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30/11/2016 | FRANCE | N°15/04401

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 10, 30 novembre 2016, 15/04401


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10



ARRÊT DU 30 Novembre 2016



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/04401



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 10 Mars 2010 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 07/12897, infirmé partiellement par le pôle 6 - chambre 9 de la cour d'appel de Paris par arrêt du 27 Février 2013, dont la décision a été cassée partiellement par arrêt de

la Cour de Cassation en date du 09 Décembre 2014 qui a ordonné le renvoi devant la Cour d'Appel de Paris autrement composée.



APPELANT

Monsi...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10

ARRÊT DU 30 Novembre 2016

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/04401

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 10 Mars 2010 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 07/12897, infirmé partiellement par le pôle 6 - chambre 9 de la cour d'appel de Paris par arrêt du 27 Février 2013, dont la décision a été cassée partiellement par arrêt de la Cour de Cassation en date du 09 Décembre 2014 qui a ordonné le renvoi devant la Cour d'Appel de Paris autrement composée.

APPELANT

Monsieur [D] [T]

né le [Date naissance 1] 1954 à [Localité 1] (59)

[Adresse 1]

[Localité 2]

comparant en personne

assisté de Me Emmanuelle BOUSSARD-VERRECCHIA, avocat au barreau de PARIS, toque : E1355

INTIMEES

SA EDF

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Jean-louis LEROY, avocat au barreau de PARIS, toque : G0891

CNIEG

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 4]

défaillante

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 11 Octobre 2016, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Marie-Antoinette COLAS, président de chambre

Madame Françoise AYMES-BELLADINA, conseiller

Madame Stéphanie ARNAUD, vice président placé faisant fonction de conseiller par ordonnance du Premier Président en date du 30 juin 2016

qui en ont délibéré

Greffier : Mme Caroline CHAKELIAN, lors des débats

ARRET :

- réputé contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Marie-Antoinette COLAS, président de chambre et par Madame Caroline CHAKELIAN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Exposé du litige :

M. [T] a été engagé le 17 janvier 1979 par la société EDF, en qualité de stagiaire, avant d'être titularisé. Il exerçait en qualité de chef de projet, il a été, à compter du 1er janvier 1998, mis à disposition de la délégation aux implantations industrielles pour une durée de trois ans. À son retour au sein de sa direction d'origine, il n'a été affecté à aucun emploi clairement défini. Le 10 octobre 2006, M. [T] a été désigné en qualité de représentant syndical du CHSCT puis a été élu, le 29 novembre 2007 en qualité de délégué du personnel.

À la suite d'une ordonnance de référé du 19 février 2008 que M. [T] a obtenue du conseil de prud'hommes saisi depuis le 25 septembre 2007, la société EDF a notifié à M. [T] sa mise en inactivité à compter du 1er juillet 2008.

Considérant avoir subi pendant de nombreuses années un harcèlement moral, ainsi qu'une discrimination, M. [T] a saisi le conseil de prud'hommes afin d'obtenir divers dommages-intérêts ainsi que des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour violation de son statut protecteur.

Par un jugement du 10 mars 2010, le conseil de prud'hommes de Paris a débouté M. [T] de l'ensemble de ses demandes.

Par un arrêt du 27 février 2013, la cour d'appel de Paris a confirmé le jugement en ce qu'il avait débouté le salarié de sa demande au titre de la violation du statut protecteur, mais l'a infirmé pour le surplus. Il a condamné l'employeur au paiement des indemnités dues au titre de la rupture, de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour manquement à l'obligation de sécurité rejetant les demandes fondées sur la discrimination et le principe « A travail égal, salaire égal ».

Par un arrêt du 9 décembre 2014, la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt de la cour d'appel de Paris mais seulement en ce qu'il a débouté le salarié de ses demandes relatives à la discrimination et à la violation du principe d'égalité de traitement, à l'indemnité pour violation du statut protecteur, remis, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et pour y être fait droit les a renvoyées devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

M. [T] demande à la cour de retenir qu'il a été victime d'une discrimination en raison de son âge et de son engagement syndical, subsidiairement, d'une violation du principe d'égalité de traitement.

Il sollicite que la cour ordonne, avant dire droit, la communication de divers éléments sous astreinte de 100 € par jour de retard suivant le délai de 30 jours après la notification de l'arrêt.

Subsidiairement, il demande à la cour de :

* fixer son niveau au niveau NPR 370 échelon 10 à compter du 1er janvier 2008 et sa rémunération à la somme de 9204 € bruts,

* ordonner la remise des bulletins de salaire et des documents de fin de contrat afférents,

* déclarer l'arrêt opposable à la CNIEG pour prise en compte de la rémunération fixée de janvier à juin 2008 pour la pension, et régularisation à compter du 1er juillet 2008,

* condamner la SA à EDF à lui verser les sommes suivantes :

- 224 395 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice économique subi du fait la discrimination ou de l'inégalité de traitement pour la période de 1998 à 2008,

- 31 344 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice économique subi du fait de l'absence de versement des primes de formation durant la période de 1998 à 2008,

*juger que la société EDF a porté atteinte à la garantie d'emploi jusqu'à la retraite de l'agent et en conséquence, condamner la SA PDF à lui verser les sommes suivantes :

- 652 798 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice distinct de l'atteinte à la garantie d'emploi du fait la discrimination ou de l'inégalité de traitement,

- 852 281 € à titre de dommages-intérêts réparant la perte de chance de percevoir une rémunération jusqu'à 67 ans ainsi qu'un complément de retraite,

- 100 000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la discrimination ou de l'inégalité de traitement,

- 299 330 € à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur,

les intérêts des condamnations prononcées étant capitalisés conformément aux dispositions du code civil

- 5400 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La SA EDF demande à la cour de surseoir à statuer, subsidiairement, de confirmer le jugement déféré, s'oppose en tant que de besoin aux demandes formulées par le salarié.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens développés, aux conclusions respectives des parties, visées par le greffier et soutenues oralement lors de l'audience.

MOTIFS

Sur la demande de sursis à statuer ;

La SA EDF demande à la cour de surseoir à statuer dès lors que :

- M. [T] a déposé une plainte auprès du procureur de la République du tribunal de grande instance de Bobigny,

- une enquête a été ouverte donnant lieu à plusieurs auditions,

- à l'issue de l'enquête, le procureur de la république a classé sans suite,

- M. [T] a déposé une plainte avec constitution de partie civile auprès du doyen des juges d'instruction du tribunal de grande instance de Bobigny,

- l'instruction est actuellement en cours.

Selon l'article 4 du code de procédure pénale, la mise en mouvement de l'action publique n'impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu'elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d'exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil.

Il ne sera pas fait droit à la demande de sursis à statuer.

Sur la demande tendant à voir reconnaître la discrimination en raison de l'âge et de l'activité syndicale ou le non respect du principe « à travail égal, salaire égal » ;

M. [T] soutient avoir subi une discrimination du fait de son âge, de ses activités syndicales. A tout le moins, il invoque une inégalité de traitement.

Aux termes de l'article L.1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie par l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L.3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap.

L'article L.1134-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige relatif à l'application de ce texte, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte telle que définie par l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, au vu desquels, il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Lorsque le salarié invoque une atteinte au principe "à travail égal, salaire égal" ; il lui appartient de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération. Lorsque le salarié soutient que la preuve de tels faits se trouve entre les mains d'une autre partie, il demande au juge d'en ordonner la production.

Comme faits laissant présumer une discrimination du fait de l'âge et de ses activités syndicales, à tout le moins une inégalité de traitement, M. [T] fait état des éléments suivants :

- l'absence d'affectation de 1997à 2008,

- aucune évolution professionnelle et aucune progression de rémunération ultérieure à la dernière progression accordée au niveau GF 19 NR 300 le 1er janvier 1999,

- l'absence d'évaluation professionnelle durant les 12 dernières années d'activité professionnelle le privant de toute perspective d'évolution professionnelle et de rémunération et ce contrairement aux règlements internes,

- l'absence de prise en compte des formations suivies pour l'affecter à un poste en lui assurant même une promotion conformément à l'accord d'entreprise,

- l'absence de prise en compte des accords du 24 février 2006 et du 21 février 2008 identifiant les agents en seconde partie de carrière professionnelle comme public prioritaire des prestations de formation et de professionnalisation et fixant des mesures d'accompagnement des parcours professionnels dans la diversité des âges,

- l'absence de toute proposition sérieuse de poste après qu'il avait pris des responsabilités syndicales à compter d'octobre 2006, comme représentant du personnel au CHSCT puis comme délégué du personnel suppléant, faisant état du fait que le poste proposé à la DCN le 24 octobre 2006 était vide de tout contenu, et que les deux postes offerts en juin 2007 et fin février 2008 se situaient sur des sites très éloignés et impliquant un rattachement à un autre établissement que celui où il exerçait son mandat, soit hors du champ de la compétence territoriale du CHSCT dont il était membre,

- l'absence de proposition sur le lieu même de travail à Cap Ampère alors que la société EDF avait besoin pour sa direction DOAAT, de spécialistes disposant d'une double compétence pointue en gestion des risques et en gestion du système électrique correspondant exactement à son profil,

- les entraves directes à l'exercice de son mandat dès lors que durant de longs mois d'arrêt maladie, la direction ne l'a jamais convoqué personnellement aux réunions du CHSCT ni aux réunions de délégués du personnel,

- l'absence de tout entretien d'évaluation entre 1997 et 2008.

Sont communiqués aux débats le différents accords collectifs invoqués, les éléments confirmant son maintien au GF 19 RN 300 depuis le 1er janvier 1999, divers courriels de demandes de rendez vous, de recherches de poste .

Par un courriel du 21 mai 2001, M. [W] adressé à J [L] en copie à JP [B] établit la liste des démarches engagées par M. [T], consécutivement à un entretien téléphonique du 19 janvier dernier, auprès de diverses personnes qui n'ont apporté aucune réponse à ses sollicitations.

En octobre 2001, M. [T] a adressé à M. [R] [U] la liste des 53 personnes contactées dans la cadre de la recherche de son poste. Le 6 décembre 2001, il faisait encore état de l'entretien avec M. [N].

Sont encore communiqués une convention de mise à disposition du 13 octobre 2000, le bilan de l'immersion de M. [T] pendant une année au sein de risques management OTC, le diplôme du master spécialisé en management global de risque, le compte rendu de la réunion du 31 mai 2006 entre la direction de la DCN et Force ouvrière.

Aux termes de ce compte rendu sont rapportées les questions du syndicat et les réponses de la direction au sujet de la situation de M. [T].

A la question « quels sont les motifs de non- attribution d'avancement au titre de l'année 2005 ', il a été répondu par la direction « M. [T] était absent, -détaché en formation- sur une formation qu'il avait souhaité faire la DCN a donné son accord. La formation lui permettait d'acquérir des compétences qui lui donneront des débouchés vers l'externe. Au niveau des activités : les résultats restent très vagues et superficiels. On lui a payé sa formation'ça devrait suffire ». À la question quels sont les motifs de non attribution d'avancement au titre des années précédentes de 1999 à 2004 ', la direction a répondu « immersion- formation en 2003 et 2004. Il n'était pas chez nous. Les hiérarchies externes à la DCN où il faisait son immersion ne nous ont pas demandé de lui attribuer un avancement. La DOAAT n'a pas voulu le garder. On espérait que la DOAAT le prenne ».

À la question « vous auriez pu le récompenser pour son Master ' Il a été répondu, «  je considère qu'il est bien payé par rapport au travail qu'il accomplit. En 2005, il ne travaillait que son master »

À la question « quand est-il arrivé à la DCN '», il a été répondu « en 1999 il était détaché à la DII (délégation aux implantations industrielles). À son retour la direction lui a proposé des activités dans le domaine « qualité ». C'est là qu'il y a eu un premier blocage. Par rapport aux attentes de la direction ses prestations n'ont pas satisfait la direction. Puis il y a eu un deuxième blocage : en ce qui concerne l'engagement concret de la part de M. [T], il a un problème. Dans une équipe il fait de l'obstruction par rapport à son management. Il est là pour faire ce qu'on lui demande de faire ».

À la question « quelles sont les perspectives d'attribution d'avancement au titre de l'année 2006 c'est-à-dire au 1er janvier 2007 ' », la direction a répondu « nous verrons par rapport aux résultats de 2006,- la direction reste ouverte- Ce n'est pas en contestant son management qu'il arrivera à quelque chose ».

A la question « M. [T], A GF 19 est placé sous l'autorité hiérarchique du chef de département économie M. [I] A GF 19. Est-ce normal dans la mesure où M. [T] dépendait jusque-là du chef de service ' Il a été répondu « c'est normal à la DCN ». 

Le 15 novembre 2006, M. [T] a accepté le poste qui lui a été proposé comme « responsable du contrôle des risques de la DCN » sous certaines réserves à savoir son rattachement direct à la direction de la DCN, la clarification de sa mission, la fin d'un processus de discrimination, ce à quoi il a été répondu par la direction que ses réserves étaient inacceptables.

A la suite d'un nouvel échange épistolaire dans le cadre duquel les parties ont maintenu leurs positions respectives, M. [T] a connu un épisode de santé fragilisée avec des arrêts maladie.

Au cours de cette période, la direction a entamé des recherches de poste en dehors de la DCN ce qui a semblé opportun au médecin du travail ainsi que cela découle d'un courriel du 30 mars 2007.

Lors de la reprise en juin 2007, il a été orienté vers le département EPI aux Renardières.

Mais il faisait valoir le 15 juillet 2007 qu'il n'avait toujours aucune proposition de poste.

Aucune suite effective n'a été donnée à cette orientation.

En Février 2008, il était avisé de recherches engagées auprès de la division combustible nucléaire.

Il évoque encore une évolution de carrière moins favorable que celles des collègues et demande à titre principal que la cour ordonne la production par son employeur des fiches C01 et les rémunérations annuelles de toutes natures perçues en 2008 en distinguant les rémunérations fixes et les rémunérations variables de tous les ingénieurs issus de l'[Établissement 1] (centrale [Localité 5]) des promotions de sortie de 1976 à 1978 toujours dans les effectifs le 1er janvier 2008.

En tout état de cause, M [T] estime que même parcellaires les éléments communiqués par l'employeur confirme l'inégalité de traitement, en ce qu'il en ressort que sur un panel de 15 ingénieurs, embauchés à plus ou moins un an entre le 1er janvier 1978 et le 31 décembre 1979, lui-même ayant été embauché en janvier 1979, 7 ingénieurs sont cadres supérieurs ou dirigeants , 2 ingénieurs sont en GF 19 NR 365 et 355, 6 ingénieurs sont en GF 17 ou 18 avec un NR entre 300 et 320, que lui-même positionné en NR 300, se situe au niveau de rémunération le plus bas de ses comparants à égalité avec un ingénieur en GF 17. Il relève que la médiane se situe au GF 19 NR 365 ce qui cohérent avec sa demande tendant à être repositionné au GF 19 NR 370.

Il renvoie encore au rapport annuel de 2004 qui révèle que le temps de passage moyen du GF 19 au collège des cadres supérieurs en U/HC est de 4 années, qu'il est resté bloqué au GF 19 et qui plus est au NR 300 pendant 10 ans.

Il ressort de ce qui précède que le salarié apporte des éléments de nature à établir la réalité d'un discrimination en rapport avec son âge au regard du parcours en seconde partie de vie professionnelle des personnes âgées de plus de 45 ans et en rapport avec ses activités syndicales à partir de 2006 , à tout le moins l'existence d'une inégalité de traitement dans la mesure où il stagnait à un NR inchangé depuis 1999.

La SA EDF répond que M. [T] avait 44 ans en 1998 et n'explique pas en quoi son âge aurait été un motif de discrimination.

Elle fait aussi observer que le salarié s'est engagé dans des activités syndicales en 2006 qu'elle n'avait aucune connaissance de telles activités de sa part entre 1998 et 2007.

La SA EDF relève encore qu'il ne peut y avoir application du principe « à travail égal, salaire égal » qu'entre des salariés placés dans une situation identique, c'est à dire justifiant cumulativement d'un travail égal, d'une situation de travail identique correspondant à une affectation dans un même service pour y effectuer une même activité sous la responsabilité d'une même hiérarchie, et encore, sous réserve qu'il bénéficient d'une expérience et d'un parcours similaires.

Elle précise qu'en l'espèce, le salarié se limite à soutenir que son déroulement de carrière a été moins favorable que celui d'autres collègues, mais qu'en réalité, compte tenu du constat que sur 26 agents, 7 étaient au GF 17, 5 au GF 18 , 7 au GF 19 et 7 cadres supérieurs ou dirigeants, il ne peut être retenu d'inégalité de traitement apparente.

Elle ajoute que le déroulement de carrière mis à part l'échelon qui correspond à l'ancienneté ne présente aucune automaticité, que de nombreux critères interviennent dans le déroulement d'une carrière qui ne dépend pas de la possession d'un diplôme, la mobilité géographique et fonctionnelle, l'exercice de fonctions managériales favorisant l'évolution de la carrière.

La SA EDF confirme que M. [T] n'a pas bénéficié d'un avancement au choix à partir de 1999, en lien avec le fait que les appréciations de sa hiérarchie étaient mauvaises ainsi que cela ressort des procès verbaux d'audition qu'elle produit aux débats, qu'il n'a jamais saisi les commissions paritaires internes compétentes pour donner un avis sur un éventuel traitement inéquitable.

Or, si l'examen des éléments communiqués de part et d'autre et les explications fournies ne permet pas de retenir la réalité d'une discrimination du fait de l'âge et des activités syndicales du salarié, il fait ressortir la réalité de la stagnation de M. [T] au GF 19 NR 300 pendant 10 ans, alors que son évolution professionnelle jusqu'en 1997 avait été favorable et rapide et révèle que l'inégalité de traitement réservé à M. [T] au regard d'une évolution moyenne des situations de ses collègues sortis de la même école, engagés au cours de la même période à partir de 1997 ne repose pas sur des éléments objectifs pertinents étrangers à toute inégalité de traitement, dès lors qu'il apparaît que toute évolution professionnelle et progression de rémunération a été compromise et tout à fait bloquée en raison du fait que la SA EDF a reproché au salarié de contester, de refuser son management.

L'inégalité de traitement est donc avérée, en ce qu'elle repose sur des critères subjectifs non pertinents.

Sur les demandes de réparation ;

Après avoir rappelé qu'il doit bénéficier d'une réparation intégrale du préjudice subi, M. [T] indique tout d'abord que l'employeur n'a pas communiqué, malgré sa demande, les fiches C01 des ingénieurs issus de [Établissement 1] des promotions de sortie 1976 à 1978, ces fiches rappelant les parcours professionnels de chacun des salariés.

Subsidiairement, sur le préjudice économique et plus spécialement sur son positionnement à la date de la rupture du contrat de travail, il propose d'appliquer une méthode préconisée par l'accord d'entreprise du 8 octobre 2009 prévoyant que la rémunération principale des bénéficiaires de l'accord évolue par référence à l'évolution moyenne des NR déterminée pour l'entreprise dans le collège d'appartenance de l'intéressé. Il ajoute qu'afin d'assurer un déroulement de carrière normale aux détachés syndicaux notamment, EDF publie tous les ans depuis 2010 la moyenne statistique d'évolution des collèges exécution, maîtrise et cadres pour les 10 dernières années devant être appliquée à chaque détaché syndical. Il estime que n'ayant pas bénéficié d'évaluation professionnelle depuis 1998, il doit se voir appliquer a minima l'évolution des salariés placés dans une situation comparable, soit 0,92NR par an en moyenne. Se basant sur l'évolution moyenne du collège cadre depuis 2001 tel que publié par EDF, l'application de cette moyenne à toute la période de discrimination soit depuis 1998 conduit à lui attribuer 9 NR sur la période de 10 ans entre 1998 date à laquelle il aurait dû être classé GF 19 et la date de la rupture du contrat de travail.

Il sollicite également l'attribution de 3 NR à la suite de la perte à partir de 2003 d'une dotation kilométrique forfaitaire donnant lieu au versement d'un complément de rémunération fixe.

L 'évolution en NR se faisant de 5 en 5 , cela conduit à lui appliquer le NR 370, échelon 10 au 1er janvier 2008, les niveaux 335 et 345 n'existant pas.

La SA EDF fait valoir que la moyenne d'un NR à la DCN sur les 10 dernières années a été de 2,3 ans pour les GF 19 étant précisé que dans cette moyenne se trouve englobés les cadres à potentiel de dirigeants qui bénéficient d'un déroulement de carrière plus rapide. S'agissant de la dotation kilométrique, la SA EDF explique qu'elle n'a pas pu maintenir le système forfaitaire initialement retenu l'URSSAF et l'administration fiscale, ne le jugeant pas correct, qu'elle a ensuite assuré le remboursement des kilomètres effectivement effectués dans l'intérêt du service et à partir d'un relevé validé.

Elle indique aussi que le reclassement du salarié au GF 19 ne devait pas être réalisé le 1er janvier 1998 comme le prétend le salarié, la convention de mise à disposition prévoyant que le reclassement ferait l'objet d'un examen, que la décision devait être prise par la délégation aux combustibles après avis de la délégation aux implantations industrielles en fonction de la qualité du travail fourni.

Au regard des documents versés la cour relève que sur le panel des comparants, 7 ingénieurs comme M. [T] étaient au GF 19 en 2008.

De plus, un était au NR 300 (M. [T]), un était au NR 320, 2 étaient au NR 330, un était au NR 340, un était au NR 355, un était au NR 365 .

Plus précisément, un autre ingénieur diplômé comme lui en 1977 était au NR 355. L'ingénieur au NR 365 avait été diplômé en 1976.

Il n'est pas nécessaire de rouvrir les débats pour faire injonction à l'intimée de communiquer des fiches C01 des ingénieurs visés au panel fourni par la SA EDF, puisque la cour peut sur la base des éléments utiles fournis procéder au repositionnement du salarié au NR 355 au 1er janvier 2008.

Le tableau produit permet d'arrêter la rémunération du NR 355 au 1er janvier 2008 à la somme de 7242,26 euros.

En tenant compte du taux de rémunération variable, la rémunération totale mensuelle ressort à la somme de 8598,27 euros.

En appliquant la méthode Clerc, l'aire du triangle correspond à -98 463,69 euros à laquelle s'ajoute la rémunération variable repositionnée NR 300 soit -77 577,41 euros.

Compte tenu de la reprise de rémunération variable perçue soit 7209 €, le total du préjudice passif 1998-2008 valeur en 2008 s'élève à 168 832,10 euros. Compte tenu du coefficient d'érosion monétaire entre 2008 et 2016 de 1,084, le préjudice résultant de l'inégalité subie entre 1998 et la date de la rupture du contrat de travail le 1er juillet 2008 s'élève à la somme de 183 014 €.

Le salarié réclame les primes de formation qu'il n'a pas perçues en 2000, 2004 et 2006 auxquelles il pouvait, selon lui, prétendre en application de l'accord de 1993, soit au total une somme de 31 344 euros, ce à quoi s'oppose la SA EDF qui estime qu'il n'a pas changé de métier à la suite de ses formations.

Toutefois, il ressort des circonstances propres à l'espèce que l'absence de changement de métier tient à l'attitude de l'employeur qui n'a pas reconnu les diplômes obtenus à l'issue des formations suivies par le salarié pourtant avec son accord.

Il sera fait droit à la demande et la SA EDF sera condamnée au paiement de la somme de 31 344 euros à ce titre.

Sur la violation du statut protecteur ;

La mise en inactivité étant intervenue dans un contexte de harcèlement moral, elle produisait les effets d'un licenciement nul en sorte qu'il était dû au salarié une indemnité forfaitaire égale aux salaires qu'il aurait dû percevoir jusqu'à la fin de la période de protection en cours, dans la limite de 30 mois, étant précisé que la période résiduelle de protection était de 35 mois.

Une somme de 8598,27 euros x 30 = 257 940 euros sera allouée au salarié à ce titre.

Sur le préjudice économique distinct de la perte de l'emploi et notamment en lien avec la garantie d'emploi ;

M. [T] explique que selon le statut d'EDF, sauf faute grave, un licenciement ne peut être prononcé en sorte que les salariés bénéficient d'une garantie d'emploi jusqu'à la retraite et considère que la mise en inactivité est la conséquence directe de la discrimination subie imputable à l'employeur. Il allègue aussi des économies opérées par la SA EDF du fait qu'elle a économisé la charge salariale le concernant de 2008 à 2014, voire jusqu'à 2021, ce qui de façon corrélative a obéré ses propres revenus déduction faite de la prise en charge à 68 % par la CNIEG au titre de la pension de retraite.

Il évoque deux préjudices de nature distincte résultant de cette atteinte à la garantie d'emploi, l'un né, certain et actuel correspondant à la situation d'un départ à la retraite à 60 ans et un préjudice relevant d'une perte de chance liée à la possibilité de prolonger son activité professionnelle jusqu'à 67 ans sans que l'employeur puisse s'y opposer.

Il estime qu'il aurait progressivement connu une augmentation de rémunération pour atteindre le niveau de rémunération KB échelon 12 avec une rémunération 11 538 euros.

Il évalue en conséquence son préjudice à 305 630 euros pour la période du 1er juillet 2008 au 1er novembre 2014 avec la correction appliquée en lien avec l'érosion monétaire à la date de l'audience.

Il fait aussi état de la perte de pension de retraite à partir du 1er novembre 2014 en tenant compte d'une espérance de vie la plus proche de la réalité de l'ordre de 347 168 euros.

Au total, il réclame 652 798 euros à ce titre.

Enfin, il sollicite la réparation du préjudice résultant de la perte de chance d'obtenir une rémunération tirée de la poursuite d'une activité professionnelle jusqu'à 67 ans soit 405 315 euros outre le préjudice sur la pension de retraite à partir du 1er novembre 2021 soit 794 134 euros.

Au total, il réclame 852 281 euros à ce titre.

La SA EDF soulève l'irrecevabilité de ces demandes en raison de l'autorité de chose jugée, le préjudice du salarié au titre de la garantie d'emploi ayant été pris en compte par la cour d'appel aux termes du précédent arrêt dans l'évaluation de son préjudice pour perte de son emploi.

Outre qu'il y a lieu de souligner que M. [T] demande une double indemnisation pour certaines périodes ( ainsi demande-t-il non seulement une perte de pension pour la période de 60 à 67 ans et un rappel de rémunération pour cette même période mais encore un cumul d'indemnisations pour perte de pension sur la période postérieure à 67 ans sur deux bases différentes), la cour relève qu'il avait, aux termes du troisième moyen de cassation soumis à la Cour de cassation fait grief à l'arrêt attaqué de ne pas avoir tenu compte dans le calcul du préjudice résultant de la perte de son emploi de la garantie d'emploi en application du statut de la SA EDF, que la Cour de cassation a expressément rejeté ledit moyen en indiquant que, sous le couvert d'un défaut de motivation, le moyen ne tendait qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine par les juges du fond de l'étendue du préjudice, en sorte que l'arrêt de la cour d'appel de Paris a statué sur l'entier préjudice résultant de la perte de l'emploi en tenant compte du préjudice résultant de la garantie d'emploi et qu'il est définitif sur ce point.

La demande de M. [T] est irrecevable de ces chefs.

Sur le préjudice moral résultant de la discrimination ou de l'inégalité de traitement ;

La SA EDF s'oppose à toute demande à cet égard alléguant que le préjudice allégué est le même que celui qui a déjà fait l'objet d'une indemnisation pour harcèlement moral.

Toutefois, aux termes du précédent arrêt, d'ailleurs cassé sur ce point, la cour avait écarté le principe et la réalité d'une discrimination et d'une inégalité de traitement

Il s'en déduit qu'elle n'avait pas pris en compte ces éléments dans l'appréciation du préjudice résultant du harcèlement.

Le préjudice moral spécifique résultant de l'inégalité de traitement subie sera réparé par l'allocation d'une somme de 10 000 euros.

Sur l'opposabilité de l'arrêt à la CNIEG ;

Le présent arrêt sera déclaré opposable à la CNIEG pour la prise en compte de la rémunération fixée de janvier à juin 2008 quant au montant de la pension versée et à la régularisation à compter du 1er juillet 2008,

Sur les demandes d'indemnités en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

L'équité commande d'accorder à M. [T] une indemnité de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés par lui en cause d'appel.

La SA EDF, qui succombe dans la présente instance sera condamnée aux entiers dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant par un arrêt réputé contradictoire, mis à disposition au greffe,

Vu le jugement du 10 mars 2010,

Vu l'arrêt de la cour d'appel en date du 27 février 2013,

Vu l'arrêt de la Cour de cassation,

Infirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande d'indemnité pour violation du statut protecteur,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Fixe le salarié au niveau NR 355 à compter du 1er janvier 2008 et la rémunération à la somme de 8598,27 euros € bruts,

Déclare l'arrêt opposable à la CNIEG pour prise en compte de la rémunération fixée de janvier à juin 2008 pour la pension, et régularisation à compter du 1er juillet 2008,

Condamne la SA à EDF à verser à M. [T] les sommes suivantes :

- 183 014 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice économique subi du fait de l'inégalité de traitement pour la période de 1998 à 2008,

- 31 344 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice économique subi du fait de l'absence de versement de primes de formation durant la période de 1998 à 2008,

- 257 940 euros à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur,

- 10 000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'inégalité de traitement,

Rappelle que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par la défenderesse de sa convocation devant le conseil de prud'hommes tandis que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter de la notification de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.

Dit que ces intérêts sont capitalisés dans les conditions légalement prévues,

Ordonne la remise des bulletins de salaire et des documents de fin de contrat afférents,

Condamne la SA EDF à verser à M. [T] une indemnité de 4000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

Condamne la SA EDF aux entiers dépens.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 10
Numéro d'arrêt : 15/04401
Date de la décision : 30/11/2016

Références :

Cour d'appel de Paris L1, arrêt n°15/04401 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-11-30;15.04401 ?
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