe à l'employeur d'établir la réalité des griefs qu'il formule.
En l'espèce, la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige est ainsi rédigée :
« Le 25 juin dernier, en violation des dispositions de l'article 4§10 de votre contrat de travail, vous avez téléphoné à Monsieur [B] [M] [K] [Z] sur son portable alors que ce dernier se trouvait à mon domicile et que nous discutions des modalités afin que celui-ci évolue dans notre club lors de la saison 2009/2010, pour le dissuader de rester dans notre club. Dès que son téléphone a sonné, Monsieur [B] [M] [K] [Z] a tout de suite activé le haut parleur de son portable de telle sorte que toutes les personnes présentes, Madame [F] [K], Monsieur [E] [K] et Monsieur [V] [J] ont pu entendre ses propos à savoir : « Que c'était la guerre avec le président, que lui et Monsieur [V] n'étaient pas capables de faire signer de bons joueurs, qu'ils n'étaient même pas capables de trouver un nouvel entraîneur » et que s'il voulait [K] pouvait partir signer à [Localité 4] club voisin et concurrent car vous en aviez discuté avec l'entraîneur de ce club. Un tel dénigrement est totalement incompatible avec vos fonctions et est constitutif d'une faute grave. Cette démarche contribue à faire partir nos joueurs à la concurrence et affaiblir gravement notre club, la valeur de celui-ci étant liée à son potentiel de joueurs. Potentiel que nous avons mis 16 ans à construire et qu'il est inacceptable de vous laisser détruire d'autant que nous vous avions déjà mis en garde pour des faits analogues la saison dernière vous demandant de ne plus intervenir lorsque les accords avaient été conclus avec des joueurs. Fin juin 2008, alors que toutes les conditions étaient remplies pour que le joueur [X] [T] joueur très important du club puisse rester une saison supplémentaire dans notre club (ce qui peut être confirmé par Monsieur [B] [X] [P] Capitaine de l'équipe) vous êtes intervenu et suite à votre intervention celui-ci au dernier moment a décidé de partir pour [Localité 5] ce qui nous a causé un grave préjudice.
Vous refusez d'appliquer les consignes données par votre président. Tout récemment, suite à la réunion du 11 juin 2009 où vous deviez voir les joueurs pour évoquer leur avenir et leur présenter les programmes de reprise, vous n'en avez vu que quelques uns (5 ou 6 sur 25). Nous vous avons demandé de prendre impérativement contact avec les autres le vendredi 12 juin 2009 avant votre départ en congés, afin d'éviter les départs massifs de ces derniers qui hélas se sont vérifiés.
Vous n'avez pas exécuté ces consignes de telle sorte que pendant les 10 jours suivants plusieurs joueurs ont confirmé par téléphone au président ainsi qu'aux dirigeants, ne pas avoir de nouvelles de vous et donc rechercher un autre club, votre insubordination gravement fautive a eu pour conséquence d'affaiblir notre club, la force d'un club étant directement liée à son potentiel de joueurs.
Mardi 23 juin 2009, lors d'une réunion dans le bureau du principal soutien et pourvoyeur de fonds du club, vous avez menti, tenté de discréditer et mis en porte à faux votre président en faisant croire qu'un joueur important quitterait le club du fait de sa malhonnêteté.
Ce qui d'une part est faux et nous a été confirmé par le joueur lui-même quelques heures après et d'autre part a obligé le président à se justifier vis-à-vis du principal soutien du club sans lequel ce dernier n'existerait plus.
Ces faits constituent des manquements intolérables, rendant impossible la poursuite de nos relations contractuelles, nous vous confirmons la rupture anticipée de votre contrat de travail pour faute grave ».
Sur les faits du 25 juin 2009
A l'appui de ce grief, l'AJA [Localité 1] produit notamment :
- une attestation du joueur Monsieur [B] [M] [K] [Z] indiquant « lors d'une visite chez le président [K] [E] de l'UJA [Localité 1] nous étions en train de discuter des modalités afin que je puisse prolonger mon contrat avec le club, lorsque mon téléphone a sonné c'était Monsieur [S] [Y] (l'entraîneur du club) qui m'a alors dit les choses suivantes que c'était la guerre avec le président, que nous étions incapables de faire signer les joueurs qu'il souhaitait et que nous n'étions pas capables de trouver un autre entraîneur et que je pouvais contacter le club de [Localité 4], c'est ce que j'ai fait »,
- une attestation de Monsieur [V] [J], trésorier du club, indiquant « J'étais présent chez Monsieur et Madame [K] le 25 juin 2009 en présence de Monsieur [B] [M] et j'ai clairement entendu, après que Monsieur [F] ait actionné le haut parleur de son téléphone portable, Monsieur [Y] [S] dire que c'était la guerre avec le président, qu'il était incapable de faire signer de bons joueurs ni même de trouver un autre entraîneur. Monsieur [S] l'a également informé qu'il avait parlé avec l'entraîneur de [Localité 4] qui était intéressé par son profil de joueur et qu'il ferait même d'aller jouer là-bas plutôt que de rester à lUJA ».
L'employeur constate par ailleurs que le salarié produit une attestation de l'entraîneur de l'équipe de [Localité 4] qui indique « après avoir téléphoné au club de l'UJA et Monsieur [K] [E], que je connais depuis quelques années de football, n'étant pas disponible, j'ai donc contacté l'entraîneur Monsieur [S] et lui ai fait part de mon intérêt envers les joueurs non concernés par le club dont [K] [F] ». Il estime que ce comportement est extrêmement grave puisque son contrat de travail lui interdit d'intervenir dans ce domaine.
Monsieur [S] explique qu'évoluant dans un championnat amateur, les joueurs n'ont pas de contrat de travail direct avec le club et sont donc totalement libres d'en partir à chaque intersaison. Il estime qu'on ne peut donc lui reprocher leur éventuel départ puisque seul un engagement contractuel avec les joueurs, prérogative du directeur du club, aurait permis d'empêcher une telle situation.
Il ajoute que les griefs relatifs au départ du joueur [T] [X], quand bien même ils seraient établis, sont prescrits.
S'agissant du joueur [K] [F], il fait valoir que l'attestation de Monsieur [J] ne répond pas aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile (pas de mention de sa qualité ni de ses liens avec le club) et doit donc être écartée. Il estime que l'attestation de Monsieur [F] n'est que la stricte reproduction de la lettre de licenciement et doit donc être écartée et ce d'autant plus que bien que datée de juillet 2009 elle n'a été communiquée qu'en mars 2012.
Il conteste être responsable du départ de ce joueur et produit des attestations de l'entraîneur et d'un joueur du club de [Localité 4] en ce sens. Il ajoute que l'AJA [Localité 1] ne voulait pas conserver Monsieur [F] et que ce dernier avait déjà choisi de partir.
Si aux termes de l'article 202 du code de procédure civile, l'attestation doit mentionner s'il y a lieu le lien de subordination avec les parties, pour autant aucun texte ne s'oppose à la mise en conformité des attestations avec ces dispositions. Or l'AJA [Localité 1] verse aux débats une seconde attestation de Monsieur [V] [J] faisant expressément état de sa qualité de trésorier du club.
En tout état de cause, la cour rappelle que les modes de preuve ne se limitent pas aux attestations et qu'elle apprécie souverainement si l'attestation non conforme présente des garanties suffisantes pour emporter sa conviction.
En l'espèce, l'AJA [Localité 1] produit deux attestations concordantes permettant d'établir la réalité du grief invoqué dans la lettre de licenciement. Sans qu'il soit nécessaire de déterminer si Monsieur [S] a convaincu Monsieur [F] de jouer dans un autre club, il est avéré qu'il a critiqué et remis en cause la direction de l'AJA [Localité 1] et encouragé un de ses joueurs à quitter le club. Dès lors, ce dénigrement, ces critiques et l'invitation faite à un joueur de rejoindre un club concurrent constituent à eux seuls un manquement grave à son obligation de loyauté rendant immédiatement impossible la poursuite du contrat de travail et ce, sans même qu'il soit besoin d'évoquer les autres griefs.
La rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée de Monsieur [S] est par conséquent justifiée.
Ses demandes en lien avec cette rupture seront dès lors rejetées.
Sur la remise de documents sociaux et la justification du versement des cotisations sociales
Eu égard aux précédents développements, les demandes relatives à la remise sous astreinte des documents sociaux et la justification du versement des cotisations sociales sont sans objet et seront donc rejetées.
Sur les frais de procédure
Il n'est pas inéquitable que chacune des parties conserve la charge des frais non compris dans les dépens qu'elle a pu exposer, il n'y a donc pas lieu à indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a rejeté les demandes de dommages et intérêts au titre du préjudice financier complémentaire dont perte de chance et du préjudice moral, personnel, professionnel, social et familial,
L'infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute les parties de leurs demandes,
Condamne Monsieur [S] aux entiers dépens.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT