RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 4
ARRÊT DU 28 Février 2017
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/10585 (13/10684)
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 13 Septembre 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS section activités diverses RG n° 12/07123
APPELANT (et intimé RG 13/10684)
Madame [L] [T]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
née le [Date naissance 1] 1955 à [Localité 1]0)
comparante en personne, assistée de Me Géry WAXIN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0395
INTIMEE (et appelant RG 13/10684)
SAS CLINIQUE DE L'ALMA
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Jean-Patrice IMPERIALI, avocat au barreau de MARSEILLE
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 29 Novembre 2016, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Roselyne GAUTIER, Conseillère, faisant fonction de Président
Mme Anne PUIG-COURAGE, Conseillère
Mme Soleine HUNTER FALCK, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : Madame Chantal HUTEAU, lors des débats
ARRET :
- Contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et prorogé à ce jour
- signé par Mme Roselyne GAUTIER, Conseillère, faisant fonction de Président et par Madame Chantal HUTEAU, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire
FAITS PROCÉDURE ET DEMANDES DES PARTIES
Madame [L] [T], née le [Date naissance 1] 1955, a été recrutée en qualité de diététicienne suivant contrat à durée indéterminée à temps complet , le 3 Octobre 1977, par la SAS Clinique de l'Alma, qui comprend un établissement hospitalier et un centre de dialyse et se trouve soumise aux dispositions de la Convention Collective de l'Hospitalisation Privée.
Parallèlement à cet emploi, Madame [T] a exercé divers mandats en qualité d'élue et a été désignée déléguée syndicale.
La Clinique de l'Alma a décidé d'externaliser à compter du 1er Janvier 2008 l'activité restauration pour la confier à la société SODEXHO et, dans ce cadre a souhaité transférer pour partie, le contrat de travail de Madame [T] .
L 'inspecteur du travail, saisi le 19 décembre 2007 en raison de la qualité de salariée protégée de Madame [T] ,a, par décision du 21 janvier 2008, refusé ce transfert.
Suite au recours hiérarchique exercé par la Clinique de l' Alma, le Ministre du Travail a, le 21 juillet 2008 annulé cette décision et autorisé le transfert du contrat de travail .
Un recours contentieux a alors été initié devant le Tribunal Administratif de Paris , puis la Cour Administrative d'Appel de Paris .
L'arrêt rendu le 2 Février 2012 par la Cour Administrative d'Appel a confirmé le jugement du Tribunal Administratif du 22 Décembre 2010 qui avait refusé le transfert et annulé la décision du Ministre du Travail .
Durant toute la procédure , le contrat de Madame [T] s'est poursuivi à 50% avec la Clinique et a été transféré à hauteur de 50% successivement à la société SODEXHO à compter du 1er Septembre 2008, puis à la société DUPONT à compter du 9 Mars 2009.
Le 30 Avril 2009, Madame [T], a rompu le lien contractuel qui l'unissait à cette dernière société dans des circonstances non précisées à la Cour.
Suite à la décision de la Cour Administrative d'Appel en date du 2 Février 2012, la Clinique de l'Alma lui a proposé par courrier recommandé daté du 13 Juin 2012 une réintégration à temps plein.
Au vu de la nouvelle fiche de poste proposée , Madame [T] a
refusé cette proposition .
C'est dans ce contexte que le 2 juin 2012 , elle a attrait la Clinique de l'Alma devant le Conseil de Prud'hommes de PARIS pour obtenir sa condamnation à lui payer les sommes suivantes:
' 35.000 € au titre de l'article 1222-1 du Code du travail
' 35.000 € au titre du harcèlement moral
' 5.606,40 € au titre de rattrapage de salaire
' 10.000 € au titre de la discrimination salariale
' 1.980 € au titre de la prime de dialyse
' 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Aux termes du jugement rendu le 13 septembre 2013, le Conseil de Prud'hommes de PARIS a condamné la Clinique de l'Aima à payer à Madame [T] les sommes de 990€ à titre de prime de dialyse, et 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile , et l'a déboutée du surplus de ses demandes.
Le 6 novembre 2013 elle a régulièrement interjeté appel de ce jugement .
Elle demande à la Cour d 'infirmer le jugement et de faire droit à l'intégralité des demandes initialement présentées devant le Conseil de Prud'hommes .
Lors de l'audience elle précisé que sa demande de condamnation au paiement de la somme de 10 000 € était fondée, non pas sur la discrimination salariale mais sur l'inégalité de traitement.
La Clinique de l'Alma qui a régulièrement formé appel incident le 8 novembre 2013 , a limité son recours à la disposition du jugement la condamnant à payer une prime de dialyse.
Elle conclut au débouté de Madame [T] de la totalité de ses demande et à sa condamnation au paiement de la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
La relation de travail entre les parties s'est maintenue pendant toute la durée de la procédure.
Suite à un avenant à son contrat de travail en date du 12 décembre 2013 modifiant son temps de travail, Madame [T] exerce actuellement ses fonctions de diététicienne 20 h par semaine moyennant un salaire de 1577,68 € auquel s'ajoute une prime de dialyse.
Lors de l 'audience de plaidoirie du 29 novembre 2016 , la Cour a prononcé la jonction des 2 procédures d'appel.
Les parties entendues en leurs plaidoiries, la Cour leur a proposé de procéder par voie de médiation et leur a demandé de lui faire connaître leur accord éventuel sous quinzaine . Aucun accord n'ayant été donné dans le délai imparti, la cour vide son délibéré.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.
SUR CE
Sur l'exécution déloyale du contrat
En application de l'article L 1222-1 du code du travail le contrat de travail est exécuté de bonne foi.
La salariée reproche à la Clinique de l'Alma:
- d'être allée à l'encontre des avis des médecins en prenant le risque de n'avoir plus qu'une diététicienne à mi temps tout en lui laissant la même charge de travail,;
- de ce fait de ne pas l'avoir mise en mesure d'exécuter normalement sa prestation de travail;
-de lui avoir adressé en juin 2012, 4 mois après l'arrêt de la Cour administrative une proposition de réintégration à temps plein avec une fiche de poste inadaptée avec novation de ses tâches et fonctions ;
Au vu des décisions des juridictions administratives et des courriers des praticiens Madame [T] occupait à titre principal une fonction paramédicale qui intégrait des tâches annexes au sein de l'activité restauration. Ces taches annexes ne concernant qu'une faible partie de ses attributions il est évident que le transfert de son contrat de travail à hauteur d'un mi temps au sein de l'activité externalisée de restauration a eu un impact sur ses conditions de travail.
A la lecture de l'entretien individuel de janvier 2010 la salarié a d'ailleurs souligné les difficultés à reconstruire le poste sur le temps imparti.
Il convient donc de considérer que compte tenu du caractère indispensable de la prise en charge diététique au sein des services de la clinique, notamment du centre d'hémodialyse, l' employeur en réduisant cette activité à un mi temps n'a pas mis Madame [T] en mesure d'exercer normalement ses fonctions.
Par ailleurs la Cour ne peut que constater que:
- l'employeur a attendu 4 mois après l'arrêt de la Cour Administrative d'Appel pour proposer sa réintégration à la salariée et ne l'a pas fait de bonne foi, puisqu'au vu de la fiche de poste présentée , il lui était imposé des attributions de type ressources humaines et de gestion générale de commandes sans rapport avec ses attributions initiales de diététicienne, telles que définies dans sa première fiche de poste, et sans lien avec ses compétences professionnelles.
-la salariée a dû attendre décembre 2013 pour pouvoir être réintégrer dans des conditions acceptées par les deux parties ;
Au vu de ces éléments , la Cour infirmant le jugement dit que la Clinique de l'Alma a manqué à son obligation d'exécuter de bonne foi le contrat de travail entre septembre 2008 et décembre 2013 .
Cette situation ayant perduré pendant plus de 5 ans , la salariée déstabilisée sur le plan professionnel a subi un préjudice certain qu'il convient de réparer en lui allouant la somme de 20 000 € qui portera intérêt au taux légal à compter du présent arrêt.
Sur le harcèlement moral :
Aux termes de l'article L.1152 - 1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont eu pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L'article L.1154 - 1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l'espèce, Madame [T] dénonce comme constitutifs de faits de harcèlement ayant contribué à la dégradation de ses conditions de travail les agissements suivants :
-l'absence de signalétique sur la porte de son bureau , signalétique finalement réalisée non par la Clinique mais par une collègue de bureau ;
-le fait que, suite aux travaux de rénovation , aucun bureau n'avait été prévu pour elle ;
-le retrait de son téléphone portable lors de la modification de son contrat de travail;
-le non remplacement de son siège de travail devenu inutilisable;
-le fait que l'employeur la convoque à des réunions en dehors de son temps de travail, alors que sa présence y est indispensable ;
-son isolement professionnel ,
-l' absence d'entretien d'évaluation à compter de 2010;
-l'acharnement judiciaire dont elle a été victime ;
-le fait que l'employeur malgré l'arrêt de la Cour administrative ait attendu 4 mois avant de lui proposer une réintégration à temps plein ,mais assortie d'une fiche de poste très éloignée des fonctions de diététicienne;
Elle précise que cette situation qui s'inscrivait dans un contexte général de dégradation du climat social a généré des conséquences sur sa santé et se prévaut de 2 arrêts de travail un en octobre 2008 et ,l'autre en septembre 2012.
Au vu des pièces produites les griefs relatifs à l'absence de signalétique ,à l'absence de bureau, au retrait du téléphone portable, au non remplacement du siège et à l'isolement professionnel ne sont pas démontrés .
De même , l'absence d'entretien annuel d'évaluation ne concerne que l'année 2012 et il n'est pas contesté que ce manquement est lié à une difficulté de recrutement sur le poste de directeur adjoint.
Par ailleurs , du fait de l'ambiguïté des décisions de l'inspecteur du travail puis du ministère et du réel aléa juridique relatif à l'interprétation des conditions de transfert partiel du contrat de travail , l'utilisation normale de l'ensemble des voies de recours par l'employeur ne peut pas être qualifiée d'acharnement judiciaire .
Si la salariée a été effectivement conviée à des réunions en dehors de ses heures de travail , il convient d'observer qu'il s'agit au maximum de 3 réunions annuelles, imposées par les textes réglementaires et auxquelles participent au vu des convocations , 8 à 10 autres personnes et que manifestement elle y a régulièrement participé sans émettre d'observations quant aux horaires retenus .
Enfin, en ce qui concerne la proposition de réintégration si la Cour a effectivement considéré qu'il s'agissait d'un manquement de l'employeur à son obligation d'exécuter de bonne foi le contrat de travail, le dit manquement eu égard au contexte plus global de la situation de la salariée n'est nullement constitutif d' un fait de harcèlement moral .
Il convient en sus de constater que les éléments médicaux invoqués ne permettent nullement de rattacher les arrêts de travail aux conditions de travail de la salariée et que, régulièrement saisi, le CHSCT a conclu à l'absence de harcèlement moral.
Au vu de l'ensemble des constatations ci dessus , la Cour dit que la salariée n' établit nullement l'existence de faits qui pris dans leur ensemble permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral et confirme le jugement qui a rejeté la demande d'indemnisation de ce chef.
Sur l'inégalité de traitement
Il s'agit d'une demande nouvelle en cause appel , la demande présentée devant le Conseil de Prud'hommes étant fondée sur la discrimination syndicale .
La Cour n'est plus saisie de cette demande au titre de la discrimination syndicale et le jugement qui rejette la demande de ce chef est confirmé.
Il résulte du principe 'à travail égal, salaire égal', que tout employeur est tenu d'assurer, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l'égalité de rémunération entre tous ses salariés placés dans une situation identique et effectuant un même travail ou un travail de valeur égale.
En application de l'article 1315 du code civil, il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe 'à travail égal, salaire égal' de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération, et il incombe ensuite à l'employeur de rapporter la preuve d'éléments objectifs, pertinents et matériellement vérifiables justifiant cette différence.
En l'espèce, Madame [T] se contente de reprocher à l'employeur de ne pas l'avoir fait bénéficier d'augmentations de salaire depuis 2008 sans évoquer la situation d'autres salariés , et sans même contredire les affirmations de l'employeur qui revendique avoir respecté les dispositions de la convention collective en la matière .
La salariée ne satisfaisant pas aux modalités de la charge de la preuve qui lui incombe , la Cour la déboute de la demande de ce chef .
Sur la prime de dyalise
Aucun élément du dossier ne permettant d'établir que ,suite au passage de son contrat à mi temps la salariée effectuait en réalité un temps plein ou même simplement des heures supplémentaires , il convient de confirmer le jugement qui n'a fait droit à sa demande au titre de la prime de dyalise que proportionnellement à son temps partiel .
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Il convient de confirmer le jugement en ce qui concerne les condamnations au titre des frais irrépétibles et les dépens .
Par ailleurs il est inéquitable de laisser à la charge de Madame [T] les frais irrépétibles qu'elle a exposés dans le cadre de la procédure en appel et il convient de lui allouer la somme de 2000 € à ce titre.
La Clinique de l'Alma partie perdante est également condamnée à supporter les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
Déclare l'appel principal et l'appel incident recevables ,
Confirme le jugement sauf, en ce qu'il a débouté Madame [L] [T] de sa demande de dommages et intérêts fondée sur le respect de l'article L 1222-1 du Code du travail,
Statuant à nouveau et y ajoutant ,
Condamne la SAS Clinique de l'Alma à payer à Madame [L] [T] les sommes suivantes :
-20 000 € en application de l'article L 1222-1 du Code du travail avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt;
- 2000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
Condamne la SAS Clinique de l'Alma à supporter les dépens .
LE GREFFIER LE PRESIDENT