Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 1
ARRET DU 31 JANVIER 2017
(n° , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 16/01045
Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 Octobre 2015 rendu par le Tribunal de Grande Instance de PARIS (RG n° 14/08535) qui a déclaré exécutoire sur le territoire français le jugement émirati, rendu le 12 août 2012
APPELANTE
Madame [D] [S]
[Adresse 1]
[Localité 1]
GRANDE-BRETAGNE
représentée par Me Cécile BIADATTI substituant Me Jean-Yves GARAUD du LLP CLEARY, GOTTLIEB, STEEN & HAMILTON LLP, avocat au barreau de PARIS, toque: J021
INTIME
Monsieur [G] [P]
[Adresse 2]
[Localité 2]
EMIRATS ARABES UNIS
représenté par Me Véronique CHAUVEAU de la SELARL VERONIQUE CHAUVEAU & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : B0759
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 910 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 novembre 2016, en Chambre du Conseil, le rapport entendu, les avocats des parties et le Ministère Public ne s'y étant pas opposé, devant Madame GUIHAL, conseillère, faisant fonction de présidente et Madame SALVARY, conseillère, chargées du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de:
Madame GUIHAL, conseillère, faisant fonction de présidente
Madame SALVARY, conseillère
Madame COMTE, vice présidente placée, appelée pour compléter la cour conformément aux dispositions des ordonnances de roulement portant organisation des services rendues les 22 août et 16 décembre 2016 par Madame le premier président de la cour d'appel de PARIS
Greffier, lors des débats : Madame Mélanie PATE
MINISTÈRE PUBLIC : représenté par Madame SCHLANGER, avocat général,
ARRET :- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par Madame Dominique GUIHAL, conseillère, faisant fonction de présidente de chambre.
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Dominique GUIHAL, conseillère, faisant fonction de présidente et par Madame Mélanie PATE, greffier présent lors du prononcé.
Mme [D] [S], de nationalité britannique, et M. [G] [P], de nationalité française, se sont mariés le [Date mariage 1] 2010 à [Localité 1] après avoir signé un contrat de mariage le 25 février 2010 devant Me [G], notaire à [Localité 3].
De cette union est né [F], [Q] [P], le [Date naissance 1] 2010, à [Localité 2] (Emirats Arabes Unis) où le couple résidait.
A la suite de la requête de M.[P] en date du 2 mai 2011, le tribunal du Statut personnel de Dubaï a, par jugement n° 71/2011 rendu le 12 août 2012, prononcé le divorce irrévocable pour préjudice et discorde aux torts exclusifs de l'épouse et chargé cette dernière d'observer la période de viduité à compter de la date du prononcé du jugement, rattaché l'enfant au père et condamné Mme [S] à verser la somme de 1000 dirhams en règlement des taxes et dépens. Il a par ailleurs rejeté la demande reconventionnelle en divorce et condamné la demanderesse reconventionnelle à verser la somme de mille dirhams en règlement des taxes et dépens.
Le tribunal de grande instance de Paris, saisi à cette fin par M. [P], a, par jugement du 14 octobre 2015, déclaré exécutoire sur le territoire français le jugement émirati, débouté Mme [S] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile, condamné celle-ci aux dépens et à payer à M. [P] la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Mme [S] a interjeté appel de cette décision par déclaration du 23 décembre 2015.
Par conclusions du 10 novembre 2016, Mme [S] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, et statuant à nouveau, d'écarter des débats la pièce 40 produite par M. [P], de débouter celui-ci de ses demandes, de le condamner à payer à Mme [S] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens.
Elle invoque à l'appui de sa demande la contrariété du jugement émirati à la conception française de l'ordre public international de fond et de procédure ainsi que le non respect des droits de la défense ;
Par conclusions du 14 novembre 2016, M. [P] demande à la cour de déclarer admissible la pièce 40, subsidiairement de dire que les débats se tiendront en chambre du conseil, de déclarer Mme [S] irrecevable et mal fondée en ses demandes, de confirmer le jugement entrepris, de condamner Mme [S] à lui payer la somme de 7 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens.
Les débats se sont tenus en chambre du conseil sur décision de la cour au visa des dispositions de l'article 435 du code de procédure civile, en considération de l'atteinte à l'intimité de la vie privée que leur publicité pourrait générer s'agissant d'une affaire ayant trait au divorce des parties et à la situation de leur enfant commun mineur.
MOTIFS
Sur l'admission de la pièce 40 produite par M.[P]
Considérant que la pièce 40 versée aux débats par M.[P] est un jugement de la Haute Cour de Justice de Londres, division familiale, rendu par le juge [W] le 2 août 2016 dans une affaire opposant les parties, accompagné de sa traduction ;
Considérant que Mme [S] soutient que cette décision rendue à huis clos ne peut être produite dans le cadre d'une procédure étrangère ; qu'elle communique la consultation d'un avocat, Me [V] [T], faisant étant d'une interdiction de divulguer un tel document dans le cadre d'autres procédures que ce soit en Angleterre ou ailleurs, sans autorisation spéciale ;
Considérant cependant que la loi du for est compétente pour apprécier l'admissibilité d'un mode de preuve ; qu'en conséquence, l'absence d'autorisation de divulgation invoquée par Mme [S] ne prive pas M. [P] de la possibilité de produire le jugement anglais dans le cadre de la présente instance, sous réserve de respecter les dispositions de l'article 9 du code de procédure civile qui imposent de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ;
Considérant qu'à cet égard, Mme [S] ne justifie pas en quoi la production d'un jugement anglais impliquant les parties dans un litige sur l'autorité parentale, dans une instance en France ayant pour objet l'exequatur d'un jugement de divorce et ses conséquences, et dans laquelle elle-même produit de nombreuses pièces concernant les différends relatifs à l'enfant et les relations conjugales et dont les débats se tiennent en chambre du conseil, constituerait une atteinte à sa vie privée ;
Considérant par ailleurs que la production par M.[P] du jugement anglais sur les demandes de visite de la mère apparaît nécessaire à l'exercice du droit de la preuve et proportionnée au but poursuivi dès lors que Mme [S] communique de son côté un courriel de son conseil anglais en date du 9 novembre 2016 faisant référence à des difficultés de mise en place des contacts mère/enfant 'pendant les deux semaines ayant suivi l'audience à la Cour' ;
Que la demande de Mme [S] tendant à voir écarter des débats la pièce 40 produite par M.[P] sera donc rejetée ;
Sur le caractère exécutoire en France du jugement émirati
Considérant qu'aux termes de la Convention entre le gouvernement de la République française et le gouvernement des Emirats arabes unis relative à l'entraide judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale en date du 9 septembre 1991, en particulier de son article 13.1.
' Les décisions rendues par les juridictions d'un Etat sont reconnues et peuvent être déclarées exécutoires dans l'autre Etat si elles réunissent les conditions suivantes :
a) la décision émane d'une juridiction compétente selon les règles concernant les conflits de compétence admises sur le territoire de l'Etat requis ou selon les règles énoncées à l'article 14 de la présente Convention ;
b) la loi appliquée au litige est celle désignée par les règles de conflit de lois admises sur le territoire de l'Etat requis ; toutefois, la loi appliquée peut être différente de la loi désignée par les règles de conflit de l'Etat requis si l'application de l'une ou l'autre loi conduit au même résultat;
c) la décision ne peut plus faire l'objet d'un recours ordinaire ni d'un pourvoi en cassation dans l'Etat d'origine et est exécutoire ; toutefois, en matière d'obligations alimentaires, de droit de garde d'un mineur ou de droit de visite, la décision peut être simplement exécutoire dans l'Etat d'origine ;
d) les parties ont été légalement et régulièrement citées, représentée ou déclarées défaillantes;
e) la décision ne contient rien de contraire à l'ordre public de l'Etat requis' ;
Sur la compétence de la juridiction émiratie
Considérant qu'aux termes de l'article 14, le tribunal d'origine est considéré comme compétent au sens de la Convention (...)
1°) lorsque, lors de l'introduction de l'instance, le défendeur avait son domicile ou sa résidence habituelle dans l'Etat d'origine' ;
Considérant que la compétence de la juridiction émiratie est acquise dès lors que Mme [S] résidait aux Emirats Arabes Unis, à l'instar de son mari et de l'enfant commun, au jour de l'introduction de l'instance en divorce par M. [P] ;
Sur la loi appliquée
Considérant que la requête en divorce a été déposée avant le 21 juin 2012, date de l'entrée en vigueur en France du règlement UE du 20 décembre 2010 ; que la loi applicable au divorce doit donc être recherchée en vertu de l'article 309 du code civil aux termes duquel la loi française est applicable au divorce, lorsque, à défaut de nationalité française commune ou de domicile des deux époux en France comme en l'espèce, aucune loi étrangère ne se reconnaît compétence, alors que les tribunaux français sont compétents pour connaître du divorce ou de la séparation de corps;
Considérant que la loi émiratie, à l'article1 alinéa 2 du code du statut personnel de l'EAU n° 28/2005, se reconnaît compétente en l'espèce dès lors que M. [P] n'a pas sollicité l'application de la loi française et que Mme [S], de nationalité britannique, a sollicité l'application de la loi britannique sans justifier de sa teneur ;
Qu'il s'en déduit que la loi émiratie, appliquée au litige, est bien celle désignée par les règles françaises de conflit de lois ;
Sur le caractère définitif du jugement
Considérant que M. [P] verse aux débats un certificat de non appel en date du 21 octobre 2012 ;
Considérant que la preuve du caractère exécutoire de la décision suppose, aux termes de l'article 16 de la convention précitée du 9 septembre 1991, la production de l'original de l'exploit de signification de la décision ou de tout autre acte qui tient lieu de signification ;
Considérant que M. [P] justifie que la signification du jugement a été faite par voie de presse ; que cette voie de notification est autorisée par l'article 14 du code émirati dès lors que le défendeur est introuvable à son domicile, à son lieu de résidence, et est injoignable par fax ou par courrier électronique ou par courrier postal comme en l'espèce, Mme [S] reconnaissant avoir vécu cachée à [Localité 2] pendant plusieurs mois, et notamment durant l'instance en divorce;
Sur la citation ou la représentation de Mme [S] à l'instance
Considérant que Mme [S], citée par voie de presse en l'absence d'adresse connue, a constitué avocat devant la juridiction émiratie comme en attestent les procès-verbaux d'audiences versés aux débats ; que son conseil a pu participer à la mise en état de l'affaire sans que son absence aux premières audiences ait eu une incidence sur ses droits dès lors qu'un délai suffisant lui a été accordé pour prendre connaissance des conclusions et des pièces produites en demande, y répondre, et déposer une demande reconventionnelle en divorce le 12 janvier 2012 avant le prononcé du jugement qui n'interviendra contradictoirement que le 12 août 2012 ;
Considérant que si Mme [S] établit s'être cachée pendant plusieurs mois, elle ne justifie pas avoir été privée de contacts avec son avocat et s'être trouvée dans l'impossibilité d'assurer sa défense par son intermédiaire alors que ce dernier a formé des demandes en son nom ;
Qu'il s'en suit que Mme [S] a été régulièrement citée et représentée à la procédure ;
Sur le respect de l'ordre public de l'Etat requis
Considérant que Mme [S] fait valoir que le jugement émirati est contraire à la conception française de l'ordre public de fond en ce qu'il contrevient aux principes d'égalité entre époux et d'égalité parentale ainsi qu'au droit au respect de la vie familiale ; qu'elle l'estime par ailleurs contraire à la conception française de l'ordre public international de procédure en ce que la procédure suivie n'a pas respecté son droit à un procès équitable, les défaillances de la motivation du jugement faisant peser un doute légitime sur l'impartialité du juge ;
Considérant que M. [P] fait à juste titre observer que les deux époux ont formé une demande en divorce ;
Considérant cependant que le jugement prononce le divorce irrévocable pour préjudice aux torts exclusifs de la défenderesse sur la base des motifs suivants :
' attendu qu'il apparaît après examen des justificatifs versés à l'audience, que l'entourage du demandeur a connaissance du préjudice subi par ce dernier, tels que le refus de la défenderesse d'obéir à son époux, l'agression physique perpétrée à son encontre et son manquement à ses devoirs d'épouse, ses fréquentations des boites de nuit en compagnie de ses amis, selon les justificatifs fournis par le demandeur, ses voyages fréquents et son abandon du domicile conjugal ainsi que son refus d'accorder au demandeur le droit de visite à son fils [F] et attendu que la défenderesse n'a produit aucun justificatif pour réfuter ces faits et que ses écritures sont dépourvues de toutes preuves, il apparaît ainsi à la Cour que le demandeur est celui qui est victime de préjudice, d'après les dépositions des témoins et la connaissance de l'entourage du demandeur du préjudice commis par la défenderesse à son encontre, illustré par des faits de violences, insultes, négligence, refus d'obéir à l'époux et non respect de ses sentiments, il convient donc de recevoir la demande en divorce du demandeur conformément à ce qui a été demandé ci-dessus' ;
Considérant que le devoir d'obéissance de la femme à l'égard du mari, dont l'irrespect a été expressément invoqué par M. [P] au titre des griefs justifiant le prononcé du divorce aux torts de son épouse, ainsi que par les témoins (procès-verbal d'audience n°17), ne connaît aucune réciprocité dans la loi émiratie ; qu'il en est de même du caractère fautif que constitue pour une épouse le seul fait de se rendre en boîte de nuit avec des amis ou d'effectuer de fréquents voyages ;
Considérant que ces dispositions, en référence à la puissance maritale, sont manifestement discriminatoires, alors que l'épouse est de nationalité britannique et le mari de nationalité française, qu'elles sont à ce titre contraires à la conception française de l'ordre public international fondé sur le principe d'égalité entre les époux et, plus largement, entre l'homme et la femme ;
Qu'il s'ensuit que le jugement litigieux ne peut être déclaré exécutoire en France et ce quels que soient les autres griefs retenus à l'encontre de l'épouse ;
Considérant au surplus que Mme [S] a formulé une demande reconventionnelle le 12 janvier 2012 en sollicitant du tribunal du statut personnel de [Localité 2], qu'il rejette l'action principale de M.[P], constate que ce dernier refuse de subvenir à ses besoins ainsi qu'à ceux de leur fils, les prive de logement et ne leur verse aucune pension, qu'elle est victime de l'abandon de son mari qui confisque ses droits légaux et l'a expulsée du domicile conjugal ;
Considérant que la juridiction répond à cette demande en se bornant à relever :
' Attendu que la demanderesse reconventionnelle a présenté une demande reconventionnelle en divorce pour préjudice et que la Cour ayant statué sur la demande principale a prononcé le divorce irrévocable pour préjudice en faveur du défendeur reconventionnel conformément à la demande principale, il convient donc de rejeter la requête de la demanderesse reconventionnelle';
Considérant qu'il résulte de ces dispositions que si la demande principale du mari a fait l'objet d'une motivation spécifique détaillée, tel n'a pas été le cas pour la demande reconventionnelle en divorce formulée par Mme [S] dont la carence dans l'administration de la preuve, dénoncée par le juge émirati, ne concerne que les demandes financières de l'épouse ou sa défense aux griefs formulés contre elle ;
Que l'absence d'analyse en fait ou en droit de la demande reconventionnelle en divorce de l'épouse, dont le rejet n'apparaît résulter que de l'accueil de la demande principale, et en conséquence le défaut de toute motivation effective sans que ne soient produits les documents de nature à servir d'équivalents à la motivation défaillante sur ce chef, justifie également le rejet de la demande de M.[P] tendant à voir dire ce jugement exécutoire en France ;
Sur les dépens et les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile
Considérant que M. [P] qui succombe en ses demandes, supportera la charge des dépens de première instance et d'appel, et verra en conséquence sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile rejetée ;
Considérant que M. [P] sera condamné à payer à Mme [S] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
Déclare recevable la pièce 40 produite par M. [P] ;
Infirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Rejette la demande de M. [P] tendant à déclarer exécutoire sur le territoire français le jugement rendu le 12 août 2012 par le tribunal du statut personnel de l'Emirat de Dubaï sous le numéro 71/2011 ;
Condamne M.[P] à payer à Mme [S] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette toute autre demande ;
Condamne M. [P] aux dépens de première instance et d'appel.
LA GREFFIERE LA CONSEILLÈRE, faisant fonction de présidente